Sin, il aurait voulu lui donner un autre nom, aurait pu le faire. Mais l’échange en entier était cruel, indécent pour qu’il ne veuille se dévoiler plus et son prénom était bien trop à offrir pour le moment à cet Apollo cruel. Il n’en avait même pas le nom. Hors de question de se dévoiler entièrement de se mettre à nu devant cet homme qu’il devait payer pour avoir son attention, qu’il devait payer pour des faveurs qu’il aurait pu avoir, du avoir. Il savait bien qu’il avait sa part de responsabilité. Il le savait bien. Il se refusait à lui faire face, à lui expliquer ce qu’il savait, ce qu’il ressentait. Hyacinth se refusait à accepter la situation, parce qu’en face ce barman ne serait que déception, et souffrance. Argent. Temps. Il ne le voyait que pour ça. Il n’était qu’un fournisseur de temps, rien d’autre. Il le savait. Il en était convaincu et c’était douloureux.
Douloureux. Terriblement. Une douleur qu’il alimentait de son côté également. Une douleur qu’il alimentait en revenant le voir conscient que rien n’aurait changé. En refusant autre chose que cet accord morbide, que cet échange pathétique. Du temps contre son affection factice, contre sa présence. Tout ça n’était qu’une mauvaise farce. Farce signée par un baiser qu’il avait réclamé. Et une action un peu égoïste de sa part également. À vouloir son du maintenant. À le vouloir à ses côtés là tout de suite. Il voulait plus que ce baiser quémandé, que cette étreinte qu’il avait apposé. Il voulait plus. Tellement plus. Mais il ne l’aurait pas. Ne se donnait pas le droit de l’avoir.
« Donne-moi deux minutes, Sin. » Il avait le sarcasme sur le bout de la langue, l’envie de lui répondre qu’il lui avait donné plus, qu’il lui donnerait encore plus. Mais le sarcasme était resté secret, et ses lèvres s’étaient étirées en un mince sourire tandis qu’il hochait légèrement de la tête, son regard le suivant tandis qu’il s’éloignait. Sans doute pour demander à partir plus tôt. Sans doute. Et peut-être que Hyacinth aurait du se sentir déplacé à être assis sur le bar, seul, presque en danger dans cet endroit, et pourtant, la manche de sa chemise ne cachant rien de son temps, de sa valeur, il ne bougeait pas son regard de la porte derrière laquelle il avait disparu, cet homme divin. Il ne bougeait pas son regard attentif. Presque perdu sans lui. Sans apprécier l’étau qui lui serrait le cœur. Sans apprécier au final ce sentiment d’étouffement à le voir s’éloigner sans lui. Le
même sentiment qu’il avait eu quand il l’avait laissé seul dans les draps froids du lit au matin. Leur première fois. Ce même sentiment d’étouffement tandis qu’il quittait l’appartement, la gorge serrée, des larmes aux yeux et l’impression de se trahir autant qu’il blessait cet homme. Il n’aimait pas cet étau. Cette réalisation quasi permanente que le destin avait été cruel et l’avait lié à cet homme. De manière permanente. Douloureuse.
Mais il était revenu. Dans le coin de son champ de vision tandis qu’il battait dans le vide ses jambes au rythme de la musique. Dans son champ de vision tandis qu’il parlait à une de ses collègues. Dans son champ de vision, puis dans son espace. Sa main contre son dos, le laissant alangui, plus détendu qu’il ne l’avait été, puis comme un chat suivant le mouvement tandis que cette main remontait jusqu’à sa nuque.
« Où veux-tu aller ?
- Chez toi ? » La question n’en était pas vraiment une. Il n’avait pas envie de se retrouver dans un endroit inconnu. Il connaissait les hôtels du coin, il aurait même pu s’arranger avec des amis, des connaissances pour avoir un endroit ou aller, mais il connaissait déjà l’appartement de son Apollo. Connaissait déjà le lieu pour s’y être réveillé la dernière fois. C’était un drôle de confort. C’était celui qu’il souhaitait. Sourire. Mince.
Éthéré comme toujours. Un baiser au coin de ses lèvres. Il se permettait plus maintenant qu’il savait l’avoir à ses côtés. Mais Hyacinth n’était pas cruel non plus. Tandis qu’il sortait du bar, la main du barman toujours contre sa nuque, présence chaleureuse, il s’était arrêté un instant. Le temps de se tourner vers l’homme. De relever la manche de sa chemise. Une moue face au temps qu’il lui restait. Bien sûr. Il était lucide Hyacinth.
Rêve lucide, il connaissait le prix des extras.
« Laisse-moi. » Murmure. Et dans un geste révérencieux, presque religieux, une religion où il fallait garder le soleil noir de ses jours en vie et brillant, il apposa de nouveau son bras contre le sien. Ses doigts se serrant délicatement autour de son poignet tandis qu’il lui transférer encore de son temps. Pas trop. Parce qu’il savait qu’ici à Casma, avoir trop de temps c’était se mettre en danger. Mais assez. Assez pour qu’il puisse se réveiller au matin sans crainte. Et il était paradoxal Hyacinth. Paradoxal à se refuser un quelconque avenir avec ce garçon, se détestant d’être si faible face à lui, mais lui prodiguant de quoi continuer à être.
Paradoxe constant. Et son cœur qui battait follement à l’idée de cette nuit avec lui.
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