gimme shelter (zenieg)

Cela fait quelques mois. La mise à pied, la dernière mise à jour nécessaire de son système, pour permettre à son IA de ne plus vriller face à un protocole tenu par un langage approximatif. Pour éviter les récidives, ou au moins les prévenir : mais ça n’a pas suffi, alors ils ont préféré le renvoyer, par peur ou pour le punir. Ils ont marqué le coup et Siegfried a dû se résigner face à ce qui était une fatalité.
Il a encore le souvenir des mots de Jensen pour le soutenir, mots qui n’ont certes pas eu un poids considérable pour la défense — mais qui avaient suffi à son IA, touché par la sincérité et cet acte de justice. C’est sans compter la voix de sa mère qui avait résonné pendant le premier briefing et le procès officiel qui avait suivi. Au fond de lui, il cultivait encore l’espoir de la rencontrer un jour, autre que par un hologramme marquant sa silhouette féminine, ou que par une voix qui fait désormais partie intégrante de la machine. Qui oserait oublier la voix d’une mère ?
Pas un fils comme Siegfried, en tout cas. Il était bien trop attaché à cette dernière… oui, alors, l’espoir se devait bien de demeurer.

Combien de temps cela faisait-il ? Combien de temps avait-elle émit la volonté de sortir des murs de la ville pour aller toucher du doigt le monde extérieur, auquel elle avait été interdite de séjour depuis tant d’années ?Trop longtemps sans doute, et c’est pourquoi Siegfried avait voulu repousser les limites qu’on lui avait depuis trop longtemps imposées. Du haut de ses quatorze ans, Zenia a vécu à la fois trop et pas assez. Peut-on en dire autant du géant au mètre quatre-vingt douze qui marche à ses côtés ? Sans doute. Il y a d’abord le prétexte d’une sortie bénigne, puis il y a le volant de la voiture qui les fait bifurquer, sans crier gare — c’est voulu, sans être brutal, seulement inattendu. Lui qui aime tant la voir sourire…

C’est que ça lui fait mal de croiser son regard et d’y apercevoir de la souffrance, celle qui croît et contre laquelle il ne peut que se sentir désarmé. Ce n’est pas lui qui choisit, c’est la mission qui le fait pour lui, pour eux. Aujourd’hui, elle fête ses treize ans. C’est un concept avec lequel il a dû se familiariser, comme celui d’offrir. Alors pour une, peut-être deux heures, il se permet de fuir.

L’enfant est du côté passager, le véhicule file sur une route qui se dépeuple peu à peu d’une réelle circulation : le paysage change, laisse les tours phosphorescentes et le fourmillement humanoïde derrière eux pour des étendues d’eau (dont la couleur rappellerait presque les perles froides de l’androïde,) et qui, pour la première fois, se dessinent sous les yeux de la petite blonde à ses côtés. Pas sous un voile holographique propre à la réalité augmentée que les siganais côtoyaient quotidiennement; non, rien de tout ça.
Et pendant cet instant pourtant si précieux, Siegfried reste coi, ne jetant qu’un simple coup d’œil à sa droite. Ils auraient pu poursuivre encore plus loin, il aurait pu lui montrer là où il a grandi, lui aussi, avec ses frères et sœurs parés et entraînés au combat — des étendues à la nature approximative depuis le grand cataclysme, mais qui valaient mille fois les néons et l’extravagance de New Brasilia. Mais aujourd’hui, c’est vers le sud qu’ils filaient…

Quand finalement les moteurs électriques - et quasiment inaudibles de ce seul fait - cessent de fonctionner, ils sont face à la plage. Comme à chaque fois, elle cherche à savoir s’il est bon ou pas de bouger, et comme seule réponse à une question qui serait certainement arrivée, il hocha la tête, déverrouillant les portières — et la première à s’ouvrir fut celle du conducteur, qui s’extirpa de la cage métallique pour aller cueillir la gamine de l’autre côté. L’air est frais, le vent souffle et fait virevolter sa crinière d’or. La portière qui claque après qu’elle soit sortie — l’IA guette ses réactions, et puis finalement, après quelques secondes, lui emboîte le pas, une main offerte dans sa direction. « Tu viens avec moi ? » qu’il demande d'une voix posée, l’encourageant à découvrir l’inconnu, ensemble.