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| | Tu veux qu’il te remarque ou non ? Non. Il a le mot sur le bout de la langue, cinglant, et bien qu’il le ravale subitement il doit se voir sur son visage (non non non partout dans son sourire et dans le regard un peu fuyant) parce que Lazar prononce ensuite son prénom. Une seule fois. C’est l’avertissement, le premier et le dernier, avant l’explosion. Ses lèvres frémissent légèrement : il y a le rire contenu, lui aussi, le rire parce que la scène a été jouée tant de fois depuis qu’il est né qu’il a l’impression qu’ils suivent un vulgaire script, il a l’impression qu’ils ne sont que deux autres personnages dans un film vachement pourri – même pas payé, putain. J’t’avais dit que j’avais pas besoin de manager. Qu’est-ce que tu insinues, Mikhaïl ? Ah, une deuxième fois. Son corps se tend – assis dans le canapé familial, il joue l’apparence relaxée mais il est prêt à bondir s’il sent le vent tourner. Si tu avais gardé Jorig, je ne devrais pas m’occuper de ça. Il se plaint, le père, parce qu’il a évidemment bien mieux à faire que de contrôler gérer la carrière de son fils, comme il le lui rappelle tous les deux matins entre deux listes de conseils avisés. C’est le réalisateur montant du moment, et il n’a pas encore fait appel à toi. Tu savoures ton heure de gloire maintenant, mais si tu ne travailles pas, ils vont t’oublier. Et alors ?
Alors il ne veut pas être oublié, et Lazar le sait. Lazar ne veut pas qu’il soit oublié parce que si son fils est mis de côté pour des gueules plus fraiches plus attirantes lui aussi risque d’être laissé au placard. Mikhaïl ne veut pas être oublié parce que si plus personne ne le regarde ne le sonde ne documente chacun de ses faits et gestes, comment saura—t-il qu’il a existé ?
Lazar le sait et il se contente de lui donner l’heure de l’avant-première, et conduis-toi correctement.
Un autre match, et une autre défaite. C’est comme ça qu’il est là, à sourire à la foule (du sourire Arany, celui qui lui a valu son premier film, paraîtrait-il) en s’emmerdant profondément. Personne ne se demande ce qu’il fait là alors qu’il n’apparaîtra nulle part à l’écran, parce que sa présence est attendue partout, maintenant.
Lui-même serait sans doute surpris s’il ne se croisait pas au coin d’une rue, après tout.
Son regard sonde les silhouettes à la recherche du fameux réalisateur qui ne l’a pas encore contacté et à qui il est censé cirer les pompes pour être remarqué, mais il ne le trouve pas et se décourage rapidement. Il a de toute façon oublié de quoi parle le film, et pourrait à peine décrocher trois mots avant de devoir se reposer sur le baratin habituel. Il n’est certainement pas le seul, cependant : certains acteurs, les figurants généralement, ne savent même pas dans quoi ils tournent, exactement. Ce qui compte, c’est que leur nom apparaisse au générique. Se frayant un chemin jusqu’à la salle (Mikhaïl ! Nova n’est pas là ? ou Mikhaïl ! on devait discuter d’un script, non ? et aussi Mikha, tu m’as manqué !), les visages se ressemblent tous, à force, ou peut-être se sont-ils toujours ressemblés : Mikhaïl n’a jamais été du genre à s’attarder suffisamment pour les différencier – il échange quelques mots, quelques accolades, mais il n’y met aucunement du sien, voguant encore difficilement sur la fin du Blues du Joker (ça t’apprendra à pas savoir contrôler, quelque part sous son crâne, narguant et). C’était censé être terminé avant son arrivée, mais il avait poussé sa consommation tout au long de sa dernière soirée, et peut-être un peu de sa journée, histoire de repousser le moment fatidique, mais qui pourrait lui en vouloir pour ça, hé ? Si la nausée et l’envie de se jeter par la fenêtre l’ont définitivement lâché, thanks god, il se sent à l’étroit une fois parvenu aux escaliers, et le bruit lui refile des angoisses qu’il n’a toujours pas appris à gérer. Clignant des yeux plusieurs fois, le temps de s’adapter, il donne sans doute l’impression de chercher à repérer sa rangée (mais est plutôt flippé que ses jambes le lâchent s’il commence à marcher maintenant).
Parvient finalement à atteindre sa place, tant bien que mal, et il s’y écroule sans cérémonie – sans oublier de sourire, aussi, au cas où un flash le surprendrait au mauvais moment. La salle est déjà bien remplie, il a dû contourner l’un ou l’autre de ces visages censés être connus pour atteindre son siège, et, lorsqu’il repère la silhouette à sa gauche, il ne percute pas. Pas directement en tout cas. Pas avant que le-profil-aux-cheveux-blonds ne soit plus profil mais face et le dévisage d’un – fuck. Tamina. Dammitdammitdammitdammit. Tamina. Cette fois-ci il lâche son prénom et c’est probable qu’il la fixe d’un air con mais en même temps qu’est-ce qu’il est censé faire ? C'est toujours pareil, à chaque fois qu'il la voit (l'envie de fuir de l'autre côté du pays et où est Nova, Mikha ?). Il a toujours le sourire aux lèvres et il sait plus vraiment comment l’enlever. Autour d’eux, les lumières se font tamisées, et le réalisateur-qui-ne-l’a-pas-remarqué prend la parole pour présenter son nouveau chef-d’œuvre et remercier tout ceux qui y ont contribué. Il se force à détourner la tête, à ne pas l'étudier de la tête aux pieds, à se concentrer, mais ça dure qu’une fraction de seconde, déjà – tu vas bien ?
Elle n’a pas l’air d’aller bien, et sa propre nausée est revenue de plus belle. Il s’agite dans son siège et regrette de ne pas avoir apporté avec lui juste un peu (juste un peu) de JP pour passer au travers le malaise et l’envie de gerber. |
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