deera#2 - once as a tragedy and again as a farce

“ We haven't found Neha yet. ” Dagan trouve que c'est une excuse un peu étrange, mais il n'insiste pas, range la dague dans l'étui de fortune qu'il s'est confectionné à la ceinture. À vrai dire, il s'est habitué à la lame, au couteau de Meera. Même si l'idée de posséder, même temporairement, quoique ce soit appartenant à cette meurtrière, le dégoûte un peu... le poids de cette arme est désormais familier dans sa main, sur sa hanche. Le manche — qu'il a dû changer avec du nouveau cuir tant il l'a usé —, a la trace de ses paumes, le polissage de la sueur de sa main. Il l'a affûtée, polie, entretenue pendant des heures. Mais elle appartient à Meera. Et il sait combien elle n'est pas partageuse — il est pareil. Pas le choix, pourtant, quand ils ont été confronté à leur mort des centaines de fois l'un aux côtés de l'autre. Même alors qu'ils marchent et qu'il n'y a pas un danger à l'horizon, Dagan avance avec sa main posée sur le pommeau de ce couteau, prêt à tout, il sent les muscles de son dos se tendre un peu plus chaque fois qu'il fait un pas. Il regarde le ciel comme si il s'attendait à voir une nouvelle pluie acide leur tomber dessus, il n'a plus l'habitude d'être chanceux et se méfie même des éléments de son destin maintenant. Toutefois, quelques dizaines de minutes plus tard, il voit une petite silhouette s'approcher et Dagan, même si il comprend parfaitement le concept de jumeau cosmique, doit admettre que c'est étrange parce qu'il reconnait Meera, même de loin: silhouette qu'il a vu à de nombreuses reprises du coin de son oeil ces dernières semaines, à côté de laquelle il a chassé, le retour de laquelle il a guetté avec impatience et inquiétude. Mais ce n'est pas Meera, c'est Neha qui s'approche, elles courent l'une vers l'autre et s'arrête, Dagan plusieurs mètres en arrière.

La perte de Khalil est plus douloureuse que jamais en cet instant précis. Meera doit sentir sa tristesse et sa nostalgie, tout comme lui ressent son bonheur intense d'enfin rencontrer Neha. Un peu égoïstement, il ouvre complètement son esprit pour profiter des émotions de Meera, faire croire à son propre esprit qu'il retrouve son jumeau cosmique, sa moitié... Les deux jeunes femmes s'étreignent avec force et joie alors qu'il avance sur les derniers mètres, son corps se détendant à peine en chemin. De près, elles se ressemblent aussi, ce qui est encore plus étrange. Dagan n'entend pas ce que Neha lui dit alors qu'il s'approche mais il entend Meera rire et ce son est tellement rare, tellement inédit, qu'il ne peut pas s'empêcher de fixer la nuque de son compagnon de fortune.

Il ne pensait jamais l'entendre rire. C'est un si beau son. Il aimerait pouvoir le mettre dans une boîte et le réécouter plus tard pour n'analyser. “ Hello Dagan. ” Il cligne des yeux et les tourne vers Neha. “ Hi, ” dit-il d'une voix rauque, hochant sèchement la tête dans sa direction. Les remerciements attendront, Dagan ne se détendra pas avant qu'ils soient arrivés à ce fameux camp. Ils pourraient tout aussi bien se faire attaquer par un tigre radioactif en chemin... “ We should go if we want to find camp before dinner. I trust you're both hungry eh? ” La faim fait partie de leur quotidien maintenant, même si fort heureusement ils sont parvenus à ne pas trop crever la dalle, se nourrissant comme ils ont pu de baies approuvées par Jeremiah et d'animaux chassés par l'un ou l'autre dans la nature. Neha parle beaucoup, surtout comparé à sa jumelle, et Dagan la regarde du coin de l'oeil, l'observe, il a l'impression de voir une Meera différente, plus ouverte et moins traumatisée semble-t-il par la vie dans la rue. Quoique la vie des Terriens ne soient pas à envier, loin de là. Dagan écoute attentivement alors qu'elle explique le camp et les gens qui y vivent. Des criminels, il croit. Il s'en fiche, à ce stade-là. Il veut juste rentrer chez lui. Il ne sait pas si il pourra le faire à partir de la Terre. Apparemment, les Seekers ont un lien avec un endroit appelé Néphède... Dagan n'en a jamais entendu parler, il ne sait pas ce que c'est. Ils se demandent combien il y a de mondes et quelles sont les chances qu'ils trouvent une porte vers Altéa... “ I like your braids, by the way. ” Dagan cligne des yeux en entendant Neha — il avait un peu décroché de la conversation — pour cette fois observer la réaction de Meera. C'est lui qui a tressé ses cheveux. Il aime bien ça, qu'on le lui fasse et le faire aussi, et c'est vrai que c'est plutôt joli sur Meera. “ Uh thanks. ” Dagan détourne vite les yeux pour ne pas qu'on confonde sa curiosité pour de l'intérêt, regardant plutôt ce qui ressemble à un camp se profiler à l'horizon.

Ils sont à flanc même de montagne comme le lui a décrit Meera, il y a des voitures et des tentes et l'entée d'une grotte ou d'une caverne — un endroit facile à défendre, reconnait Dagan, et plutôt stratégique puis qu'il y a un cours d'eau pas loin lui semble-t-il. Il voit que leur arrivée attire l'attention de certaines, qui s'interrompent dans leurs corvées et leurs occupations pour les regarder arriver. L'un deux s'approche en courant, l'une d'eux plutôt: ce doit être Zazala, la leader du gang d'après Neha — même si apparemment, le leadership est assuré par un monstre à deux têtes, Zazala et son jumeau Patch. “ At fucking last! ” Dagan n'apprécie pas ce genre d'humour en temps normal, alors quand il est émacié, soulagé, épuisé et tout le reste, encore moins. La chaleur du sourire qu'elle a sur les lèvres rend les choses un peu moins amères ceci dit. “ No fucking way Neha she really does look just like you! — No kiddin'. ” Ils franchissent les derniers mètres qui les séparent et Dagan hoche la tête en direction de Zazala. “ Dagan, and Meera, ” fait-elle en les pointant tour à tour du doigt. “ Nice to meet you guys at last. ” Il ne commente pas, marmonne des salutations avant de lui emboîter le pas vers le camp. Neha a préparé leur arrivée plutôt généreusement, ils ont le coin de la grotte que les Seekers gardent au chaud avec un radiateur de fortune. “ You can rest here, I'll wake you up for dinner? You guys are tired, ” dit-elle simplement, sans doute qu'elle doit savoir l'état dans lequel ils sont grâce à son lien avec Meera. Dagan ne bouge pas en regardant les deux couches, qui ont l'air bien plus confortables que tout ce qu'ils ont utilisés comme lit ces dernières semaines. “ I got stuff for you too, hmm... ” Elle cherche quelque chose dans un sac et leur lance des morceaux de cuir. Non, Dagan réalise en tournant ce qu'elle vient de leur envoyer dans sa main, de la viande séchée. “ Suck on it until it's soft and you'll see, it's actually pretty decent! ” Dagan la voit regarder Meera d'un air appuyé, il imagine qu'elles ont beaucoup à se dire. Dagan regarde Meera lui aussi mais elle l'ignore, ou alors ne le remarque pas.

Et puis il se souvient qu'elle n'a plus besoin de lui. Elle a trouvé sa jumelle, et ils sont en sécurité. Il n'a pas besoin de vérifier avec elle qu'elle a besoin de lui ou veut qu'il reste près d'elle. Alors ils e détourne brusquement, laisse tomber ses affaires sur le sol et s'écroule sur l'une des couches en marmonnant un remerciement à mi-voix. Il roule sur le flanc et tourne le dos aux deux filles qui échangent quelques mots à mi-voix qu'il n'entend pas. Au loin, il peut entendre Zazala, ainsi que son frère patch qu'il a rencontré en chemin, se disputer à voix haute: l'autre leader des Seekers ne semble pas apprécier leur présence ici. Peu importe. Peut-être aura-t-il la générosité de les laisser dormir avant de les foutre dehors. Dagan a cessé de réfléchir au futur. Il prend les choses comme elles viennent. Là, il a une couche. Alors il va se reposer et dormir, et attendre plus tard pour manger. Faire durer leurs maigres provisions. On ne sait jamais.

Mais il n'y parvient pas, même quand Meera finit par promettre à Neha de lui parler plus tard et s'allonge sur sa propre couche, sans la voir, Dagan peut l'entendre le faire dans son dos. Il sent son épuisement à elle, son flanc qui lui fait mal comme d'habitude quand elle se baisse, son soulagement aussi. Il sait qu'elle sait qu'il n'est pas endormi comme il semblerait l'être, tout immobile qu'il est sur son lit de fortune. Il a les bras croisés sur sa poitrine, une main sur sa mâchoire, il joue avec les poils courts de sa barbe. Il ne la garde jamais aussi longue et il est plutôt content que Meera l'ait taillée un peu pour lui à plusieurs reprises, il déteste la sensation de poils trop près de sa gorge et trop haut sur ses joues. Se souvenir de ces moments délicats (et, si il est honnête, quasi-sensuels) le dérange et il remue un peu malgré lui. Mais son impossibilité à dormir ne vient pas que de là.

Pendant des nuits entières, ils sont dormi l'un près de l'autre. Dos à dos, ou dans les bras l'un de l'autre quand ils avaient froid. Ils n'en ont jamais parlé, c'est venu naturellement, parce qu'ils devaient survivre. Dagan s'est un jour réveillé et a fait face aux yeux sombres de Meera et ils se sont regardés pendant de longues secondes sans rien dire avant de se détacher et de commencer leur journée comme si rien ne s'était passé. Il s'est habitué à son sommeil, ses légers ronflements qu'elle pense viennent de lui, le fait qu'ils se réveillent mutuellement à chaque fois que l'autre bouge, le fait aussi que son corps s'emboîte parfaitement dans le sien et que même si ils font la même taille, ils se sent si grand et fort quand elle est dans ses bras. Il repense à tout ça, et grandit dans son coeur un sentiment qu'il n'apprécie pas du tout. Il n'a pas eu le temps d'y penser ces dernières semaines mais maintenant... maintenant il est en vie. Il a survécu, il a vaincu. Son esprit se détend... son corps pas encore. Il se tourne sur le dos, puis sur son autre flanc, pour faire face à Meera.

Elle a les yeux rivés sur lui. “ Come here, ” dit-il simplement, en ouvrant les bras. Il n'a pas froid du tout, et ils ne sont théoriquement pas en danger. Ils n'ont pas besoin de l'un de l'autre. Et pourtant, il ajoute: “ Please. ”

“ Dagan, and Meera, ” Zazala semble avoir suffisamment entendu parler d'eux pour agir comme si elle les connaissait. “ Nice to meet you guys at last. ” Meera hoche la tête dans un salut silencieux, mais pas froid ; de ce qu'elle sait de la leader de Seekers, elle en a un plutôt bon a priori. On les emmène jusqu'au coin laissé de côté pour eux, bien au chaud et avec deux couches confortables selon les standards de la terre et en tous cas ceux très bas dont ils ont du se contenter pendant des mois. Meera a hâte de s'y écrouler. “ You can rest here, I'll wake you up for dinner? You guys are tired, ” Ils le sont. Enfin, Meera l'est, ce que Neha doit savoir et puis… elle sait que Dagan l'est aussi parce que sa fatigue s'entremêle à la sienne. Ça va être difficile, elle imagine, de démêler les fils de leurs émotions qui se sont tant mélangées ces dernières semaines.  “ I got stuff for you too, hmm... ” Elle fouille dans un sac et leur balance des lamelles de viande séchée. “ Suck on it until it's soft and you'll see, it's actually pretty decent! ” Meera hoche la tête, de toute façon, ni l'un ni l'autre ne sont plus très difficile niveau nourriture, désormais — si tant est qu'elle-même l'aie jamais été un jour. Elle sent deux paires de regards sur elle, préfère se concentrer sur celui de sa jumelle alors que derrière elle Dagan s'effondre sur sa couche.

Meera est reconnaissante de l'accueil qu'on leur fait et de l'opportunité de se reposer en paix sans avoir peur de se faire tuer dans son sommeil par une bête sauvage. Il n'y a qu'une chose qu'elle ne comprend pas : pourquoi on les a mis tous les deux à côté. Patch needs some convincing. But don't worry he'll break. Meera comprend le sous entendu de Neha : face à Zazala Patch finit toujours par céder. En attendant, ils sont mis à l'écart même si c'est un écart plutôt confortable. Ils n'ont qu'un seul mini chauffage de rechange de toute façon donc c'est tant mieux pour eux. “ It's the best spot really. ” lui assure-t-elle, même si elle ajoute par message que seule Meera peut entendre que ce soir elle dormira avec elle. We'll find him a spot. I didn't ask. Yeah you did. Anyway, don't worry about him.  I don't. Elle se veut ferme et très sûre d'elle ; la seule chose qui l'a jamais inquiétée à propos de Dagan c'est qu'il lui fasse du mal avec son feu. C'est tout. Elle peut entendre des éclats de voix un peu plus loin, les fameux jumeaux Simões qui se disputent apparemment. “ You sure it's fine- — Yes. Really, Zazala could make him eat a stone if she set her mind to it. Besides I'm sure truly he doesn't even care. ” Elle roule des yeux et Meera se contente de hocher doucement la tête, incapable de véritablement faire semblant d'en avoir quoi que ce soit à faire de leur dynamique — elle n'aime pas voir des fratries complètes, entières. Ça lui rappelle ce qu'elle a perdu. Elle est trop jalouse pour ne pas les détester. “ Listen Neha I- — I know. ” L'interrompt celle-ci ce qui pourrait déranger Meera qui parle trop peu pour apprécier qu'on lui coupe la parole, mais cette fois-ci c'est différent. Neha sait. Elle n'a rien besoin de lui dire, surtout toutes ces choses qui lui viennent si difficilement comme les remerciements. Elle sait. “ Go rest, we'll talk later.” Chacune d'elle hoche la tête et puis Neha se détourne et s'allonge sur sa couche. Elle a mal parce qu'elle se met sur le flanc qui a été blessé, mais elle n'aime dormir que sur le flanc alors tant pis. Elle est têtue, elle sait que Dagan a trouvé ça agaçant, stupide, étrange, ridicule, atta- Elle ferme les yeux et tente de fermer son esprit en même temps, elle est si fatiguée, elle a besoin de dormir. Dagan ne dort pas. Elle n'a pas besoin de se retourner pour le savoir — de toute façon il lui tourne le dos lui aussi — il ne dort pas elle en est certaine, elle le sent. Sent, entend, son esprit réveillé. Elle a hâte de dormir loin de lui, là où elle ne pourra plus l'entendre, ni sa conscience éveillée, ni ses petits ronflements.

Sans presque s'en rendre compte elle a roulé sur son autre flanc, posé les yeux sur sa nuque, refermé les yeux. Elle le sent bouger plus encore qu'elle n'entend le mouvement, rouvre les yeux aussitôt. C'est un simple réflexe d'auto-défense, quand l'ennemi se tourne vers soi on doit être à l'affût. Sauf qu'elle ne bouge pas, regarde juste, attend comme si elle savait ce qui allait venir. “ Come here, ” et juste comme ça, il ouvre les bras comme pour l'accueillir. Ils ont fait ça avant. Plusieurs fois, parce qu'il faisait froid et qu'ils n'avaient pas le choix, il fallait partager la couverture improvisée, peau d'un ours tué à deux, et la chaleur humaine aussi était plus que nécessaire. Ils l'ont fait sans y penser. En prétendant ne pas y penser. En s'ignorant au réveil, en retrouvant la même position le soir suivant. Elle n'avait jamais dormi dans les bras de personnes avant, jamais eu le besoin, jamais eu l'envie. Ça, ça n'a pas changé ceci dit, quand il s'agit de Dagan, elle n'a l'envie de rien que d'en être débarrassée. “ Please. ” C'est déstabilisant, ce genre de mots que même en plusieurs mois passés à survivre rien que tous les deux ils ne ce sont presque jamais dit. Jamais tout court même. Ni ça ni merci ni désolé. Tout se passait de mots entre eux, mais ces mots là surtout étaient impossibles. Jusqu'à maintenant. C'est déstabilisant. Assez peut-être, pour que sans un mot Meera se lève de se couche et la traîne jusqu'à celle de Dagan, s'y rallonge, se colle à lui, prise entre ses bras ouverts. Elle n'y pense pas. Il ne faut pas y penser. Au fait qu'il y a des mois, peut-être même quelques semaines encore elle aurait jubilé de l'entendre se rabaisser à lui demander s'il te plaît. Au fait que la nécessité qui a pu justifier sans mal qu'ils se permettent une telle chose pendant la période de froid qu'ils ont traversé, ne trouve plus lieu à s'appliquer aujourd'hui. Ils n'ont pas besoin d'être dans cette position pour dormir. Rien ne le justifie. Mais Meera n'y pense pas, elle ferme les yeux et juste comme ça, elle s'endort.

Elle est réveillée, deux heures plus tard par une main douce qui lui secoue un peu l'épaule, et elle papillonne des paupières jusqu'à les ouvrir sur un miroir. Ou presque. “ Hey sleepyhead, time for dinner. You too Dagan. ” Neha a à peine l'ombre d'un sourire sur les lèvres mais presque un rire complet dans sa tête, se répercutant désagréablement dans celle de Meera. Ils ont déjà dormi comme ça plusieurs fois, mais y avait personne pour les voir au réveil, ni juste avant, les yeux fermés, leurs corps qui se sont un peu plus pressés l'un contre l'autre pendant la nuit, leur aise apparente… “ I'll give you a minute. ” Et elle se détourne sans plus de façon, laissant quand même les quelques premières notes d'un petit chant moqueur dans l'esprit de sa jumelle qui en cet instant précis la hait. Il va être difficile de lui faire croire, après ça, qu'elle préfère dormir dans sa tente à elle. Mais Meera le fera quand même. Parce que c'est vrai. Ça doit être vrai. Elle se détache sans un mot et se lève, écartant simplement son espèce de petit matelas pour permettre à Dagan d'en faire de même sans avoir à marcher sur son lit à elle. Ils suivent le bruit et l'odeur de nourriture ainsi que les quelques autres personnes qui n'y sont pas encore jusqu'au feu de camp autour duquel est servi le dîner. Naturellement, Meera s'installe le plus loin possible de flammes, ce que, visiblement sa jumelle avait anticipé, l'attendant déjà sur un tronc d'arbre bien placé.

Dagan regrette le mot aussitôt qu'il a quitté sa bouche, ça le fait se sentir vulnérable et fragile et faible. Surtout avec elle: ça le dégoûterait presque et si elle n'avait pas bougé aussi vite, sans aucun doute qu'il aurait fermé ses bras, lui aurait tourné le dos et ne lui aurait plus jamais adressé la parole. Meera est rapide en se levant et s'approchant, et il la prend dans ses bras sans rien dire. Il déteste admettre qu'enfoncer son nez dans ses cheveux et inspirer profondément le rassure, et il se laisse enfin succomber à la fatigue qui l'agite tout entier seulement quand elle est parfaitement calée contre lui et qu'il sait qu'ils vont se réveiller dans les bras l'un de l'autre.

Il a du mal à se réveiller quand la main de Neha vient agiter Meera et le réveiller en même temps, il grogne malgré lui, il préférerait continuer de dormir pendant des heures encore... mais aussitôt qu'il a ouvert les yeux, son estomac gargouille désagréablement fort et douloureusement. “ Hey sleepyhead, time for dinner. You too Dagan. ” Il grogne comme toute réponse à Neha, défaisant le noeud de ses bras avec empressement et se redressant d'un même mouvement, s'asseyant au pied de sa couche sans rien dire, tournant le dos à Meera. “ I'll give you a minute. ” Ils ne se regardent pas alors que Dagan amène à sa bouche la viande sèche que Neha leur a donné en sortant de la grotte, marchant aux côtés de Meera, suçant le morceau de nourriture qui pourrait tout aussi bien être du bois tant ile st dur, jusqu'à ce qu'il ramolisse et libère un peu de sa saveur. “ Keep it for later, ” lui recommande Neha quand ils s'approchent. “ We have actual skewers. ” Meera s'éloigne déjà du feu alors qu'au contraire, Dagan s'en approche, comme attiré par les flammes. Et de toutes façons, il a décidé qu'il s'en fichait de Meera, qu'il ne ferait plus preuve de besoin ou de fragilité face à elle, avec elle. Ils n'ont plus besoin l'un de l'autre, il ne sert à rien d'entretenir une illusion. Alors il s'assied près du feu et avale toute la nourriture qu'on lui propose, il ne refuse rien, même quand ce n'est pas très bon il gobe, mâche à peine avant d'avaler. Les autres discutent, ils rigolent, partagent des histoires. Parfois, Dagan regarde par-delà les flammes pour regarder Meera. Elle discute avec Neha à mi-voix. Dagan les ignore.

Il est interrompu dans ses pensées épuisées quand on lui frappe l'épaule avec un peu de force. “ Where are you from again? — A place called Altea, ” dit-il lentement. On leur offre de la nourriture et un endroit où dormir, il peut bien se permettre de parler un peu. “ No shit! That's where my twin is from! He's- uh- how you call it? Bender? A bender? — Yes. — Earthbender! Can you do that too? Show us, it's always fun! ” Dagan le regarde pendant un instant sans rien dire. C'est un mec sympa, avec des fossettes et un sourire et une aura charismatique et amicale. Dagan est tout l'inverse. Il tend la main lentement vers les flammes, jusqu'à ce que la chaleur soit presque dérangeante. Lentement, très lentement, il ferme le poings et les flammes s'élèvent, le feu devient plus intense; à vrai dire, à certains endroits, quelques Seekers jugeront plus tard avoir cru voir les flammes devenir bleues. Une partie du feu reste sur le feu de camp entouré de pierre, alors que le reste devient des boules de feu qu'il fait danser au-dessus de leurs têtes dans un rythme connu de lui seul.

Très vite, il relâche son pouvoir après avoir, de manière sécurisée, rendu au feu de camp son intensité habituelle. Tout le monde a l'air d'avoir l'estomac noué en le regardant et Dagan ignore le mal de tête qui vient aussitôt lui enserrer le crâne. Entre la radioactivité douloureuse de la Terre et le fait qu'il vient d'utiliser son pouvoir pour ce qui lui semble être la première fois depuis longtemps... Ce n'est pas le cas, techniquement. Mais c'est le premier tour de force qu'il fait depuis des semaines. “ That's... that's mental. ” Dans l'admiration il devine de la crainte et aussitôt, Dagan se rembrunit en se levant lentement. “ Thank you for dinner, ” dit-il à l'adresse des jumeaux. Patch l'ignore, les yeux rivés sur le feu, alors que Zazala lui adresse un petit sourire piteux. Elle est sympa et gentille et tout d'un coup, peut-être à cause de la performance de ses pouvoirs destructeurs, Dagan peut sentir une distance s'installer entre eux. “ I think that's me for tonight. Have a goodnight. ” Et très simplement, il retourne vers la couche que lui a offert Neha.

Il vérifie que toutes ses affaires sont encore là et alors qu'il est sur le point de s'allonger pour dormir, la voix de Zazala l'interrompt. Elle lui dit gentiment qu'il n'a pas à partager son espace maintenant, et qu'il va être plus à l'aise dehors: malgré la température plutôt froide, il fait bizarrement plus bon pendant la nuit, surtout avec le feu à proximité. Ils ont monté une tente pour lui pendant qu'il dormait, un peu à l'extérieur. Une tente pour lui seul, comprend-t-il en hochant la tête quand elle lui demande si ça lui convient, avant de la suivre jusqu'à la tente. Il y entre, la remercie rapidement, referme la porte en tissu derrière lui et répartit ses affaires sur le sol dans un ordre géométrique borderline OCD pour s'assurer, encore une fois, que tout est là. Il y a la dague de Meera au centre, près de son oreiller de fortune composé des restants d'un vêtement non identifié.  Il s'allonge. Au début, il prétend qu'il n'arrive pas à dormir à cause du bruit des Seekers qui finissent de manger en discutant. Ensuite, il prétend que c'est parce qu'il y a le bruit d'un moteur de voiture qui va et qui vient du camp, pour faire des rondes comprend-t-il. Enfin, le silence est entier mais il décide qu'il n'arrive pas à dormir parce que les insectes font trop de bruit.

La réalité c'est qu'il est anxieux.

La réalité c'est qu'il n'arrive pas à dormir parce qu'il ne sait pas où est Meera.

Il gigote et il tourne et il roule sur lui-même et il grogne dans ses bras et il se force à compter jusqu'à cent dans l'ordre croissant, puis dans l'ordre décroissant, en vain. Il n'arrive pas à dormir. Il sent Meera à l'autre bout du camp, il ignore ses émotions et se concentre sur elle, plus précisément, il se concentre à fermer son propre esprit pour qu'elle ne sache pas qu'il n'arrive pas à dormir et à ne pas penser à elle. Il s'en fiche d'elle. Les seules personnes qui lui importent... la seule personne qui lui importe, c'est Hakim. C'est tout. Il veut juste retrouver son frère. Dagan pourrait presque pleurer de frustration à cet idée. Son frère s'est-il inquiété pour lui? A-t-il fait son deuil de lui? Il est recroquevillé, serrant ses bras contre son torse, en se laissant tourmenter par des pensées sombres qui l'empêchent encore plus de dormir que son anxiété grandissante. Il se tend comme la corde d'un arc et attrape d'un mouvement fluide le couteau de Meera quand une branche craque près de sa tente. On triffouille et on cherche l'ouverture de la porte de sa tente et Dagan ne bouge pas, même si ses muscles se détendent un peu. Une bête sauvage n'essayerait pas d'ouvrir lentement le zip qui referme sa tente. Il baisse le couteau seulement quand il reconnait Neha. Meera? Oui, Meera. Il la regarde, avec ses yeux aussi noirs que le charbon, sans rien dire pendant quelques instants. “ Hm? ” demande-t-il simplement, ils se comprennent sans rien dire maintenant, et la dernière fois qu'il lui a adressé la parole, il a détesté alors il ne préfère pas recommencer.

Meera n'est même pas capable de dire si la nourriture qu'on lui propose est bonne ou non. Tout ce qu'elle sait c'est que ça se mange et qu'elle a faim donc elle mange. Elle mange tout, même la brochette que Neha lui donne en plus, Meera mange tout et s'en lèche presque les doigts. Personne ne fait trop attention à elles, autour d'elles les gens discutent tranquillement et on les laisse en faire de même ne leur accordant que quelques regards curieux à Neha et la fille qui lui ressemble. Meera se demande où est Dagan, mais aussitôt que Neha relève cette pensée dans son esprit et cherche à lui poser une question à ce sujet, elle se referme comme une huitre et décide de l'oublier pour le reste de la soirée. Ça marche à peu près jusqu'à ce qu'elle saute à ses pieds les yeux totalement fous quand les flammes du feu s'élèvent, s'intensifient, changent même presque de couleur à certains endroits avant que des boules de feu ne se mettent à danser dans un rythme infernal. Meera calm down. Meera n'entend pas sa jumelle qui essaye de la calmer alors qu'elle a envie de hurler ou de se rouler en boule ou de fuir le camp et ne jamais y revenir. It's ok. Calm down. Ameera you're fine. Impossible de dire si c'est le prénom complet, ou le fait qu'elle se soit glissée dans son esprit qui parvient à sortir Meera de sa panique paralysante, alors que Neha la force doucement à se rasseoir et que les neurones de la néphédienne acceptent de se reconnecter et d'admettre que le feu est sous maîtrise. Ce n'est pas beaucoup plus rassurant à vrai dire, parce qu'elle sait très bien qui le contrôle. You're okay it's over you're okay. C'est fini, effectivement, il a du terminer sa petite performance. Mais ça n'est pas ok. Elle n'a plus d'appétit après ça, alors elle préfère aller se coucher. Neha l'accompagne jusqu'à la tente et elle essaye de la faire se détendre en lui montrant ses affaires, les objets accumulés… elle essaye de mentionner Néphède en coup de vent en parlant d'un collier posé près de son oreiller, mais elle voit que Meera n'est pas prête à en parler ni même à en entendre parler et elle abandonne bien vite. À la place Meera va avec sa jumelle récupérer le peu d'affaires qu'elle a laissé dans la grotte en partant dîner. Elle remarque que celles de Dagan ne sont plus là. Elle ne dit rien.

Elle fait l'inventaire mental des siennes, vérifie que tout est là et les emporte avec elle dans la tente, préparant déjà sa couche pour dormir. Elle est encore très fatiguée. Neha ne l'est pas mais elle s'allonge quand même, en s'imaginant que ça la rassurera de ne pas être seule. Quand elles ferment les yeux en même temps, l'une seulement d'entre elles finit véritablement par s'endormir. Au début Meera n'en fait pas grand cas. Elle vient de faire une sieste et puis de manger, son cerveau a peut-être besoin d'un peu de temps. Mais alors que les bruits du camp finissent par se tarir et que Neha ronfle doucement elle commence à s'agacer du refus de son esprit de se fermer, de s'endormir. Meera ne pense pas à Dagan. Elle ne veut pas penser à Dagan, donc elle n'y pense pas. Elle s'en convainc bien, si bien que quand elle le sent dans son esprit l'espace de quelques secondes, elle arrive à se persuader qu'elle est surprise. Il disparaît aussi vite qu'il est venu, c'était rien de plus qu'un bref moment d'alarme, une pensée rapide pour elle peut-être, ou un appel de phare dans la tempête… Non. Dagan n'a pas besoin d'elle. Et elle n'a pas besoin de Dagan. Elle ne veut pas penser à lui et surtout pas qu'il l'entende, le sente. Mais après ça, ça devient impossible de dormir, impossible de ne pas gigoter, de ne pas rouvrir les yeux toutes les deux secondes. Ça devient impossible, finalement, de ne pas sortir en douce de la tente, sur la pointe des pieds, et de traverser le camp pour en trouver une autre qu'elle ne devrait même pas connaître mais qu'elle sait être la bonne. Elle a perdu. Elle a pensé à lui. C'est trop tard pour faire demi tour alors elle reste, essaye d'être discrète en ouvrant la tente, mais elle ne connaît pas le modèle et il fait trop sombre alors elle cafouille un peu. Finalement, elle y arrive. Elle ne devrait pas être étonnée de le voir réveillé, presque comme s'il l'attendait.

Sauf que si c'est vraiment elle qu'il attendait leur trêve doit véritablement être terminée vu comme il a un couteau (son couteau) dans les mains comme prêt à attaquer. Il le baisse ceci dit en la voyant. Elle devrait détester qu'il ne la voie plus comme une ennemie, comme un danger. “ Hm? ” est tout ce qu'il trouve à lui dire. Ce n'est pas plus mal, cependant, après ce qu'elle vient de faire Meera préfère encore qu'ils ne se parlent pas. Ils n'en ont pas besoin après tout. Surtout, elle préfère ça plutôt que n'importe quelle question à commencer par le pourquoi de sa venue. Ce n'est même pas tant qu'elle ait honte de sa réponse. C'est surtout qu'elle n'est pas certaine de la connaître, encore moins de la comprendre. Puisque sa question n'est que du vent, qu'une syllabe incompréhensible, elle ne répond rien non plus, s'agenouille pour le rejoindre à quatre pattes, s'arrête juste devant sa couche. Ils se regardent encore dans les yeux. Elle se demande s'il sait à quoi elle pense ; ça serait curieux vu comme elle-même l'ignore. Il y'a un silence qui s'installe, un moment de battement, ils ne font que se regarder, comme des gamins qui attendent que l'autre se résigne à baisser les yeux, tout en espérant au fond qu'aucun n'abandonne, ne rompe le contact. “ That was stupid. ” Les mots sont durs, la voix l'est moins. Elle n'est pas douce, mais elle n'est pas mauvaise non plus. C'est un fait, plus qu'une accusation. “ At dinner? ” explicite-t-elle des fois qu'il ne saurait pas de quoi elle parle. Elle n'attend pas de réponse pour s'avancer un peu plus, se glisser entre la toile de la tente et le corps de Dagan pour s'allonger à côté de lui. Elle ne demande pas si elle a le droit, elle ne lui demande pas s'il veut. Quelque part elle n'a pas envie de savoir. Ils n'en ont pas besoin, c'est donc déjà un problème qu'ils le fassent. Si ça se trouve, il ne la laissera pas cette fois. “ Stupid.” répète-t-elle d'un ton bougon en se recroquevillant déjà un peu sur elle-même comme elle le fait souvent pour dormir, même les fois où Dagan la prend dans ses bras. Elle a toujours été petite Meera, ça fait sa force en tant qu'espionne, son talon d'Achille en revanche dans les combats au corps à corps. Dans les bras de Dagan ce n'est ni force ni faiblesse. Elle est juste petite et ça n'est pas grave.

Dagan sait pourquoi elle est là. Il pense savoir. Alors il essaie de ne pas trop réagir quand elle se met à quatre pattes et s'approche de lui. Ils sont proches, leurs respirations se mélangent, et ils soutiennent le regard l'un de l'autre, trop fiers pour détourner les yeux semble-t-il. Il semble la défier, elle semble lui rendre la faveur. “ That was stupid. ” Dagan hausse les sourcils, sans pour autant détourner les yeux. Il veut gagner cette compétition, aussi stupide et enfantine soit-elle. Il ne sait pas de quoi elle parle, malgré leur lien privilégié, il a décidé de garder son esprit fermé et il tient sa promesse, il ne veut plus entendre ses pensées et ses émotions, et il ne veut surtout pas qu'elle entende les siennes. “ At dinner? ” Ses sourcils se froncent quand il comprend de quoi elle est en train de parler. Meera a peur du feu. Parfois, Dagan a l'impression qu'il est le feu rendu humain. Il est, sans exagération et sans hubris, le firebender le plus puissant qu'il connaisse. Et pas loin du plus colérique. Si il ne contrôle pas entièrement son tempérament, Dagan sait qu'il contrôle cette pratique qu'il a élevée au rang d'art. Ce qu'il a fait au dîner, c'était moins que tous les tricks qu'il a appris au fil des années pendant les tournois de Small Science. Mais Meera a peur du feu, depuis qu'il l'a utilisé contre elle. Tant mieux. Ils seront de nouveau ennemis quand ils seront sur Altea. Non? Dagan ne répond pas, parce qu'il n'y a rien à répondre. Ce n'était pas stupide, elle a juste eu peur, elle ne sait pas ce qu'elle dit. Dagan s'en fiche de son avis.

Il ne répond pas et elle détourne les yeux, donnant sa victoire tant attendue à Dagan qui en jouit intérieurement, alors qu'elle s'avancer et s'allonge sur le sol. Elle ne lui demande pas si elle peut, si il veut, si elle a le droit. Elle s'allonge et Dagan ne pense même pas à la repousser ou à l'envoyer balader méchamment. Lentement, très lentement, Dagan s'allonge à côté d'elle. Il trouve ça stupide qu'elle s'allonge toujours sur le flanc où elle s'est faite mal. Il ne l'a jamais dit. “ Stupid. ” Elle se recroqueville et ils sont très proches et Dagan pourrait peut-être la prendre dans ses bras mais il a honte, si honte, il ne sait pas pourquoi. Il regarde son épaule et ses tresses et la forme de son oreille, qu'il voit en contre-jour grâce au feu de camp qui brûle encore un peu. “ I won't do it again, ” dit-il simplement. “ I was showing off. ” Au moins ça a servi ce qu'il voulait faire. Il aime bien être regardé, Dagan, et admiré. Il aime aussi être craint. Ainsi, Patch sait qu'il est quelqu'un qu'il ne faut pas se mettre à dos, mais qu'il peut aussi grandement aider lors d'un combat. Il ferait mieux de les garder.

Comme un bruit de fond, Dagan pourrait dire qu'il entend le feu qui brûle encore. Même à distance, il pourrait le contrôler. Mais il ne le fait pas. À la place, il pose cette même main qui a contrôlé les flammes, sur la hanche de Meera et il l'attire doucement vers lui, presque prêt à ce qu'elle le repousse. Mais elle ne le fait pas. Au contraire, elle bouge légèrement jusqu'à ce qu'ils soient collés l'un à l'autre, Dagan passant son autre bras sous sa tête qu'elle lève pour lui laisser de la place. Il se penche ensuite pour mettre la couverture-fourrure sur eux, il l'a emportée avec lui en rassemblant ses affaires. Il se rallonge, le nez dans ses cheveux, une sensation de confort l'envahissant complètement. Il a envie de la remercier pour être venue. C'est stupide. Il ne le fait pas. Sans y penser, il resserre ses bras autour de Meera. Et il s'endort.

Il se réveille avec le rire de Kareem dans un coin de la tête. Dagan essaye de le repousser et de fermer son esprit comme il le fait avec Meera, en vain. Il regarde son ami siganais lui sourire alors qu'il papillonne des yeux en se réveillant, et grogne alors que Kareem disparaît tandis que Meera se met à remuer dans ses bras. Dagan dénoue lentement ses bras d'elle et se tourne sur son autre flanc pour lui tourner le dos de nouveau. Il a bien dormi. Le camp est déjà éveillé autour d'eux, s'occupe de tout et n'importe quoi. Dagan ne peut qu'imaginer l'embarras que va ressentir Meera en sortant de sa tente à lui au petit matin... “ Are you going to get it back now? ” dit-il d'un ton bas, mais il sait qu'elle l'a entendu. “ The knife I mean. ” Il aurait presque... presque envie de le garder. C'est stupide bien entendu. “ What do we do next Meera? ” Et il déteste quand il dit we. Il déteste tellement ça. Il se souvient de leur première dispute sur Terre. Et aussitôt il se refroidit, et puis se met à bouger pour cacher son anxiété: il s'assied, vérifie que ses affaires sont toujours là, dans le bon ordre. “ I meant: what are you going to do? Stay with Neha? ”

Dagan ne répond pas d'abord. Peut-être parce qu'il n'y a rien à répondre. Meera ne pourra pas être persuadée de quelque façon que ce soit qu'elle se trompe, que ce qu'il a fait n'était pas stupide et nul. Il ne répond pas et ne fait rien d'autre que de se rallonger lentement, il ne la touche pas, ne l'accueille pas plus qu'il ne la repousse. Meera sait toutefois que s'il avait voulu l'envoyer balader il l'aurait déjà fait. “ I won't do it again, ” fait-il pourtant finalement à la grande surprise de Meera. Elle ne dit rien. Elle ne dit pas qu'elle est étonnée qu'il lui offre une réponse quelle qu'elle soit; encore plus celle-là. Est-ce une promesse ? Cherche-t-il à la rassurer ? Ça serait stupide et Meera n'en a pas besoin, surtout de sa part à lui. “ I was showing off. ” Elle s'en doutait bien, même si elle n'a pas assisté à la conversation qui a précédé son petit spectacle. Il lui semble que Dagan aime beaucoup show off. Se montrer, se faire voir et admirer. Elle trouve ça ridicule. Mais elle ne dit rien, ne l'enfonce pas comme elle pourrait si facilement le faire en lui rappelant simplement que c'est stupide et loin d'être un excuse. Il ne cherche pas son absolution et elle ne cherche pas d'explication de sa part non plus. Ils ne cherchent rien l'un de l'autre. Pourtant, quand Dagan pose une main sur sa hanche, Meera sent comme un poids qui se libère en elle, et, presque naturellement, elle se rapproche de lui doucement, le laisse passer un bras sous sa tête pour la maintenir contre lui. Ils n'ont pas besoin l'un de l'autre, mais elle est rassurée quand il resserre son étreinte. Et, enfin, elle parvient à s'endormir.
Elle se réveille avec la sensation étrange qu'ils ne sont pas seuls dans la tente, mais quand elle bat des cils et ouvre enfin les yeux, il n'y a que Dagan tout contre elle. Machinalement elle remue un peu et il dénoue ses bras d'autour d'elle pour lui rendre sa liberté, elle le sent aussi se retourner pour lui tourner le dos lui aussi. Elle a bien dormi. Trop bien dormi. Ils en avaient besoin, elle imagine, de ces longues heures de sommeil pour tout le temps qu'ils ont passé à courir et se battre et à essayer de survivre. Maintenant ils sont entourés par des gens qui ne leur veulent pas trop de mal et ils en ont profité ce qui semble somme toute assez normal. Le reste du camp semble déjà éveillé, elle peut les entendre vaquer à leurs occupations et elle, elle est dans la tente de Dagan. Neha doit déjà être levée elle aussi, savoir qu'elle est partie dans la nuit. Meera pense même qu'elle doit savoir exactement où elle se trouve. “ Are you going to get it back now? ” Dagan l'interrompt dans ses pensées et elle ignore si elle a raté un bout de phrase parce qu'elle ne comprend pas immédiatement de quoi il parle.  “ The knife I mean. ” Oh. Ça.

C'est stupide parce qu'elle y tient à son couteau et que ça la rendue furieuse quand il le lui a pris il y a des semaines, des mois. Quand il le lui a volé. Après ça, elle le lui a prêté et ça l'a rendue moins colérique. Étrange qu'elle ait pu oublier même l'espace d'une seconde son emprunt à lui et ses droits à elle sur cet objet auquel elle tient tant. “ What do we do next Meera? ” I don't know est-elle sur le point de lui répondre, rendue sincère par le réveil, ses combats intérieurs. Elle est distraite, elle met quelques secondes à se rendre compte de ce qu'il a dit. De ce qui ne va pas dans ce qu'il a dit. C'est justement à ce moment là qu'il se met à bouger, s'assoit, commence peut-être déjà à partir. “ I meant: what are you going to do? Stay with Neha? ” Il n'y a pas de we. Ça aurait du la frapper tout de suite, elle aurait du vouloir le lui cracher au visage exactement comme au début, quand ils sont arrivés sur terre. C'était venu si naturellement alors. Plus maintenant. C'est normal quelque part et Meera le sait bien, qu'ils l'aient voulu ou non il y a bien eu un we pendant ces mois d'errance et de survie. Sans ce we, il n'y aurait probablement plus eu de I ni pour l'un ni pour l'autre. Maintenant ils n'ont plus besoin d'être un équipe, un duo, ils n'ont plus besoin de s'aider. Ils sont sains et saufs. Ils peuvent s'oublier. Peut-être que la nuit passée s'explique par le fait qu'ils viennent de trouver leur refuge, ils ne s'y sont pas encore fait, leurs corps ne l'ont pas encore compris. Mais ça viendra sans aucun doute. Ça doit venir, parce qu'il n'y a pas de we. “ I don't know. ” Répond-elle pourtant de la même façon qu'elle l'aurait fait s'il n'avait pas changé sa question. “ Go back. ” Elle ne dit pas où. Elle dit pas qu'elle va retourner à la maison, parce qu'à vrai dire elle ne sait plus vraiment ce qui vaut d'être désigné comme tel pour elle. Elle va aller quelque part, prendre un portail, changer de monde. Retourner…dans un de ceux qu'elle connaît. Reste à déterminer lequel. Elle déglutit difficilement, préfère changer de sujet : “ I said I would. Take it back I mean. ” Logique puisque ça n'était qu'un prêt et que de cette lame comme des autres elle a besoin, au quotidien. Elle a dit qu'elle le ferait alors il lui semble étrange qu'il pose la question; comme s'il pensait qu'elle avait changé d'avis. Le marché passé est terminé, ils ont trouvé Neha. Elle se retourne lentement sur son flanc intact, la tête posé dans le creux d'une main, elle regarde son dos courbé sur ses affaires dont il semble faire l'inventaire. Sa nuque un peu masqué par les ondulations de ses cheveux. “ But you can keep it until you go back to Altea. ” Ça pourrait être un acte de charité ; ça ne l'est pas, elle n'essaye pas de lui faire ressentir son pouvoir face à lui. Ça pourrait être un peu agacé de lui faire cette concession ; ça ne l'est pas non plus. Sa voix est calme, presque factuelle. Just keep it. Pour l'instant, pas éternellement, pas sur Altéa. Parce que sur Altéa tout sera différent, Meera n'en doute pas, ils en reviendront à leurs anciennes habitudes et cette arme pourra très bien finir par se retourner contre elle. Et puis, sur Altéa, peut-être qu'elle ne le suivra pas (you go back). Elle n'a pas encore décidé. Elle n'a pas même encore admis qu'il y avait une décision à prendre à ce sujet. “ Or if you leave this camp to find Jer, you know. ” Il n'y a pas de we donc il est libre de faire ce qu'il veut. De toute façon, aux dernières nouvelles, Neha ne connaît pas de chemin pour Altéa donc Dagan n'est pas encore près de rentrer chez lui. “ You know. Zazala is his daughter. Adopted- no, foster. ” Elle fait un signe de la main l'air de dire que c'est la même chose de toute façon. Elle doute qu'il ait été au courant puisqu'elle n'a jamais pris le temps de le lui dire. “ She probably knows where he is. ” lui souffle-t-elle, des fois que ça l'intéresserait.

Il n'y a pas de we. Dagan se surprend de l'avoir oublié. Il n'y a pas de we, il n'y a pas d'eux. Plus maintenant. Il y avait un eux quand ils semblaient être seuls au monde, séparés de leurs alliés les plus proches par une pluie acide ou par des centaines de kilomètres comme avec Jeremiah. Il y avait un eux quand ils n'avaient pas le choix. Mais maintenant Meera a Neha et le reste du camp et Dagan... Dagan... Dagan lui n'a rien. Étrange renversement de situation, entre celui qui avait tout et n'a rien; et celle qui n'avait rien et a tout. Il se demande si quiconque l'attend à la maison: il sait d'une manière rationnelle que Hakim doit s'inquiéter pour lui, mais c'est à peu près tout. Il pourrait peut-être demander à ce Seeker qui parlait de son jumeau cosmique altéan d'aller voir son frère mais... non. Dagan le verra quand il le verra. Il sait, espère, que son frère survivra jusqu'à ce moment... peut-être qu'il a déjà fait son deuil, l'a déjà oublié, encouragé par leurs parents qui, Dagan n'en doute pas, ont été aussi soulagés qu'inquiets en apprenant la nouvelle de sa disparition. Et encore: il n'est même pas sûr qu'ils se soient inquiétés. “ I don't know. ” Dagan s'est tendu comme un arc en attendant sa réponse, s'attendant à ce qu'elle lui rappelle qu'il n'y a pas de we comme elle l'a fait violemment des semaines plus tôt. Il est presque soulagé qu'elle ne le dise pas, laissant passer un petit soupir lentement. Il a un peu honte de cette sensation de soulagement dans son corps, la tension qui quitte lentement les muscles serrés de son dos.

“ Go back. ” Il comprend le poids de ces mots, même si elle n'en dit rien. Pendant leur temps ensemble, elle y a pensé, à Néphède, surtout quand elle lui a dit que les Seekers avaient accès à ce monde étrange. La Terre, Altéa, Sigan... Dagan connaissait tout ça grâce à son cluster. Néphède il n'en avait jamais entendu parler, ni entendu parler de quiconque venant de là-bas. Mais il se souvient très clairement de quand elle a prononcé ce mot. De ses émotions, et ses pensées, une tornade entière de souvenirs, qui s'est emparé d'elle: Dagan se souvient. Meera vient de Néphède et, comme il l'a compris plus tard, un portail l'a fait atterrir sur Altea tout comme ils ont atterri sur Terre. Il y a donc deux mondes qui peuvent être back pour elle, mais aucun des deux n'est home. Dagan pourrait compatir si il en avait quelque chose à faire d'elle. Ce n'est pas le cas. (Il est curieux, pourtant, de savoir si ils chemineront ensemble pour retourner à Altéa. Il préférerait. Non pas parce qu'il a envie de voyager avec elle (non) mais parce que ça lui permettrait de se détendre un peu. Ils fonctionnent bien tous les deux ensemble). “ I said I would. Take it back I mean. ” Il comprend qu'elle parle du couteau et il hoche la tête, le dos toujours rigide comme une planche à pain. Elle l'a dit et maintenant ils ont retrouvé Neha, il n'a aucune raison de garder son arme.

Le fait qu'il n'a aucune envie de s'en séparer est insupportable.

Dagan sent le regard de Meera partout sur le peau de son dos: il a l'impression de le sentir comme une marque brûlante, un contact physique qui parcoure ses omoplates et le dos rapiécé mille fois de sa chemise. En faisant l'inventaire de ses affaires, il a remarqué qu'il y avait une chemise et un pantalon laissé à son intention par Neha sans doute, pendant qu'elle préparait sa tente. Dagan trouve ça insupportable. Il n'aime pas partager ou emprunter ou prendre les affaires de quelqu'un d'autre. Ce qui est à lui et à lui. Mais disons qu'il ne dirait pas non à changer le morceau de tissu miteux qui lui couvre le corps. “ But you can keep it until you go back to Altea. ” Elle étend la durée de son emprunt. Il n'aime pas partager ou prendre ou garder mais le couteau de Neha, il ne veut pas s'en séparer. Dagan pince des lèvres en une fine petite ligne, fronce les sourcils malgré lui. You go back. Il rentrera donc seul. Il n'y a pas de we. “ Or if you leave this camp to find Jer, you know. ” If you. Dagan sent une certaine nervosité s'emparer de lui mais, comme il le fait avec la colère, il la repousse franchement et ardemment. Ses mains, posées sur ses cuisses, se crispent. “ You know. Zazala is his daughter. Adopted- no, foster. She probably knows where he is. ” Elle dit ça comme si adoptée et foster voulaient dire la même chose: Dagan sait amèrement que ce n'est pas le cas.

“ Okay. ” Il ne la remerciera pas. Elle ne lui fait pas de cadeaux, et de toutes façons il l'a déjà suppliée hier alors il ne se rabaissera pas à la remercier en plus. “ I'm going to go find her then. ” Il retire rapidement son t-shirt rapiécé et, plus lentement, enfile la chemise blanche qu'on lui a laissé, la boutonnant avec un léger plaisir de sentir le tissu propre, lavé récemment semble-t-il, et parfumé, contre sa peau un peu sèche. Il fait de même avec les restants de son pantalon, essayant de prétendre qu'il s'en fiche d'être cul nu devant Meera — les sous-vêtements se sont rapidement révélés inconfortables et pas du tout pratiques dans la nature sauvage de la Terre. Il s'en fiche, elle l'a déjà vu torse nu et même si ils se baignaient toujours sans se regarder, sans aucun doute qu'elle a dû attraper une ou deux fois la vision de ses fesses. Il rassemble ses affaires dans son sac de fortune, mais pas le couteau. “ I won't need that, ” dit-il simplement. Il est une arme. Face à elle il n'utilisait pas ses flammes, peut-être par égard pour sa petite anxiété et sa grande panique devant elles. Mais seul, il ne s'en privera plus. Elles font partie de lui, tout comme la colère fait partie de lui. Il ne la regarde pas, bien qu'il ait tourné la tête vers elle en se relevant pour quitter la tente. Il regarde la couche, un point en dessous de son coude, incapable de soutenir son regard. “ There is no we, ” dit-il d'un ton ferme, lui rappelant ce qu'ils ont eu du mal à surpasser ces dernières semaines, avant d'ouvrir rapidement la porte en tissu, et de quitter la tente étouffante.