heart of glass - ifan

Ça fait pas si longtemps qu’il est là. Dans un environnement qu’il ne connaît pas, avec des gens qui le regardent encore de travers. Par la grâce de Kate qui a réussi à lui offrir une place chez les Shadowrunners, lui évitant de finir en pâture à un voltur ou à une autre créature mutante de ce monde ingrat. Ifan a creusé sa place et ça ne fait que depuis deux semaines qu’il est là, peut-être un peu plus. Il a réussit à s’occuper des quelques bobos qui lui passaient sous le nez, malgré son état, pour les premiers jours. Faire confiance… il réalise qu’il doit gagner la leur, sa sincérité ne suffisant pas toujours. Tous ici n’ont pas la langue dans leur poche ni l’amitié facile. Ils sont fermés, rustres, peu enclin à la diplomatie. L’altéan songe même au fait qu’ils n’aient plus rien d’humain, au fond. L’humanité a disparue avec sa Terre Mère. Ifan n’arrive toujours pas à se dire que ce monde est aussi à lui. Non, c’est bien sa lointaine campagne altéane qui est son foyer. Le manque pique souvent son cœur blessé. Kate est distante et les souvenirs s’amassent. Il doute mais décide de s’accrocher. Il ne peut pas repartir.

L’homme a Mr Jingles au cou et son nez penché sur un registre de plantes, animaux locaux, et c’est lui qui se colle aux illustrations — lui qui a toujours apprécié dessiner s’étonne à pouvoir pratiquer ici, à mêler cette activité à la médecine. Ça ne lui aurait jamais effleuré l’esprit autrefois. Le fait est qu’il était obligé de procéder ainsi, de créer sa propre encyclopédie pour prévenir au mieux les soucis d’ordre médicaux ou sanitaires. Les autres ne l’aident pas vraiment dans sa tâche et doit souvent interroger les blessés en convalescence pour qu’ils lui décrivent faune et flore… ou ces autres phénomènes. Tout ce qui est commun semble être déjà répertorié, mais il n’a de cesse que d’essayer de l’étoffer.

Le furet lové s’est endormi, les griffes enfoncées dans le tissu de sa veste. Son cœur bat avec régularité et son petit souffle s’échoue contre la peau de son cou. Un silence approximatif qui lui permet de se concentrer, au moins jusqu’à ce que quelqu’un ne pénètre dans sa tente. Ifan fit un mouvement de pivot pour apercevoir les nouveaux venus. Mr Jingles est tiré de sa sieste et couine, visiblement mécontent. Habitué, Ifan ne relève pas et s’intéresse plutôt à ce blessé - qu’il n’a pas mit longtemps à deviner - qu’on lui amène. Les mots filent, Ifan se lève et s’adresse au plus bavard.

« Ok, je m’en occupe. Merci… ? » « Watkins. » le medic hoche la tête, il tâchera de s’en souvenir. Son attention est alors centrée sur… le blessé dont il n’a pas souvenir du nom. C’est le désavantage d’être devenu une tête « connue » malgré lui, tout le monde savait qui était Ifan dans le camp, mais le mécanisme inverse était foutrement handicapant socialement. En bref, ça commence assez mal. Point positif cependant, il semble tenir debout. Mais il le regarde bizarrement. C’est un regard plus qu’intrusif, comme s’il essayait de le sonder. Lui qui a tant à cacher…

« Comment tu te sens ? » sont les premiers mots à son égard. Ifan se frotte les mains pour les réchauffer et lui propose de se mettre plus à l'aise. « Tu peux t’assoir, ce sera plus simple. » et peut-être même moins douloureux pour sa jambe. Jambe qu’il ausculte déjà, ne serait-ce que du regard. L’homme écoute d’une oreille le type, sortant déjà de quoi s’occuper des premiers soins. Il réfléchit déjà à quel type d'araignée ils ont pu avoir affaire — pour le moment, il n'en a répertorié que trois. S'il a réussi à la voir, ça ne pourra que l'aider pour les soins. À quoi bon recoudre quoi que ce soit si un poison a été injecté dans l'organisme?
Mr Jingles est toujours à son cou et fixe celui qu’il ignore encore s’appeler Steve. Steve Schneider. Espérons qu’il n’ait pas peur d’un furet à la queue rouge et au caractère de merde. Est-ce que ça pouvait être pire qu’une araignée mutante de toute façon?

« Ça va j’imagine… Mais ça fait de plus en plus mal. » pas forcément bon signe en effet, mais rien de plus normal si on s’en tient au mécanisme lié à l’adrénaline. La piqûre de cette dernière ne devait plus faire effet sur son organisme, le laissant en proie à des sensations douloureuses et… tout le reste.
Ifan n’est pas particulièrement à l’aise sous ce regard que lui lance le shadowrunner. Il a même l’impression de connaître ce regard, puisque c’est celui qu’il jetait aux gens du ghetto d’Oriel lorsqu’il a rejoint la ville. Méfiant à souhait, dans une jungle qui n’était pas la sienne. Une jungle beaucoup plus ingrate et dangereuse que celle qu’il avait connu, loin des bâtiments en béton armé et de la pollution. L’altéan se dit qu’au final, il y a certainement de la légitimité à ce qu’il le dévisage ainsi. C’est pas comme s’il s’était invité il y a peu « chez eux », non? Comme s’il savait qu’il était une anomalie. Mais même Kate ne le regardait plus comme ça… en fait, elle ne le regardait que très peu, voire pas du tout. À sa connaissance. Marche, tu verras où ça te mène. — Et si ça menait à rien ? Le médecin serre un peu les dents à ce souvenir. Il rebondit aux mots du presque-étranger qui s’est installé là, à ses bons conseils.

C’est au tour d’Ifan d’avoir quelque chose dans le regard, une épine qui creuse son œil indemne, elle ferait mal à qui saurait y lire cette douleur sourde. « Si t’étais paralysé avant, c’est qu’elle t’a fait peur. » Ça paraît franchement logique dit comme ça, merci captain obvious. Pendant un instant il craint que son interlocuteur le prenne mal. La fierté, tout ça… « Enfin j’suppose. » Y a presque une pointe de blase dans sa voix, mais c’est pas la faute au blessé. C’est la faute de personne en fait, sauf de ce destin de merde qui s’acharne. C’est mieux de reporter la faute sur une force qui nous dépasse, tout le monde le sait. Mais un petit coup de main de la part des anciens n’aurait pas été du luxe pour lui, Ifan leur en fait parfois la remarque au détour d’une prière silencieuse.
C’est qu’il demande sitôt après… « Elle était comment cette araignée? Tu t’en rappelles? Petite, grande, des tâches vertes, des yeux rouges? » ça a l’air d’un interrogatoire mais c’est important, il veut absolument savoir s’il y a du venin. Et là, comme ça, il peut pas trop deviner. Sauf en testant sur d’autres organismes comme des petits rats ou quoi, mais Ifan a un profond respect pour les êtres vivants et la nature en général — sa veine scientifique s’arrêtait à l’encyclopédie, vous l’aurez comprit. En réalité il songe à l’araignée qui a dû se faire abattre par cet homme et son comparse… il en est désolé, presque autant que pour l’homme qui se tient à ses côtés.

Le berbère reste coi quelques instants, il semble observer, ausculter. L’avantage que son froc soit à moitié déchiré, il n’a pas besoin de lui demander de finir cul à l’air.
Il peut enfin y voir un peu plus clair, ça saigne pas mal mais l’hémorragie n’est pas si importante, sinon il aurait été suivi par des flaques de sang tout du long. Mr Jingles fixe encore Schneider. Le medic lève le nez brièvement et se prend la question en pleine poire. « C’est quel genre d’animal ? » Lorsqu’Ifan tourne un peu la tête pour essayer de voir le concerné, il n’y voit que le bout de son museau blanc. Loa remarque assez vite qu’on parle de lui. Et étrangement, il ne réagit pas mal. Au lieu de ça, il se resserre un peu autour de son cou et tire le museau pour humer l’air qui les sépare, espérant certainement déceler quelque chose de rassurant, amical ou familier chez l’étranger.

De son côté, le toubib ne l’aide pas trop dans sa quête de réponses, « Le genre d’animal avec un caractère de merde… » Et c’était loin d’être un mensonge, ça. Là, Ifan enfile un gant à l’asepsie approximative (mais c’est déjà vachement bien pour un camp sur Terre, ça, c’est sûr) et annonce. « Je vais nettoyer ta plaie. Évite de me frapper à la tête si t’as trop mal, il risque de mal l’interpréter. » Caractère de merde certes, mais avec un fort instinct de meute. Une meute à deux, oui. C’est coutume chez les furets à queue rouge, et alors quoi? Il veut pas être responsable de débordements du genre et c’est tout à son honneur. Healer jusqu’au bout. « C’est un furet, ici ils l’appellent Mr Jingles. J’suppose que tu vas faire pareil? Et il ne sait pas pourquoi d'ailleurs, il n’a pas la référence, encore quelque chose qui signale bien sa non-appartenance à la race terrienne. Il a muté… il est pas très farouche. », qu’il lui dit alors qu’il entame le nettoyage de la plaie. Ça coulait de source ça aussi, leur furet ne ressemblait plus à ça. Enfin, ceux qui étaient là avant leur apocalypse. Pour le reste, c'était tout bénef pour expliquer le fait qu'il l'ait sur l'épaule ou autour du cou. Imaginez un loup? C'est déjà plus difficile pour la domestication.

« Si t’as des vertiges, nausées ou paresthésies, enfin si t’as des fourmillements ou des trucs étranges, peu importe ce que c’est… préviens-moi fissa. C’est qu’elle t’a peut-être injecté du poison. » et il ne le lui souhaite pas, même si aspirer cette merde est possible, c’est toujours mieux d’être aidé par le patient au niveau des symptômes. Des symptômes qui peuvent aussi venir d’ailleurs remarquez, le stress, la perte de sang… mais il ne voulait pas prendre de risques. Ifan voulait le soigner au mieux et il faisait tout à son maximum, comme d’habitude. Il avait beau avoir le visage balafré et une carrure impressionnante, l’altéan n’était pas de ceux qu’il fallait craindre. Pas ici en tous cas, ni dans cette situation.

Et finalement, malgré le fait qu’il le dévisage, qu’il soit encore un étranger, il ose briser la glace.
« Et… c’est quoi ton nom? » pour enfin en mettre un sur ce visage qui le fixait avec une inconditionnelle méfiance?  

« Alors, elle était assez grande, toute noire et recouverte de poils assez courts, et euh des yeux bah… des yeux globuleux d’une couleur pas vraiment spéciale je dois avouer… Et elle avait 14 pattes je crois. » au fur et à mesure que le blessé débitait, les yeux de l’altéan s’écarquillaient un peu plus, et ça c’était après être passé par la phase dubitative et de surprise. Au final, il paraît presque fasciné par ses propos qui sont étonnamment clairs et détaillés pour quelqu’un qui était sensé l’avoir vu, allez, disons… deux-trois secondes, grand maximum? Soit il a une imagination débordante, soit il a une mémoire visuelle digne d’un androïde siganais. Ou d’un être humain au quotient intellectuel franchement impressionnant. Dans tous les cas, Ifan se trouve à moitié con quand il reçoit la réponse, qu’il finit enfin par traduire dans un langage différent, et l’adapter à l’idée de soins. Il brasse un peu dans son esprit, il va même vérifier en vitesse sur le carnet pour revenir à lui…
Le fait est que… il y a de fortes chances qu’il soit empoisonné, ce qui n’est pas franchement une partie de plaisir — ni à annoncer, ni à extraire. En fait, à peine avait-il fait cette conjoncture qu’Ifan était redevenu encore plus sérieux. Les subtilités de langage du shadowrunner n’allaient rien arranger au tableau.

« Il a muté c’est bien ce que je pensais, j’ai jamais vu de furet comme ça sur terre jusqu’à maintenant. » et au moment même où il prononce ces mots, l’altéan et le terrien scellent leur regard; et là, Ifan sent que ce n’est pas qu’une sale impression : il essaie de lui faire passer un putain de message. Il avait pas 140 de Q.I. mais il était presque sûr qu’il se doutait de quelque chose, et ce n’était pas à cause de la frimousse de Mr Jingles — ou pas totalement. Alors il tente d’éloigner ces inquiétudes qui germent au creux de son myocarde; ne rebondit pas là-dessus et lui annonce par quelques fioritures verbales, « Je pense qu’elle t’a laissé un petit cadeau, » et fait glisser ses yeux sombres sur l’une des trousses d’où sort un aspire-venin, le b-a ba pour ce genre de cas, et par tous les anciens, qu’ils sont nombreux par ici.

Pendant qu’il prépare l’aspi-venin et le reste, l’homme se présente, alors il ose encore le regarder, mais qui, à nouveau, lui apparaît comme étant une mauvaise idée. Encore une fois, il tente de se concentrer sur la raison de sa venue, et pas le reste. Ses émotions? Elles pourraient bien attendre, avec sa peur, il les laisse au porte-manteau. « T’as une sacrée mémoire, Schneider, » lui annonce t-il avec un demi-sourire, il fallait croire que c’était elle qui allait le sauver plus que l’expertise du médecin — mais ça, c’était une pensée digne d’un Al Khadiri, overdosé en modestie.
Ce qui nous est étranger nous effraie, ce qui est complètement différent l’est encore plus, Ifan est cet inconnu cosmique qui a parcouru plus qu’il n’aurait dû. Est-ce que ce Steve serait capable, au final, de sentir qu’au-delà la carapace, il y avait du bon? Qu’il y avait de l’espoir à offrir? Qui serait-il pour apporter son soutien et vouloir détruire cette même communauté qui l’accueille? Un monstre très probablement. Il a cru en voir un dans ses yeux, un jour. Et ce jour-là il y en avait deux.

Le toubib garde un peu le silence pendant qu’il aspire le venin, ça fait pas du bien, mais ce sera pas le pire. En tirant la substance de sa plaie - bénis soient les anciens, il est venu à lui très tôt après la morsure - il ne peut s’empêcher de repenser à cet animal qui a été abattu. Un animal qui certes l’a attaqué, mais qui reste un vivant. Tout vivant, même à l’existence ingrate, avait de son importance ici bas. « Ça va? » qu’il lui demande, au cas-où, toujours prêt à agir s’il chancelait.
Ceci fait, il dépose précautionneusement l’aspi-venin plein et l’enferme dans ce qu’il improvisera comme un sachet plastifié — oui, ça existait encore ces trucs-là. Ifan relève un peu les yeux et reprend la parole. Mr Jingles se dresse un peu et descend de son perchoir pendant cet interlude, faisant claquer ses pattes griffues sur le sol qu’il parcourt, en veille attentive. « Moi c’est Ifan, mais tu dois déjà être au courant. » comme tout le camp en fait, il avait fini tristement célèbre par l’état dans lequel il était arrivé ici — c’est à dire, à moitié crevé. Pendant qu’il récupère de quoi désinfecter, suturer et couvrir, Ifan pense tout haut et dans un soupir, « J’ai jamais rien compris à l’informatique. » sans doute parce qu’il n’a jamais été en contact avec ce genre de technologie de pointe pendant le trois quart de sa vie. Quelque part, ça lui est égal, il n’en a jamais eu besoin et n’éprouve toujours pas l’envie de s’y frotter.

Ifan désinfecte la plaie, ça pique, ça brûle même, mais c’est un passage obligatoire. En fait, c’était ce qu’il allait faire juste après qui allait moins faire sourire son patient. « Bon. Je vais suturer et on aura bientôt terminé. » qu’il annonce alors qu’il attrape l’agrafeuse. Oui, ici sur Terre, ils avaient ça, et ça tombait bien puisqu’il avait une plaie peu profonde. Mais bon, entre nous, Ifan a toujours apprécié la couture, c’est juste qu’il n’avait pas particulièrement envie de le retenir des heures avec lui, surtout qu’il semblait avoir des choses à lui dire… des choses que le berbère n’avait pas forcément envie d’entendre aujourd’hui.