this is us (sinned)

Ceci dit, si Sinned l’a trouvé, la paix, c’est qu’elle aussi, elle doit pouvoir l’avoir. Elle sait juste pas quand elle arrivera, et sous quelle forme. Mais ce qui est sûr, c’est que déjà, quand le petit être qu’elle porte dans son ventre sera né, alors elle ira mieux. Alors elle pourra avoir un autre but dans sa vie que celui de protéger sa nièce d’un père qu’elle ne voit plus. Et peut-être que c’est réellement la seule chose dont elle a besoin, Nimh. D’avoir un réel but dans sa vie. Et de laisser son passé derrière elle. De démarrer une nouvelle vie. Alors oui, peut-être que ça inclue de laisser derrière Johanna, et Terrence. Mais pour la première, elle est de toute façon mariée, et c’est pas comme si c’est pas déjà ce qu’elle faisait depuis un bail, de la laisser derrière. Et pour Terrence, well. Elle l’évite, de toute façon. Et même s’il l’a beaucoup aidé, lorsqu’ils étaient enfants. Même si elle l’a souvent pris comme un réel exemple. Même si, gamine, elle l’aimait de tout son coeur, aujourd’hui, c’est différent. Aujourd’hui, elle aimerait vraiment le voir payer pour ses crimes. Sauf qu’elle sait que la seule façon pour que ça arrive réellement serait qu’il meurt. Parce qu’il sera jamais jugé coupable. Parce qu’il est Terrence Green. Et que c’est impossible qu’il ait fait ça. A coup sûr, même si y’avait des preuves accablantes contre lui, même si y’avait des témoignages, il serait pas jugé coupable. Si ce n’est que pour empêcher d’embêter les parents Green. Alors oui, le faire payer pour ses crimes, ça voudrait probablement dire le tuer. Oui. Et ça, Nimh arrive pas vraiment à l’envisager, malgré toutes ses conneries, tout ses crimes. Elle peut pas imaginer la mort de son frère.
Alors la paix, oui, c’est compliqué, pour elle. C’est compliqué même de s’imaginer en paix alors qu’elle sait pas réellement ce que ça veut dire, ou comment l’atteindre. Peut-être que de laisser tout le passé derrière est vraiment la solution. Et plus Nimh y pense, plus elle se dit que c’est logique. Mais c’est impossible. Impossible parce que y’a son cluster. Et que son cluster comporte Johanna. Et que Johanna fait tout pour qu’elle la remarque. Et comment pas la remarquer ? Elle est si belle. Et si gentille, et si triste que Nimh l’évite. Que Nimh fasse comme si elle existait pas. Alors Nimh peut pas juste l’ignorer, peut pas juste penser qu’elle existe pas. Elle peut agir comme si elle la voyait pas. Mais la vérité c’est qu’elle la voit, bien. Et que c’est douloureux, très. Elle pourra pas trouver la paix, passer à autre chose, tant que Jo ou Terrence seront dans les passages. Puis y’a Vidia, qu’est un rappel constant qu’elle a un frère. Si Terrence venait à mourir, comment elle l’annoncera à sa fille ? Nimh baisse la tête quelques instants, avant que la voix de son ancienne némésis lui fasse relever, et la force à l’écouter. Elle parle de destin. Que c’est “marrant”. Nimh parlerait plutôt de chance. Elle est contente de la retrouver sur Terre, alors qu’elle y connaît quasiment personne.
Sinned continue de parler, en lui souriant. Un sourire qu’elle reconnaît pas, de la façon dont elle souriait quand elle gagnait la première place face à elle. Peut-être que son sourire est différent depuis, peut-être qu’il a changé. Ou peut-être qu’elle sourit pas. Nimh hoche la tête. Oui, rencontrer d’autres personnes, des amis à Sinned. En toute sincérité, Nimh pensait pas Sinned capable d’avoir des amis. Comme elle ne s’en considérait pas capable non plus, avant de rencontrer le père de son enfant. Et le rire, elle le reconnaît, par contre, et ça lui met du baume au coeur. Alors Nimh sourit, sincèrement, comme en réponse. Nimh hoche la tête, oui. Quatre mois. Il lui reste quatre mois. Elle lui parle d’un monde où tout s’achète avec du temps, et Nimh se demande bien comment ça peut marcher. Et se dit que c’est dégueulasse, comme façon de faire. Que les inégalités, en soi, c’est déjà quelque chose de grave, mais lorsque les inégalités peuvent provoquer jusqu’à la mort, c’est juste. Non, ça devrait pas exister. “Quatre mois,” qu’elle finit par répondre, après un temps. “J’en ai encore pour quatre mois.” Elle lève les yeux vers le ciel, et inspire avidement l’air qui l’entoure. Après tout, l’air, c’est son élément. “Les personnes qu’ont inventé cette façon de vivre devaient être totalement timbrés. Le temps n’est pas de l’argent, et c’est sadique de vouloir faire en sorte que ça en soit.” Elle tourne finalement le visage vers Sinned, et sourit, tendrement. “Tu veux toucher ?” Nimh montre son ventre. Avec un peu de chance, elle pourra sentir le petit être bouger.

Sin réalise difficilement ce qu'une grossesse représente. Elle n'a pas de souvenirs de sa mère, quand elle attendait son petit frère, et encore moins d'anecdotes sur elle, petite fille encore dans le ventre de sa maman. Elle n'a en tête que les femmes aux gros ventres, faisant attention à leurs moindres gestes et autour de qui toutes les autres filles étaient attirés comme un aimant. Sin n'y voit pas l'intérêt, haussait un sourcil à l'occasion, ce n'était pas un sujet qui la passionnait, pas autant que les armes en tout cas. Elle avance à l'aveugle, sur un territoire miné. Bien qu'il n'ait rien de douloureux car elle est trop ignorante pour que cela lui fasse mal, elle sait qu'on ne choisit pas les mots à la légère. Elle ne veut pas être maladroite, paraître trop intrusive ou ignorante, comme une enfant a qui on explique comment sont faits les enfants, en adoptant une voix douce et des mots évasifs. Les questions qui lui viennent en tête sont d'ordre pratique, comme on lui a toujours apprit, comme-ci il s'agissait d'un contrôle d'identité. Le sexe du bébé, son futur prénom. Elle ne sait pas si Nimh le sait, certaines mères veulent se garder la surprise, elle se rappelle ensuite qu'il n'y ici pas de maternités. Sin n'aime pas les surprises. Elle s'est toujours appliquée à se protéger de ce genre de complications. Pour elle, un enfant n'est qu'un boulet qu'on se traîne au pied, un poids dont on doit assumer la charge jusqu'à sa mort, en sachant qu'on mourra peut-être avant, qu'on le laissera seul à un moment donné et qu'on ne pourra pas contrôler ce qui se passe après.
Sin avance avec délicatesse sa main et la pose sur le ventre de Nimh avec précaution. Une fois rassurée par le contact chaud de son ventre à travers les vêtements elle se décrispe. Seuls les traits de sont visages restent tendus, à l’affût d'un mouvement de la part du bébé. Elle sent un relief à travers ses rondeurs et s'émerveille du phénomène. C'est vrai qu'avec tous ses préjugés, elle n'avait jamais osé approcher d'aussi près une femme enceinte. Peut-être qu'elle aurait du plus tôt. C'est quelque chose qui l'émeut, forcément, parce qu'on aurait aimé parler de ce genre de choses avec sa propre mère. Alors, au bout de quelques secondes, elle recule et retourne dans sa coquille. « Tu as déjà des idées de prénom ? » Elle demande, trop curieuse pour garder sa langue dans sa poche. Elle a l'impression pourtant que cela sonne comme un interrogatoire. Trop habituée à poser ce genre de questions à des gens attachés à des chaises, l'arcade sourcilière éclatée. D'où tu viens. Comment tu t'appelles.   Tous ces flashs d'une vie dont elle essaye de s'échapper, fuir sans se retourner. C'est étrange tout de même, que le destin ait décidé de la remettre sur sa route après toutes ces années. Comme ci il y avait bien une seconde chance à saisir quelque part. Sin n'y croyait pas, elle n'a jamais pensé qu'il existerait une autre issue à sa vue, qu'elle serait toujours forcée de suivre le courant sans pouvoir aller à contre-sens. Elle ne se voyait pas lutter contre le flot de gens qui passent dans sa vie, qui s'arrêtent un moment et qui sont noyés dans ses souvenirs. Elle n'a sorti la tête hors de l'eau que depuis quelques mois et elle peine encore à choisir la direction à prendre. Rester à jamais terrée ici, à rendre visite à Nimh et ses enfants. Cultiver des plantes en compagnie de Mal. Rire aux blagues graveleuses de Paul sans entrain, en se disant que tout de même, ce n'est pas la mer à boire. « Altéa ne te manque pas ? » Elle demande. Son corps a mit du temps à s'habituer aux différents mondes qu'elle a visité, mais il a été préparé si tôt à cette vie nomade qu'elle ne se rend plus compte des effets secondaires. Elle ne sent plus les radiations sur Terre. Elle se réjouit d'y voir des arbres, au moins. Ce n'est pas l'air asphyxiant de Néodam.

De ce que Nimh sait de Sinned, y’a peu de chances qu’elle ait déjà touché un embryon dans le ventre de sa mère. Et quelque part, Nimh est fière d’être la première à pouvoir lui donner cette expérience. Par une sorte de fierté mal placée, par la même occasion, Nimh se dit que pour une fois, elle fait quelque chose avant Sinned. Les années ont passé, mais elle sait que la rivalité qui existait avec elle lors de la formation est toujours existante. Et qu’il suffirait que d’un objet envers laquelle la diriger, pour que leur rivalité redémarre de plus belle. Être enceinte, c’est pas un concours, c’est évident. Et Nimh est tombée enceinte parce qu’elle le voulait, pas pour être la première à être mère des deux. Mais maintenant qu’elle sait que c’est le cas, alors elle en prend une sorte de fierté. Elle en parle pas, le dit pas, garde ce petit plaisir pour elle-même. Probablement parce qu’elle se rend bien compte à quel point il est ridicule et malvenu. La main de Sinned sur son ventre est presque rassurant. A part la main de Vidia et celle de Leon, elle en a pas eu beaucoup. Y’a évidemment celle du père de son enfant, mais finalement, c’est pas quelqu’un qu’elle connaît assez pour trouver le contact rassurant. Sinned, c’est différent. Leur relation remonte à si loin que d’être avec elle, sur Terre, semble être comme une nouvelle façon pour Nimh de se sentir aussi à l’aise que lorsqu’elle était sur Altéa. De se sentir chez elle. Elle qui a jamais cru aux conneries qui disaient que chez soi était plus lié à une personne qu’à un endroit, commence à comprendre le sens derrière ces mots. Et grâce à Sinned. Parce que Sinned a toujours été importante, dans sa vie, d’une façon ou d’une autre. Elle avait pas forcément besoin de la voir, aujourd’hui, mais ça lui fait plaisir. Et même si elle ne lui dira jamais, ça lui fait du bien, aussi. Nimh regarde le visage de Sinned alors qu’elle lui touche le ventre. Plus qu’elle ne regarde la main. Elle lui fait confiance pour ne pas cacher de choses possiblement dangereuses aux alentours de sa main qui touche son bébé de si près. Elle devrait probablement pas, lui faire autant confiance. Et ce n’est d’ailleurs pas dans ses habitudes, à Nimh, de faire confiance aussi facilement à quelqu’un. Mais Sinned, c’est différent. Dans une certaine manière qu’elle ne comprend pas, Sinned, ce sera toujours différent.
Son visage est toujours crispé, et Nimh se demande un instant si Sinned ressent quoique ce soit au toucher de l’être vivant qui se forme dans son ventre. Probablement pas. Jusqu’à ce qu’elle remarque ses yeux. Et c’est léger, si léger qu’elle aurait pu le louper. Mais elle voit quelque chose. Quelque chose qui a changé entre le moment où elle touchait pas son ventre et maintenant. Comme un avant et un après. Et Nimh, ça la fait sourire, plus intérieurement que réellement. Elle est heureuse de savoir que Sinned n’est pas complètement sans sentiments.
La question qu’elle lui pose ne la gêne pas vraiment, mais Nimh se rend compte qu’elle n’a pas de réponses satisfaisante à lui offrir. Non. Elle a pas de prénom en tête. Principalement parce qu’elle sait pas si ce sera un petit garçon ou une petite fille, puis aussi parce qu’elle pense fort à Johanna, à chaque fois qu’elle y pense. Elle a envie, elle a l’impression, que ça pourrait être un début de pardon, si elle appelle son enfant comme sa cousine décédée. Puis, Jean, c’est un prénom mixte, après tout. Nimh est pas vraiment prête à lui parler de tout ça ceci dit, donc elle secoue juste négativement la tête. Elle parle pas, dit rien. Sinned est douée pour détecter les mensonges qu’elle pourrait lui dire. Et elle veut pas prendre ce risque.

Elle se trouve rassurée lorsque Sinned décide de changer de sujet. Mais l’est pas vraiment du sujet qu’elle choisit d’aborder. Est-ce qu’Altéa lui manque ? Bien entendu. Puis, quiconque aurait vécu sur Altéa aurait le mal du pays sur Terre. La totalité des commodités auxquels elle avait droit sur Altéa n’existent même pas sur Terre. Sans même parler de ce dont elle avait le droit, elle, grâce à son frère et à ses parents. Et à côté de ça. A côté de ça, les gens d’Altéa eux, ne lui manquent pas. Johanna étant l’exception. La justice merdique d’Altéa ne lui manque pas. Les deal préférentiels parce que X est le fils de machin, qu’est le meilleur pote de l’ancêtre Jenkins, tout ça, ça lui manque pas. Nimh sait pas vraiment quoi répondre. Alors elle hausse les épaules, et lance un “j’sais pas” rapide. Elle a pas forcément envie de développer ses pensées. Elle l’apprécie beaucoup Sinned, et elles ont vécu une histoire forte, lors de la formation, qui les a rapproché. Mais pas assez pour qu’elle lui fasse part de ses questionnements. Sur elle, ou sur sa famille. Nimh considère que la famille, c’est important. Et Vidia est de sa famille, c’est pour ça qu’elle l’a emmené loin du reste de sa famille, qu’elle considérait toxique pour elle. Mais le reste de sa famille lui manque, malgré tout. Malgré les horreurs qu’a fait Terrence, malgré le monstre qu’il est devenu. Son frère lui manque. Vraiment, son frère lui manque, beaucoup. Pourtant, elle finit par continuer de parler, et par répondre plus clairement à sa question. “Je sais pas, peut-être un peu. Altéa me manque, mais les gens qui y étaient, non.” Elle pourrait lui demander ce qu’il en est pour elle. Est-ce que, elle, Altéa lui manque. Mais elle le fait pas. Principalement parce qu’elle a pas envie de s’intéresser de trop à sa vie privée, parce qu’elle sait que ça peut déranger. Puis, un peu, aussi, parce que finalement, elle n’en a pas grand chose à faire. “Je suis contente de te revoir.” Elle est contente de l’avoir retrouvé. D’avoir trouvé quelqu’un de son passé sur qui se rattacher de nouveau. Quelqu’un qu’elle n’a pas appris à décevoir, ou à détester, depuis son départ. Elle finit par lui offrir un minuscule sourire, un de ces très rares qu’elle lance, parfois, quand elle essaye d’exprimer de la gratitude, ou un peu de bonheur.