this is us (sinned)

Sur la Terre, y’a beaucoup de choses à faire, que Nimh avait pas l’habitude de faire sur Altéa. Sur Altéa, elle allait au supermarché, pour acheter de quoi manger, et c’était suffisant. Elle avait plus qu’à préparer, parfois même des plats déjà fait, et à se régaler. Sur Altéa, elle avait un stade, dans lequel elle pouvait courir jusqu’à épuisement. Et lorsqu’elle en avait marre, elle arrêtait juste de faire des tours, et retournait chez elle. Sur Altéa, elle avait un cybercafé. Et elle pouvait se mêler de la vie des autres, qui souvent ne la regardaient pas, pour d’autres personnes. Elle n’a jamais été intéressée par la vie des autres. Juste par les stellars que ça lui rapportait, de trouver des informations. Sur Terre, tout est très différent. Sur Terre, y’a pas de supermarchés, déjà. Sur Terre, y’a pas de cybercafés, non plus. Et elle s’ennuie, Nimh. Elle passe ses journées à marcher dans les bois, et dans des endroits qui semblent désertiques, peuplés juste par des animaux qui sont franchement, mais alors franchement pas beaux à voir. Elle ramasse des trucs qui semblent comestibles, et sans aucun scrupules, les fait goûter à Vidia. Elle a déjà été malade quelques fois, mais well, à croire qu’elle a un système digestif qui réussi à détruire toutes les toxines. Depuis six ans qu’elles sont là, elles ont quasiment fait le tour de tout ce qu’il y a à goûter, et lorsque Nimh va faire des tours dans la forêt, elle sait exactement quoi prendre, et quoi éviter. Puis sur Terre, y’a pas de stades, non plus. Lorsqu’elle court, elle court en ligne droite. Ce qui veut dire que même si elle est fatiguée, elle doit se retaper le chemin inverse tout pareil. Et si les esprits bien pensants s’imaginent qu’il suffit de calculer un peu près combien de temps il lui faut pour se dépenser et être fatiguée, well, ils sont pas elle. Nimh peut pas savoir. Nimh est fatiguée parfois au bout d’une heure, parfois au bout de quatre. Lorsque c’est quatre, elle termine par faire des tours, quand même, finalement, dans les clairières qui sont derrière la cabane. Altéa est bien mieux que la Terre, dans bien des aspects. Sauf que sur la Terre, y’a pas Terrence, et y’a pas ses parents. Y’a pas Johanna non plus. Et la justice, well, elle est rendue par la force, principalement. Et c’est bien. Rien que pour ces petites choses là, Nimh retournera jamais sur Altéa. Pas pour y vivre. Plus jamais. Les fleurs lui manquent, la qualité de l’air probablement aussi. Et les cigarettes, et l’alcool, c’est probablement, oui, clairement, ce qui lui manque le plus. Mais comme le dit Vidia “c’est ta désintox à toi”. Elle a peut-être pas complètement tort. Elle est loin d’avoir complètement raison. Après tout, y’a des trucs qui se fument, ici aussi. Et Nimh est toujours la première en ligne lorsqu’il s’agit de s’en procurer. L’alcool, et ben, c’est une autre tasse de thé. Mais si elle continue à chercher, elle est certaine de trouver une sève d’un arbre qui pourrait lui donner les mêmes effets. Un arbre mort qu’aurait fermenté. Genre.
Elle court, court. La forêt est pas loin devant elle, et c’est lorsqu’elle sera rentrée à l’intérieur que ça va devenir intéressant. Parce qu’à l’intérieur, le sol est plein de racines, de trous, et d’autres obstacles qui pourraient la faire tomber à tout moment. Et elle aime ça, cette sensation de danger. Elle l’adore. C’est pour ça, que quitte à devoir se taper le chemin inverse, elle préfère aller courir dans la forêt, que dans la clairière. Elle a laissé Vidia à la maison, qui lui a passé une commande de trucs à manger, qu’elle pourra récupérer facilement. Et de quelques animaux. Elle a qu’à les voir, et elle pourra les tuer facilement, avec son don. Elle s’arrête, ceci dit, lorsqu’elle ressent quelque chose. Elle est entrée dans la forêt, depuis quelques mètres seulement. Dix ou vingt, pas plus. Mais elle se sent observée, elle se sent pas seule. Et elle sourit, lorsqu’elle se rend compte que l’endroit où elle est ressemble à une arène. Rien dans un cercle de 700 mètres de diamètre, et entouré d’arbres disposés en rond. Nimh a toujours aimé ça, les arènes. Elle s’avance, pour se mettre plus au moins au centre. Et elle se retourne, brutalement, lorsqu’elle entend quelqu’un entrer dans son champ de vision. Et c’est pas la chose, personne, qui l’observait. Mais c’est pas beaucoup mieux. Parce que cette personne court, vers elle. Et qu’elle est agressive. Et si Nimh en a marre de quelque chose, sur Terre, c’est bien de l’agressivité surfaite de ses habitants. La personne charge, et Nimh se recule pas, attend juste l’impact. Quelques mètres avant que l’attaquant arrive, elle met ses mains devant elle, et envoie une bourrasque d’air dans sa direction. Et ça devrait, normalement, la faire reculer de quelques pas. Sauf si c’est vraiment quelqu’un de mince, ou un enfant. Dans quel cas les quelques pas pourraient possiblement se transformer en s’écraser sur un des arbres, les plus proches d’elle.

Paul et Mal font leurs affaires, Sin a les siennes. Elle s’occupe comme elle le peut, depuis qu’elle a trouvé ce qu’elle appelle la clairière. Un petit trou dans la verdure qui sert de terrain d’entrainement. Elle est occupée à modifier la structure de son épée et s’amuser à creuser dans l’acier avec son don pour y créer des petits décors. Elle a courbé la lame pour lui donner l’apparence d’une dague. Elle change souvent de forme, en fonction de son humeur ou de ce qu’elle chasse. La courbe est idéale pour la lancer comme un boomerang. La pointe est plus utile pour le combat. Elle s’entraîne parfois avec un bout rond pour ne pas se blesser. Depuis qu'elle est sur terre, plus aucune obligation ne la retient, elle est libre de faire ce qui lui plaît. Même si il s'agit de rester immobile des heures à fixer le plafond ou assise dehors, à écouter le son des oiseaux et continuer à utiliser son pouvoir ; histoire de ne rien perdre. Elle médite, parfois, comme Romir le lui a apprit. Fermer les yeux et se concentrer sur sa respiration. Elle imagine, parfois, pouvoir communiquer avec lui par ce biais. Mais il ne réponds pas, sans doute parce que Romir n'entend pas. La blonde entend le chant des oiseaux, perçoit le ruissellement de l’eau dans les feuilles géantes et des bêtes qui hurlent à la mort. Mais la voix de l’homme ne résonne pas dans son esprit. Elle essaye d’y accéder, mais elle ne sait même pas comment faire. A vrai dire, Sin n’a jamais laissé personne rentrer. Que ce soit lui. Ou Max. Sin ne maîtrise absolument par leur lien. Elle n'est pas douée avec ça et le vieil homme le sait, elle est certes son âme soeur, mais elle n'est pas sa princesse à sauver. Ni sa princesse tout court. Elle ne serait jamais rien d'autres que son élève et la femme qui a partagé sa vie le plus longtemps. Certains jours, elle se demande quels sentiments elle ressent à son égard et ce que le manque veut bien dire, parce qu'il doit forcément avoir une véritable raison de se manifester. Mais rien ne vient. Il lui suffit de songer aux sentiments qui naissent et fleurissent dans sa poitrine quand elle s'approche de Paul et de Mal pour savoir que, non, elle ne ressent rien pour lui. Du respect, une éternelle reconnaissance. Et pourtant, ça l’enrage, quelque part. Parce que même avec ça, elle a parfois l’impression d’être vide sans lui. Comme addict à sa présence, comme elle l’est à diverses drogues. La Terre lui aura servi de sevrage forcé, sans compter les alcools terrifiants de Mal. Après cela, la bière n’est plus rien.
Sin a un sourire forcé. Puis se redresse quand elle entend du bruit. Cachée derrière un rocher, elle se redresse légèrement pour identifier l’origine. Il s’agit d’une femme. Un être humain, thank god. De loin, elle ne lui dit rien. Mais ici, elle ne connaît personne. Bondissant d’hors de sa cachette. Sin s’élance vers elle à toute allure. Quand elle se prend une bourrasque en pleine figure, un sourire sincère se dessine sur ses lèvres. Une altéenne !   Les gens ici n’ont pas de pouvoir. Elle l’a rapidement comprit. Mal n’a jamais rien vu de la sorte et Paul la prend pour une sorcière. Il lui a dit vouloir faire pousser des plantes par magie aussi, mais ce n’est pas le don de Sin. Elle contrôle les métaux. Et si elle avait une arme elle aurait guidé la balle. Mais elle n’a que sa dague. Sin se sert néanmoins de son don pour allonger la lame comme une épée et la planter dans le sol meuble. Cela ralentit sa chute, mais son poids plus la fait reculer. Peut importe. Cela fait du bien de se battre contre quelque chose de vivant, autre chose qu’un animal. Quelqu’un qui vient de son monde. Peut-être qu’ils l’ont retrouvé. Cette idée fait pulser l’adrénaline dans ses veines et elle lance un nouveau assaut, courant en zig zag pour rendre la visée pour difficile. Elle modifie à nouveau la forme de sa petite épée pour en faire un surin qu’elle lance dans la direction de son adversaire, éspérant toucher son bras ou, si vraiment elle rate, sa jambe. Non pas pour la tuer mais pour ralentir ses mouvements. Détourner son attention et mieux attaquer de front avec un uppercut.
Sin sent néanmoins que le manque d’entraînements l’a rendue moins rapide qu’elle le voudrait. Romir était toujours très intensif. Parfois, il frappait pour de vrai. Jeune, elle adorait ça. Elle frappait fort, aussi. En grandissant, l’homme osait moins. Sinned n’a jamais retenu ses coups.

C’est probablement pas une très bonne idée qu’elle a eu, de s’en prendre à quelqu’un, maintenant, dans son état actuel. Mais elle y peut rien, et elle expliquera, si elle rentre blessée, que c’était de la légitime défense. Ce qui, en soi, n’est pas complètement faux. Certains habitants d’ici, elle l’a appri malgré elle, sont fous. Assez fous pour aller frapper une dame enceinte. Pas qu’elle se considère comme une dame, ça lui donne un ton d’incapacité à se défendre, manquerait plus qu’elle s’ajoute une tour et un nom de princesse. Non. Mais s’attaquer aux femmes enceintes, c’est pas cool. Même sur Altéa, les plus gros connards le feraient peut-être pas. Elle est pas sûre. Elle les connaissait pas tous. Elle en connaissait un, et c’était déjà bien suffisant. Lorsqu’elle envoie la bourrasque, elle s’arrête un instant. Fût une époque où elle se serait pas arrêté pour regarder, elle aurait continué de charger jusqu’à ce que son ennemi(e) se retrouve au sol, en sang, dans l’incapacité totale de se relever. Mais c’est différent ici. Ici, c’est pas Altéa. Ici, elle a peut-être réellement blessé quelqu’un, et si ce quelqu’un appartient à un clan ou autre chose, elle peut être très mal. Puis, ici, elle est enceinte de cinq mois. Et vraiment, ça commence à se voir. Et ça commence aussi à sérieusement la fatiguer. Malgré l'exercice, malgré sa force physique légendaire qu’elle a tout fait pour conserver. Puis, le bébé commence à peser, aussi. Alors elle s’arrête quelques secondes, pour essayer de voir qui est à l’autre bout de son coup de vent, mais elle voit rien. Parce qu’il y a plus personne. Et ça la fait froncer les sourcils. Les gens sur Terre sont principalement des bourrins, et très peu d’entre eux sont réellement agiles. Alors, peut-être bien qu’elle a pas rencontré les bonnes personnes, mais ceux qu’elle connaît sont plutôt frappe et pense ensuite. Plutôt que feinte et frappe ensuite. La personne contre qui elle semble se battre, elle est capable de feinter. De réfléchir, donc. Et elle est armée. Nimh a à peine le temps de voir une trace dans le sol, fait par un bout de quelque chose, peut-être une épée, c’est la première chose qui lui vient à l’esprit, qu’elle sent un truc se planter dans son bras. Et ça fait mal. Et l’adrénaline grimpe en elle, la colère, aussi. Parce que si cette dague avait été mieux lancée, elle aurait pu toucher son ventre. Et là, là, Nimh aurait probablement été d’humeur meurtrière.
C’est pas le cas, elle est juste remontée. Elle se concentre, et ferme les yeux pour écouter le vent, autour d’elle, essayant de localiser son adversaire. Et elle la trouve. La façon dont elle se déplace lui prouve qu’elle a à faire à une femme. Et les femmes sont les pires. Surtout les femmes armées. Nimh en sait quelque chose. Sa némésis de toujours était une femme armée. Et dans d’autres circonstances, elle prendrait quelques secondes pour se demander ce qu’est devenue Sinned. Elle le fait pas. Elle est pas dans d’autres circonstances. Elle rassemble sa concentration, et provoque de nouveau un appel d’air, cette fois sous les pieds de la femme, qui était arrivée à quelques mètres d’elle.
Et Nimh se retourne, cette fois alerte. Prête à charger, réellement cette fois ci. Quitte à ce que ça se termine dans un bain de sang. Elle ne prendra pas le risque que quelqu’un, quelque chose, touche son ventre. Son bras lui fait mal lorsqu’elle le lève, s’apprêtant à mettre un coup de poing à la personne face à elle, qui est retombée par terre, le coup de vent passer. Mais s’arrête, le poing lever. Et baisse le poing. La bouche ouverte, et les yeux clignant plusieurs fois, de surprise. “Sinned ? C’est toi ?” Devant elle, une blonde. Et des yeux bleus qu’elle connaît que trop bien, pour les avoir défié plus d’une fois. Elle lâche un petit rire, un peu désabusé, et pose sa main contre la plaie de son bras. L’arme est encore à l’intérieur, c’est pas grave. Au moins, elle sait qu’elle aura pas à réellement se battre pour sa survie, pas aujourd’hui. Pas face à elle. Elle attend que la femme face à elle se relève, pour qu’elle puisse s’excuser des coups de vents, et pour que Sinned puisse s’excuser à son tour.
Mine de rien, malgré tout ça, Sinned lui a manqué.

Sin reconnaît la voix avant un physique. Comme un petit chien qu’on a entraîné et qui est sensé répondre aux ordres, simplement dictés. Romir lui a enseigné les choses ainsi. Marche. Ne dit rien. Suis moi. Frappe. Frappe. Elle l’a si longtemps fait qu’elle est rodée à l’exercice et ferait une bonne aveugle. Attentive au son des déplacements dans l’air, au ton employé par une voix ainsi que son origine. Elle fait une bonne observatrice, comme un rapace. Un aigle, aussi capable de fondre sur sa proie et la transformer en charpie. Sin est une arme de guerre. Agile, silencieuse et bien entraînée. Quoique le sérieux manque d’exercice intense l’ait rendue plus molle. Il faut dire qu’au sein de la CPIM, l’entraînement des assassins n’a rien à voir avec celui d’un soldat classique. L’effort demandé est triple, l’erreur inexistante. Plus nulle que nulle.
Sinned, c’est toi ?
La blonde se laisse retomber, à bout de souffle coupée dans son élan, comme un retour de boomerang. Elle mord la poussière, mais ce n’est pas très grave. La surprise en vaut bien la peine, instinctivement elle sait que le danger n’en est plus un. Déjà, si c’est une Altéenne, alors c’est forcément quelqu’un de seul ou qui vit avec des personnes intelligentes, qui ne l’ont pas encore emprisonnée pour sorcellerie. Il faut voir les regards effrayés de certains clients vis à vis de Mal et pourtant, elle est parfaite humaine aux dernières nouvelles. De trop nombreuses informations lui parviennent en même temps. Trop nombreuses pour qu’elle analyse tout dans l’immédiat. Elle n’est pas un cerveau Sinned, elle est avant tout des bras. Elle n’a que la stratégie militaire pour elle, celle d’un général car son mentor l’a trop souvent laissé à ses cotés. Pensant sans doute qu’elle était plus méchante que bête. Tout le reste, c’est du vent. Elle pense à ce vieux préjugé qui dit que seul une femme peut faire deux choses à la fois ; ce n’est pas vraiment le cas de Sin. Elle ne peut pas réfléchir en se battant, à moins que ses pensées ne soit liées de près ou de loin à l’affrontement. A quatre pattes, elle redresse la tête. Non, c’est pas possible. Les traits ont vieillis, mais on ne change pas une personne. Surtout pas une belle femme comme Nimh. Rapidement, la blonde se redresse sur ses deux jambes trop fines et trop tremblantes d’effort. Elle a le souffle court et les yeux écarquillés. C’est une surprise de taille. Elle l’observe de la tête au pied, détaille son corps qui s’est arrondi et craint de comprendre ce que cela veut dire.
Elle est… enceinte. Et Sin l’a gratuitement attaquée, blessée qui plus est. Haletante, la blonde accourt avec elle. Nimh ?! Oh merde, je suis désolée !  Je… Je connais des plantes médicinales. On peut faire des bandages avec les grosses feuilles. La blonde a vu des blessures plus crades et mortelles qu’un couteau planté dans le bras, surtout son couteau. L’acier est très coupant, certes. Un peu à la manière d’une feuille de papier, de très fines coupures qui peuvent se révéler très profondes si on s’y donne à coeur joie. Well, plus profonde que du papier quand même. Sin est un peu… perturbée. Je peux savoir ce que tu fiches ici ? Si la question peut être très facilement retournée, elle s’occupera plus tard de sa propre explication. D’ailleurs, elle est sensée être morte sur Altéa. Mais son ancienne adversaire n’a pas l’air de quelqu’un qui a vu un fantôme. Seulement quelqu’un qui ne s’attendait pas à la voir en pleine forêt. C’est compréhensible. Sin non plus ne se voyait pas en forêt. Mais les gens changent. Sous son air étonné et panique, un sourire plus chaleureux habille son visage. Un peu nerveux aussi.
C’est une belle rencontre.

Sinned et elle, c’était l’histoire du siècle, lors de la formation. Y’a eu plein de couples, et plein d’histoires de familles, et plein d’histoire d’amitié. D’ailleurs, plus souvent que jamais, elles se ressemblaient toutes plus ou moins. Puis, à côté, hors du temps, y’avait Sinned et Nimh. Les deux némésis, les deux rivales. Celles qui se battaient pour la première place, et qui se battaient entre elles pour se montrer leur sentiments. Des sentiments amicaux, plus proche du défi perpétuel que de la réelle amitié douce et calme. Puis, Sinned est partie, puis Nimh est partie. Rumeur dit que c’est lié, parce que c’est forcément lié. La réalité, c’est que depuis le départ de Sinned, Nimh n’a jamais plus eu de nouvelles. Et en tout sincérité, n’en a pas cherché plus que ça. Lors de la formation, elle était essentielle, Sin. Cette rivalité était essentielle, pour qu’elle puisse bien évoluer, et toujours devenir meilleure, et meilleure, qu’avant. Le but étant de devenir meilleure de Sinned, tout le temps. Nimh l’avouera jamais à haute voix, mais Sinned était plus souvent première qu’elle, ne l’était. Mais à côté, Nimh était parfois plus la préférée des professeurs. Et c’était une petite bataille, à chaque examen, de voir qui allait terminer première. Et c’était à base de ‘ce sera pour la prochaine fois’ ou de ‘félicitations’ à chaque annonces de résultats. Alors si Nimh n’a pas cherché à savoir ce qu’était devenue Sinned, certes, elle lui a quand même un peu manqué. Parce que, est-ce que, finalement, elle aurait pas eu envie de voir Sinned, lors de toute cette époque complètement barrée qu’elle a vécu, lorsqu’elle a apprit pour Terrence ? Peut-être que Sinned aurait pu l’aider à se battre contre ça, contre sa famille. Contre ce qu’elle pensait lui être imposée. Mais encore, si elle avait été là, peut-être que Johanna n’aurait jamais eu de place dans sa vie. Et même si, maintenant, elle crie à qui veut bien l’entendre, qu’elle aurait préféré ne jamais la rencontrer, elle sait au fond que c’est pas vrai. Johanna a été la personne la plus importante pour elle pendant une longue partie de sa vie. Et c’est très bien comme ça. Nimh ne changerait ça pour rien au monde. Mais peut-être que si Sinned était restée, sa vie aujourd’hui serait bien différente. Et de ce qu’elle voit, aujourd’hui, de Sinned, peut-être même qu’elles auraient pu mettre Terrence hors de nuit, à elles deux. De toute façon, Nimh se rend bien compte, après ce petit accrochage, que quiconque voudrait se mettre sur le chemin des deux blondes, ne resterait pas vivant assez longtemps pour en parler.
Nimh, normalement, devrait faire attention, à son ventre, à sa grossesse. A son enfant. Mais elle le fait pas avec excès. Parce qu’elle a apprit, pendant plusieurs années, à retomber sans avoir aucune crainte de se faire plus mal que de besoin. Parce qu’elle sait que son enfant, il est aussi fort qu’elle. Et son père non plus, d’ailleurs, c’est pas un faible. Son enfant pourrait survivre beaucoup de choses. Alors du moment que le ventre n’est pas directement touché, elle craint rien. Et Nimh trouve ça normal, de rien craindre. Ce qui fait pas d’elle une mère irresponsable, juste réaliste. Elle vit sur cette Terre, ce qui rend, de toute façon, l’environnement dangereux, d’une manière ou d’une autre. Si elle devait s’inquiéter pour son enfant à chaque danger croisé, elle sortirait plus de chez elle. Et Nimh supporterait pas, de plus sortir de chez elle. Elle voit Sinned se relever, tremblante, et s’approcher d’elle, les yeux choqués. Rien de surprenant. Nimh le serait aussi, si les rôles étaient inversés. Et lorsqu’elle se met à parler, Nimh sourit. Parce que cette voix, c’est la même qu’avant. Et c’est juste, amusant, de se retrouver face à une Sinned qu’a vieilli, mais qui semble toujours la même. Bien que si différente, pourtant. D’elles deux, Nimh a l’impression que Sinned est celle qui a le plus changé. Et pourtant, elle en a vécu, des trucs, Nimh, pendant tout ce temps. Elle a l’impression que comparé à ce qu’a pu vivre Sin, c’est rien. Et ça l’inquiète. Un peu. Elle sourit, lorsque Sin continue à parler. Parce que c’est vrai qu’elles ont beaucoup de choses à se dire. Beaucoup, beaucoup de choses. Et Nimh se rend compte qu’alors qu’elle a tendance à garder son histoire familiale pour elle, probablement par honte, elle a envie d’en parler à Sinned. Il faudra qu’elle fasse gaffe à ce que Johanna, soit pas dans les parages, mais elle a envie de lui raconter ce qui lui est arrivé. Puis, elle espère qu’en s’ouvrant à elle, elle pourra aussi l’inciter à lui offrir la réciproque. Alors Nimh s’assoit, avec une facilité déconcertante, vu son ventre rond. Mais des années de sports aident, dans ces cas précis là. La main toujours sur la plaie, elle regarde Sinned, encore debout devant elle. “Je vais te raconter tout ça. J’ai vu des feuilles médicinales en arrivant, par le Sud, à quelques mètres après les arbres. Tu veux bien aller les chercher ? Je bouge pas, je t’attends. J’ai plein de trucs à te raconter.” C’est vrai. Elle veut lui parler de Terrence, et d’Anna. Elle veut lui parler de Jean, et de son cluster. Elle veut lui parler de son jumeau cosmique, aussi. Elle veut lui parler d’Altéa et de sa justice si peu régulière. Et puis, elle veut qu’elle lui parle, aussi. Pourquoi elle est partie de la formation ? Où est-ce qu’elle est partie ? Est-ce qu’elle a été heureuse, là où elle était ? Est-ce qu’elle a continué, malgré tout, à être la première partout ? Nimh veut tout savoir. Nimh a retrouvé une amie, et Nimh en manque sérieusement, en ce moment. De vrais amis.

Sinned n'avait beaucoup d'amis lors de la formation. C'était sa faute, elle ne jette la pierre a personne personne, elle était imbuvable. Avec le recul, elle se dit que si dès le départ elle avait fait des compromis, peut-être que les choses se seraient passées autrement. Mais il a fallu qu'elle soit bornée, une vraie tête de mule et une brute de décoffrage. Elle refusait de se laisser approcher. Elle ne venait que pour les résultats, parce qu'il fallait le faire. Parce qu'apparent, elle en avait le potentiel et que c'était un but suffisant pour elle. Le reste ne l'intéressait pas. Elle n'allait jamais en soirée, elle ne buvait que seule chez elle quand John ne regardait pas, elle a commencé avec les cachets contre la douleur d'Harold. Elle aimait déjà le faire avant de dormir, elle avait l'impression de mieux sombrer une fois défoncée. Sin a donné du fil à retordre à tout le monde. Déjà auprès de ses parents adoptifs et encore plus à la l'école. Romir est le seul qu'elle a respecté, mais aujourd’hui elle ne sait pas ce qu'il devient. Sans doute parce qu'elle l'estime toujours, elle a apprit à serrer les dents et ravaler sa colère. Elle n'est plus une sauvage gamine, mais elle demeure un fauve.
Elle distribuait plus de coups de poings qu'autre chose et s'est trouvée de nombreuses fois au bord de l'expulsion. Sinned n'aurait jamais du réussir, elle n'allait pas avec le paysage propre et soigné de Paracelse. Mais elle n'avait que ça, alors elle ravalait sa colère et restait dans les rangs. Hors de l'école, elle serait devenue un voyou. Pour sa mère, elle voulait avoir une situation. Pour elle même aussi, parce qu'elle n'avait pas envie de passer sa vie à courir après quelque chose qu'elle n'était pas capable de déterminer. Sans but, elle craignait de se perdre et de s'ennuyer. Sin n'avait absolument pas envie de mourir. Il fallait qu'elle vive pour le reste de sa famille. Ce qui a toujours énervé les autres, car c'est qu'elle s'en sortait. Parfaitement bien. Maîtriser sa manipulation n'a jamais été un soucis, elle s'est toujours senti à l'aise avec le métal. Rassurée par les lames en particulier. Un hobby qui a d'abord effrayé. Une sauvageonne armée n'est rassurant pour personne. Mais jamais elle n'aurait eu l'idée de s'en servir contre ses camarades, pour elle, ce n'était que le sentiment. Celui de savoir qu'elle pouvait se protéger et de se défendre par elle même. Elle allait être indépendante. Elle prenait cette partie très au sérieux. Quand il s'agissait des cours, Sin était trop studieuse pour qu'on puisse lui reprocher quoi que ce soit. Les professeurs s'en mordaient les doigts. Ils attendaient l'occasion parfaite pour la faire renvoyer. Les psychologues étaient à la recherche de la petite bête. Mais Sin a apprit très tôt à résister à la pression. Quand à son prétendu passé tragique, n'en avoir aucun souvenir l'a aidée à surmonter les questions pièges. Impossible de prouver que quelque chose n'allait pas chez elle. Et pourtant, elle était plus froide que la glace. Froide et insensible.
Alors, sa rivalité avec Nimh, c'était quelque chose. Pour la première fois, elle paraissait plus humaine. Elle adressait enfin la parole à quelqu'un sans l'agresser systématiquement. L'autre était très intelligente, plus que Sin ne le sera jamais. Si en pratique Sinned était plus forte, Nimh était plus vive. La blonde est un véritable soldat, c'est pour cette raison que le programme l'a approchée. Parce qu'elle n'allait pas réfléchir et remettre en question les ordres qu'on allait lui donner. Grossière erreur, pense Sinned. Ils ont l'air malin, maintenant qu'elle est dans la nature. Et pour ça, encore faudrait-il qu'ils découvrent qu'elle a réussi à leur filer entre les doigts.
Pour la première fois, elle a le sentiment que son existence est entre ses mains, sous son contrôle.
Elle est heureuse et surprise de retrouver son amie. Elle ne réalise pas encore totalement. En revanche, elle réalise qu'elle n'est pas plus étonnée qu'elle le devrait. Sinned est sensée être morte, c'est une information qui est passé dans son cercle d'amis. Si Adriel le sait... alors pourquoi pas Nimh ? Pour l'heure, elle s'absente pour aller chercher les plantes dont elle lui a parlé. Heureusement, les enseignements de Mal lui ont apprit à reconnaître les feuilles qu'il faut repérer et celle qui ne sont pas intéressantes. Celles dont elle a besoin sont plus grandes et aux bords pointus. Elle se souvient qu'il faut faire attention car elle secrète une substance qui peut être très urticante si on n'y va pas de main morte. Auprès de ses nouveaux compagnons, Sin a apprit la tendresse. Faire des gestes moins brusques, plus retenus. Fermer sa bouche, apprécier le silence. Ne pas toujours dire ce qui lui traverse l'esprit. Elle est devenue plus mature. Elle avait besoin de ça, pour passer le cap. Passer à autre chose. Sin n'est pas une personne qui aime vivre dans le passé. Elle appréhende finalement toute cette mise au point qui l'attend auprès de Nimh. Jusqu'à présent, elle a gardé son histoire pour elle et n'a jamais évoqué
à qui que ce soit tout ce qui s'est passé. Malik. Le Carnet. Sa trahison. Ce qu'elle a fait. Néphède. Dix ans de sa vie. Dix ans passés à être quelqu'un d'autre.
De retour dans la clairière, la blonde s'assoit pour s'occuper de la blessure de Nimh. Elle hésite à l'inviter à l'église un instant, mais elle ne sait pas combien des kilomètres elle a parcouru et ceux que Nimh devra parcourir au retour. De plus, elle n'a pas forcément envie de la présenter maintenant. Presque pudique sur sa nouvelle vie. « Tu es là depuis longtemps ? » Sans tarder, Sin pose la question qui la taraude depuis le début. Elle n'imaginai pas Nimh vivre ailleurs que sur Altéa. Peut-être qu'elle s'est perdue ? Sin pourrait la raccompagner.
A moins qu'elle soit mieux ici.
Enfin, sauf pour le bébé.
Son regard dévie sur son ventre arrondi, les sourcils froncés, elle dévisage la chose avec une curiosité apparente et une moue contrariée.
Sin n'a jamais imaginé un instant devenir mère. Ses dernières relations étaient avec des femmes, la question ne se posait pas. Elle ne s'imagine pas être maman. Elle serait une mauvaise mère, parce qu'elle serait trop absente et qu'elle ne sait pas donner de l'amour.
Elle se pose des milliards de questions.
Et le père ? Est-ce un terrien ? Est-ce qu'il est triste ?

Elle a pas peur. Elle pourrait avoir peur de lui parler. Mais quelque part, c’est pas le cas, sans trop qu’elle sache pourquoi. Tout ça, elle le gardait pour elle. Tout ça, ça fait six ans qu’elle le garde pour elle. Terrence. Puis Jean, plus tard, puis la petite Jean, ensuite. La signification du prénom qu’elle va lui donner. Elle le garde pour elle. Leonhard est en courant, évidemment. Mais parce que Leonhard, son jumeau, sait évidemment tout d’elle, comme elle sait tout de lui. Mais elle a jamais ressenti réellement le besoin de parler de tout ça à quelqu’un, avant de tomber sur Sinned, à qui elle sent qu’elle peut en parler. Puis, Sinned a toujours eu cette parfaite façon de s’en battre les cacahuètes de tout sauf de sa réussite. Et peut-être qu’elle aura l’impression de parler à un journal intime, plus qu’à une personne réellement vivante avec de réels sentiments. Puis y’a aussi le fait que Sinned irait jamais trouver Johanna pour lui répéter tout ça. Que Sinned ira jamais parler de tout ça à quiconque, Nimh en est à cent pour cent sûre. Elle sait pas comment elle le sait. Elle le sait. Ce qu’elles ont vécu, lors de la formation, c’était différent de toutes les autres relations qu’elle a eu, Nimh. C’était fort. Pas que les autres relations l’étaient pas. Mais c’était pas de l’amour, c’était pas vraiment de l’amitié, c’était autre chose. Et elle est heureuse de pouvoir retrouver cette chose qui les liait, quelle qu’elle soit. Qui peut-être, au fil des années, a terminé par se transformer en amitié, malgré elles. Peut-être que le temps, le manque, a fini par transformer cette rivalité positive en une amitié que Nimh aurait pas pu imaginer possible. Sinned non plus, probablement. La blonde revient avec les feuilles, et c’est les feuilles qu’il faut, Nimh les connaît. Elle se dit rapidement que Sinned aussi, les connaît, bien. Peut-être qu’elle connaît la Terre aussi, d’une façon ou d’une autre. Et tout d’un coup, Nimh a envie de rire. Parce qu’elles se sont jamais croisées, avant aujourd’hui. Elle se met rapidement à s’occuper de la blessure, et Nimh est presque surprise par les gestes de Sinned. Elle a le souvenir d’une Sinned dure, d’une Sinned brutale, et sans aucune tendresse. Et si le portrait est pas très positif, ça semblait logique, à l’époque, dans une ligne de conduite bien spécifique à la blonde. Mais ses gestes, lorsqu’elle s’occupe de la blessure qu’elle lui a infligé, ils sont doux. Pas doux comme ceux de Johanna le seraient. Mais bien plus doux qu’elle aurait jamais imaginé ceux de Sinned être.
Nimh hoche la tête, à la question de Sinned. “Depuis six ans.” Elle est là depuis si longtemps. Sur Terre. Elle sait pas trop si elle doit lui parler de tout ce qui lui est arrivé depuis qu’elle est sur Terre. Et pourtant, y’a cette confiance qu’elle ressent, ce besoin de se confier, et cet étrange attirance pour la confiance qu’elle place envers Nimh. Elle se laisse soigner, ce qui déjà est une preuve de confiance assez incroyable, qu’elle place en elle. Elle sourit, et se laisse faire. Et ses lèvres, sa langue se délient. Et Nimh retient plus rien, Nimh dit tout. “J’suis arrivée y’a six ans. Je sais pas si tu te souviens de mon… De Terrence. Il a eu une fille, Vidia. Et il s’est avéré que c’était un enfoiré qui violait des gamines. J’ai pris sa gosse sous le bras, et j’suis partie avec elle. Sur Terre. J’y ai rencontré mon jumeau cosmique, Leonhard. Et il est génial. Et y’a mon cluster. Et dans ce cluster, y’a Johanna. Je sais pas si tu te souviens d’elle, et probablement pas. Mais ouais, on a eu un truc, toutes les deux. Mon frè… Terrence, il a fini par violer la mauvaise meuf, qui a fini par se suicider. Et c’était la cousine de Johanna. Je lui parle plus. Du tout. Je l’évite, en fait, pour être honnête. J’suis botcher. J’ai loupé exprès le dernier examen. J’voulais pas être la soeur de ce Terrence warden qui viole des gamines. Du coup. Bref. Et j’ai rencontré le père de mon enfant. Il voulait un enfant, moi aussi. Et ça s’est fait. Mais on est pas un couple, ou quoi, c’est plus un arrangement amical.” Et ça lui fait un bien fou de parler de tout ça, de tout déballer, tant, tant de bien. Elle se tourne finalement pour regarder Sinned et rigole un bon coup, finalement, comme si c’était une façon de dédramatiser tout ce qu’elle venait de dire. “J’suis désolée, je sais pas pourquoi je te dis tout ça à toi. Et toi alors ? Depuis quand t’es sur Terre ?” Elle est intéressée, aussi, par la vie qu'a mené Nimh jusqu'à maintenant. Elle veut savoir. Peut-être qu'elle se dit que sa vie doit pas être la plus pourrie des deux, finalement. Et si c'est pas vraiment sympa de penser de cette façon, well. Nimh est pas connue pour sa gentillesse inconsidérée non plus.

En l'écoutant parler de sa vie, Sinned réalise que la sienne est un gouffre béant, au fond duquel s'empilent les cadavres qu'elle a laissé derrière elle. Mais en dehors de toutes les fois où elle a utilisé sa lame pour faire terre des gens un peu trop curieux, en dehors de toutes les fois où elle s'est servie de sa petite taille pour se faufiler entre des murs et écouter des discussions privés, il n'y a rien. Depuis qu'elles se sont vues, Sin a bel et bien finit son programme d'étude, décrochant haut la main le poste qu'on lui avait promis. Elle est devenue une Warden digne de ce nom et durant les dix dernières années, elle a gagné une sorte de popularité, vite éteinte quand elle est partie vivre sur Néphède pour sa misson. Et puis, elle s'est laissé survivre, doucement mais surement. Vivre la nuit, dormir le jour, ne rentrer que pour parler du bon vient temps avec son mentor et le fuir chaque fois qu'il se mettait à parler de l'amour.
Celui qu'elle ne pouvait pas lui donner.
La blonde n'a pas eu ce dont ele rêvait, elle n'a jamais rien attendu du monde, de la vie en général. Mais elle a eu une existence mouvementée, moins que celle de Nimh. Moins d'horreurs. Sauf celles commises par ses doigts fins et experts.
Elle n'a pas grand chose à raconter, sauf peut-être qu'elle a plus ou moins rencontré son jumeau cosmique. Qu'elle connaît l'identité de son âme soeur mais ne partage de relation avec personne.

Elle sourit bien sur, quand elle lui parle de grossesse. Elle essaye de compatir, de faire sortir la femme qui est en elle, mais son regard dévisage son ventre comme le ferait un enfant de bas âge qui apprend qu'il va avoir une petite soeur, et le digère mal. Elle n'aimerait voir son ventre s'arrondir, se voir limitée dans ses mouvements. Elle ne s'imagine pas faire attention à une autre vie que la sienne, elle est trop engagée dans ce qui lui tient à coeur pour se soucier de quelqu'un d'autre. Même si c'est un peu ce qu'elle fait quand elle est en compagnie de Mal et Paul. Elle peut toujours parler d'eux, qui depuis un an représente toute sa vie. Tout ce qu'il en reste et tout ce qui reste à écrire. A coté de Nimh, elle a réellement l'impression d'avoir brassé de l'air. « Tout ce que tu as enduré... ça a du être vraiment dur. Je suis désolée de ne pas avoir été là pour toi... J'aurai aimé. Être ce genre de personne. » Le vécu de Sinned peut paraître dur parfois, aussi. Mais elle n'en parle jamais et ne s'en soucie pas. Elle n'est pas du genre à se lamenter sur son sort, sur le début difficile qu'elle a eu dans la vie. Et sur sa jeunesse qui ne ressemblait à rien. Maintenant qu'elle est plus vielle, elle se dit que le meilleur est à venir, que sa vie va enfin vraiment commencer. Elle n'a pas d'empathie pour les autres en revanche, elle a cette prétention. « De mon coté, j'ai travaillé pour le gouvernement après avoir quitté l'université. Renseignement, à propos des mondes. C'est un programme spécial. J'ai rencontré mon âme soeur, c'était mon mentor. Jamais rien eu entre nous. Elle grimace, ça l'aurait dérangé, qu'il y ait quelque chose. Je suis partie vivre dix ans dans un monde qui se nomme Néphède, pour le boulot. Je ne sais pas si tu le connais.   » Elle ne se gène pas pour lui dire la vérité. Elle ne craint rien ici. Personne ne va venir les chercher, personne n'ira la mettre en prison pour avoir révélé des secrets d'états. Ici, il peut bien aller se faire foutre. Au fur et à mesure que sa langue se délie, elle ne peut pas s'empêcher d'avoir les yeux qui brille et un sourire béat. Elle retrouve ce plaisir de parler à son amie d'enfance. Peut-être bien la seule qu'elle ait jamais eu. « Il y a un an, j'ai tout envoyé chier et je suis venue ici pour me faire oublier. Officiellement, je suis morte. C'est mieux comme ça. Il fallait que je m'échappe. Ici, j'ai rencontré une femme qui m'a hébergée, puis un gars s'est rajouté. Il a du se perdre, un peu comme moi. Mais on est perdu à trois et ça me plaît. » Elle aime parler d'eux, elle parle d'eux comme de sa famille. Elle aime Paul et Mal, d'une force qu'elle ne comprend pas, qu'elle n'aurait pas imaginée.
Elle tuerait pour eux. « Et maintenant... je fais plus rien de spécial. J'ai trouvé la paix, on va dire. J'aime cet endroit, même s'il est bizarre parfois. Il me rappelle Altéa, avec la nature. » Nerveusement, elle croise et décroise ses doigts. La paix. C'est vrai et faux à la fois, elle sera toujours poursuivie par ses actes, et les secrets derrière elle, et les corbeaux.

Nimh a envie d’entendre Sinned parler d’elle. Pourquoi elle est partie si abruptement du processus ? Qu’est-ce qu’elle a fait, ensuite ? Qu’est-ce qui a fait qu’elle est arrivée sur Terre, après tout ça ? Après tout, elles ont toutes les deux choisies (ou non, d’ailleurs), un chemin différent. Mais pourtant, elles se retrouvent toutes les deux là, aujourd’hui, face à face. Après un combat (pas vraiment digne d’elles), à parler du passé. Et Sinned, Nimh s’en rend compte, est la bien la seule personne à qui elle se sent capable de confier tout ça. Et de parler, réellement du passé. Il y a de ces personnes avec qui elle a pas réellement le choix. Leon, Vidia. Elle est obligée de leur parler du passé. Vidia connaît son père mieux que quiconque, et c’est terrible. Alors parfois, pour la soulager du poids d’avoir un père comme ça, Nimh lui parle du lointain passé. Celui où son père n’était pas encore qu’un affreux connard. Parfois elle lui parle des nuits entières qu’il passait à lui raconter des histoires parce qu’elle avait peur de faire des cauchemars. Ou de l’époque où il l’aidait à manger, à apprendre à marcher, et tout ça, parce que ses parents, eux, le faisaient pas. Sans Terrence, aucun doute que Nimh serait devenue une incapable. Puis Leon. Leon, il sait tout, de toute façon. Il lit dans son esprit comme dans un livre ouvert. A eux deux, elle a pas le choix, que de leur parler du passé. Mais Sinned ? Sinned elle le fait parce qu’elle a envie de le faire. Parce qu’elle a besoin de le faire. Puis elle se dit qu’à une époque, elles faisaient bien une compétition pour savoir qui était la meilleure, elles peuvent pas compétiter aujourd’hui pour savoir qui a eu le passé le plus pourri. Nimh, sans paraître égocentrée, est presque sûre de gagner.
Lorsque Sinned lui répond, Nimh sourit un peu. C’est plaisant d’entendre des mots comme ceux-là. D’entendre que quelqu’un remet pas en cause son choix de fuir. Plutôt que d’affronter le problème. Et de savoir qu’elle aurait aimé être là, c’est rassurant, aussi. Nimh peut s’imaginer sans aucun soucis ce qui aurait été différent, si elle avait été là. Et peut-être que Terrence serait en prison, ou, en tout cas, plus en état de nuire. Peut-être qu’elle aurait quand même finit le processus, rien que pour être meilleure que Sinned, malgré Terrence. Et peut-être qu’en tant que Warden, elle aurait pu l’envoyer valser, Terrence, et le mettre en taule par elle-même. C’est peut-être ce qu’elle aurait dû faire, avec ou sans Sinned. C’est pas ce qu’elle a fait, ceci dit, et il est trop tard pour regretter. Elle hausse juste les épaules, Nimh. C’est pas un problème d’être ou de ne pas être ce genre de personne. D’ailleurs, Nimh est pas trop sûre de ce que c’est, ce genre de personne. Une amie ? Est-ce qu’elles ont réellement été amies, à cet époque ? Oui, probablement. Trop fières, qu’elles étaient, elles ne l’ont juste jamais dit.
Nimh tend l’oreille lorsque Sinned commence à parler d’elle. Peut-être que ça pourra lui changer les idées, d’entendre quelqu’un d’autre parler de soi. De l’entendre elle, parler. De sa vie, de son passé. Lorsqu’elle apprend qu’elle a travaillé pour le gouvernement, Nimh est surprise, un peu. Si y’a bien un endroit où elle imaginait pas Sinned, c’est au gouvernement. Mais soit, pourquoi pas. Elle lui parle d’âme soeur. C’est un concept un chouilla abstrait pour Nimh. Elle sait qu’elle en a un, quelque part, comme tout le monde. Mais sait pas où, ni qui. Et ça l’importe, en réalité, bien peu. Elle secoue négativement la tête lorsqu’elle lui parle de Néphède. Elle connaît pas vraiment, per se. En a entendu parler. C’est le monde de naissance de Leon, après tout. Mais n’y a jamais été. Pas encore. Elle continue d’écouter son récit. Sinned a pas vraiment parlé de ce qu’elle faisait sur Néphède. Mais pour qu’elle doive se faire officiellement passer pour morte, ça devait pas être de la cueillette. Et lorsqu’elle compare la Terre à Altéa, Nimh hoche la tête, un peu. Y’a de ça. Elle pourrait pas dire le contraire. C’est aussi pour ça, qu’elle s’y sent assez bien pour y vivre. “Ouais. Les animaux à trois têtes en plus.” Et elle en a croisé, des monstres comme ça, sur Terre. C’était flippant. Non, même, plutôt traumatisant pour être honnête. Elle qui pensait avoir tout vu avec le processus, c’est. Non. “Je suis contente pour toi. Que tu aies trouvé la paix, c’est cool.” C’est une quête difficile. Et c’est loin d’être résolu, encore, pour Nimh. La paix, elle ne l’aura pas tant que Terrence sera en liberté, ou vivant. Et tant que Johanna recherchera qui a provoqué la mort de sa cousine. Tant qu’il y aura ce risque qu’elle apprenne que c’est Terrence. Tant qu’il y aura ce risque qu’elle lui en veuille, pour toujours. Elle pose sa main sur son ventre, rond, et le caresse, doucement. Elle est heureuse de pouvoir donner vie à un nouveau petit être. Mais espère que sa vie sera plus posée que la sienne n’aura été.

Sin se force à souvenir. La paix dont elle parle, même elle peut la sentir couler dans ses veines, n'est qu'une paix fragile qui risque de se briser à un moment donné. Elle ne sait pas si elle capable de rester longtemps au même endroit, Sin est une nomade. Elle aime le voyage, elle y a goûté trop jeune. Elle s'est trimbalée d'une maison d'accueil à l'autre avant qu'Harold l'adopte. Elle se souvient d'avoir haussé les sourcils et levé les yeux au ciel quand les deux hommes lui ont dit qu'ils avaient fait les démarches nécessaire pour l'adapter. Elle se souvient de ce qu'elle a cassé chez eux, pour qu'il l'a ramène, comme une animal qu'on abandonne parce qu'on ne sait pas s'en occuper, comme un objet qu'on ramène au service après ventre. Ce n'est que maintenant du haut de ses trente ans que les souvenirs de la patience du plus vieux, de leur gentille qui remonte. Elle se sent mal à l'aise, en face de tout ces gens qui pensent surement de belles choses d'elles et qui l'apprécient. Elle ne se sent pas méritante. Elle ne sait pas réagir, non, elle hausse les épaules et hoche la tête. Toujours. « Ouais, c'est cool. Et, c'est marrant, le destin, on se retrouve. Comme ça. » Ce serait mieux encore, si elle n'avait pas tué des gens sur Néphède, si elle n'avait pas chassé des corbeaux. La petite Sinned ravie d'être à la tête du classement est toujours présente mais, tout est différent à la fois. Parce qu'elle est devenue une femme, parce qu'elle a découvert d'autres horizons et qu'elle a vécu le début de sa vie. Et tout ce qu'elle a vécu l'a marquée au fer blanc, elle ne pourra s'en défaire. De sa tendance à s'enfuir, quand les gens sont trop proches. Fuir, tout simplement, sans lâcheté. Par ennui. Si, elle n'avait pas été elle, si elle avait été une personne meilleure, elle aurait refusé ce poste et serait restée dans la formation. Aujourd'hui, elles n'en seraient peut-être pas là.
Elle voulait être avocate. Elle a jugé des gens arbitrairement. Juge, et bourreau.
Parfois, sa propre personne l'effraie, parce qu'elle se rend compte qu'elle est un horrible être humain et qu'elle ne peut pas aller contre sa nature, elle la vit chaque seconde, n'écoute qu'elle même. Elle est un soldat avant tout, elle obéit sans jamais se plaindre à des ordre qu'elle remet rarement en question. Parfois, donne les ordres. Elle aime ça aussi. Elle est capable d'être une armre sans cerveau puis mener son propre plan. Elle voit la vie comme un vaste plan. Elle place ses pions au meilleur endroit, ses meilleurs chances. Sin est une survivante, une stratège. Même dans ses relations, elle admet.
D'une manière générale, elle aime les conflit, les mener, les régler, les gérer. Se sentir utile de cette manière.
Alors, elle sourit, faussement. « Faudra que tu viennes, un jour, voir comment c'est où je vis. Je te présenterai mes amis, comme ça. » Son sourire s'élargit. Elle rigole. Sauf que cette fois, c'est sincère. Elle ne sait pas pourquoi, l'idée la comble de joie. « Avec ton bout de chou. C'est pour bientôt ? » Le regard qu'elle porte à son ventre est plus doux qu'au départ. Elle s'y connaît peu en maternité. Si sa mère était encore là, elle lui aurait tout raconté. Mais Sin a été élevée dans un milieu d'homme et par des hommes. Il n'y a jamais eu qu'eux. Même Aoibheann n'a jamais été une reine de féminité, elles n'avaient certainement pas ce genre de discussions. Elles allaient bien ensemble.  « On a tellement de temps à rattraper. J'ai visité un monde ou les gens payent tout avec leur temps, la nourriture.... les études.. tout. Et, ça m'a fait réfléchir. » Pour certains, le temps est précieux.
Combien d'années à elle a gaspillé, elle ?