musique basse (grimlo)

Invité

musique basseVoici d'la musique douce pour entendre le pire
Car à trop être sourd on pourra même plus luire

Chez les Dandelion & cie il n'y a qu'une voiture pour tout le monde, autrement c'est un camion qui sert au travaux agricoles, et pour le reste on compte sur les bus et les trains. Le service n'est pas assez fréquent pour satisfaire l'impatience d'Arlo aujourd'hui, et surtout il a envie de conduire, de se concentrer sur la route même s'il pleut des cordes et que la nuit tombera déjà quand il arrivera à Neodam. Il se fiche de son confort et de la visibilité, il veut justement éviter le confort parce qu'il n'a pas envie de penser. Quand sa mère gare la voiture dans l'allée de la ferme, il est déjà prêt, son sac de voyage à l'épaule. Il ne lui explique pas pourquoi il repart déjà. « C'est pas toi, c'est pas vous, j'te jure. C'est juste... J'reviens vite. » C'est Grim.
C'est Grim qui a tué Neal.
C'est pas vrai. Il est con, Grim, d'avoir dit ça. Mais s'il essayait d'expliquer à sa mère que Grim n'y est pour rien, elle aurait beau essayer d'être juste, elle ne pourrait pas s'empêcher d'en vouloir à Grim. Elle en veut toujours à Grim quand quelque chose ne va pas dans la vie d'Arlo, sa mère lionne, parce qu'il faut bien rejeter la faute sur quelqu'un et ça ne peut pas être elle-même. Il l'aime quand même, sa mère lionne. Et en un sens elle a raison, c'est ce que voulait dire Grim aussi. S'ils n'avaient jamais été ensemble tout aurait été plus simple. Tout s'est compliqué avec Neodam et avec Grim. Peut-être qu'elle devrait en vouloir à Neodam, en fait. Neodam vers laquelle il se dirige tout droit maintenant. Il a du mal à s'empêcher de rouler trop vite pour la rejoindre, il ne l'a jamais aimée pourtant, si ce n'est qu'elle a lui a donné Grim.

La pluie martèle le pare-brise et les enceintes pourries de la voiture crachent à plein volume une techno sans basses. Il n'aime pas ça, surtout pas avec le mauvais son, mais ça l'aide à prendre ses distances, à ne pas se laisser happer par ses pensées. Il n'a pas envie de délirer, pas envie de rationaliser non plus, pas envie de se demander si Neal aurait été assassiné par quelqu'un d'autre si ça n'avait pas été Wotan Mercury. Et sans doute même pas en personne. Il a juste donné l'ordre, cet enfoiré, à tous les coups.
Nan. Il a pas envie d'y penser.
Il veut mettre la musique plus fort mais le volume est à fond. Voiture de merde. Ils n'ont pas voulu qu'Arlo leur en offre une nouvelle, ces débiles de hippies.

Il se passe une chose étrange avec l'écoulement du temps. La route lui paraît longue mais soudain il est là, arrivé devant l'hôtel à l'enseigne lumineuse dans la nuit pluvieuse, Balmoral, et tout à coup il a l'impression que le trajet n'a duré que le temps d'un éclair. Il va revoir Grim. Et c'est là qu'il fond en larmes. Pour Neal, à cause des mensonges, parce que Grim lui a manqué, il en sait rien. Il attend pas loin de dix minutes que la vague ait fini ses ravages sur son visage avant d'avancer vers le voiturier. Le type tire une sale gueule en voyant le vieux tacot Dandelion. Arlo soutien son regard en lui tendant les clés.

Grim est déjà arrivé et a fait en sorte qu'Arlo puisse entrer sans question. Il monte dans les étages comme s'il se sentait à sa place dans cet hôtel qui pue le luxe moderne et glacial, comme si ça ne lui donnait pas froid dans le dos à chaque fois qu'il se trouve dans des ambiances comme ça. Et pourtant il vit dans un appartement huppé hyper sécurisé, mais c'était leur chez eux, à Grim et lui, ils ont humanisé l'endroit. Ici il n'aime rien à part l'ascenseur vitré, et encore, ce soir il lui fait se sentir plus vulnérable et il commence à se demander s'il a eu raison d'accourir dès que Grim le lui a demandé. Mais il n'attendait que ça. Il ne l'a jamais caché.

L'ascenseur lui annonce qu'il est arrivé à destination et son estomac lui tombe dans les talons. Il avance quand même dans le penthouse trop vide, il s'attend presque à un piège tout à coup. Ça ne l'a pas effleuré avant. Mais c'est Grim qui se plante devant lui et Arlo ne fait pas le même erreur que la dernière fois. Il ne le laisse pas le dépasser sans même oser le frôler, cette fois. Il se rue dans ses bras. Le visage enfoui contre son épaule, il reprend vie. Ça fait cinq mois qu'il l'avait pas touché. « Laisse-moi ça, c'est ça ou j'te frappe, » il souffle contre sa peau. Il avait peur d'avoir envie de le frapper quand il verrait, même s'il sait pas faire. Il se serait sûrement pété le pouce. Il est content de ne pas s'être pété le pouce.

Invité

musique basseVoilà que les cœurs roulent sur les planches colorées
De rouge vif abrupt et de danses desséchées
Etendu sur son lit, les yeux grand ouverts, il efface les derniers messages d’Arlo, un à un, ce qu’il lui a dit, aussi, comme si ça pouvait tout effacer, qu’ils pouvaient tout oublier, pour tout recommencer. Il aimerait. Il n’est pas sûr que c’est ce qu’il fallait faire, même s’il s’est toujours dit qu’il devrait avouer, tôt ou tard. Arlo a le droit de savoir. Maintenant il sait, et Grim a l’impression qu’il va le perdre pour de bon. Qu’il revient seulement pour mieux le quitter. Il reste allongé encore un instant après avoir supprimé toutes traces de cette conversation, il ne veut pas que Lance le sache, encore moins que cela arrive jusqu’aux oreilles de Wotan. Il ne sait pas ce que son père comptait faire de cette information, il ne voit pas en quoi Arlo serait une menace pour Mercury Corp., tout le monde savait ce qu’ils faisaient dans l’ombre, personne n’osait en parler. Sans doute qu’il l’aurait fait chanter, lui, aurait menacé de tout dévoiler à Arlo. Ça ne va pas lui faire plaisir de ne pas pouvoir jouer à un de ses petits jeux vicieux. Grim glisse une main sur ses paupières, soupir au bord des lèvres lorsqu’il se redresse, las et épuisé alors que sa journée n’a même pas encore débuté. Il a un peu la gueule de bois, regrette brusquement d’avoir bousillé les quelques souvenirs heureux de la soirée de la veille en une poignée de mots tapés sur un écran. Trop tard pour revenir en arrière, il va falloir assumer, à présent. Et Arlo revient. Pour lui. Pour eux. Pour le tuer, peut-être. Il pourrait pas tellement le blâmer. Mais il pense sûrement trop comme un Mercury, conditionné à ramener la tête de quiconque étant impliqué de près ou de loin dans l’assassinat de Soldier, parfois – généralement – sur de simples allégations. Qu’Arlo veuille le voir ne le rassure pas, que lui demande à voir Arlo lui paraît être la chose la plus égoïste qui soit. Il l’a fait, pourtant, et Arlo revient, alors qu’il était à des kilomètres de Néodam, en sécurité. Grim n’a pas le courage de lui dire d’abandonner l’idée.

Le penthouse du Balmoral lui apparaît tout aussi froid que dans son souvenir, lui arrachant le frisson de malaise habituel face au minimalisme grandiloquent si cher à sa famille. Pourtant, le Balmoral n’appartient pas aux Mercury. S’ils devaient le racheter un jour, ils n’auraient pas besoin de refaire la déco. Lance l’a observé d’un œil soupçonneux avant qu’il parte, mais il a supplié un de ses coéquipiers de venir le chercher, pas un de ceux avec qui il s’entend particulièrement, pour être moins suspect. Il a d’ailleurs dû débourser quelques cryptostellars en échange de ce service rendu. Mais si c’est le prix à payer pour que son garde du corps le lâche, il le dépenserait même s’il n’avait plus que ça en poche. Il reste un moment planté devant les hautes baies vitrées, à regarder la pluie ruisseler sur les vitres, en essayant de ne pas penser à ce qui va se passer. Il n’arrive pas à se projeter, de toute façon, n’a que des visions vagues et floues de ce qu’Arlo pourrait faire, dire. Grim n’a jamais été bon pour prédire les réactions des autres, accoutumé à un schéma de pensées soit primitif et sauvage, soit sadique et tordu. Lui, s’il était un bon Mercury, il tabasserait, tuerait à mains nues, ou fomenterait une vengeance malsaine. Pour ça qu’il aime tant les gens étrangers à la morale Mercury. Il se fige lorsqu’il entend l’ascenseur, se retourne machinalement, fait quelques pas vers Arlo, presque malgré lui. Il lui a manqué, ça le frappe de plein fouet, cette tentative ratée de se retrouver, des mois plus tôt, à l’appartement. Cette tentative qui devait même pas exister et qui l’avait laissé amer et mitigé sur ses sentiments vis-à-vis d’Arlo. A présent, étouffé par la culpabilité, il ressent son absence comme s’il n’était jamais venu, le cœur serré et vide de celui qui attend pour l’éternité quelqu’un qui ne reviendra pas, qui ne veut pas revenir. Il n’a pas le temps de dire quoi que ce soit, de bafouiller des excuses ou de l’interroger sur ses yeux rouges, Arlo est déjà dans ses bras et il n’a pas le cœur de le rejeter. Il préfère se laisser réconforter, en refermant ses bras sur lui, le bon et le mauvais, et la chaleur d’Arlo lui fait du bien. Un maigre sourire triste passe sur ses lèvres quand il murmure : « J’voudrais bien voir ça. » C’est pas vraiment une moquerie, c’est presque une vérité, au fond, il préférerait qu’Arlo déverse toute sa colère sur lui, en ce moment. Ce serait plus facile à gérer. Il saurait quoi dire, il saurait se contenter d’encaisser les coups, d’assumer ses fautes. Le nez dans ses cheveux, il ferme les yeux, respire son odeur comme si c’était la dernière fois de toute sa vie. « J’suis désolé. J’suis vraiment désolé. D’m’être comporté comme ça. » De pas t’l’avoir dit plus tôt. De t’l’avoir dit maintenant. D’t’avoir fait venir. D’être parti sans rien dire, ce jour-là. D’avoir attendu si longtemps. « De tout. »

» Don't speak (Grimlo)