(#1) huggins + you could be happier

« Non, déplace ça à onze heures. J’aurai pas le temps de revenir de Cosmo pour dix. » Le chauffeur du taxi lui jette des coups d’oeil régulier dans le rétroviseur, presque stressé par l’agitation qu’il sent dans les gestes et la voix de sa passagère. « … Mmmh… » Tamsyn farfouille dans son sac depuis bien cinq minutes, et commence à s’énerver. « Les contrats sont sur mon bureau, de toute manière. T’as qu’à les lui donner. » Enfin, elle met la main sur ce qu’elle cherche : un chouchou pour attacher ses cheveux. Elle coince le téléphone contre son oreille, l’élastique entre les dents le temps de rassembler sa tignasse emmêlée. « Je vais pas tarder à arriver. » Elle s’arrête d’un coup, fronce les sourcils. « Merde, j’ai oublié de lui dire que je partais manger avec ma mère. Il avait l’air énervé ? » Elle reprend son ouvrage, attache ses cheveux, le visage un peu assombri. « Dis-lui que je passerai le voir en rentrant. » Elle n’aime pas faire des promesses en l’air, Tamsyn. Quand elle dit qu’elle va faire quelque chose, elle le croit vraiment : c’est juste le destin qui déjoue ses plans, la plupart du temps. Elle espère vraiment que cette fois, elle pourra tenir sa promesse : ça fait bien une semaine qu’elle n’a pas pris le temps d’aller voir Sydney, trois étages plus bas, alors qu’il lui demande de venir écouter les nouvelles productions d’un de leurs artistes. « Prends tous mes appels pendant une heure, je te dis quand je suis dans le taxi du retour, merci Arizona. » Tamsyn raccroche sans vraiment laisser le temps à son assistante de lui dire quoi que ce soit de plus. Ce n’est pas bien, elle le sait, mais ils arrivent à l’angle de la rue du cabinet de psychologie, et il est temps de laisser le boulot derrière. Tamsyn vit pour son travail, mais quand elle est avec sa mère, elle est avec sa mère. C’est bien la seule personne pour laquelle elle est capable d’éteindre son portable pendant une heure. « Vous pouvez me déposer là, merci. » Elle rassemble ses affaires, paie le chauffeur via son portable, et saute presque du taxi pour s’engouffrer dans le cabinet.

Ça l’amuse toujours, même après toutes ces années, de voir la plaque avec le nom de sa mère sur la porte de son bureau. Elle a mis du temps à réconcilier l’image qu’elle se faisait de sa mère, étant gamine (celle d’une psychologue froide et obsédée par son boulot) et celle qu’elle a découvert par la suite (une femme, une maman). Aujourd’hui, elle a tendance à imaginer sa mère comme une petite maman avec tous ses clients. Elle finit par frapper, et entre quand elle entend la voix de sa mère lui dire d’entrer. « Coucou ! » Elle pose les sacs du déjeuner sur la table, son sac à main sur le fameux sofa du bureau, et va embrasser sa mère, qui est toujours penchée sur des papiers. « Je suis désolée qu’on soit obligées de se voir ici. J’aurais aimé qu’on puisse aller manger quelque chose de sympa quelque part, mais c’est le rush, en ce moment. » Elle commence à sortir les boîtes de nourriture du sac qu’elle s’est fait livrer à l’agence avant de partir. « Je suis sur deux gros contrats, et puis on a plusieurs cérémonies de prix en préparation… » Elle soupire. « On commence à organiser les cinq ans aussi… Bref, du pain sur la planche, comme d’hab. Mais je suis contente d’avoir réussi à trouver du temps pour te voir. » Elle parle, elle parle, encore dans l’atmosphère urgente dans laquelle elle a évolué toutes la matinée, et finit par s’asseoir sur l’un des fauteuils, en face de sa mère. « Promis, quand ça se calme, on se prend des vacances. » dit-elle en ouvrant un premier sachet de nouilles. « Alors, comment tu vas ? »

Rose consultait sa tablette et écoutait la dernière consultation qu’elle avait eue avec Tobias. Quelque chose dans sa voix la chiffonnait toujours autant. Cette note qu’elle n’arrivait pas à définir correctement, une humeur qu’elle n’arrivait pas à deviner et qui la mettait hors d’elle. La voix de son soulmate résonnait dans ses oreilles et elle repassait en boucle le même morceau de phrase sans réussir à mettre le doigt sur cette émotion qu’il devait ressentir. D’un geste rageur, Rose arracha ses écouteurs sans fil et les jeta sur son bureau. Elle croisa ses mains et posa sa tête dessus tout en fixant le profil de Tobias sur la tablette. Je sais que tu caches quelque chose… pensa-t-elle. Une deuxième voix vint s’ajouter à la sienne, celle de son double cosmique. Elle était moqueuse dans sa manière de parler lui expliquant qu’encore une fois, elle se faisait des films. Rose décida de l’ignorer. Elle se mordit l’intérieur de la joue avant de chasser le profil de Tobias de sa tablette d’un glissement de doigt. Elle avait l’impression de piétiner avec lui. Ils étaient en train de jouer à un jeu qui ne lui plaisait pas forcément. Elle regarda sa montre un instant, Tamsyn allait bientôt arriver et il fallait impérativement qu’elle chasse cette frustration de son visage et de ses pensées pendant les quelques instants qu’elle partagerait avec sa fille. C’était à elle de s’inquiéter pour sa progéniture et non l’inverse. Elle réarrangea quelques notes prises lors d’un autre entretien avec un autre patient envoyé par le laboratoire. Elle enclencha son logiciel d’enregistrement Voir ses antécédents médicaux. Le patient a mentionné plusieurs fois des fatigues chroniques, demander à avoir accès à son dossier médical pour vérification. Elle reformula quelques phrases avant que trois coups ne soient portés à sa porte. Elle enregistra son travail et verrouilla sa tablette avant de dire à sa fille d’entrer.

Tamsyn rayonnait. Rose était toujours aussi fière en voyant sa fille arriver. Elle avait réussi à s’affirmer avec les années et à devenir une femme forte désormais. Elle ne vivait que pour son travail et s’en portait très bien et ça faisait plaisir à Rose. A elles deux, elles avaient vaincu toutes les remarques blessantes de la famille Huggins. Tous les toutes seules, vous ne pouvez pas y arriver ou les quelle bêtise d’avoir laissé partir Miller… c’était un chouette garçon ou encore les Tamsyn a sa propre entreprise ? Mais c’est de la folie ! Folie ou non, Tamsyn s’en sortait très bien aujourd’hui sans l’aide de personne. Rose esquissa un sourire, elle rangeait quelques papiers qui traînaient sur son bureau. « Coucou ! Je suis désolée qu’on soit obligées de se voir ici. J’aurais aimé qu’on puisse aller manger quelque chose de sympa quelque part, mais c’est le rush, en ce moment. » Tamsyn était en train de déposer les plats commandés sur la table tout en discutant. Rose fit un mouvement de la main lorsqu’elle s’excusa. Elle comprenait ces moments stressants et elle ne s’en formalisait pas bien au contraire. « Je suis sur deux gros contrats, et puis on a plusieurs cérémonies de prix en préparation… On commence à organiser les cinq ans aussi… Bref, du pain sur la planche, comme d’hab. Mais je suis contente d’avoir réussi à trouver du temps pour te voir. » Tamsyn prit enfin le temps de s’asseoir alors que Rose la rejoignait pour se mettre juste en face. « Promis, quand ça se calme, on se prend des vacances. Alors, comment tu vas ? » Elle attrapa une boîte de nouilles. « Tu vas tout gérer comme d’habitude. Tu sais parfaitement gérer les rushs, je ne me fais aucun souci pour le résultat. Ça sera parfait. » Elle attrapa deux baguettes qu’elle frictionna l’une contre l’autre avant de les plonger dans sa boîte de nouilles. « Ça va. Les consultations continuent, je vois des patients évoluer et ça fait du bien de les voir aller mieux. » C’était quelque chose qu’elle aimait beaucoup dans son métier. Quand elle constatait des améliorations, elle avait l’impression de ne pas faire tout ça pour rien. « Désolée, ce n’est pas bien passionnant. Je suis un peu loin du strass et des paillettes… quoi que je dois préparer une conférence bientôt, ça me remettra un peu sur le devant de la scène des docteurs. » Elle haussa les épaules. « Tu me diras tes dispo pour les vacances ? Que je puisse prévenir Ella de mon absence, elle pourra ramener ses conquêtes à l’appartement sans que je sois là pour lui ruiner ses coups. » Elle esquissa un léger sourire en coin. Ça lui était arrivé plusieurs fois de faire ça à sa meilleure amie. Quelquefois c’était intentionnel et pour la sortir d’un mauvais gars, mais d’autre fois, elle ne faisait pas exprès. « Raconte-moi un peu, comment ça se passe dans le monde des stars en ce moment ? » Termina-t-elle tout en mangeant des nouilles.

Tu vas tout gérer comme d’habitude. Tu sais parfaitement gérer les rushs, je ne me fais aucun souci pour le résultat. Ça sera parfait. Tamsyn ne répond rien, mais son sourire suffit à faire comprendre à sa mère que ça compte, ce qu’elle vient de dire. Après toutes ces années, on pourrait croire que la jeune femme est devenue assez indépendante pour ne pas avoir besoin du soutien de sa mère… Et pourtant. Ces petits compliments, ces petits encouragements glissés par Rose ici et là dans leurs conversations, c’est important. Plus important qu’elle l’imagine, probablement. A une époque, Tamsyn aurait probablement balayé ces mots d’un revers de main, aurait décrété qu’elle n’avait pas besoin d’entendre ça. Aujourd’hui, elle prend toujours le temps de les assimiler, et de les garder dans un coin de sa tête, pour se les répéter quand elle est encore en train de travailler à 3h du matin, ou qu’elle a l’impression qu’elle n’arrivera jamais boucler un dossier important.
Ça va. Les consultations continuent, je vois des patients évoluer et ça fait du bien de les voir aller mieux. Désolée, ce n’est pas bien passionnant. Je suis un peu loin du strass et des paillettes… Tamsyn lève les yeux au ciel. Elle a répété mille fois à sa mère que c’était tout aussi passionnant, et surtout bien plus important, que ce qu’elle fait elle. Mais Rose semble toujours devoir s’excuser du manque de glamour de son métier, alors que sa fille trouve que c’est l’une des professions les plus admirables et badass qui soit. quoi que je dois préparer une conférence bientôt, ça me remettra un peu sur le devant de la scène des docteurs. Tamsyn prend une gorgée de sa boisson et sourit. Tu vas arriver, magnifique, sur la scène, et tu vas tous les impressionner. Ils parleront de toi à leurs proches et toutes les petites filles voudront devenir comme toi. Un vrai modèle. Tamsyn fait mine d’essuyer une larme sous son oeil droit, avec un air ému sur le visage.
Tu me diras tes dispo pour les vacances ? Que je puisse prévenir Ella de mon absence, elle pourra ramener ses conquêtes à l’appartement sans que je sois là pour lui ruiner ses coups. Tamsyn sourit de nouveau. Sacré Ella. Elle me manque. Faut qu’on s’organise une soirées toutes ensemble. Je veux qu’elle me raconte ses nouvelles aventures, on s’ennuie jamais avec elle. La meilleure amie de sa mère est chère à son coeur, après toutes ces années. Raconte-moi un peu, comment ça se passe dans le monde des stars en ce moment ? Tamsyn hausse les épaules. Rien de dingue. Tout le monde est occupé, personne ne se voit. J’ai passé les dix derniers jours en tête à tête avec mon assistant. Elle adore Arizona, hein, bien sûr. Mais elle préférerait pouvoir aller saluer tout le monde, travailler de nouveau dans le même bureau que Syd, au lieu d’être coincée derrière son ordinateur et son téléphone non-stop. J’espère que ça va se calmer un peu avant la rentrée… J’arrive pas à croire que ça va bientôt faire cinq ans… Tu te rends compte? Elle se souvient encore du début, quand elle investissait l’appartement de sa mère (plus grand que le sien) le week-end pour faire toute la paperasse de la création de l’entreprise avec Sydney. Rose leur apportait des thés et des cafés, donnait des conseils, de temps en temps. C’est une époque qui lui manque, souvent. Tout semblait si simple. J’ai pas vu le temps passer. Les semaines, les mois… Comme ça s’arrête jamais, je me rends pas compte. C’est fatiguant, frustrant parfois, mais c’est la vie qu’elle a choisi. Elle s’amusera plus tard. Un jour.

Rien de dingue. Tout le monde est occupé, personne ne se voit. J’ai passé les dix derniers jours en tête à tête avec mon assistante. Rose fit une petite moue. Elle savait à quel point sa fille travaillait dur et qu’elle était fière de savoir que tout ce boulot payait, mais elle ne pouvait pas s’empêcher d’avoir son instinct maternel et protecteur qui se réveille à chaque fois que Tamsyn lui disait qu’elle était très occupée. Rose avait parfois l’impression d’avoir empêché sa fille d’avoir eu une enfance et qu’elle avait dû apprendre à être mature très rapidement. On n’avait pas tous les jours son âge. J’espère que ça va se calmer un peu avant la rentrée… J’arrive pas à croire que ça va bientôt faire cinq ans… Tu te rends compte? Rose hocha la tête. « Ça passe vite. Déjà cinq ans. » C’était une période stressante aussi bien pour Tamsyn et Sydney que pour elle. Elle avait toujours peur de voir sa petite fille prendre son envol. Au final, la séparation avait été difficile les premiers temps, mais au fur et à mesure Rose s’était rendu compte que c’était inévitable. Elle ne pouvait pas espérer garder sa fille avec elle toute sa vie. Ce n’était pas sein pour les deux femmes. J’ai pas vu le temps passer. Les semaines, les mois… Comme ça s’arrête jamais, je me rends pas compte. Rose fronça les sourcils. Elle avait l’impression d’entendre un peu d’amertume dans la voix de Tamsyn. « Tu ne prends pas un peu du temps pour toi ? » Sa fille redressa la tête et la regarda d’un air mi-surpris, mi-mais tu ne m’écoutes pas ou quoi ? « Je sais que ce n’est pas la période, ne me regarde pas comme ça, mais tu sais qu’il faut apprendre à lever le pied. Tu n’es pas à l’abri d’un burn-out. Je ne veux pas t’angoisser non plus, juste te prévenir. Et c’est presque la maman qui parle. » Elle savait très bien que Tamsyn n’aimait pas quand c’était la psy qui parlait. Ce n’était pas un rendez-vous médical là, mais un repas entre mère et fille. C’était un peu dans la nature de Rose de ne pas savoir quand elle devait arrêter avec ses recommandations de docteur. Ella lui faisait souvent remarquer que c’était agaçant par moment et Rose prenait de plus en plus sur elle, mais avec Tamsyn, impossible. C’était sa fille et malgré son âge, elle cherchait toujours à la protéger. « Je sais pas, Sydney et toi vous pouvez aller à un bar, faire un karaoké ou je sais pas ce que vous faites les jeunes maintenant. » Elle esquissa un sourire. Comme si elle avait soixante ans et qu’elle ne sortait plus. « Ou tu pourrais m’accompagner à une soirée chez Neil ou à un concert qu’il donne. Ça lui ferait plaisir de te revoir et… ou de savoir que tu as apprécié sa musique. » Neil n’arrêtait pas de lui demander quand est-ce qu’elle allait amener sa fille et Rose répondait toujours que si c’était pour qu’elle se fasse draguer par des quarantenaires ce n’était pas la peine. Mais ce n’était pas à exclure, si ça permettait à Tamsyn de lever le pied, Rose prenait cette option avec joie. Elle ne fréquenterait pas des jeunes de son âge, mais elle serait bien accompagnée.

Elle ne sait pas si c’est une bonne ou une mauvaise chose, de ne pas se rendre compte du temps qui passe. C’est positif, dans un sens, parce que ça veut dire que les choses fonctionnent, que tout va comme sur des roulettes. Avec les mois, les semaines, Tamsyn devient plus riche et reconnue. Ce n’était pas forcément son ambition, à la base, mais elle ne peut pas nier que c’est quelque chose qu’elle apprécie. Mais avec les mêmes mois, les mêmes semaines, elle a l’impression de ne plus vraiment être elle-même. L’impression qu’elle a laissé la jeune Tamsyn, pleine de passion et d’envie, au moment où ils ont gagné leurs premières récompenses. Ça, elle ne le dira jamais à sa mère, parce que ça l’attristerait sûrement plus qu’autre chose. Mais le sentiment devient plus présent à mesure que le temps passe. Au début, ça ne lui faisait pas grand-chose : elle était tellement contente, tellement fière. Maintenant qu’elle a atteint tous ses buts, elle peine à en trouver de nouveaux. Tu ne prends pas un peu du temps pour toi ? Elle aurait dû s’attendre à cette réaction. Je sais que ce n’est pas la période, ne me regarde pas comme ça, mais tu sais qu’il faut apprendre à lever le pied. Tu n’es pas à l’abri d’un burn-out. Je ne veux pas t’angoisser non plus, juste te prévenir. Et c’est presque la maman qui parle. Ce n’est pas la première fois qu’elle lui dit ça. Elles ont probablement eu cette conversation une dizaine de fois depuis que High Hopes a été fondée. Je sais pas, Sydney et toi vous pouvez aller à un bar, faire un karaoké ou je sais pas ce que vous faites les jeunes maintenant. Tamsyn ne peut retenir son rire. Sa mère sourit, et Tamsyn finit par lever les yeux au ciel. Comme si elle avait 80 ans et ne savait pas comment s’amuser. Ou tu pourrais m’accompagner à une soirée chez Neil ou à un concert qu’il donne. Ça lui ferait plaisir de te revoir et… ou de savoir que tu as apprécié sa musique. Tamsyn penche la tête un peu sur le côté. C’est une option, oui. Ça fait longtemps qu’elle n’a pas fait une vraie soirée avec sa mère. Et encore moins avec sa mère et ses amis. Pourtant, elle les voyait tellement, quand elle était plus jeune. Ils lui manquent, c’est vrai, parfois. Elle regrette l’époque où ils passaient à la maison et où elle partageait de vrais moments avec eux.
« T’as raison. Neil me manque, en plus. » Elle a eu l’occasion de le croiser une ou deux fois, récemment, lors d’événements liés au boulot. Mais jamais pour le plaisir. « On devrait faire ça. Dis moi quand, j’annulerai ce que j’ai ce soir-là. » Elle baisse les yeux sur son plat. C’est probablement pas raisonnable, mais tant pis. Elle sent qu’elle en a besoin. « J’en ai marre de faire des soirées pour le boulot. Où il faut toujours que je sois en talons et que je fasse attention à tout ce que je fais ou dis. avoue-t-elle avec un soupir. « Ça me fera du bien. Je peux emmener Syd? » Ça lui ferait du bien, à lui aussi. Et elle en a marre de le voir seulement au boulot. « Il me demande souvent de tes nouvelles, ça lui ferait plaisir, je pense. Et puis si je débarque avec quelqu’un de mon âge, avec un peu de chance, je me ferai pas draguer par des quarantenaires » dit-elle avec un petit rire.
Et puis, parce qu’elle ne peut pas s’en empêcher (Rose sait probablement que cette question la guette, Tamsyn la lui pose systématiquement depuis des mois), Tamsyn finit par poser son menton dans sa paume, et par regarder sa mère avec un air inquisiteur : « Tu vois quelqu’un, en ce moment ? » Peu importe si ça la saoule, Tamsyn la posera encore et encore, jusqu’à ce que sa mère lui réponde oui et soit heureuse.

« T’as raison. Neil me manque, en plus. » Rose esquissa un sourire navré. Elle avait envie de lui dire qu’elle était désolée de lui avoir fait vivre une vie comme ça. Peut-être que Miller aurait été un meilleur père s’il avait voulu rester dans la vie de leur fille ? Peut-être qu’il l’aurait laissé vivre normalement. Rose baissa sa tête sur son plat. Ses parents avaient raison quand ils disaient qu’elle était incapable de s’occuper d’un autre être humain à part elle-même. Elle pouvait voir où ça avait conduit sa fille. « On devrait faire ça. Dis moi quand, j’annulerai ce que j’ai ce soir-là. » Rose redressa la tête. « Promis, je te tiens au courant dès qu’il organise quelque chose. Ce qui ne devrait pas tarder. Tu le connais, il aime faire la fête pour tout et n’importe quoi. » Elle prit le temps de la réflexion. « Je suis sûre que si j’aborde le sujet il dira qu’il fera une soirée en ton honneur vu que ça fait longtemps qu’il ne t’a plus vu. » Elle ne plaisantait qu’à moitié en fait. « J’en ai marre de faire des soirées pour le boulot. Où il faut toujours que je sois en talons et que je fasse attention à tout ce que je fais ou dis. Ça me fera du bien. Je peux emmener Syd? » Ce n’était pas la première fois qu’elle évoquait Sydney. Elle savait qu’ils étaient juste collègues, rien de plus, mais il y avait quelque chose dans le regard de Tamsyn qui semblait dire que ce n’était pas que ça. « Il me demande souvent de tes nouvelles, ça lui ferait plaisir, je pense. Et puis si je débarque avec quelqu’un de mon âge, avec un peu de chance, je me ferai pas draguer par des quarantenaires » Rose éclata de rire. De toute façon, elle aurait été prête à sortir ses griffes si les connaissances de Neil s’approchaient un peu trop près de Tamsyn. Elle pouvait être redoutable quand elle voulait.

Elle finit par retrouver son sérieux lorsqu’elle vit sa fille poser son menton sur sa main et la regarder comme si elle essayait de scanner ses pensées. Pour avoir vécu cette situation un nombre incalculable de fois, elle savait qu’elle allait avoir droit à la question qu’elle essaye toujours d’esquiver avec tout le monde. « Tu vois quelqu’un, en ce moment ? » Rose leva les yeux au ciel. « Non. » Elle vit un pli soucieux sur le front de Tamsyn ce qui la fit soupirer. « Je n’ai pas le temps en ce moment. Et puis… » Et puis faut dire que les sessions avec Tobias ne lui donnent pas envie d’aller voir ailleurs. Elle nourrit l’espoir qu’un jour ça soit possible entre eux. Qu’un jour, par le plus grand des hasards, ils en viendraient à parler des liens qui unissent les individus de ce monde. De soulmate. Elle secoua la tête. « Ce n’est pas important, j’ai beaucoup de boulot et je t’ai toi, ça me suffit dans la vie. » Elle pouvait voir très clairement que ce n’était pas une réponse qui satisfaisait sa fille. « Crois-moi, je suis loin d’être malheureuse. Je t’ai toi et j’ai la bande. Je n’ai pas besoin d’un autre homme dans ma vie. » Elle avait juste besoin de Tobias. Lui et personne d’autre. « Quoi ? » Demanda-t-elle en voyant la moue de Tamsyn.

Je suis sûre que si j’aborde le sujet il dira qu’il fera une soirée en ton honneur vu que ça fait longtemps qu’il ne t’a plus vu. Tamsyn balance une de ses mèches de cheveux derrière ses épaules, comme une princesse. Une soirée en son honneur - il serait bien capable. En temps normal, elle détesterait qu’on lui fasse des choses comme ça - la preuve, elle n’aime même pas fêter son anniversaire... mais si ça vient de Neil, elle serait presque prête à l’accepter.

Bien sûr, dés qu’elle pose la question qui tue, sa mère les yeux au ciel. Réaction attendue. Non. Je n’ai pas le temps en ce moment. Et puis… Bullshit, pense Tamsyn. Ce n’est pas qu’elle n’a pas le temps. C’est qu’elle ne prend pas le temps. Parce qu’au fond, elle a juste peur, elle se freine toute seule. Bien sûr qu’elle a le temps, s’exaspère Tamsyn, sans se rendre compte qu’elle sort elle-même la même excuse à tort et à travers, en y croyant à mille pour cent. Ce n’est pas important, j’ai beaucoup de boulot et je t’ai toi, ça me suffit dans la vie. Crois-moi, je suis loin d’être malheureuse. Je t’ai toi et j’ai la bande. Je n’ai pas besoin d’un autre homme dans ma vie. Tamsyn lève les yeux au ciel. C’est ce qu’elle dit à chaque fois. Elle regarde sa mère, mi-exaspérée, mi-inquiète. Quoi ? Tamsyn pousse le plat devant elle pour poser ses deux coudes sur le bureau. J’arrive pas à croire que je sois obligée de te dire ça mais… Elle regarde sa mère dans les yeux, sans ciller. a woman has needs, mom ! Elle a envie de sourire, mais garde son air sérieux, parce qu’au fond, elle est sérieusement inquiète pour le bien-être de sa mère. and by needs, I don’t mean someone doing their cooking or their laundry. I talk about physical needs ! Elle soupire et s’adosse au dossier de sa chaise. T’es jeune, t’es belle. Quand on sort dans la rue, les gens te regardent plus qu’ils me regardent moi. C’en est presque vexant ! Ils croient que tu es ma grande soeur ! Elle pose ses deux mains sur la table, déterminée. Il est temps que tu re-rentres dans le game, maman. Bien sûr, Tamsyn a une idée très précise d’avec qui sa mère pourrait re-rentrer dans le game, mais elle n’ose pas encore mettre le nom sur le tapis. De toute manière, sa mère est déjà probablement bien consciente que le nom de Tobias est sous-entendu depuis le début de cette conversation. Ça ne peut pas continuer comme ça. Je ne te laisserai pas continuer comme ça. Je suis à deux doigts de t’inscrire sur un site de rencontre, ou de te donner de faux rendez-vous avec moi qui sont en fait des dates arrangés ! Son ton est presque énervé, à ce stade. Mais ça fait trop longtemps que ça dure, tout ça. Tamsyn refuse que sa mère finisse sa vie toute seule. Les amis, c’est bien. Le boulot, c’est bien. Mais en attendant, elle aimerait qu’elle retrouve quelqu’un d’autre qu’Ella quand elle rentre à la maison. Quelqu’un qui pourrait la prendre dans ses bras, lui faire de bons petits plats. Quelqu’un qui l’emmènerait en week-end, qui la ferait voyager. Quelqu’un avec qui Tamsyn pourrait regarder des films et se moquer d’elle. Et si ce quelqu’un pouvait être Tobias, alors là, ce serait le top du top.