who's that chick ? ft. kk

« Rolalaa c’est bon, j’te jure, elles vont bien ! » que tu gémis en finissant de limer tes ongles de pieds, le téléphone portable coincé entre ta joue et ton épaule. A l’autre bout du fil, un petit escroc de Néphède, nouveau dans le game, qui avait eu la présence d’esprit de te laisser à charge des trois poules chéries de l’un des parrains de la pègre pour lequel il travaillait depuis peu. Personne d’autre qu’un newbie n’aurait pris un risque pareil, et tu te félicitais encore aujourd’hui d’avoir pu ainsi le rouler.
A croire que le malandrin commençait tout juste à s’en mordre les doigts, puisqu’il te passait régulièrement des coups de fil pour savoir ce qu’il en était de l’état des précieux gallinacés.
« Oui je sais, elles mangent que de la salade et je laisse pas les M7 s’en approcher. Pour qui tu me prends ? Je ne suis pas nouveau dans le business. » Tu souffles bruyamment dans le haut-parleur, roulant des yeux si fort qu’on aurait pu entendre tes longs cils bruisser. « Je t’ai pas dit mais j’ai déjà dû babysitter l’iguane d’un patron de la prostitution hein… et crois-moi, un iguane, c’est une autre paire de manches que des poulettes… … Oui… Oui voilà, allez j’te laisse, bisous ! »

Sans aucune autre forme de procès, tu lui raccroches à la goule, non sans te maudire d’avoir conclu l’échange par un naïf “bisous”... Ta crédibilité n’en ressortirait pas intacte. Et encore, ton interlocuteur ne te voyait pas alangui dans ton plumard, enrubanné dans ta robe de chambre en soie. Un masque de jour plâtré sur le visage, et une poule ronflant sous le bras.
Une poule… Mais où diable étaient passées les deux autres ? Tu peux être long à la détente quand tu t’y mets, autant peut-être que tu pouvais surréagir pour des broutilles. Flegmatique, tu regardes d’abord sous ton lit, et mets un certain temps avant de te sentir obligé de t’extirper de tes draps pour aller fouiller dans ta première penderie. Aucune trace des deux consoeurs.

Tu fais un peu trop de bruit en déglutissant, la panique commençant à peine à te picorer le bout des doigts. Personne d’autre dans la maison n’était au courant. Tu essayes de te rappeler si tu avais pu par mégarde laisser la porte de ta chambre ouverte depuis ce matin. Mais bien entendu, si mémoire tu avais, c’était uniquement pour te rappeler qui t’en devait une dans la vie.
Oh, bien entendu, tu aurais pu mettre ta soeur au courant dès le début, mais par fierté, tu l’avais joué perso. Et désormais, ça t’arrachait la goule de savoir que tu allais devoir lui demander de l’aide…
Tu te laisses de nouveau tomber sur ton lit comme une diva, attrapant ton téléphone dans un même élan. Elle avait beau être dans la pièce à côté, tu n’en communiquerais pas moins par sms pour autant.

di elle doi passé aujourdui la femme de ménage?
pske hier jcrois elle a fait létage des parent

di toré pas vu une poule trainé ds le koin par asar?

Et c’est précisément à l’instant où tu reçois l’accusé de réception du dernier message que tu entends les roues de ta soeur crisser et sa voix nasillarde s’élever dans les airs dans un “quoi” sidéré ; comme si elle venait de faire la sordide découverte qu’une poule avait décidé de venir couver un oeuf sur sa dernière robe de gala.

pske si ten a vu une cé a moi tu peu mla rendre??

ptn ta cru gt manageure de femme de meng là???
va mourir kk

Qu’elle envoie après avoir tapoté à toute vitesse sur son écran un tantinet trop grand, fronçant du nez. Il était en train de la déranger alors qu’elle montait sa dernière vidéo - en fait non, elle supervisait la personne qui le faisait en la saupoudrant de noms d’oiseaux (les beaux, pas les moches) - et ça c’était juste impardonnable. C’était un moment d’élaboration graphique et artistique à l’état pur, sa marque de fabrique, sa vitrine. Orchestré à l’image/seconde près, au petit effet, au son… et aux retouches. Surtout aux retouches.

di toré pas vu une poule trainé ds le koin par asar?

« QUOI??! » braille t-elle alors qu’elle a ses écouteurs sans fil dans ses oreilles, faisant un mouvement de recul avec ses roulettes qui grincent. « Excuse-moi de t’avoir hurlé dessus mon ange, tu fais du super boulot, je te reprends tout de suite j’ai une urgence d’ordre privée, j’compte sur toi, oui oui allez xoxo- » et retire ses écouteurs pour les jeter sur son bureau comme de vieilles chaussettes, se ruant vers la porte de sa chambre - qui s’ouvrit automatiquement à sa présence, installation récente qui pouvait lui jouer bien des tours.

« KEVIIIIIIIN !! » qu’elle s’époumone alors que le rouge lui monte aux joues - l'adrénaline à n'en pas douter. Elle a déjà mal aux coudes rien que d’avoir avancé jusqu’ici. Elle attend que le saltimbanque sorte de sa tanière. Ou plutôt, elle n’attend pas et attrape une béquille au passage, s’avance dangereusement de sa porte et tambourine dessus. « C’EST QUOI CETTE HISTOIRE ?? T’AS FAIT RENTRER DES POULES À LA MAISON ???? » hurle t-elle, le collier hors de prix autour de son cou cliquetant à chaque mouvement. Il en met du temps à ouvrir, qu'est-ce qu'il fait ? Qu'est-ce qu'il cache, le bougre ? Aucune discrétion pour le coup, et quant bien même les parents n’étaient pas présents, les murs pouvaient avoir des oreilles… mais ça, elle semblait en avoir cure. « KEVIN SORS TOUT DE SUITE SINON- » et quand la porte s’ouvre, son dos se recale presque aussitôt au fond de son siège, l’air passablement dégoûtée par la vision offerte en 3D.

Les décibels baissent drastiquement l’espace d’une remarque désobligeante :

« Wow. T’as vraiment l’air d’une quiche à la courgette, là. »

Comme s’il n’avait pas l’air de comprendre, elle tartine une nouvelle fois.

« Well- en fait, t’es juste moche. »

Quelques instants plus tard, elle remonte sur ses grands chevaux, gonflant la poitrine en s’appuyant sur sa béquille comme Maryweather III de Néphède :

« …et alors pOURQUOI TU RÉPONDS PAS HEIN ?? TU CACHES QUOI LÀ ??? JE DÉTESTE LES POULES KEVIN ELLES MÉRITENT PAS DE VIVRE ET ENCORE MOINS DANS NOTRE APPARTEMENT D’ACCORD ?! …SAUF EN RAGOÛT !
AVEC DES POMMES DE TERRE RISSOLÉES !
…À L’OIGNON CONFIT !
ET AVEC DE LA NOIX DE MUSCADE !
…PIGÉ ???? »

Une fois qu’elle eût terminé, elle inspira et expira longuement, comme pour clôturer un exercice respiratoire quotidien. Kevin n’a pas l’air serein. Il cache quelque chose. Plus que des poules - de toute façon, là, il n’en a pas une seule askip ? Kim s’arme alors de sa resting bitch face, l’apothéose. Une chance que Billie Jean ne les entende pas, de la cuisine. Enfin, en théorie.
C’est là qu’une poule sortit de l’embrasure de la porte de Kevin, faisant sursauter Kim qui ne put rien faire d’autre que de crier à l’invasion gallinacé(e) « LÀ !!!!! Y'EN A UNE ! » en tapant au sol de manière parfaitement aléatoire - qui sait, peut-être réussira t-elle à l’assommer, cette sale bête emplumée.

Tes doigts manucurés se crispent autour de la coque de ton téléphone alors que tu la discernes rouler jusqu’ici. Un sursaut et un couinement lorsque tu l’entends tambouriner à ta porte avec une béquille. Tu hésites quelques secondes à faire le mort, mais elle n’y croirait pas une seule seconde, sachant que tu l’avais arrosé de sms à l’instant. Prostré derrière la porte, tu vas même pour lui faire un signe de silence lorsque Kim évoque la poule, oubliant quelques secondes qu’elle ne pouvait pas te voir. De fait, comme à chaque fois que tu fourres ton nez dans les affaires de Kim, tu prends une grande inspiration et ouvres la porte, le sourire crédule. Tu n’as pas le temps de t’expliquer qu’elle crache sur ton masque, ton peignoir et tes restes de bigoudis pendouillant au bout de ton brushing en cours. Déboulant dans son jeu comme un androïde de combat dans la chambre de son aimé, tu tortilles ton visage dans une expression outrée. « Oh mais nan mais ça va la planche à roulette ? J’te signale que t’en fais autant ! Moi au moins j’ai pas besoin d’une babysitter pour me faire me torcher, alors tu - »

Tu ne fais pas long feu, puisque l’argument de la poule revient aussitôt sur le tapis, comme si elle essuyait d’un revers de béquille ta tentative de rébellion. Tu l’intimes de baisser d’un ton mais la garce est lancée. Une technique de lâche qu’elle maîtrisait à la perfection, que de crier au loup, sachant pertinemment que quelqu’un allait vous entendre. Heureusement pour toi, vos parents étaient de sortie (enfin, plus pour très longtemps) et tu espérais que Billie Jean avait les oreilles qui sifflaient de la cocotte-minute.
« Nan mais tégé steuplaît, pas besoin de rameuter les quartiers pauvres hein ??? J’vais t- » « LÀ !!!!! Y'EN A UNE ! » « Nan mais la touche pas ! Oh- HIIII ! MON DOIGT ! »

On s’explique. Tout s’était passé trop vite au goût de vos cerveaux ramollis d’enfants chéris. Lorsque Kim avait commencé à battre de la béquille pour assommer la poulette, ton sang n’avait fait qu’un tour à l’idée de ce qui aurait pu t’arriver si tu rendais une poule inconsciente au gang à qui tu les avais empruntées. C’est pour ça que, ni une ni deux, tu t’étais jeté sur la bestiole, tendant le bras et offrant ainsi ta douce paluche en pâture à l’extension de ta soeur. Il n’en avait pas fallu plus pour votre karma merdique commun pour qu’elle t’écrase l’index et le majeur, dans un craquement sordide.
Mais au moins, la poule n’avait rien et, incrédule, continuait son chemin dans le couloir, sûrement attirée par les odeurs de la cuisine.

Cela dit, tu avais l’air de l’avoir complètement oublié, les yeux virés sur tes deux doigts devenus bleus et anatomiquement douteux. Tu essayes malgré toi de contenir ton cri suraigu. « Qu’est-ce que t’as f-fait à mes doigts ??? » Tu te redresses sur tes jambes, titubant jusqu’à la salle de bain, ta soeur sur tes talons.
« J’te jure, s’ils sont pétés, j’le dis à - » Tu étais en train de pousser de l’épaule la porte, lorsqu’un nouveau cri, de surprise cette fois, s’échappe de ton gosier… « JAW ! Qu’est-cequetufichici???? »