the last of us (deera #3)

décembre 2035 — Ça sent le cramé. Meera ne peut pas dire qu'elle s'en doutait pas quand Dagan l'a pratiquement plaquée à terre en la poussant d'une main puissante. Même avant ça. C'est sa solution à tout, à Dagan, le feu. Toujours, tout le temps, contre elle souvent, maintenant moins. Aujourd'hui, il a pu faire toutes les démonstrations de sa Small Science que le plus grand fan des firebenders aurait jamais pu demander, à tous les coins de route, tous les quelques kilomètres parcourus dans la voiture, fallait ouvrir les fenêtres foutre un peu le feu avec Neha qui essayait de la distraire, la faire regarder ailleurs, en vain, parce que Meera ne peut pas détacher ses yeux du feu qui détruit toute la Terre autour d'eux. Mais au moins, dans la voiture c'était à bonne distance, loin, et eux, ils roulaient pour s'en éloigner de toute façon. Donc ça allait (malgré ses phalanges blanches accrochées au bout de son siège).

Maintenant ça sent le cramé et il fait plus chaud brusquement — même si ça, c'est peut-être dans sa tête. C'est proche. Peut-être que Meera devrait être reconnaissante du pouvoir de Dagan en cet instant précis, capable d'attaquer les bêtes en masse avant qu'elles n'arrivent trop près. Mais la tête baissée vers le sol cette fois et les yeux résolument fermés, les doigts trop serrés autour de l'arme à feu qu'on lui a donné, elle veut juste ignorer les flammes beaucoup trop proches, et l'odeur, et la peur qui la fait trembler. (Et elle essaye de ne pas penser au fait que avec sa main encore sur son épaule il doit le sentir). À choisir et aussi stupide et irrationnel que le choix peut être, elle préfère encore les lézards géants au feu. C'est d'autant plus idiot qu'elle est à côté de Dagan qui justement contrôle l'incendie qui n'a donc que peu de chance de devenir dangereux pour eux.

Parce qu'il y a un eux, un nous, pour aujourd'hui au moins et elle déteste le fait que ça parvienne à la rassurer même de manière infime.

—

Le reste est pour elle flou, elle se souvient de son cœur qui battait trop vite, et de l'air lourd et plein de souffre que ses poumons ne voulaient plus accepter. Elle se souvient de la peur, de la panique, des cris qui ne voulaient même plus quitter sa gorge comme si celle-ci s'était complètement scellée. Elle se souvient que Dagan a du l'emmener à l'écart au bout d'un moment et qu'elle était si mal qu'elle n'a même pas eu honte de ça ; elle s'en est à peine rendue compte, en fait. Elle aurait dû s'insurger du fait que ça soit lui qui s'occupe d'elle, la tienne, jusqu'à ce qu'elle cesse de croire qu'elle allait mourir d'un instant à l'autre à cause de son cœur trop rapide. Au moins, elle était loin du feu, et au moins elle a fini par se calmer, par réussir à respirer de nouveau et à arrêter de trembler.

La terre a tellement brûlé ce soir là, que même après, même une fois l'attaque terminée, même une fois les humains (ceux toujours vivants du moins) sauvés, ça sentait encore le cramé partout partout. Mais au moins les flammes ont fini par s'éteindre au petit matin. Patch et Zazala ont trouvé une maison en attendant de pouvoir bouger — il faut s'assurer que la zone est sécurisée et puis le reste de la région — et Meera en est à peine sortie. De toute façon elle n'aurait pas le droit de faire beaucoup plus que quelques pas puisque toute sortie de la "ville" improvisée dans les décombres est pour le moment interdite. (Et de manière convaincante avec un barrage surveillé par des hommes et femmes armés). Et il n'y a rien à faire dehors.

Elle préfère rester assise sur le rebord de la fenêtre de la chambre à l'étage, à regarder les autres réparer et reconstruire et soigner et réfléchir pendant qu'elle elle…attend. Quoi, elle ne sait pas trop encore. Ils sont partis trop vite et brusquement du camp des Seekers et des choix qu'elle avait. Du portail. Maintenant ils sont à des kilomètres et elle ne saurait pas y retourner toute seule et elle n'a plus de choix que de rester et attendre qu'on lui en trouve un autre de portail (mais peut-être celui-là ne sera-t-il pas pour Néphède) et elle ne sait pas si elle est triste ou soulagée et elle n'a même pas envie d'y penser. Elle attend et elle regarde et elle fronce le nez quand une cendre soulevée par le vent tournoie trop près de son visage. Ça pourrait être n'importe quoi ce bout de poussière gris. C'est ça le problème du feu; ça brûle tout, objets, nature, animaux, hommes. Ça la dégoûte.

Dagan n'aime pas l'odeur de chair brûlée.

Ça le dégoûte. Parce qu'il sait parfaitement que ça sent comme de la viande normale. Même la viande humaine. Peu de gens le savent, mais la chair brûle pareil, et a exactement la même odeur. Ça le dégoûte profondément et lui donne envie de vomir. Il n'aime pas cette planète, il déteste cette planète, elle pue et elle est dangereuse et les gens ici le regardent avec quelque chose dans le regard à laquelle il n'est pas habitué. À Altéa on le considère avec crainte mais respect, ou même admiration. Être firebender être une chose, être un firebender puissant comme lui en est une autre, être un firebender comme lui avec des parents comme les siens en est encore une autre.

Mais ici, personne ne comprend vraiment ce qu'il a fait et comment, mais ils savent que ça vient de lui et les gens ont peur. Burr lui a simplement conseillé de rester avec les Seekers et de ne pas sortir sauf en cas d'urgence; il obéit, plus par obligation qu'autre chose, tournant en rond dans cette maison, sans savoir où aller, quoi faire, comment le faire. Patch n'a pas de réponse, Zazala n'a pas de réponse, Neha n'a pas de réponse et il ne parle pas à Meera parce que de toutes façons, ils ne dorment pas dans la même pièce et s'ignorent. Il a dormi dans une pièce avec Patch et les autres mecs des Seekers et ils ronflaient et grognaient et Dagan a à peine fermé l'oeil sans oser s'avouer que sans elle, c'est difficile pour lui de se permettre de dormir.

Il a de grosses cernes le lendemain, tournant en rond dans la maison qui n'a que deux étages, montant et descendant les escaliers à n'en plus finir; Neha qui est elle aussi confinée à l'intérieur à cause d'une légère blessure, finit par en avoir le tournis et par le forcer à arrêter. Dagan n'obéit que pendant une heure avant de se relever et de se remettre à marcher; finalement, il trouve refuge dans la chambre qu'il a partagé avec les autres mecs des Seekers pendant la nuit, mais il n'arrive toujours pas à fermer l'oeil.

Ses pas le mènent presque directement à Meera. Sans qu'il y pense, juste avec son objectif de marcher.

Leur lien semble se renforcer de jour en jour. Il déteste ça. Il pense qu'elle sait déjà ce qu'il va dire quand il ouvre la porte (il sait, sans même le voir ou le savoir, qu'elle est seule) pour regarder sa nuque. “ I think we should go and find that portal on our own. We can't wait. ”

Elle ne sait pas trop combien de temps elle reste comme ça, assise sur le rebord de la fenêtre, à quelques centimètres du vide. Elle ne compte pas, n'essaye même pas. Et elle ne fatigue pas, non plus. Meera a pris l'habitude de rester immobile malgré son tempérament autrefois impulsif et impatient. Elle a dû apprendre à faire semblant de ne pas exister, de n'être qu'une énième gargouille sur un toit, une ombre dans l'ombre, rien de plus, pour observer sans être vue et dénicher les secrets qui lui ont valu sa place auprès de la Reine. Elle ne sait pas combien de temps elle reste comme ça et quelque part ça n'a pas d'importance parce qu'elle n'a, tout simplement, rien de mieux à faire. Rien du tout d'autre à faire. Pour la première fois de sa vie peut-être. Elle déteste ça.

Elle entend Dagan arriver aussi sûrement qu'elle le sent s'approcher, mais elle ne bouge pas, son corps devenu statue qu'il est plus facile de garder immobile que de tenter de remettre en mouvement. Surtout pour si peu. Surtout pour lui. “ I think we should go and find that portal on our own. We can't wait. ” Surtout pour ça. Elle cligne des yeux, mais ne bouge toujours rien d'autre, laissant le vent faire son affaire de ses mèches de cheveux volages malgré la tresse que Neha l'a aidée à faire ce matin. Elle a l'impression de puer le feu et la cendre et c'est à cause de lui. Elle n'a même pas envie de le regarder. Encore moins de lui parler. “ Portal to where? ” Encore moins d'admettre qu'elle sait qu'il sait que, pour elle, la réponse n'est pas aussi simple que pour lui. Elle n'aime pas l'idée qu'il sache pour Néphède — elle n'aime pas l'idée que quiconque sache à vrai dire, pression supplémentaire sur ses épaules, jugement silencieux sur le temps qu'elle met à faire un choix que d'autres peut-être trouveraient si simple à faire. Elle aime encore moins bien évidemment que Dagan soit au courant. Mais elle sait que c'est le cas, que c'est inévitable avec leur lien qui s'approfondit et se renforce presque de jour en jour. Elle a beau avoir essayé de le cacher, il sait, même s'ils n'en ont jamais parlé. Pour autant, elle se doute aussi, forcément, que lui n'a aucune intention de passer par Néphède. Lui, il ne veut que rentrer à Altéa, alors s'il parle en "nous" c'est qu'il pense qu'elle aussi.  “ What's your hurry anyway? ” Ils ont déjà passé des semaines ici, qu'est-ce qu'un jour ou deux de plus peut changer pour lui ?   “ We don't even know where to start looking in this hell. ” Au moins ont-ils en commun cette haine de la terre. Étrange quand on pense à tout ce qui les sépare et le fait qu'elle se félicite si souvent de n'avoir rien en commun avec lui. Mais ils ont ça. Quelque part, ça serait suffisant pour faire équipe, juste pour trouver un portail. Sauf que ça suppose qu'elle décide d'où elle veut aller. Et ça… Elle se renferme brusquement comme une coquille, c'est imperceptible de l'extérieur, mais sûrement doit-il le sentir à l'intérieur. Elle ne veut pas qu'il écoute ses pensées et comprennent ses sentiments. Même si elle sait que Dagan serait loin de compatir, elle n'a pas envie qu'il se fasse des idées, la croie faible ou couarde.

Elle ne bouge pas d'un poil et elle doit sentir à quel point ça énerve Dagan qui en serre les poings douloureusement en regardant sa nuque avec une fureur au fond du regard. C'est impoli, ne peut-elle pas au moins lui faire face? “ Portal to where? ” Peu importe: loin d'ici. Loin de ce shithole, de cet Enfer sur Terre où les éléments sont constamment contre eux. Loin d'ici, même si ça veut dire être séparé de Jeremiah — le rencontrer en vrai, même brièvement, a été émotionnel. Quand Dagan ne pouvait pas dormir cette nuit, ils se sont visités pour discuter et Jeremiah lui a dit qu'il essayerait de passer le lendemain pour qu'ils se parlent, pour de vrai. Il n'est pas encore venu. Il comprend pourtant bien les questionnements de Meera parce qu'il sait. Il sait ce à quoi il pense: il a compris la raison pour laquelle elle n'avait jamais été une bender (et encore moins une body bender comme il le suspectait à un moment). Il sait. “ What's your hurry anyway? ” Ils ont passé des semaines ici, des mois. Elle a Neha. Il n'a personne. Mais peut-être... peut-être qu'il pourrait rester ici. Oublier sa vie à Altea — combien de fois s'en est-il plaint? Et Hakim doit déjà avoir fait son deuil de lui. Il ne serait une grosse perte pour personne.

Il devrait... “ We don't even know where to start looking in this hell. ” We. Ils n'arrêtent pas d'utiliser ce mot, puis de le désavouer. Ça semble agacer Jeremiah, Kareem et Neha. Ils sont une équipe, qu'ils le veuillent ou non. Il y a un we. “ Going to that other place sounds like a start. At least it's civilised, ” dit-il simplement, faisant référence au monde vers lequel les Seekers possèdent un portail. Ce monde qui est barricadé dans un coin de l'esprit de Meera, ce monde qui a une signification pour elle que Dagan a compris mais n'a jamais dit à haute voix, sachant pertinemment que ça ne ferait que la braquer. “ Go there. See from there. We could just steal a car and go back to their camp. Pretty sure they would follow, ” dit-il en parlant des Seekers. “ And if we run into any of those lizards... ” Il ne finit pas sa phrase. Chaque ennemi finirait cramé sans hésiter. “ I'd like to go home one day, ” dit-il à la fille qui a été perdue toute sa vie. “ I have better things to do out there. ” C'est un mensonge, et ils le savent tous les deux.

“ Going to that other place sounds like a start. At least it's civilised, ” Meera sait de quel monde il parle. Elle sait aussi qu'il en connaît le nom. Ce qu'elle ignore c'est pourquoi il préfère l'appeler that other place. Elle ne sait pas si c'est par mépris pur et dur ou… elle ne sait pas ce que ça pourrait être d'autre. En dépit de leur lien, elle ne peut pas dire qu'elle comprend Dagan (et elle préfère, d'ailleurs). Ça n'a aucune importance toutefois, le nom du monde. Ce qui importe, c'est qu'il veut aller sur Néphède et elle ne comprend pas pourquoi. Il ne connaît pas Néodam. Il sait juste que c'est une ville et sa vision de la civilisation est bien limitée s'il pense que ce simple fait suffit à dire que c'est mieux que la terre. Ceci dit, il n'y pas de lézards géants qui ne semblent vouloir périr qu'avec les flammes donc peut-être est-ce effectivement mieux que là où ils se trouvent actuellement. Mais c'est Néodam. “ Go there. See from there. We could just steal a car and go back to their camp. Pretty sure they would follow, ” Comme s'ils étaient capables tous les deux de retrouver leur chemin, à travers la nature décimée par le feu, du camp des Seekers. Et de trouver le portail tout seul, ensuite. Bien sûr, Meera sait que Neha n'hésiterait pas à les aider, peut-être même viendrait-elle avec eux s'ils le lui proposaient. “ And if we run into any of those lizards... ” Il n'achève pas sa phrase, il n'en a pas besoin, il n'est pas nécessaire d'avoir accès à ses pensées pour comprendre ce qui arriveraient aux malheureux lézards qu'ils pourraient croiser. Meera frissonne malgré elle.

“ I'd like to go home one day, ” C'est plus fort qu'elle, Meera renifle. De mépris. Il énonce son souhait comme un gamin, comme si c'était à elle d'exaucer son vœu, comme si c'était facile, dans cet univers, de simplement rentrer chez soi. Elle a envie de le frapper rien que pour dire ça, rien que pour avoir présenté les choses de manière aussi simplistes. Elle a envie de le frapper, pour la gamine de dix ans qu'elle a été la première fois qu'elle a passé un portail, quand elle a dû apprendre que la vie n'était pas juste et que parfois on ne peut pas juste rentrer à la maison. Elle était naïve elle le sait désormais, mais Dagan a 25 ans et il n'a pas d'excuse. “ I have better things to do out there. ” Elle hausse les sourcils et, enfin, daigne se retourner, lui adressant un regard noir par dessus son épaule. Peut-être imagine-t-elle le sous-entendu l'accusant elle de ne pas avoir de choses aussi importantes à faire que lui. “ Oh yeah? Like what? ” Cirer les pompes de son frère adoptif et se pavaner dans les rues de Central City, fort d'un nom de famille qui n'est pas même pas le sien et d'un pouvoir qui lui vient directement du démon. Sit back down and shut the fuck up. devrait-elle lui dire aussi sûrement qu'Anya a pu lui dire à elle quand elle avait des idées stupides et impulsives. Étonnement, Meera n'a pas beaucoup pensé à Anya depuis qu'elle est arrivée sur terre. La reine des Sister Morphine n'a peut-être pas eu tant d'impact sur elle qu'on aurait pu le croire. Pourtant elle sait qu'elle aura beaucoup d'ennuis quand (si) elle retourne à Oriel. “ Your plan is shit. Do you even drive? I wouldn't trust you behind a wheel, ” elle n'attend même pas la réponse à sa question, pour lui assurer son manque de confiance. “ We don't know earth. We don't know the way and if they ” elle parle des Seekers, “ were to follow us because we stole car, or even if they were to come with us to help they'd get into trouble and that'd be fucking rude of us. ” Sauf qu'elle s'en fout que ce soit impoli de leur part de leur attirer des ennuis. Sauf qu'il y'a Neha. Puis y'a la "fille" de Jeremiah.  “ Also you don't- you don't fucking know Neodam. ” Elle accuse presque, haussant le ton sans le vouloir, sa voix incontrôlable, rien que parce qu'elle doit prononcer le nom de la ville où elle est née, où elle a grandi, la ville qu'elle n'aurait jamais dû quitter. Son cœur bat trop vite dans sa poitrine et, sans même qu'elle s'en soit rendue compte, elle a sauté du rebord de la fenêtre, aussi gracieuse qu'un chat pour faire face à Dagan.  “ We don't even know if we'd find a portal from there to where you have oh-so-important things to do. ” poursuit-elle pleine d'une verve qu'elle-même sait injuste.