(#1) meerhan + the stars told me you needed someone.

Yohan voit qu’Alex le regarde avec les sourcils froncés, et il se redresse immédiatement avec un sourire trop enthousiaste pour être sincère. Il met deux fois plus de temps qu’avant pour reprendre son souffle, en ce moment, et ça le rend dingue que ça ne passe pas inaperçu. De la part de ceux qui le connaissent depuis longtemps, encore. Mais non, c’est toujours Alex qui le regarde avec inquiétude ou suspicion, toujours elle qui lui lance des questions silencieuses à la fin des entraînements. Il se dérobe de son regard et file rejoindre Oskar qui distribue des bouteilles d’eau à tout le monde. « Let’s take five, guys. Get some fresh air. » Yohan ne se fait pas prier, et il met autant de distance que possible entre lui et la manipulatrice de la terre, avant qu’elle n’ait l’idée de venir lui parler, suivant Oskar et Evan qui se sont déjà élancés dans une course effrénée vers le toit - comme s’ils n’avaient pas déjà assez couru comme ça. Le centre d’entraînement n’a rien à voir avec celui qu’ils fréquentaient aux débuts des Misfits. Il se souvient des salles trop petites pour eux, des bleus et des coupures qu’ils s’infligeaient par accident à cause du manque d’espace. Il se souvient des commandes de pizza, consommées directement au sol à deux heures du matin après dix heures à s’entraîner presque sans pause. Il se souvient des nombreuses nuits qu’ils ont passé dans l’ancien centre, tous trop crevés pour rentrer chez eux. Il se souvient des longues discussions qu’il avait avec Eliott, quand tous autour d’eux étaient endormis, et de cette douce impression d’être seul au monde avec lui. C’était une autre époque - Yohan a parfois l’impression que c’était une autre vie. Aujourd’hui, même s’ils n’ont pas le standing des grandes équipes de wardens, les Misfits s’en sortent très, très bien. C’est à Soho qu’ils ont établi leur nouveau centre d’entraînement il y a près d’un an, et Yohan le trouve presque trop grand pour eux, parfois. Ils ont des vestiaires dignes de ce nom, une infirmerie, Zachariah a un bureau, et ils ont même des dortoirs en cas de besoin. Le luxe. Et puis il y a ce toit, qui donne sur la plage, sur lequel ils restent parfois boire des bières et faire des barbecues alors que le soleil se couche - toujours un peu comme une famille même si tout n’est pas parfait. Yohan sait qu’il devrait être content de ce changement. Mais ça lui manque, parfois, l’impression d’être dans un cocon avec les autres membres de l’équipe.
Ou peut-être tout simplement que c’est Eliott qui lui manque.
Ou la sensation d’être en bonne santé et d’avoir toute la vie devant lui.
Yohan s’allonge de tout son long sur le toit, alors que les deux autres courent vers le rebord et inspirent bruyamment l’air marin. Alex, Tony et Tori sont aussi montés, mais font moins de raffut, évidemment. L’airbender inspire et expire, laisse le soleil d’Altea lui réchauffer le visage. Cinq minutes, c’est loin d’être assez. Il lui faudrait vingt minutes. Deux heures. Une bonne nuit de sommeil. Deux semaines de vacances, même - dans un spa hors de Central City pour se requinquer. Mais bon. Pas aujourd’hui.
Un sentiment de panique le fait ouvrir les yeux et se redresser brusquement. Il pose une main sur son coeur, qui se remet à battre la chamade alors qu’il est au repos. Ça ne vient pas de lui. Il parie d’abord sur Malia ou Milena, avant de se rendre compte que c’est Neha. Il maudit son incapacité à pouvoir communiquer directement avec elle. Il la maudit. « Ça va, mec? » La main de Tony s’est posée sur son épaule au moment où Yohan sent le truc dans sa poitrine, le truc qui lui annonce que son corps ne va plus lui appartenir. Et il sait déjà que pour que Neha fasse ça, c’est que quelque chose de grave est en train d’arriver - ils n’aiment pas trop l’échange de corps, en temps normal. « Je suis désolé. » Neha prend le contrôle et court au bord du toit. Yohan reprend les rênes - ayant plus ou moins compris qu’elle s’apprête à  « Dites que je me sentais pas bien. » Il déteste confirmer les doutes d’Alex sur son comportement bizarre, mais tant pis. Neha veut aller quelque part, il le sent, alors il garde le contrôle de son corps pour sauter par-dessus de la rambarde. Il s’accroche à la gouttière pour descendre à la sauvage la façade du centre, et il laisse son corps à Neha dés qu’il a touché le sol. Pendant un temps qu’il n’arrive pas à mesurer, il se retrouve dans son corps à elle, à s’imaginer mille scénarios, à faire les cent pas dans une pièce métallique de laquelle il n’ose pas sortir. Il n’a pas hésité une seconde - c’est à quel point il a confiance en la terrienne. Ce lien qui les unit dépasse tout, même son attachement aux règles et aux responsabilités - il n’arrive pas à l’expliquer. Neha le rappelle - il le sent dans ses tripes - après un long moment. Quand il retrouve son corps, il est plus fatigué que jamais. Ses poumons cherchent de l’air, ses jambes semblent vouloir se dérober. Neha a dû courir, et clairement, elle a pas fait semblant. Yohan comprend qu’il est à Oriel en quelques secondes, et laisse son regard courir sur les environs, un peu déboussolé. S’il y a un message, il ne le comprend pas. Les jambes un peu tremblantes, il avance de quelques mètres, cherche un sens à ce qui vient de se passer. Il s’apprête à forcer un nouvel échange de coeur pour poser des questions à la terrienne via l’écriture partagée quand il aperçoit la chevelure d’ébène et la peau sombre, assise par terre contre un mur. Yohan sent que son coeur a un petit raté, mais c’est un grand sourire qui s’affiche sur ses lèvres quand il la reconnaît. C’est donc elle. Meera. Le terme de jumelle n’est pas sorti de nulle part : elle est un sosie parfait de Neha, dont Yohan connaît bien le visage après ces longues discussions par miroirs interposés. Il n’hésite pas une seconde - il sait la gamine plutôt dangereuse mais c’est comme s’il la connaissait déjà, lui faisait confiance - et se rapproche, avant de s’accroupir devant elle, uninvited.. « Meera ? » Il pose son menton dans sa main, souriant. « Is everything ok? » Il se doute que non, si Neha l’a envoyé là. « Someone on earth seems really worried about you. » Il lance un regard complice, même si c’est la première fois qu’ils se voient. Il aura toujours la Small Science de son côté si la jolie brune essaie de lui faire la peau.

Il a failli la tuer. Il a failli la tuer pour de vrai. Il a failli la faire se tuer.

La haine de Meera envers Dagan n’est pas neuve, elle a été nourrie par des années de rencontres par reflets interposés, par chaque regard adressé à la peau à jamais marquée de son avant-bras, décolorée et ridée par la brûlure avec laquelle il aurait voulu la tuer justement à leur première rencontre. Mais On (le Destin, Dieu, l’Univers, elle ne sait pas trop) l’a sauvée en lui offrant un pouvoir considérable sur lui, il est incapable de l’approcher sans souffrir le martyr et elle n’y est pour rien, mais elle adore ça, adore la protection que ça lui offre, maigre compensation au fait de savoir qu’elle ne pourra jamais le tuer, membre de son cluster oblige. Sauf que lui a moins de remords. Lui l’a regardée dans les yeux, avec ses yeux à elle et a levé son pistolet à sa tempe avec sa main. Il allait la tuer, sans même la toucher, sans même ciller, il allait la faire se tuer. Meera n’a jamais tant haï et ne haïra jamais tant quiconque que Dagan.

Il ne l’a pas fait finalement, n’a pas appuyé sur la gachette avec son propre index et elle pourrait prendre le temps de se demander pourquoi, elle pourrait essayer de se dire qu’il ne l’aurait pas fait, qu’il ne peut pas, parce qu’ils sont liés et que ça doit être interdit par les lois de l’univers de tuer un membre de son cluster, surtout en passant par son propre corps, mais ce monde dans lequel elle a échoué il y a des années défie déjà les lois de l’univers, preuve en est les pouvoirs démoniaques maniés par chaque altéan. Il ne l’a pas fait et elle a fuit jusqu'à son territoire, à Oriel, et elle est en vie comme le prouve son cœur qui bat la chamade dans sa poitrine et l’assourdit presque, mais ça ne lui apporte aucun réconfort. Elle est vivante et en un morceau et il n'est pas là, mais elle se demande ce qui serait différent dans le Monde — le monde entier, celui-ci et tous les autres — s'il avait appuyé. Ou plutôt, elle sait ce qui serait différent : rien. À Néphède elle est déjà morte. À Altéa elle a des gens avec qui elle travaille, deux trois personnes qui seraient embêtées par sa mort, personne pour la pleurer. Et elle s'en fiche, ce n'est pas important évidemment, l'important c'est qu'elle soit en vie, et qu'elle puisse espérer prendre sa revanche sur Dagan pour lui avoir faire la peur de sa vie (il est doué pour ça, vu qu'à cause de lui déjà elle a une peur panique du feu). Mais quand elle s'arrête, les poumons en feu d'avoir couru comme pour mettre le plus de distance possible entre elle et le dernier reflet aperçu de Dagan, tremblante, finissante recroquevillée contre un mur quelconque dans une ruelle vide, elle se rend compte d'à quel point elle est seule. Elle a des choses à faire, des gens avoir, pour donner un compte-rendu de la mission que Dagan a failli faire capoter. Elle a un toit et un lit et des camarades de gang. Elle a un cluster, aussi, mais il y a Dagan dedans. Et elle a Neha, mais elle aime pas inquiéter Neha et elle se demande parfois même si elle a pas juste inventé Neha. Elle ne s'est jamais sentie aussi fragile depuis ses premiers jours à Altéa. Et même si elle a rejoint un gang pour être entourée, pour faire partie de quelque chose, pour un peu plus de sécurité aussi, elle se rend compte que rien n'a changé : comme le jour où elle a débarqué par un portail sans s'en rendre compte, elle est seule dans ce monde.

Elle a failli mourir et y aurait eu personne pour être triste, personne pour essayer de la sauver non plus. Pire, pour sa famille, la vraie, ça n'aurait fait aucune différence. Meera a l'impression qu'elle va être malade, vraiment physiquement malade comme quand elle a été un peu trop enthousiaste avec sa nourriture la première fois qu'elle a eu plus d'un plat devant elle après des mois de famine. Elle va être malade et elle n'arrive pas à s'empêcher de trembler ou à calmer les acouphènes dans ses oreilles créés par les battements trop brusques de son cœur. Elle est vulnérable, assise par terre en plein jour à Oriel, et elle n'arrive pas à se secouer, à se relever…elle n'arrive même pas à entendre Neha. Peut-être qu'elle n'est pas là, peut-être qu'elle est occupée, peut-être qu'elle s'en fout. Après tout Meera n'est pour elle qu'une fille dans sa tête.

Elle n'entend même pas la personne qui s'approche tout doucement de sa figure toujours tremblante. Ou peut-être que si, mais qu'elle s'en fiche, qu'elle n'a juste rien à perdre en cet instant précis. « Meera ? » Elle ne reconnaît pas la voix, étrange, d'ordinaire c'est plutôt elle qui connaît les gens tout en sachant garder son anonymat. Elle relève les yeux vers l'inconnu, qu'elle n'a effectivement jamais vu de sa vie et qui a l'audace de lui sourire. Normalement il ne devrait pas pouvoir s'approcher si près sans qu'elle ait déjà une lame dans la main, voir contre son cou. Mais elle le regarde juste, s'attendant à tout, à rien, en cet instant elle s'en fout vraiment. « Is everything ok? » Elle renifle. Non. Mais qu'est-ce que ça peut bien lui faire à lui ? Une partie d'elle s'insurge déjà, elle n'a jamais aimé la pitié des autres ni à Néodam ni encore moins ici depuis qu'elle s'est forgée une nouvelle identité, une nouvelle carapace. Elle n'a aucune idée de qui elle a en face d'elle, mais elle sait qu'il ne vient pas d'Oriel, ça c'est certain. Pas besoin d'y avoir passée la moitié de sa vie, c'est depuis la naissance qu'elle sait reconnaître ce qui sont comme elle et puis les autres, ceux des slums de Néodam et ceux de Casma sur Sigan qu'elle a vu à travers les yeux de Kareem. Peu importe la dimension y a des pauvres et des riches et des gens au milieu partout. Et quand quelqu'un n'est pas à sa place, ça se voit. Le bout de ses doigts la titille déjà, le besoin de ses dagues se faisant ressentir. Ce type veut lui faire la charité et ça lui est insupportable. « Someone on earth seems really worried about you. » Ces mots l'arrêtent avant qu'elle n'ait eu le loisir d'esquisser le moindre mouvement. Le regard complice qu'il lui offre rencontre un mur qui failli légèrement alors que ses propos impossibles commencent presque à faire sens. You can trust him. Neha est là de nouveau, dans toute la chaleur qu'elle apporte à ses pensées, elle est là avec du retard…sauf que peut-être pas, justement. No one cares, devrait-elle répondre, mais y a Neha dans sa tête et dans son cœur et elle ne sait pas si sa rétorque serait vraiment fausse, mais elle la garde pour elle. « And who are you? » Mais la réponse lui vient déjà, par la voix si familière et tout simplement identique à la sienne de Neha. C'est un bout de son immense cluster. Yohan, lui souffle simplement son double et elle sait que ce n'est pas tant pour lui donner son nom que pour lui assurer de nouveau qu'elle le connaît et qu'elle peut lui faire confiance que c'est grâce à Neha qu'il est là. « I don't need your charity. » inutile de masquer l'amertume dans sa voix, ni le fait qu'elle s'adresse aussi bien au jeune homme devant elle qu'à la fille dans sa tête. Elle n'a besoin de personne, elle est seule, elle a survécu seule et elle s'en sortira seule et comme pour le prouver elle se redresse brusquement sur ses pieds, son agilité habituelle lui faisant toutefois défaut, elle tremble moins et Yohan l'a distrait un bref instant, mais elle s'adosse au mur dès qu'elle est debout comme incapable de tenir sinon. « I-I don't know what she told you but I have nothing to offer you, there's nothing for you to gain in helping me. » Non qu'il ne puisse l'aider de quelque manière que ce soit, de toute manière. Elle essaye d'ignorer le heurt qui se fait aussitôt ressentir dans sa poitrine et qui appartient à Neha. Elle ne doute pas que celle-ci a de bonnes intentions (même si oui, une part d'elle pense que Neha a peur pour elle parce qu'elle a peur pour elle-même tout simplement, parce qu'elle a peur de devenir folle en la perdant, moins parce qu'elle tient à elle, que parce que la perte de ce genre de lien peut rendre fou), mais l'autre elle ne le connaît pas et il a l'air gentil c'est vrai et plutôt inoffensif, mais Meera est la preuve même qu'il ne faut pas se fier aux apparences, jamais.

Yohan doute, cependant, qu’elle lui fasse quoi que ce soit. D’abord parce que ce serait débile de l’attaquer pour rien, et surtout… Neha ne la laisserait pas faire n’importe quoi. Et puis, si Neha l’a embarqué dans tout ça, c’est bien que Meera en avait besoin, pas vrai ? Elle va donc l’accueillir avec bienveill- oh oh. Le prunelles de la jeune fille sont bien plus froides que ce qu’il attendait. Il sait qu’il ne pouvait pas s’attendre non plus à ce qu’elle s’ouvre à lui comme s’ils se connaissaient depuis des années mais… Clairement, elle n’a aucune envie de lui parler. Aucune. Ça le surprend, Yohan, de voir autant de distance et de rejet dans ses yeux. Il a pas l’habitude de voir ça dans les yeux de Neha, ça l’attriste plus de que de raison. Il sait qu’Ameera n’est pas Neha, mais il ne peut s’empêcher de faire le lien, et de se promettre de ne jamais faire quelque chose qui pourrait justifier que Neha le regarde comme ça aussi.
Bon, en tous cas, ça promet de pas être simple. « And who are you? » Il ne se départ pas de son sourire, optimiste malgré ce premier abord revêche. « Yohan. » Mais il a comme l’impression qu’elle connaît déjà la réponse, soudain. Elle n’est même pas surpris - Neha a dû lui dire. Plus d’une fois, il a entendu parler de leur lien, mais il a encore du mal à saisir comment ça marche. Apparemment, elles peuvent communiquer comme si elles partageaient le même esprit. Ça lui paraît impossible… Mais Yohan n’est pas du genre à croire que ce qu’il voit, alors si Neha le dit, c’est que ça doit être vrai. « I don't need your charity. » finit par dire Ameera, un peu sèche. Elle se redresse immédiatement sur ses pieds, et il suppose qu’elle va le fuir comme un chat sauvage. Mais non. Elle reste adossée au mur derrière elle, comme si elle ne voulait pas vraiment partir. Est-ce qu’elle ne veut pas vraiment partir, ou est-ce qu’elle ne peut pas ? Yohan n’a aucune idée de ce qui se passe ou s’est passé, alors il a un peu de mal à savoir comment aborder la situation au mieux. « I-I don't know what she told you but I have nothing to offer you, there's nothing for you to gain in helping me. » Yohan fait une grimace et fronce les sourcils. « Who said I was expecting anything ? » dit-il, presque un peu vexé. Il se demande si elle cherche juste à le faire fuir, ou si elle dit ça parce qu’elle n’est pas habituée à être aidée sans être redevable. Il espère que sa première supposition est la bonne, mais le peu qu’il connaît de la jumelle de Neha le pousse à miser plutôt sur la seconde.
« Are you telling me she made me run from Soho to this place for nothing ? » Il pose ses mains sur ses genoux. Il est sportif professionnel oui, mais les sprints sur d’aussi longues distances, c’est pas trop son truc. Son corps s’en remet encore, doucement mais sûrement.  « Tell her she’s a bitch, and tell her my body is not limitless. Please. » Il finit par se redresser et par observer les alentours. Il sait à peu près où ils sont. Il a beau avoir grandi à Soho et travailler là-bas, son appartement est ici, à Oriel. Il détonne toujours un peu dans ce coin quand il sort d’entraînement… Mais malgré sa mauvaise réputation, il a de l’affection pour cette partie de Central City. Elle lui rappelle les nombreuses nuits passées dehors, à s’entraîner avec des équipes de street dance dans le dos de son père. « She made me miss practice, and if I go back, the coach’s probably going to kill me. Might at least enjoy my last hours on this planet. » Ce n’est même pas une blague. Zach n’aura pas apprécié son départ brusque - surtout qu’ils étaient censés passer aux figures du feu et de l’air juste après la pause. Il va encore devoir trouver une excuse. « Tell me there’s good food around here. » Il pose de nouveau le regard sur elle et prend un air déterminé : « I don’t know what you were doing but… You have to come with me, otherwise Neha is going to kill me too. I’m pretty sure she would search the entire earth for a portal to come and tell me that she was expecting better. » Il lève de nouveau les yeux au ciel. Il ne plaisante qu’à moitié. « Also, you have to help me with finding a reason for jumping off the practice center and running away without saying where I was going. Tsss. Never leaving my body to Neha ever again. »
Il attend une réponse d’Ameera, incertain que cette manière de faire soit la bonne. Il avait comme l’impression, de toute manière, que jouer la carte de la douceur et de la pitié allait faire plus de mal que de bien. Quitte à devoir faire quelque chose pour elle - il n’a d’ailleurs encore maintenant aucune idée de ce qui s’est passé - autant qu’il profite de son escapade inattendue.

Meera doit arrêter de trembler, il faut qu’elle arrête de trembler, il faut qu’elle se ressaisisse et que son cœur cesse de battre aussi vite, que son sang se réchauffe un peu dans ses veines et qu’elle puisse tenir sur ses deux jambes sans avoir besoin du soutien d’un mur dégueulasse d'Oriel. Il faut qu’elle se reprenne, pour pouvoir fuir cette conversation qui n’a aucun sens et surtout aucun intérêt pour elle. Il faut qu’elle se reprenne aussi parce que Dagan n’en vaut pas la peine, parce qu’elle refuse qu’il ait eu un tel pouvoir sur elle encore, celui de la terrifier jusqu’au plus profond d’elle-même, plus encore qu’elle ne le croyait possible. « Who said I was expecting anything ? » Personne c’est vrai et elle entend clairement sa vexation aussi bien qu’elle ressent celle de Neha, mais il n’a pas besoin de dire qu’il s’attend à quelque chose en retour pour que Meera sache que c’est le cas. C’est toujours le cas. Rien n’est jamais gratuit, personne ne fait jamais rien pour autrui sans attendre un service en retour. C’était différent avant, quand elle était petite, quand elle était Ameera avec sa famille qui n’avait rien et lui donnait quand même tout. À Altéa elle a compris comme le monde est égoïste et elle l’est devenue, elle aussi. Le fait que Yohan le nie ne sait que la rendre encore plus méfiante à son sujet. Soit il ment éhontément soit il doit foutrement bien aimer Neha pour faire ça pour elle. Meera aimerait pouvoir dire que son cluster à elle est aussi soudé que ça. Mais dans son cluster y’a Dagan.

« Are you telling me she made me run from Soho to this place for nothing ? » La minuscule esquisse d’un sourire fend ses lèvres l’espace d’un instant, presque amusée par l’audace de Neha, Meera connaît très bien la distance imposante que représente une course de Soho à Oriel. Sa jumelle doit vraiment beaucoup tenir à elle — ou juste à sa propre santé d’esprit (non, elle n'a pas le droit de douter d'elle comme ça). Le jeune homme a l’air tout à fait à bout de souffle et elle fronce légèrement les sourcils parce qu’effectivement, elle a bien peur que Neha lui ait fait faire tout ce chemin pour rien. « Tell her she’s a bitch, and tell her my body is not limitless. Please. » Elle se mord l’intérieur de la joue pour ne pas laisser échapper un petit rire, ses yeux se plissant en même temps comme si le fait qu’elle apprécie son “humour” la rendait d’autant plus méfiante. Elle a confiance en Neha, ceci dit. Elle se force à respirer longuement, calmement, écouter Yohan râler ayant eu le mérite de la distraire de nouveau, calmer un peu ses tremblements. Elle transmet le message, mais pas le ricanement que lui rend sa jumelle. « She made me miss practice, and if I go back, the coach’s probably going to kill me. Might at least enjoy my last hours on this planet. » Meera se renfrogne, son dos s’appuie un peu plus contre la pierre, elle pense qu’il parle de tournois de Small Science, elle doit faire face à un Warden donc. Elle déteste ça. Elle les déteste eux. Ils lui font peur et ils sont anormaux — même si au contraire, c’est elle qui ne correspond pas à la norme dans ce monde — et dangereux et trop puissants. Elle espère que ce n’est pas le feu qu’il maîtrise. Aux petits tremblements s’ajoute un lourd frisson qui secoue son échine. Quelque part, sur Terre, elle peut sentir que Neha lui envoie une dose de réconfort, essaye de la calmer. Difficile. Presque efficace pourtant.

« Tell me there’s good food around here. » Meera plonge un regard surpris dans celui que lui adresse Yohan, comme si elle s’attendait véritablement à ce qu’il abandonne sa tâche. Elle n’est pas étonnée qu’il ne connaisse pas le quartier et les bons coins où manger en revanche, il n’a pas la dégaine de celui qui vit à Oriel. Le contraire serait étonnant, venant d’un Warden. « I don’t know what you were doing but… You have to come with me, otherwise Neha is going to kill me too. I’m pretty sure she would search the entire earth for a portal to come and tell me that she was expecting better. » Ça ressemble un peu à sa Neha effectivement, leur Neha plutôt, même si Meera est assez peu prêteuse. Elle a tellement peu qui soit à elle, tellement peu de gens de son côté (et pas juste du côté des Sister Morphine). « Also, you have to help me with finding a reason for jumping off the practice center and running away without saying where I was going. Tsss. Never leaving my body to Neha ever again. » Elle se mordille la joue de nouveau et fronce le nez, hésite plusieurs instants en regardant presque froidement le jeune homme. Elle ne le connaît pas — ce qui quelque part vaut mieux, la plupart des gens qu’elle connaît, elle ne les aime pas et ne leur fait pas confiance — il a trop de pouvoirs pour qu’elle puisse l’apprécier, et il est trop…gentil pour qu’elle ne s’en méfie pas. Mais c’est Neha qui l’a envoyé. Meera se demande si Neha serait vraiment triste de la perdre. Pas juste parce que ça risquerait de la rendre folle, mais parce qu’elle lui manquerait, parce qu’elle tient à elle, parce qu’elle l’aime. Meera ne sait pas si ne serait-ce que quelqu’un au monde, aux mondes l’aime. C’est pas très grave imagine-t-elle, c’est normal vu la vie qu’elle mène, mais c’est triste, de se dire qu’elle pourrait disparaître sans jamais affecter personne — sauf que c’est faux, elle affecterait quatre personnes qu’ils le veuillent ou non, parce qu’ils ont été liés par l’Univers et Dieu lui-même : son cluster et sa sœur. « There’s a fast food two blocks away. It’s decent. » Elle n'ira pas jusqu’à dire que c’est bon, surtout si son palais à lui est habitué à la nourriture de Soho. Mais ça se laisse manger, c’est parfois épicé, et ça ne rend pas malade, donc au standard d’Oriel c’est bon. Surtout, c’est pas cher. (Meera se demande si Yohan compte inviter). Elle vient d’accepter implicitement, mais elle n’a toujours pas bougé, ne s’est toujours pas écartée du mur, respirant lourdement par sa bouche entrouverte, comme si ce simple geste — se détacher du mur ou emboîter le pas à Yohan ? les deux peut-être — demandait un courage conséquent. « Ok. » souffle-t-elle en s’élançant un peu brusquement en avant, une part d’elle craignant encore de tomber, incapable de se soutenir elle-même, soulagée quand elle voit que ce n’est pas le cas. Elle est pathétique et elle a bien de la chance que ce ne soit que Yohan qui soit venue la trouver. « She likes you. » fait-elle en regardant droit devant elle alors qu’ils marchent côte à côte. « Neha I mean, » précision inutile, quand Neha est bien la seule chose qu’ils aient en commun. « She wouldn’t hurt you using your body. » Un simple fait lâché de manière plate ; il doit déjà le savoir malgré sa diatribe. Un peu d'amertume aussi, parce qu'elle ne peut pas en dire de même pour un certain membre de son cluster à elle. Ses poings se serrent violemment à ses flancs, ses ongles s'enfonçant dans ses paumes, mais elle ne s'arrête pas de marcher. « Not on purpose. » ajoute-t-elle finalement, avec le fantôme d'un sourire en coin qui n'atteint toutefois pas ses yeux. Ça devrait être évident quand on fait partie d'un cluster, d'une famille cosmique comme disent certains. Mais pas pour elle. Elle doit être maudite ; depuis le jour où elle a été arrachée à Néphède, aux Kolisnychenko, à Maman, Papa, Ashkar. Elle est maudite, envoyée dans ce monde qui fourmille de shaytans avec des pouvoirs impossibles. Meera fait confiance à Neha et Neha fait confiance à Yohan apparemment, mais la chaîne n'ira pas plus loin, Meera ne peut physiquement pas faire confiance à un Warden. Jamais. Elle ne lui fera pas de mal toutefois, parce qu'elle aime Neha, aussi, et qu'elle ne lui arracherait jamais un membre de son cluster, quand bien même elle-même aimerait beaucoup qu'on l'ampute d'un membre du sien.

Il sent bien qu’elle est méfiante. Et en même temps, peut-il vraiment la blâmer ? S’il était sur un tout autre monde, et qu’un des membres de son cluster lui envoyait un inconnu… Il serait le premier à se barrer à toute vitesse, anxieux comme il est (et puis il faut dire que son cluster n’est pas composé que d’enfants de choeur, alors il n’est pas sûr d’avoir envie de faire face aux proches de ceux qui partagent ses émotions). Yohan sait que la relation entre Neha et Ameera est bien différente de celle qu’il entretient avec son cluster, il n’a probablement pas idée de ce qui les lie - mais il sait que c’est fort, plus fort que ce dont il a pu avoir l’expérience jusqu’à aujourd’hui. Il compte sur ça pour que les choses aillent en son sens : son amitié forte avec Neha peut faire pencher la balance. « There’s a fast food two blocks away. It’s decent. » Yohan balance sa tête en arrière et lance un soupir de soulagement. « Nice. » Il observe du coin de l’oeil la belle brune se relever doucement. Elle n’a pas l’air très assurée, mais Yohan ne va pas demander ce qui s’est passé, du moins pas maintenant. Ils ne se connaissent pas assez, mais surtout, Ameera ne lui semble pas le genre de personne à parler de ce qui la tracasse à n’importe qui. Il n’est pas sûr qu’elle soit le genre à parler tout court. Mais c’est pas grave: Yohan, il sait faire la conversation pour deux, pour trois, pour quatre.
Il n’est pas sûr qu’elle ait vraiment accepté son invitation. Après tout, il ne lui a pas demandé expressément de venir avec lui, donc il n’est pas sûr que son message subtil soit passé. Ameera a l’air d’avoir saisi, mais il ne peut pas savoir à cent pour cent : il n’est pas dans sa tête, et c’est presque frustrant, ce visage si familier mais cette absence de ressenti. Quand il croise Neha dans son miroir, dans des vitrines, il peut savoir comment elle se sent, ou du moins avoir une idée de comment ça va. Ils se mettent en marche doucement, tacitement, et Yohan prend ça pour un oui confirmé. Tant mieux. Neha l’aurait vraiment tué, s’il n’avait pas réussi à embarquer Ameera loin de cette rue pourrie. « She likes you. » Les mots lui font hausser les sourcils. « Neha I mean, » Yohan baisse les yeux sur la route et un sourire en coin vient habiller son visage. « Of course she does. » Il lâche un petit rire. En dehors d’Isaiah, qui est quand même son coloc, Neha est sûrement la personne dont il est le plus proche, au sein du cluster. S’il y a une personne dont il ne doute pas de l’amitié, c’est bien elle. Et Lennie. Lennie est trop pure pour avoir de mauvaises intentions ou prétendre qu’elle apprécie quelqu’un. « She wouldn’t hurt you using your body. » Yohan affiche un petit air satisfait. « Not on purpose. » Son visage s’affaisse un peu. « well… that’s nice to know. » Son petit rire danse dans l’air pollué d’Oriel. Il voit qu’Ameera s’amuse un peu de cet échange, mais les émotions sont dures à lire sur son visage : on dirait que rien n’atteint ses yeux. Il se demande si elle est vraiment fermée ou si elle est une queen du self control.
Tandis qu’ils marchent, Yohan se permet quelques remarques sur ce qui les entoure, histoire de combler le vide, de ne pas forcer Ameera à parler tant qu’elle n’en a pas envie. Il commente les logos pourris d’un salon de coiffure, souligne l’ingéniosité d’un graffiti de l’autre côté de la rue. Quand ils finissent par arriver au fast-food, ils commandent l’un après l’autre, mais il paie pour eux deux sans même demander l’avis d’Ameera, et leur trouve une table près de la fenêtre. Il n’y a pas grand-monde, pour l’instant, et c’est tant mieux. « So. I have a question. » Il déballe son burger, encore enveloppé dans un papier destiné à le garder chaud. « You don’t have to answer if you don’t want to. » Il va forcément se mettre de la sauce partout comme un débile - Ameera va avoir de quoi se foutre de sa gueule pour une première rencontre. « Say “Joker” if you don’t want to. » Il trouve ça important, d’instaurer ça. Il voudrait pas la faire fuir dés le début. Avec lui, il y a toujours deux types de personnes : ceux qui l’adorent pour sa capacité à animer une conversation tout seul et à instaurer un échange positif, et ceux qui trouvent qu’il parle trop et qu’il est trop curieux. Il a comme l’impression qu’Ameera entrera directement dans la seconde catégorie. Mais il peut au moins essayer. « Neha hasn’t told me a lot of things about you so.. How come our paths never crossed before? I’ve been living here my whole life. And if we had passed each other on the streets these last few years, I would have known. » explique-t-il en se débattant avec l’emballage du burger. « Oh god, there’s already sauce all over my tray. » Il relève les yeux en attrapant une frite.

« well… that’s nice to know. » Il rit, Meera entend, mais ne commente pas, ne réagit, en apparence, pas du tout. Il trouve ça drôle l’idée qu’un membre de son cluster ne cherche pas à lui faire du mal. Meera se dit que ça doit être bien sympa de pouvoir rire de ça, parce que l’inverse semblerait tellement impossible. Ça doit être bien agréable de ne pas avoir à craindre physiquement les invasions de son corps de la part des membres de son cluster. Elle n’irait pas jusqu’à s’admettre qu’elle envie Yohan toutefois, l’envie est un sentiment sale et noir et ça ne mène jamais loin. Dans le fond, Meera doit avoir le cluster qu’elle mérite et avoir été envoyée dans le monde qu’elle mérite et la mission qu’elle a dans sa vie c’est juste d'essayer de survivre à tout ça. C’est ça qu’elle tire des enseignements religieux de son enfance — tout arrive pour une raison.

Yohan est semble-t-il assez bavard, quoique ce soit vite dit quand on se compare avec Meera qui peut rester silencieuse des heures voire des jours durant si elle n’a rien à dire, et elle l’écoute d’une oreille distraite, attentive surtout à la rue. Le coin d’Oriel où ils se trouvent n’appartient pas à Anya et aux Sisters Morphine, la méfiance et la vigilance sont donc de mises. L’odeur du fast-food est quand même la bienvenue pour elle, même avec ses nouvelles responsabilités, son statut pourrait-on même dire, elle est encore habituée à sauter des repas pour ne pas interrompre une filature ou autre mission d’importance. Son dernier repas date de la veille midi, ça n’est pas très loin, mais son estomac accueillera volontiers les deux burgers qu’elle commande. Yohan paye, Meera bat des cils, mais ne dit rien. Ça l’agace beaucoup de s’imaginer qu’il le pense nécessaire parce qu’elle habite Oriel et pas lui. Il doit penser qu’elle a besoin de son argent ; c’est faux. Elle en a maintenant des stellars à son nom. Elle n’a pas besoin de lui. Mais elle aime bien les choses gratuites, ça reste vrai. Et c’est lui qui a insisté pour manger quelque chose, ça n’est que logique qu’il prenne ses responsabilités. Elle ne s’installe qu’après avoir étudié la pièce en long en large et en travers, d’un œil toutefois toujours discret. Pas d’ennemis directs. Elle peut s’asseoir quelques minutes.  « So. I have a question. » Rien chez Meera ne semble montrer qu’elle l’a entendu parler, elle ne s’interrompt pas une seule demi-seconde dans le déballage de son premier burger et ses traits neutres ne bougent pas d’un millimètre. Des questions il peut en avoir une ou cent pour elle, grand bien lui fasse. Ça ne veut pas dire qu’elle y répondra. « You don’t have to answer if you don’t want to. » Elle pourrait presque sourire, un coin de ses lèvres tressautant même légèrement l’espace d’un instant. Encore heureux qu’il lui concède cette liberté — de toute façon elle ne voit pas comment il aurait bien pu l’empêcher de garder le silence. Son burger déballé, elle en prend déjà une bouchée aussi énorme que sa relativement petite bouche le lui permet. « Say “Joker” if you don’t want to. » Elle mastique toujours sans répondre, même si elle le regarde un peu cette fois, au lieu de son sandwich juteux. Elle trouve ça un peu ridicule ces règles de conversation qu’il essaye d’instaurer alors que le plus probable, c’est que de conversation il n’y aura probablement pas du tout. « Neha hasn’t told me a lot of things about you so.. How come our paths never crossed before? I’ve been living here my whole life. And if we had passed each other on the streets these last few years, I would have known. » Sa question en implique une dizaine d’autres comme elle aurait pu s’en douter. « Oh god, there’s already sauce all over my tray. » C’est un mangeur maladroit, et Meera une excessivement rapide - elle mange toujours comme si elle avait peur qu’on lui vole sa nourriture sinon. Peut-être parce que pendant longtemps la menace était bien réelle. Elle en est déjà à la moitié de son burger alors que lui il mâchouille une pauvre frite. Ça pourrait presque la faire rire.
Meera est assez confortable avec l’idée de ne pas répondre. Tout simplement. Ne rien dire du tout, ni oui ni non ni joker. Juste finir de manger, dire merci s’il lui venait l’humeur pour et se casser. Elle n’a pas la sensation de devoir quoi que ce soit à Yohan — et tant mieux car ce sentiment d’être redevable la rend encore moins sympathique.

« You’re from here? » demande-t-elle plutôt, du ton de celle qui a bien du mal à y croire. « Which side? » Remplacer une question par deux autres, une technique vieille comme le monde et plutôt bien rodée. La curiosité est plutôt sincère pourtant, il n’a pas vraiment l’air d’un gars d’Oriel; et pourtant, elle en a vu passer. Le plus probable c’est qu’il est né ici mais que grâce à son statut de Warden (et à sa bonne paye) il a eu l’occasion de changer de quartier, grimper l’échelle sociale. Tu peux lui faire confiance, répète encore sa jumelle dans sa tête. C’est difficile pourtant. Meera n’a pas l’habitude d’accorder sa confiance ; ce n’est même pas qu’elle soit difficile d’obtention, mais carrément impossible. Elle ne fait entièrement confiance à véritablement personne, outre peut-être elle-même. Neha c’est un peu elle-même. Meera ne doute pas des intentions de Neha. Elle sait qu’elles sont bonnes. Elle craint juste que la confiance de Neha envers Yohan soit mal placée. Il y a plein de choses qu’elle peut comprendre de sa jumelle, qu’elle partage tout à fait, auxquelles elle s’identifie, mais la confiance absolue que Neha a envers les membres de son cluster n’en fait pas partie. Ça, Meera, elle ne peut pas le comprendre. Et elle a peur que ça soit le fruit d’un excès de gentillesse — une de ces choses dont il serait impossible d'accuser Meera — ou de naïveté. « I’m good at not being seen. » Répond-elle finalement à sa question. C’est une réponse très évasive, probablement insatisfaisante, mais il a bien dit qu’il n’en avait qu’une et Meera n’est pas très disposée à aller dans les détails, pour elle c’est déjà un bel effort. C’est la stricte vérité en plus, c’est un talent qu’elle a dû acquérir bien vite, aidée toutefois par quelques considérations innées comme sa petite et fine taille, son visage de gamine, et une agilité et vitesse aussi qui n’ont pas eu beaucoup de mal à se développer avec le bon entraînement.

Maintenant qu’il est devant son burger, il n’est pas très sûr d’avoir faim. Principalement parce que son corps est toujours en train de se remettre des deux heures d’entraînement qu’il vient de se taper et du sprint que Neha lui a imposé. Alors il se contente de grignoter ses frites, en se disant que l’appétit viendra en mangeant. Il ouvre de grands yeux en voyant qu’Ameera, elle, a déjà englouti la quasi-totalité de son burger. Est-elle humaine ? « You’re from here? » finit-elle par faire. Yohan fait la moue. Ça ne répond à absolument aucune de ses questions, mais ok. Il accepte de faire l’idiot. « Which side? » Yohan hausse les épaules. Technically, I’m not from here. Il trempe une frite dans du ketchup. Il voudrait pas faire le mec nul qui estime qu’il peut dire qu’il est d’Oriel au même titre que ceux qui ont grandi ici. Ce serait un manque de respect. I grew up in Soho but left for Cosmopolis when I started the training. Grossière erreur. Il aurait mieux fait de ne jamais commencer cette fichue formation. But you know, failing, all that.. Anyway, I’ve been living here for… years now. Came when I was sixteen ? Seventeen ? Can’t even remember. Il met la frite dans sa bouche. North Oriel. Un coin qui lui permet d’aller facilement dans les autres quartiers. Ce n’est pas par hasard qu’ils se sont installés là-bas, sur le territoire des Nulls. Aedhan a toujours été dans leurs bonnes grâces, ayant passé des années en tant qu’apprenti à l’Inkling. Il continue à tatouer, quand il n’est pas sur le terrain pour les matchs, d’ailleurs. S’ils le voulaient, ils pourraient vivre ailleurs, tous ensemble. Aedhan et lui gagnent bien leur vie. Sydney est plein aux as, Isaiah s’en sort très bien aussi. Mais ils ont essayé, et ils ne se sont jamais senti à leur place ailleurs.

Finalement, il réussit à arracher un semblant de réponse à Ameera. « I’m good at not being seen. » Yohan ne relève pas les yeux, se contente d’acquiescer avec une moue intriguée. Just like me! Il penche la tête, un peu, avec un sourire. Well, on the field. As soon as I step out of the stadium I’m the loudest person you’ll ever see. Il lui offre un sourire un peu désolé. Probably not your kind of person. dit-il avec un petit rire. Il ne sait pas trop quoi penser de la jumelle de Neha, mais leurs premiers échanges lui ont fait comprendre qu’ils ne seraient probablement jamais les meilleurs amis du monde. Ameera n’est pas très… avenante. Il ne lui en veut pas, elle a probablement ses raisons. Et puis, il est un étranger, après tout. Mais c’est rare pour lui de se retrouver face à des murs pareils. Il n’y a que Joshua, autour de lui, qui est un peu comme ça. Mais il a réussi à percer la carapace du médecin il y a bien longtemps. Ça le frustre beaucoup, cette méfiance et ce silence chez Ameera. Il a le sentiment qu’elle va se barrer dés qu’elle en aura l’occasion, et qu’il se retrouvera là, comme un idiot, à avoir l’impression de n’avoir servi à rien. Et en plus, il aura raté l’entraînement.

Il attaque finalement son burger, plus parce qu’il est devant lui que parce qu’il a vraiment faim. Il ne sait pas trop ce que Neha attend de lui. Est-ce qu’elle veut qu’il soit juste là, avec Ameera, le temps qu’elle se remette de… ce qui vient de se passer, quoi que ce soit ? Est-ce qu’elle veut qu’il lui parle ? La terrienne se fait étonnamment silencieuse, et il commence à se demander si elle-même a une idée de ce qu’elle espérait en le ramenant près de sa jumelle. Il a trop peur de la brusquer en lui parlant de ce qui lui est arrivé, alors il décide de faire encore un peu de small talk, le temps de juger s’il peut se permettre ou non de lui poser les vraies questions. Finalement, c’est peut-être de ça, dont elle a besoin : que son esprit soit distrait de ce qui s’est passé avant qu’il arrive. Bon, il faut que tu m’aides à trouver une excuse pour avoir quitté l’entraînement comme un fou. Il repose son burger, s’essuie les doigts sur une serviette en papier et s’adosse à son siège. Je suis tellement dans la merde. Il soupire. Il imagine déjà la tête de Zach, quand tous sont descendus du toit en lui disant qu’il s’était juste… barré. Le coach doit être furieux. Il va falloir qu’il se prépare à un bon savon dans son bureau, aussi bonne que soit son excuse. Il pose ses doigts sur son menton, pensif. Tu penses que je peux risquer un “une fille d’un autre monde qui prend parfois possession de mon corps m’a fait courir jusqu’à sa jumelle de notre monde sans que je sache pourquoi” sans me faire interner ? Il grimace. Certains se sont probablement faits interner pour moins que ça… Il pense à voix haute, comme d’habitude. Il lui offre un sourire amusé, remarque qu’elle a fini son burger. Tu veux qu’on te commande un deuxième burger ? propose-t-il naturellement. Il a l’impression qu’elle pourrait bouffer tout le restaurant, vu la vitesse à laquelle elle a englouti le truc. C’est presque un appétit de sportif, à ce stade. Il se demande bien ce qu’elle fait dans la vie. Neha ne lui a jamais parlé de ça. Il doit y avoir une raison.