a ghost story ((adriel))

Le parfum des fleurs est identique à celui de ses souvenirs. Quelque chose de doux qui l'apaisait, à l'époque où elle pouvait se permettre de venir se perdre dans un peu de nature. Elle ne sait pas ce qui la poussait à venir, peut-être en souvenir de son fleuriste, d'une vieille connaissance. Si Sinned laisse tomber les gens, elle ne peut pas prétendre les oublier si facilement. En fait, elle n'oublie jamais vraiment. Ils persistent dans les couloirs de sa mémoire et, trop souvent, elle se maudit de ne pas être capable de les laisser partir. Comme amoureuse d'un passé dans lequel elle ne peut pas revenir. Elle s'accroche à beaucoup de choses qui n'existent plus, car elle n'accepte pas leur fin. C'est pour ça, aussi, qu'elle n'aime ni livre, ni film, ni série ; elle déteste les fins. Elle veut choisir elle même quand et comment ça s'arrête.
Finalement, même après tout ce temps, c'est quelque chose qui prend tout son sens, maintenant qu'elle vit sur Terre, au milieu de végétaux qui font parfois deux fois sa taille, cet amour pour un peu de verdure. Sin a toujours pensé que la violence était le meilleur moyen pour se décharger de ses émotions négatives. Si elle s'était écoutée plus tôt, elle se serait entourée de plantes vertes, plutôt que d'aller jouer le pantin du gouvernement. Mais elle n'avait personne pour l'aider à se recentrer. N'en déplaise à GAÏA, elle vit maintenant des jours paisibles loin de ses responsabilités. Loin de sa vie, qui aujourd'hui n'existe même plus. Elle est un fantôme parmis bien des fantômes, cent fois plus vivants qu'elle. La blonde se faufile comme un petit chat entre les grosses fleurs, se fait discrète pour que le propriétaire ne soit pas averti de sa présence. Si elle en avait le courage, elle aurait subtilisé une rose pour Mal et une autre pour Paul, mais elle respecte trop l'homme qui s'occupe de ces beautés. Est-ce qu'il travaille encore ici au moins ?
Sin s'autorise ces voyages sur Altéa, ces erreurs qu'elle commet en se rendant sur sa terre natale. Si on apprenait qu'elle est toujours vivant, les conséquences pourraient être terrible. Elle nie. Elle se fait ingénue et s'égare dans la boutique d'Adriel, sans qu'il ne le sache. Et avec un peu de chance, il ne le saura jamais. En croyant entendre un bruit et fait volte-face, brusquement. Alerte au moindre mouvement. Un pas en arrière qui fait basculer le vase et les roses, et ils s'écrasent un mètre plus bas en grand fracas. Pour la discrétion on y repassera. Le sourire de travers, le blonde s'affaire pour réparer les dégâts, ne sait même pas comment s'y prendre. Le verre lui écorche les doigts et les pattes de son pantalon sont trempées. Pendant un instant, elle oublie qu'elle n'est pas seule. Pas sensée être là. Pas sensée exister. Jusqu'à ce la sensation de présence devienne réelle et se matérialise.
Elle reste immobile, alors. Ose à peine respirer, le regarder dans les yeux. Elle voudrait disparaître, devenir poussière et s'en aller avant qu'il ne soit trop tard. Elle n'était pas sensée se faire repérer. Tout ça parce qu'elle a voulu regarder un vase de plus près - un vase, sa couverture grillée pour un putain de vase et ses roses et ses bonnes intentions. Sin analyse brièvement la situation, cherche une issue. Mais a moins d'un miracle, elle se retrouve piégée, face à Adriel, qu'elle n'aurait jamais du revoir. Muette comme une carpe. L'ex-Warden a perdu de sa superbe, les cheveux sont ternes et son teint traduit le manque de sommeil réparateur. Et pourtant, elle n'a jamais eu l'air aussi heureuse, lumineuse. En paix, avec les autres et avec elle même. Ça bouillonne toujours autant dans ses veines, une rage.
L'air de rien.

Ses doigts habiles s'affairaient autour d'un énième bouquet de fleurs. Automatisme. Parfois il se perdait dans ses pensées pendant qu'il composait. Il laissait ses mains faire, elles savaient ce qu'elles devaient faire pour sublimer les fleurs, pour faire la création parfaite. Il avait pas besoin d'y réfléchir. C'était comme un véritable don. Un don de la nature. Il ne pensait pas. Le regard fixé sur la porte, parfois sur l'horloge. Pas qu'il pensait que le temps passait trop lentement, le temps passait jamais trop lentement quand il était dans sa petite boutique. Parce qu'elle était comme sa seconde maison, peut-être sa troisième si il comptait la petite maison familiale. Où il avait grandit. Où sa passion pour les fleurs, pour la nature était née. Voilà, son échoppe aux senteurs exquises était comme sa troisième maison. Alors si il regard successivement la porte puis l'horloge. Puis la porte. L'horloge. La porte. C'était pas parce qu'il s'ennuyait mais parce qu'il attendait. Peut-être qu'il espérait voir débarquer une petite tête rousse, peut-être une petite tête blonde. Peut-être rien du tout, peut-être un client lambda.
Mais même perdu dans ses pensées il restait alerte. Le sourire sur les lèvres. Il devait être ancré sur ses lèvres. Dessiné à la naissance, ce sourire. Parce qu'il disparaissait jamais, il était toujours là. Sauf quand ça allait vraiment mal. Vraiment très mal. C'était des moments rares. Parce que même quand le connard de sa mère se pointait il continuait de sourire. Par politesse et parce que. Hé bien même si il avait envie de lui mettre son poing à travers la figure il pouvait pas. Il était pas violent Adriel, il risquait de se blesser. Et personne n'avait envie de voir son fleuriste avec les doigts écorchés, ensanglantés. C'était plus simple de sourire. Puis un sourire ça pouvait dire beaucoup de chose, un sourire n'était pas nécessairement joyeux. Il pouvait sourire tristement aussi. Il pouvait sourire méchamment. L'on pouvait voir l'ombre d'un souvenir sur un sourire, une pointe de mélancolie. Une douce pensée d'un moment passé. On pouvait voir la colère. Un sourire pouvait dire tellement de chose, il suffisait de sourire pour les transmettre.

Et lorsque le verre se brisa il souriait toujours. Il leva simplement les yeux au ciel, un soupir caressa sa lèvre inférieure. Certains clients étaient maladroits. Il pouvait pas le leur reprocher parce que lui aussi était maladroit quand ça ne concernait pas les fleurs. Il ne comptait plus toutes les fois où il s'était brûlé en faisant cuire sa nourriture. Alors c'était pas grave. Ce n'était qu'un vase, il espérait simplement que la personne n'allait pas se blesser avec les bouts de verre tranchants. Il aimait pas particulièrement la vue du sang Adriel. Pas de là à tourner de l’œil. Mais ça ne l'enchantait pas.
Bon, il devait quand même voir les dégâts.
Il contourna les fleurs jusqu'à tomber sur le lieu du crime. Crime parce que les fleurs gisaient sur le sol. Les morceaux de verre étaient éparpillés et la jeune femme semblait vouloir arranger le bazar qu'elle avait mit. Alors il grimaça Adriel. Non. Non, elle devait pas toucher à ça. Parce qu'elle risquait de se couper. Et hors de question. Les fleurs elles pouvaient encore être sauvées. Mais si le sang de la demoiselle rentrait en contact avec les pétales en coulant sur le sol. Personne voulait le sang d'une inconnue dans son bouquet.

« Laissez faire, vous risquez de vous blesser. Je m'en voudrais que vous vous coupiez simplement à cause d'un vase. Je vais nettoyer moi-même, ne vous en faites pas. »

Il daigna finalement regarder la perturbatrice. Le cœur battant dans sa poitrine. Elle était pas censée être là. Un mirage. Elle était censée être morte. Pas devant lui. Morte. C'était ce qu'on lui avait dit, que la vie avait quitté son corps. Mais elle lui paraissait bien vivante, devant lui. Réellement vivante. Peut-être un peu fatiguée. Peut-être pas totalement joyeuse. Mais le corps bien présent. Il se frotta les yeux, Adriel. Histoire de vérifier que sa vision lui jouait pas des tours. Il se pinça le bras, Adriel. Histoire de sortir du rêve si c'en était un. Mais malgré tout, elle restait là devant lui. Et lui restait là devant elle, le souffle court. La respiration sifflante.

« Sinned ? »

Juste un prénom, à peine murmuré. Si longtemps oublié, si longtemps prononcé qu'il semblait amer dans sa bouche, inconnu. Comme si ce prénom passait pour la première fois la barrière de ses lèvres.

Ce prénom sonne toujours comme-ci ce n'était pas totalement le sien, dans la bouche des autres. C'est ridicule, mais on a jamais à prononcer son propre prénom, sauf quand on le demande. Sin s'est habituée à n'être que Sin, ou rien. Elle a souvent cette impression, que toute sa vie n'a jamais été qu'un mensonge. Une histoire, fondée sur des bases réelles, mais dont la suite a été improvisée, tracée par une plume tremblante. Elle est fragile comme le verre brisé à ses pieds, le souffle coupé et son passé éclaté. Elle reprend vie sous ses yeux ébahis, mais cette vie là aussi est étrangère. Tout est si étranger, elle ne comprend pas. Elle pensait qu'il l'aurait facilement oubliée ; ce qui est stupide, elle, par exemple, n'a pas oublié son visage. Adriel. Elle pense plus fort Adriel. Elle se souvient de l'époque dorée où ils se connaissaient comme les gens se connaissent, des sourires et des mots polis échangés, sur des banalités et des choses de la vie. Quand son existence n'était pas encore son plus grand secret et qu'elle n'était pas devenue la main gantée de GAÏA. A cette époque elle appréciait sa compagnie sage et calme, alors qu'elle était déjà une furie. Il fallait qu'elle décharge toute sa haine sur quelque chose et elle profitait d'avoir dans son entourage, une âme plus paisible. Capable de la ramener à la raison. Une part d'elle s'en voudra toujours d'avoir maintenu la distance et de ne pas avoir su traiter cette amitié comme elle l'aurait aimé. Elle était négligente et l'est toujours. La blonde se soucie peu de ses relations, les autres humains sont parfois difficile à appréhender. Elle n'a pas oser l'inviter à prendre un verre quand elle pensé la première fois, à son suicide organisé. Elle aurait pu. Il n'y avait que le silence et maintenant le silence est devenu un mensonge. Malheureusement, les choses sont ainsi. Elle ne sait pas s'attacher aux gens comme elle le devrait. Elle est un fantôme, qui se glisse dans leur ombre de temps à autres et pour qu'ils se souviennent qu'elle existe. Elle n'est pas sensée être vue, seulement le souffle d'un parfum, le vertige d'un souvenir. Et ça lui convient.
Affronter la réalité devient plus dur.
Elle ne s’attriste pas de savoir qu'on l'a oublié, c'est le souvenir qui la marque qui provoque un sursaut dans son coeur. Pas suffisant pour que la culpabilité gagne, mais assez pour éveiller chez elle ce doux sentiment d’amertume. Pardon. C'est qu'on puisse encore se rappeler son nom. Elle se demande parfois si elle avait vraiment vécu ces années ou si ce n'est pas une énième couverture. Pourtant, ce n'est pas le cas. Ces gens valent mieux que ça. Sauf que maintenant, elle dévore les pissenlits par la racine, ses yeux se sont fermés, elle dort d'un sommeil éternel. Elle a cessé de vivre. Altéa n'est plus sa maison désormais. Elle n'a plus à se soucier de rien, d'impôts, de factures et d'une famille à fonder. Tout est réduit en cendre, des cendres qui ne sont même pas les siennes. Une part d'elle erre toujours ici. Sinned fait un autre pas en arrière, les doigts effleurent à peine les présentoirs. La gorge s'assèche, elle déglutit difficilement. Gênée. Les morts ne parlent pas et n'apparaissent pas le jour en général. Elle fait un mauvais mort vivant, même si son teint s’accommode à son nouvel état et que les os saillants font presque croire à une macchabée. Seuls ses yeux trahissent la vie, ses deux yeux bleus d'océan qui hurlent. Les apparitions se manifestent parfois avec colère. Elle est l'esprit frappeur venu ternir sa journée d'un voile opaque. Je suis désolée. Elle ne parle plus du vase, mais se fait plus évasive. Désolée d'être cette chose perdue. Cet endroit....me manquait. Elle soupire. Son sourire est triste et son regard se perd sur les fleurs. Une mèche de cheveux lui tombe devant les yeux. Si il pouvait la toucher il verrait qu'elle est réel et vivante. Que son coeur bat encore. Mais elle ne peut aps revenir, pas maintenant. Tout n'est pas encore prêt. Elle attend.
Un signe.
Il nous a manqué du temps.

Adriel ne se plaint pas de la vie qu'il mène. Les gens y viennent puis finissent par en repartir, c'est le principe même de sa clientèle par exemple. Quelqu'un entre dans sa boutique une fois, n'y revient plus jamais. Il ne grave pas les visages dans sa mémoire parce qu'il pense que c'est inutile. Il ne connaît pas ces gens, ce sont des gens de passage qu'il ne reverra plus jamais. Mais quand quelqu'un qu'il apprécie vient à disparaître de sa vie c'est diamétralement différent. Le fleuriste n'a pas la moindre idée de comment il gère les surprises, il sait simplement qu'il en est pas particulièrement fan. Que sa vie aussi rangée qu'elle soit lui convient parfaitement. Les gens peuvent bien penser qu'il mène une vie ennuyeuse qu'il pourrait pas les contredire. C'est la vérité, il aime la routine et la monotonie. Il fuit l'aventure, il fuit la petite variable qui est là pour taper dans la fourmilière. C'est peut-être totalement idiot de sa part de se renfermer comme il le fait, il le sait. Il voudrait bien pourtant, profiter de la vie. S'ouvrir à de nouvelles expériences mais il est bloqué dans cette routine réconfortante.
Sauf que sa routine, là, elle vient d'être bouleversée par cette apparition funeste. Par le bruit d'un vase qui tombe et se brise. Et Adriel il peut pas s'empêcher de penser qu'il aurait aimé ne jamais entendre ce bruit. Parce que la vision que ce bruit a provoqué le met dans tous ses états. Il est figé, peut-être pâle comme la mort. Il lève la main juste pour se frotter les yeux, pour s'assurer qu'il y voit clair. Qu'elle est bien devant lui, bien vivante. Et même si il frotte il doute quand même. Sa main retombe mollement le long de son corps, il mord dans sa lippe pour contenir un cri de stupeur. Il sait pas quoi faire, ne sait juste pas comment réagir. Alors il écoute, simplement parce qu'il a l'impression que c'est la seule, l'unique chose dont il est capable. C'est le bordel dans sa tête. L'endroit te manquait ? c'est étrange. Cette sensation de se retrouver face à une vieille amie et pourtant d'avoir l'impression de parler à une inconnue. Parce que c'est un peu ce qu'ils sont maintenant, l'un pour l'autre. Des inconnus. Des amis perdus de vue.

Pire que ça, il la croyait morte. Alors elle peut s'excuser mais pour lui c'est trop. Il sait juste pas comment gérer la situation. Son regard est fuyant, il veut s'accrocher à tout, à n'importe quoi sauf au visage de la jeune femme. Parce que dans sa tête ce n'est pas possible. Qu'elle soit là, qu'elle se tienne devant lui. Ce n'est pas possible parce qu'elle est morte. Il se mord l'intérieur de la joue, passe sa main tremblante dans ses cheveux. Il voudrait tendre la main pour toucher la peau de Sinned. Mais il ne le fait pas, il pense que c'est pas respectueux. Ou peut-être qu'il a peur. Qu'elle ne soit qu'un mirage, qu'une image dans sa tête. Que ses doigts traversent sont corps comme du vent, que son corps ne soit pas solide et que la vision s'évapore dans l'air. Est-ce que t'es vraiment là ?
Il se sent idiot mais il a besoin de réponse, il a besoin de savoir. Et il a l'impression qu'il ne connaîtra jamais la vérité. Mais il est peut-être pas en droit de la lui demander. Parce que si elle est devant lui c'est qu'elle est vivante. Si elle est vivante, elle a fait croire à sa mort. Et il se demande bien, Adriel, ce qui peut pousser une personne à ça. Ce qui peut pousser quelqu'un à faire croire à son entourage que l'on est mort. Ou est-ce que t'es un fantôme ?

Il faut qu'elle mente. C'est si facile, elle en a l'habitude. Dire quelque chose qu'elle ne pense pas vraiment, avec autant de conviction que si elle y tenait vraiment à coeur. Elle n'a qu'à faire comme-ci elle obéissait simplement à un ordre et que  celui-ci vient d'en haut ; elle ne peut s'y soustraire ainsi. Pour sa propre sécurité, c'est mieux ainsi, de mentir, de tromper. Pourtant, l'hésitation l'étreint. Elle ne veut pas lui faire plus de peine, elle n'aimerait pas causer encore du tort aux gens. Sinned a beau agir de manière pragmatique et sans émotion, elle n'est pas dénuée de sentiments. Elle n'est pas une machine, même si on l'a formée pour ne pas penser, ne surtout pas remettre en question ses ordres. Elle fait simplement la part des choses entre ce qui représente son travail et sa vie privée, mais on ne peut pas lui enlever son humanité. Elle n'aime pas la souffrance. Bien que les dernières années présentent une certaine absence de vie privée. Est-ce qu'on peut vraiment parler de vie privée ? Il n'y a pas grand chose qui lui appartiennent strictement, qui n'ait pas le sceau de la CPIM au dessus. Même son âme soeur est liée à cette organisation. Toute sa vie, il n'y a eu que ça.
Servir, le devoir pour la patrie, sans jamais voir autre chose. Le moindre de ses hobbies ayant une portée politique. Même quand elle agissait toute seule pour défendre des femmes, ce n'était pas innocent et elle le savait très bien.
L'envie grisante d'avoir un jardin secret, de mettre quelqu'un dans la confidence lui brûle les lèvres maintenant. Il lui suffit de s'approcher un peu plus et prendra sa main. Mais sans doute qu'il ne sentira que la fraicheur de ses doigts, comme ceux d'un mort. Sa réaction à tout de quelqu'un qui voit un fantôme. Le visage aussi blanc que le vase brisé. Quelque chose dans son regard qu'elle déteste, sans mettre le doigt dessus. Elle n'aime pas être dévisagée de la sorte, détourne le regard. Elle, elle ne sait pas ce que c'est de voir un mort. La seule fois où elle s'est retrouvé elle aussi en face de la faucheuse c'était à travers des paroles rapportées. Elle n'a pas eu le droit au fantôme de sa mère. Ce n'est pas pareil quand on ôte une vie aussi. C'est tout aussi froid. Mais passé les émois et les hauts de coeurs du début, il n'y a plus rien.
Quelle chose horrible est-elle devenu. Fantôme, démon. Elle est mauvaise augure. Sin profite qu'il fasse écho à sa propre phrase pour détourner la question sur son existence réelle ou non. Les petits poings serrés. Ses ongles marquent la paume de ses mains tellement elle serre fort. Elle s'imagine le serrer fort dans ses bras, mais à ce moment là il se rendra compte qu'il ne s'agit pas d'une illusion. Elle n'est pas vraiment sensée être vivante non plus, pas plus que morte. Les fleurs. Oui. Où je suis, il y a beaucoup de fleurs, mais c'est pas pareil. C'est à double sens. Car sur terre en effet il y a de belles fleurs. Gigantesques, qui font la taille de sa tête et qu'elle s'amuse à cueillir. Elle fait des teintures avec les pétales des grosses fleurs jaunes et s'est amusée à rendre ses cheveux plus blonds. Elle voudrait lui partager cette astuce, lui rapporter de ces gros tournesols qui n'en sont pas de vrais. Que serait leur amitié si elle disait la vérité  et s'ouvrait un peu ? Lui partageait au moins une miette, un espoir. On dirait bien ? C'est ce qui se dit , que je suis morte ? Romir a bien fait son travail au moins. Il l'a vraiment entrée. Je ne m'en rends pas bien compte. Elle ne veut même pas le regarder dans les yeux. Lui mentir ouvertement avec cette force. Ce n'est pas juste. Mais il ne peut pas savoir.

Il n'a aucune idée de la manière dont il doit appréhender la situation. Il se contente de fixer la silhouette face à lui, celle de son amie disparue, censée être morte. Elle lui paraît quand même bien réelle. Il est partagé entre des émotions diverses, entre l'envie de tendre la main pour voir si ses doigts passent à travers son corps ou si il peut la toucher, si elle est une forme solide. Il ne le fait pas, sans doute qu'une part de lui a peur de la réponse. Il ne sait pas non plus si il doit se réjouir de sa présence dans sa boutique. Il est complètement paumé. Sans doute qu'au fond il est content qu'elle soit là, content de la retrouver. Parce qu'ils étaient peut-être pas proches comme des meilleurs amis mais il l'appréciait. Et il est content de constater qu'elle n'est pas morte. Mais quand il réfléchit à tout ça quelque chose d'autre le ramène dans une réalité bien différente. Peut-être qu'il est fou. Peut-être qu'elle est vraiment morte et qu'il ne fait qu'imaginer la discussion. Peut-être que ce n'est qu'un rêve. Trop de possibilités d'explications se bousculent dans sa tête, aucune ne lui convient vraiment. Il remarque que depuis plusieurs minutes il se pince machinalement la peau de son bras, c'est ce que les gens font quand ils ont l'impression de rêver. Sauf qu'il a beau pincer, il ne se réveille toujours pas. Il garde les yeux grands ouverts sur la jeune femme. La sensation est déplaisante, il ne se sent pas à l'aise et voudrait sans doute être à des kilomètres de sa boutique présentement. Un frisson remonte le long de son dos jusqu'à caresser sa nuque de son voile glacé. Le silence s'est installé si bien qu'il a la drôle d'impression d'entendre son cœur tambouriner à ses oreilles. Il se demande aussi ce qu'elle lui veut. Peu importe ce qu'elle est, vivante ou morte. Si elle est vivante pourquoi elle est revenue, si elle est morte pourquoi elle vient le hanter, il a envie de savoir autant qu'il fuit la réponse.
Elle brise le silence alors il redresse son visage vers elle. Le sien s'illumine quelques secondes lorsqu'elle parle de fleurs, l'endroit doit être sympa dans ce cas si il y a des fleurs. Il se retient d'en parler, de poser les questions, de demander comment sont les fleurs. Parce qu'il ne veut pas que le fleuriste prenne le pas sur l'ancien ami dans cette discussion. Si elle reste il aura le temps de lui poser mille et une questions au sujet de ces fleurs, et de comment s'en procurer. Tu es bien là où tu es ? Tu es heureuse ? il l'espère en tout cas, elle le mérite. Il pose son regard sur le sol où les débris de vase gisent encore. Sans lui peut-être qu'elle serait passée dans sa boutique sans qu'il ne la remarque. Et il se dit que la situation serait différente parce que maintenant il va devoir vivre avec ça. Avec ses nombreuses interrogations, avec ses nombreux doutes. En se demandant sans cesse pourquoi elle est revenue, ce qui lui est arrivée, pourquoi elle est considérée comme morte. Elle lui paraît tellement vivante. Mais elle entretient le mystère avec ses propos. Il fronce les sourcils, secoue la tête et se mord l'intérieur de la joue. Les morts ne cassent pas les vases. la réflexion peut paraître débile mais elle se tient pourtant, un fantôme serait passé au travers du vase mais la jeune femme face à lui l'a fait tomber et c'est peut-être la preuve qu'elle est bien vivante.

Elle est heureuse où elle est, c’est un constat qui illumine soudainement son visage. Elle se surprend a vouloir sourire de tout son coeur et lui raconter pendant des heures combien sa vie est plus saine depuis qu’elle est sur Terre. Briser cette petite comédie et s’excuser, mais aussi, lui dire pourquoi tout cela en valait la peine. Tout le mal qu’elle a fait et comment elle peut maintenant porter ce poids sur ses épaules, depuis qu’elle a enfin apprit à s’écouter. On lui a si souvent fait remarquer que ses idées étaient brusques et mauvaises qu’elle s’en est toujours persuadée. Mais Sin survit mieux seule et sous sa simple responsabilité. Depuis qu’elle a lâché l’affaire avec une vie de poursuites, de meurtres et de secrets, son corps peut la remercier. Elle ne prend plus autant d’alcool qu’avant, cela doit se sentir sur son teint d’albâtre, il a l’air moins cireux et hagard. Elle est toujours fatiguée bien sur, mais elle ne peut pas se droguer, ou alors, elle le fait avec de l’air frais et de véritables balades en pleine nature. Son humeur va mieux, ses poumons vont mieux. Néodam la blessait, sans qu’elle ne veuille se l’avouer. Tout était si pollué. Rien à avoir avec la luminosité d’Altéa sa mère patrie. Là où elle est, la blonde se rapproche le plus du paradis, un refuge. Il y a des dangers dans la forêt, il y a de véritables monstres qui se tapissent sous des feuilles qui font deux fois sa tête. Tout comme il y a des miracles et une eau véritablement pure, si on sait où chercher et où regarder. Ce n’est pas ses yeux de barbare qui ont su d’eux même, elle a du apprendre. Mal lui a apprit, reconnaître même les plantes médicinales. Elle trouve qu’elle s’entendrait sans doute avec Adriel. Mais ils n’auront jamais l’occasion de se rencontrer. Je suis plus heureuse où je suis, je suis enfin en paix. Elle ne pensait pas, Sin, trouver un jour une paix intérieure. Elle ne connaissait rien de ce sentiment avant de le ressentir.
Malheureusement, son ancien ami réfléchit trop. Sin n’a jamais été une penseuse. Nimh gagnait toujours à ce jeu là. La blonde ne sait mentir que lorsqu’on lui a préfabriqué son discours. Elle ne sait le faire que dans le cadre de son ancien métier, en face de plusieurs personnes, sans fixer quelqu’un en particulier. Le mensonge de masse, c’est plus simple. Face à une seule personne, de trop nombreux critères sont à prendre en compte. Comme par exemple, leur degré de crédulité. Et sans doute que les fantômes ne deviennent pas tout rouge non plus, quand ils se sentent découvert. Sinned perd peu à peu son masque et se fait fuyante. Elle ne sait plus quoi dire exactement. Maintenant qu’une vérité risque de lui attirer bien plus d’ennui. Elle meurt d’envie de se gratter derrière la nuque, qu’elle sent chauffer autant que ses joues – elle ne sait pas d’où lui vient le réflexe. Elle ferait mieux de reprendre son calme avant de se trahir. Faire le piquet est sa seule option valable. Je sais pas comment ça marche. Un fantôme n’est pas forcément conscient de ce qui lui arrive, non ? Elle espère, que certaines personnes peuvent le croire. Qu’elle passera pour une âme égarée. Égarée au paradis. Oui, elle s’enfonce. Que sais-tu des esprits ? Un moyen d’obtenir des informations en semant le doute. Sinned opte pour la manipulation, priant pour faire mouche.
Ironique, un fantôme qui prie.

C'est très bizarre de se retrouver face à elle. Encore plus bizarre est cette sensation qu'il a l'impression de ne pas être à sa place, pourtant il est dans sa boutique et celle qui jure dans le décor c'est plutôt elle. Sauf qu'il a l'impression de la déranger, qu'il est pas pas au bon endroit et surtout pas au bon moment. Qu'il vient de casser quelque chose en débarquant, autre chose que le vase éclaté en plusieurs morceaux. Il mord l'intérieur de sa joue. Peut-être dans l'espoir d'être certain que la situation est réelle, qu'elle n'est pas un fantasme de son cerveau. Pourtant il n'est pas particulièrement fatigué, il croit. Pas au point d'avoir des hallucinations en tout cas. Il ne se drogue pas, il refuse de toucher à la drogue et pense que c'est de la saloperie. Il ne touche pas vraiment à l'alcool non plus, peut-être qu'il boit un verre ou deux par semaine. Mais sans plus parce qu'il ne veut pas tomber là-dedans, il a peur de l'addiction. De pas réussir à s'en sortir si il devient accroc à quelque chose d'aussi dangereux, aussi néfaste pour la santé. Alors non, elle n'est pas une apparition décidée par la drogue ou par la drogue. Elle lui semble réelle, quand il lui parle elle répond. Et la voix ne lui semble pas venir d'outre-tombe.
Elle est devant lui. Il en est quasiment certain. Forcément il garde une infime part de doute parce que tout est possible, qu'il peut pas être sûr à cent pourcents de ce qu'il se passe, même dans sa boutique. La situation lui échappe complètement, il le sait. Et elle fait rien pour l'aider. Parce que ses réponses ne font que créer des questions en plus dans sa tête, qu'il se retient de les poser en plus de ça pour éviter de mettre le bordel dans la tête de son interlocutrice. Et parce qu'il est pas certain de vouloir obtenir certaines réponses, que de toute manière c'est un cercle vicieux, c'est le serpent qui se mord la queue. Je suis content pour toi alors. il esquisse un petit sourire, léger et presque transparent sur ses lèvres, simplement les commissures qui se relèvent. Il passe sa main derrière sa nuque, se mord la lèvre inférieure et ferme les yeux.
Il a l'impression de suffoquer, sa boutique lui paraît soudainement beaucoup plus petite que d'habitude. Il braque son regard sur elle, un rire s'échappe légèrement de sa gorge. Il hausse les épaules, il sait pas où elle veut en venir. Il s'y connaît pas, en esprits. Parce que c'est pas un sujet qui l'intéresse particulièrement, alors pourquoi s'y pencher ? Et ça l'inquiète, le simple fait d'imaginer qu'une personne puisse être là, l'observer sans qu'il le sache, sans qu'il la voit. Mais justement c'est comme ça qu'il s'imagine un esprit. Une entité transparente, du vent ou de l'air. Pas une forme, certainement pas une forme humaine qui se matérialise devant lui, pas une forme qu'il peut voir de ses propres yeux.  Je sais rien. il avale sa salive avec difficulté.  Je suppose que si tu étais vraiment un esprit je ne pourrais pas te voir. Enfin ... j'imagine, tu sais, comme les fantômes translucides un peu. il plisse les yeux, marque une petite pause pour faire le tri rapide dans ses pensées, pour mieux poser ses mots.  Je me dis que si tu étais un esprit je pourrais pas te toucher tu vois, et je sais pas pourquoi mais ... je pense que si je tends le bras, mes doigts ne vont pas passer à travers ton corps.

Elle est égoïste, mais c’était plus fort qu’elle, pour une fois qu’elle s’écoute un peu. Il fallait qu’elle erre encore un peu ici, qu’elle se souvienne de tout ça, qu’elle s’imprègne d’un peu de ces parfums de fleurs avant de retourner d’où elle vient pour ne jamais revenir. Elle voulait revoir son visage. Parfois les souvenirs ne sont pas assez exact, surtout les siens. Il n’y a qu’une image globale, mais on oublie la couleur des yeux, une fossette. Et Sin oublie souvent ceux qui concerne les autres, elle ne fixe pas les sourires, elle se souvient d’avantage des paroles et de ce qu’on a fait pour elle. Elle voudrait savoir comme font les autres, comment on peut conserver autant de choses dans aussi peu de place.  Dans son esprit, tout a toujours été très turbulent, comme dans une tempête. Elle n’entend que les échos et elle doit s’orienter à travers une brume épaisse.
Pour cette situation, elle est la seule à blâmer, mais ça en valait la peine. Maintenant, elle sait que ceux qu’elle a laissé derrière se portent bien, en apparence. Elle s’en satisfait. Elle s’imagine un instant tendre la main, le prendre dans ses bras d’une manière réconfortante et faire ce que tous les gens font face à quelqu’un en état de choc. Elle ne sait même pas si ce contact serait agréable, elle est terriblement maigre, on peut sentir ses os quand elle enlace quelqu’un. Elle ne doit pas sentir la rose et plus encore, elle ne s’y connaît passer en contact humain.  La blonde se pince les lèvres et finit par soupirer. « Parfois, c’est mieux de ne pas savoir. » C’est mieux de ne pas trop s’y attarder. Sinned ne croit pas aux esprits, elle. Elle sait que ça n’existe pas. Elle le saurait si c’était le cas, elle aurait plusieurs fantômes en colère dans son ombre, prêt à lui reprocher les mauvaises actions, les ordres trop rapidement exécutés. Ou encore, elle aurait revu sa mère dans ses songes. Mais ça n’existe pas. La blonde est terre à terre, il n’existe pas de secondes chance comme celles-ci et pour cette raison, il est important de profiter de ce qu’on a tant qu’il est encore présent. Mais peu de personnes  savent le faire et elle est la première, elle passe à coté des gens sans se rendre compte ni du mal qu’elle fait, ni de ce qu’elle rate par fierté. Comme-ci c’était une honte, de s’attacher à quelqu’un, d’éprouver des sentiments, de l’inquiétude. L’ex warden sait maintenant qu’elle ne peut pas rester plus longtemps où Adriel finira par briser la distance et vérifier la chose de lui même. Elle ne veut pas assumer les conséquences de sa supercherie, ni évoquer le pourquoi du comment elle s’est retrouvée à mentir. Elle ne veut pas lui dire droit dans les yeux qu’avant de disparaître, elle effaçait l’existence d’autres gens.
Elle préfère qu’on ne sache jamais qui elle était et qu’on ne garde qu’un vague souvenir d’elle, pas qu’on s’en souvienne comme d’une assassin. Les autres ne comprendraient pas pourquoi elle a fait tout ça, pourquoi il était si facile de répondre à des ordres sans avoir à se poser de questions. Aujourd’hui, le poids des remords lui suffit comme peine. Elle s’agenouille pour récupérer les éclats de verre gisant toujours à ses pieds. A l’aide de son pouvoir, elle s’attelle à le réparer, délicatement. Rapidement. Efficacement. Un vase n’est rien pour une Warden, pour elle qui s’est habituée à forger l’acier. Elle le repose sur le présentoir,  avec les fleurs dedans. « On peut faire comme-ci il ne s’était rien passé, que tout ça n’est pas arrivé. » Elle évite toujours son regard. « Tu n’aimerais pas la vérité. » Un sourire espiègle se dessine sur ses lèvres. Elle essaye de se convaincre elle même.
Non. Ils n’aimeraient vraiment pas la vérité.
Ils n’aimeraient pas savoir ce que leur gouvernement leur cache.