(#1) cathatter + the bowie effect

Quand Nina arrive aux abords du bâtiment qui abrite le Rabbit Hole, elle hésite à entrer. Ce n’est pas la première fois qu’elle rentre sans ce que William lui avait demandé de ramener mais... cette fois… Cette fois, c’était différent. Nina a un drôle de sentiment dans la poitrine, après ce qui vient de se passer. Elle ne rentre pas tout à fait bredouille, parce qu’elle ramène quelque chose qui pourra peut-être intéresser William tout autant… Mais elle sait qu’il sera tout de même déçu. Il le voulait vraiment, ce vinyle. Il ont trouvé un vieux tourne-disque, il y a deux ans de ça, dans le sous-sol d’une usine désaffectée à Midtown, et depuis, se sont mis en quête de trouver les rares disques existant encore. Le pire, c’est qu’ils ne le font même pas pour se faire de l’argent. C’est par pur plaisir. Combien de soirées Nina a-t-elle passée avec Will, à écouter de vieilles chansons d’un autre temps, alors qu’ils discutaient chiffons ou affaires ? C’est un truc bien à eux - qu’ils ne partagent pas vraiment avec les autres. Ils s’enferment dans leur bulle tous les deux, dissertent sur les notes, les voix pendant des heures, autour d’un verre.
Nina n’est pas fière d’avoir laissé partir David Bowie. Mais c’est comme ça. La situation était beaucoup trop étrange, son esprit était un peu embrumé pour une raison inconnue - et elle n’a pas pu arracher l’objet aux mains de cette fille magnétique. Elle ne sait pas encore ce qu’elle va dire à Will. Une part d’elle sait qu’elle ferait mieux de dire la vérité - il sait beaucoup trop lire en elle pour qu’elle tente un mensonge… Mais en même temps… Elle a envie de garder ce qui s’est passé ce soir pour elle. Du moins le temps de rassembler ses pensées et d’essayer de comprendre ce qui l’a fait perdre complètement le contrôle d’elle-même et de la situation. L’aube ne va pas tarder à se dessiner par-dessus les toits de Néodam - il est près de cinq heures du matin maintenant. Nina sait qu’il vaut mieux qu’elle rentre alors que tout le monde dort encore, pour ne pas avoir à répondre à trop de questions. Il faut en plus qu’elle désinfecte cette vilaine égratignure sur son ventre - dûe à son exceptionnelle maladresse. Elle n’arrive toujours pas à croire qu’elle ait glissé. Elle ne glisse jamais, Nina. C’est pas dans ses gênes, et elle est beaucoup trop entraînée pour faire des erreurs de débutante comme ça.
Doucement, à pas de loup, elle finit par pénétrer dans le quartier général des Wonderlanders. Il y a de la lumière qui s’échappe de la grande salle - mais elle ne trouve que les silhouettes endormies de deux des membres du groupe. Ils ont dû s’endormir devant un film ou en discutant. C’est typique d’eux, ce genre de choses. Les Wonderlanders manquent toujours de sommeil. Un peu attendrie, elle vole quelques gâteaux apéritif qui traînent encore et se dirige vers sa chambre - qui est presque un mini-appartement, puisqu’elle a sa propre douche et son propre dressing. Mais au moment où elle tourne dans le couloir, elle voit que la porte de sa chambre est entrouverte. Elle n’a pas besoin d’aller vérifier pour savoir qui est entré.
Quand elle entre, elle trouve William, lunettes sur le nez, en train de lire sous la faible lumière de la lampe de chevet. Il ne relève pas vraiment les yeux quand elle referme la porte derrière elle. « Qu’est-ce que tu lis ? » demande-t-elle avec un sourire, amusée par cette image si sérieuse qu’il dégage, là tout de suite. Si c’est quelque chose qu’il a pris dans sa chambre, c’est probablement un roman à l’eau de rose. « Pardon d’avoir oublié d’envoyer un message. Mais je suis là et je vais bien. » D’habitude, elle envoie toujours un petit message pour informer du déroulement de la mission et indiquer qu’elle est en route pour rentrer. Elle s’allonge sur le ventre, à côté du chef, et caresse le tissu de son gilet. « J’aime bien celui-là. Il fait très, très chic. Collection 2014, et pourtant toujours aussi actuel. Il me manque, ce temps où la maison Hodge ne faisait pas encore des horreurs. » Elle soupire et enfonce sa tête dans l’un de ses coussins. Il faut qu’elle fasse attention à ce que sa petite blessure au ventre - vraiment bénigne mais qui saigne toujours - ne tâche pas les draps. Elle se redresse, complètement claquée. « T’attends là depuis longtemps ? » Elle finit par pincer les lèvres et dire : « J'ai une mauvaise nouvelle... » Il va comprendre tout de suite. Elle grimace et ferme les yeux, préparée à la tornade.

William aime bien quand il fait nuit. Les Wonderlanders dorment pour la plupart et il peut apprécier le silence qu’il n’a pas toujours en journée. Il a toujours pas mal de choses à gérer au sein du gang, des réponses à donner à des questions pas toujours pertinentes et des plans à organiser pour que tout se passe à la perfection. Il fait toujours répéter une bonne cinquantaine de fois à ceux qui doivent partir en mission toutes les étapes pour une réussite maximale. Il n’aime pas les échecs. C’est épuisant et parfois salissant quand il doit s’en mêler et ça n’est pas son job. Il demande toujours à ce que ses recrues sachent ce qu’elles font. C’est primordial lui semble-t-il. Ça lui évite d’être constamment épuisé par les bêtises qu’on peut lui sortir. William est confortablement installé avec un bon livre entre les mains dans la chambre de Nina. Mais comme à chaque fois qu’elle n’est pas là, ses yeux restent focalisés sur la même ligne encore et encore. Il sait qu’il peut faire entièrement confiance à Nina. Elle est pleine de ressource et ne manque jamais rien. Il sait qu’il ne lui arrivera rien. Alors pourquoi fixe-t-il encore la même ligne ? Il secoue la tête. Ça se marre un peu dans son crâne. Les membres de son cluster ne sont jamais loin pour se moquer de lui. Il les envoie se faire foutre avant que son jumeau ne s’en mêle pour lui dire de s’excuser. Ce n’est pas une raison pour se montrer si vulgaire envers eux. William lâche son livre un instant pour masser ses tempes. Ce n’est jamais facile d’avoir autant de voix dans sa tête. Il arrive toujours un moment où le mal de crâne le gagne. Il se reconcentre lorsqu’il entend la porte s’ouvrir. Il reprend le livre et fait semblant de lire alors que Nina se glisse dans la pièce. Il meurt d’envie de se lever pour inspecter la jeune fille et s’assurer que ça va, mais il se retient. Ça n’est pas le comportement d’un chef de gang ça. Et elle n’est pas Eléanore.

« Qu’est-ce que tu lis ? » Fait la voix de Nina. « Mh j’ai pas retenu le titre, mais c’est une réinvention de Roméo et Juliette mal écrite. Encore. » Il soupire dépité et referme le livre. « Je ne comprends pas comment tu fais pour apprécier ce genre d’histoire. Vraiment. Rien ne vaut l’incroyable Shakespeare. » Il secoue la tête. « Pardon d’avoir oublié d’envoyer un message. Mais je suis là et je vais bien. » Il tente un sourire. Mais il n’est pas vraiment content de ne pas avoir reçu de message. Elle n’est pas du genre à oublier en plus. Elle sait à quel point il peut être… impulsif quand il veut. Nina le rejoint et vient poser ses doigts sur le gilet qu’il porte. « J’aime bien celui-là. Il fait très, très chic. Collection 2014, et pourtant toujours aussi actuel. Il me manque, ce temps où la maison Hodge ne faisait pas encore des horreurs. » Il pose finalement son regard sur elle. Elle a la tête enfoncée dans le coussin. « Ils essaient de s’en sortir. Tu es mauvaise langue, ce n’est pas si moche ce qu’ils font maintenant. » Il prend le temps de la réflexion avant de reprendre. « Non en fait tu as raison. Ils devraient changer de styliste et prendre quelqu’un de  vraiment compétent maintenant. » Soupire-t-il. Tant de gâchis de la part de cette maison de couture. C’est un scandale. Un outrage à la mode. « T’attends là depuis longtemps ? J'ai une mauvaise nouvelle... » Le sourire de William s’évanouit. Il en oublie la question posée et se lève. « Tu ne l’as pas ? » Il avait envoyé Nina récupérer un vinyle de Bowie. Il s’est trouvé une nouvelle passion pour cet artiste fantastique. « Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Il n’y était pas ou tu t’es fait prendre ? » Fait-il en grimaçant. Nina ne se fait jamais attraper, il le sait bien. Il l’inspecte du regard. Sa tenue est impeccable aucune trace de… et c’est là qu’il s’en aperçoit. C’est là qu’il voit les tâches rouges sur sa tenue. Nina est blessée. William devient blême et il s’empresse de se réinstaller à ses côtés. « Tu es blessée. Qui t’a blessé, Nina ? » Il voit un peu rouge et sa voix est beaucoup trop froide. On a touché à Nina. Il a besoin de savoir qui, où pour aller lui faire passer l’envie de s’en prendre à son cheshire cat.

« Mh j’ai pas retenu le titre, mais c’est une réinvention de Roméo et Juliette mal écrite. Encore. » Nina sourit devant son air excédé. Ça l’amuse toujours, de le voir râler sur tous les romans d’amour qu’elle a dans la bibliothèque. Elle ne sait pas s’il critique par pur esprit de contradiction ou par réel goût du luxe, mais elle aime ne pas savoir, justement. « Je ne comprends pas comment tu fais pour apprécier ce genre d’histoire. Vraiment. Rien ne vaut l’incroyable Shakespeare. » Elle lève les yeux au ciel. « Vous avez un coeur de pierre, monsieur le Mad Hatter. » dit-elle avec un sourire en coin, avant de s’excuser de ne pas avoir donné de nouvelles. Elle sent qu’il n’est pas particulièrement content - ou plutôt inquiet. Il la connaît bien, il sait que ce n’est pas son genre de le laisser dans le flou… Nina espère éviter les questions - même s’il y a peu de chances que ça arrive. Elle essaie de son mieux de noyer le poisson aussi longtemps que possible en parlant chiffons, mais elle sait que ça ne fera pas illusion trop longtemps. « Ils essaient de s’en sortir. Tu es mauvaise langue, ce n’est pas si moche ce qu’ils font maintenant. » Nina hausse les sourcils, presque un peu choquée. « Non en fait tu as raison. Ils devraient changer de styliste et prendre quelqu’un de  vraiment compétent maintenant. » Elle préfère ça. « Quelqu’un comme moi. » ajoute-t-elle même. Pour l’instant, son poste de journaliste mode à mi-temps lui plaît, mais elle finit définitivement ses études dans quelques mois, et elle n’a pas étudié le stylisme et le management pour rester à écrire des articles toute sa vie. Plusieurs marques se feraient une joie d’avoir l’héritière des Rhodes dans leurs équipes, mais Nina ne veut pas choisir à la légère. Elle veut travailler pour une maison qui la forme vraiment, et qui la préparera à la fondation de sa propre maison de couture - d’ici quelques années.
William se débarrasse du livre et se lève. « Tu ne l’as pas ? » Elle fait une petite grimace, qui répond à la question assez clairement. « Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Il n’y était pas ou tu t’es fait prendre ? » Elle penche légèrement la tête sur le côté. Ce serait plus simple de dire qu’elle ne l’a pas trouvé, maintenant qu’elle y pense. Il l’enverrait de nouveau sur la piste dans les prochains jours, elle essaierait de trouver une autre version du disque pour rattraper son erreur… Mais elle ne peut pas lui mentir. Il saurait qu’elle lui ment. Will a un sixième sens pour ces choses-là. Le mieux est de dire la vérité : qu’elle l’a trouvé, mais que c’était… plus compliqué que ça. Elle réfléchit encore à comment répondre quand elle voit les yeux du chapelier descendre sur son t-shirt. Merde. Il se rapproche, l’air inquiet. « Tu es blessée. Qui t’a blessé, Nina ? » Elle se redresse un peu et soupire. « Personne m’a blessée. » dit-elle. « Je me suis blessée toute seule. » avoue-t-elle, saoulée par elle-même. Elle passe une main sur son visage et secoue la tête, honteuse. « J’ai glissé sur un rebord de toit. » Elle doute qu’elle va le prendre au sérieux, et pourtant. « C’est même pas une blague. » Nina se lève et soulève son t-shirt. Ce n’est pas profond, c’est juste une égratignure impressionnante. Elle recule un peu et va chercher des cotons et de l’alcool pour désinfecter dans l’un de ses placards. « Je sens que je vais douiller. Tout ça pour Bowie, tss. » Elle grimace d’avance en pensant à la douleur du désinfectant sur la plaie. « C’est rien de grave. T’as du rhum ? » Avec un peu de chance, avec un peu d’alcool, elle oubliera la frustration, l’incompréhension et la douleur.
« Le disque était là-bas. C’est juste que quelqu’un était arrivé avant moi pour le récupérer. » explique-t-elle pour commencer, pas sûre de comment raconter la suite, tout en imbibant un des cotons d’alcool. « J’ai dû faire un choix. J’ai ramené quelque chose d’autre, mais c’est pas un disque, et encore moins quelque chose lié à Bowie. » Nina hésite encore à poser le coton sur la plaie. « J’ai dû… laisser filer le disque. » avoue-t-elle. « Mais un jour, je le récupèrerai. » C’est une promesse qu’elle s’est faite à elle-même - et ça n’a rien à voir avec le fait qu’elle aimerait bien revoir la fille qu’elle a rencontré ce soir. Rien à voir.

Elle soupire. Elle. Soupire. Easy, Will, tu ne sais pas ce qu’elle a traversé, calme-toi. La voix de son jumeau cosmique résonne dans son crâne. Il n’y a que les muscles de sa mâchoire qui peuvent trahir d’un quelconque agacement. Son visage reste de marbre. Autant que possible du moins. « Personne m’a blessée. » Il ouvre la bouche pour rétorquer que les traces rouges ne peuvent pas être autre chose. Il connaît bien la couleur du sang quand il la voit alors non merci mademoiselle, on ne minimise pas la situation. « Je me suis blessée toute seule. » Oh, le oh est silencieux. Il ne sait pas s’il se sent soulagé ou non. Il n’aura pas à faire un énième massacre dans Néodam et verser une somme considérable à la police et son homme politique. Encore. Par contre, il fronce les sourcils, ça n’arrive jamais à Nina de se blesser toute seule. Elle est toujours très adroite. « J’ai glissé sur un rebord de toit. » William porte une main à son cœur. Oui. Un toit. Il frôle un peu la crise cardiaque en l’entendant le dire d’une manière si désinvolte. « Un toit ? Nina. Un toit. Tu aurais pu tomber dudit toit, good lord. » Il soupire. « C’est même pas une blague. » La jeune femme se redresse et soulève une partie de son tee-shirt. Sur sa peau immaculée, il peut voir l’égratignure, ce n’est pas profond, c’est certain, mais il y a du sang quand même. Nina va chercher de quoi se nettoyer. « Je sens que je vais douiller. Tout ça pour Bowie, tss. » William prend un air outré. « Je ne te permets pas de t’en prendre à Bowie pour ça, young lady. » Fait-il en la pointant du doigt. « C’est rien de grave. T’as du rhum ? » « BRB. » Il s’éclipse hors de la chambre de Nina et va chercher une bouteille d’alcool dans la sienne. Il attrape également deux verres et retourne dans la chambre de son cheshire cat.

Il pose son butin sur une table basse, ouvre la bouteille et verse un peu de rhum dans les deux verres. « Raconte-moi. » Dit-il tout en lui tendant son verre. Nina secoue la tête, elle le prendra plus tard ses mains sont chargées de cotons et de désinfectant. « Le disque était là-bas. C’est juste que quelqu’un était arrivé avant moi pour le récupérer. J’ai dû faire un choix. J’ai ramené quelque chose d’autre, mais c’est pas un disque, et encore moins quelque chose lié à Bowie. » William hausse un sourcil. « J’ai dû… laisser filer le disque. Mais un jour, je le récupèrerai. » Nina finit par poser son coton imbibé de désinfectant sur sa plaie. William voit son visage se crisper sous la douleur et il ne peut pas s’empêcher de faire de même. C’est ça le problème avec les gens qui font ce métier : se soigner ça devient tout de suite un calvaire. « Oublie pas que ton verre t’attend. » Fait-il alors qu’elle repose le coton ensanglanté sur la table. Elle saisit son verre et avale une rapide gorgée. « J’ai l’impression que tu ne me racontes pas tout, Nina. » Continue William. « Un disque ne s’envole pas comme ça. Il n’a pas de jambes. Qui était là aussi ? » En fait, ça l’intrigue cette histoire. Si quelqu’un se trouvait au même endroit que Nina, qu’est-ce qui a bien pu l’empêcher de récupérer le disque par la force ? Il sait très bien que ce n’est qu’un objet de peu de valeur pour le gang, mais ça restait une mission pour William. Et il a du mal à comprendre ce qui a pu empêcher Nina de mettre une raclée à son adversaire pour récupérer son bien. A moins que… « Qu’est-ce que tu as ramené d’autre ? » Demande alors William, intrigué par cette phrase qu’elle lui a dit. Intrigué par le regard fuyant que la jeune femme a depuis qu’elle est arrivée. Ce n’est pas dans le genre de Nina de se comporter comme ça. Qu’est-ce qui a pu la troubler comme ça ? « Nina ? » Elle redresse la tête et le fixe. « Depuis quand tu as des secrets pour moi ? » Il est sérieux d’un seul coup. Probablement un peu trop. Il n’a pas pour habitude qu’elle lui cache des choses et il en faut très peu pour que sa paranoïa se réveille. Pitié que ça n’ait aucun rapport avec les Heathens et Moriarty.

« Un toit ? Nina. Un toit. Tu aurais pu tomber dudit toit, good lord. » Alors techniquement… Elle est tombée du toit. Mais vaut peut-être mieux pas que William le sache. Nina n’a pas franchement envie de devoir passer par un check-up complet. Et puis elle n’a rien, vraiment, à part cette petite égratignure - grâce au matelas humain qui a minimisé les conséquences de sa chute.
Elle s’applique à désinfecter la plaie consciencieusement, même si chaque pose du coton sur sa plaie à vif lui donne l’impression qu’elle va tourner de l’oeil. Nina n’est pas vraiment habituée aux blessures - ses années d’entraînement font qu’il est rare qu’elle se fasse mal. Les seules plaires desquelles elle s’occupe sont celles des autres, en temps normal. Combien de fois a-t-elle sorti l’alcool et les cotons pour un membre des Wonderlanders qui rentrait de mission ? Elle ne compte plus, à ce stade. Mais bon, c’est quand même pas pareil quand on doit se soigner soi-même. Elle a la main qui tremble un peu plus à mesure qu’elle cautérise, la douleur la rend de moins en moins précise et vive. Ce n’est qu’un premier soin, de toute manière, histoire de ne pas développer quoi que ce soit de sérieux. En rentrant chez elle, elle demandera à sa gouvernante d’aller lui chercher de quoi soigner mieux la blessure, et d’ici quelques jours, tout aura disparu. Tant mieux, elle a un photoshoot dans une semaine, et n’a pas vraiment envie qu’on que les gens du magazine questionnent les traces sur son corps à chaque fois qu’elle change de tenue dans les loges.
« Oublie pas que ton verre t’attend. » Ah, oui, elle l’avait presque oublié, en effet. Elle se saisit du verre et boit plusieurs gorgées en grimaçant. Avec un peu de chance, ça rendra la situation plus acceptable et la douleur moins vive. Elle se penche de nouveau sur son ventre - elle commence à avoir mal à la nuque à force - et reprend son ouvrage, le visage toujours un peu tordu. « J’ai l’impression que tu ne me racontes pas tout, Nina. » Elle ne lève pas la tête, essaie de ne pas ciller. Parfois, elle se demande vraiment si William n’est pas un peu magicien. Ils se connaissent depuis longtemps maintenant, donc c’est vrai qu’il est peut-être capable de lire en elle plus que les autres… Mais quand même. Nina aimerait vraiment que ce soit plus simple, parfois. Elle parvient à mentir et manipuler tous ceux qui tombent sur son chemin, la majorité du temps… Pourquoi pas lui ? Insupportable. « Un disque ne s’envole pas comme ça. Il n’a pas de jambes. Qui était là aussi ? Qu’est-ce que tu as ramené d’autre ? » Nina soupire en balançant un nouveau coton sur la petite table à côté d’elle. Elle évite de le regarder, bien évidemment. Il lui faut une issue, une explication, n’importe quoi. Mais pour l’instant, elle n’a toujours pas d’inspiration divine. Elle a presque fini de désinfecter la plaie, elle ne va donc pas pouvoir éviter son regard très longtemps.
« Nina ? » Elle relève les yeux, consciente qu’elle ne peut pas ignorer le boss plus longtemps. Nina sait qu’il ne lui fera rien, mais il sait se montrer ferme quand on ne lui répond pas, et elle n’a pas envie qu’il se fâche après elle (personne n’a envie que William se mette en colère). « Depuis quand tu as des secrets pour moi ? » Elle rassemble les cotons et va les jeter dans la poubelle de la chambre. « Je n’ai pas de secrets. » se défend-t-elle en se rapprochant du dressing pour se débarrasser de son t-shirt teinté et en mettre un nouveau, en même temps qu’elle applique un grand pansement sur la plaie. « C’est compliqué, c’est tout. » Elle hausse les épaules, et revient au pied du lit, les mains sur les hanches. « C’était bizarre. » Elle secoue la tête, pose les yeux sur la fenêtre, les lèvres pincées. « Une fille venait de sortir de chez les Heathens avec plusieurs choses sous les bras. Dont le disque. Je l’ai jamais vue avant. » Et c’est plutôt surprenant, parce qu’en cinq ans de travail pour les Wonderlanders, elle a gagné une très bonne connaissance des autres gangs et des personnes qui dealent avec eux. « Elle était bizarre, comme si elle venait pas vraiment d’ici. Je sais pas. Elle avait des objets sur elle que j’avais jamais vu avant. On aurait presque dit qu’ils appartenaient à un autre temps. » Nina n’a toujours pas d’explication sensée à donner. « Elle avait Bowie, et elle a pas voulu me le donner. J’ai tout essayé. La seule chose que j’ai réussi à avoir est dans mon sac, dans l’entrée. Bref. J’ai pas eu Bowie cette fois-là, mais j’vais bien trouver un moyen de la retrouver et de le récupérer, right ? » Nina échoue rarement dans ses missions. Surtout quand il faut convaincre des gens - elle est plutôt douée pour ça. Alors qu’elle n’ait pas réussi à faire entendre raison à cette nana-là, ça va probablement surprendre Will. « Je comprends pas trop ce qui s’est passé. » avoue-t-elle sans en dire beaucoup plus. La vérité, c’est qu’elle a complètement perdu ses moyens face à cette fille.

Nina prend un moment avant de répondre. Juste le temps de se débarrasser des cotons qu’elle a utilisés pour se désinfecter. « Je n’ai pas de secrets. » William se met dos à elle lorsqu’il la voit se diriger vers son dressing. Il reste un gentleman et ne souhaite pas voir plus que ce que Nina lui laisserait voir sans son autorisation. « C’est compliqué, c’est tout. » Il l’entend se rapprocher. Compliqué. Qu’est-ce qui peut bien être compliqué aux yeux de la jeune fille ? « C’était bizarre. » William se remet face à elle et croise les bras. Elle a les yeux dans le vague. « Une fille venait de sortir de chez les Heathens avec plusieurs choses sous les bras. Dont le disque. Je l’ai jamais vue avant. Elle était bizarre, comme si elle venait pas vraiment d’ici. Je sais pas. Elle avait des objets sur elle que j’avais jamais vu avant. On aurait presque dit qu’ils appartenaient à un autre temps. Elle avait Bowie, et elle a pas voulu me le donner. J’ai tout essayé. La seule chose que j’ai réussi à avoir est dans mon sac, dans l’entrée. Bref. J’ai pas eu Bowie cette fois-là, mais j’vais bien trouver un moyen de la retrouver et de le récupérer, right ? » Pendant toute l’explication, William avait les sourcils froncés. Quelque chose dans l’expression de Nina le laisse perplexe, mais il n’arrive pas à savoir quoi. Ce n’est vraiment pas dans l’habitude de la jeune femme de laisser les choses s’en aller ainsi. « Je comprends pas trop ce qui s’est passé. » Troublée. Voilà. C’est ça. Nina est totalement troublée par cette rencontre. C’est étrange de la voir si confuse. Habituellement lorsqu’elle est ainsi, elle joue un rôle pour garder cette image de fille héritière qui lui colle à la peau, mais quand c’est réel c’est autre chose. William s’installe à ses côtés et remet une mèche de cheveux derrière l’oreille de Nina. « J’ose espérer que Bowie me reviendra tôt ou tard. » Il ne lâche jamais rien William et il a tendance à être comme ça quand il veut impérativement quelque chose. Bowie n’est qu’une défaite. Une seule. « Je suis content de voir que tu vas bien… malgré tout. » Ses yeux vont à l’endroit où il y a cette blessure qui ne devrait pas y être. Il prend doucement la main de Nina pour la serrer entre les siennes. Il dépose un baiser sur le dos. « Je vois que ça t’affecte pas mal cette histoire. Ce n’était pas une fille des Heathens je présume ? Sinon elle serait restée et aurait donné l’alarme je suppose. » Ce n’est pas plus mal que ce soit une inconnue alors, elle a évité des problèmes à Nina si elle n’était pas Heathens.

Il relâche ses mains et se redresse. « Tu crois qu’elle vient d’un autre monde ? » Il a déjà abordé ce sujet avec Nina quand il a évoqué Malia une seule et unique fois en sa compagnie. Ils ont discuté de ces autres univers et de la probabilité que Malia soit dans l’un d’entre eux avant que William ne stoppe la conversation. Remuer la perte de sa soulmate dans un autre univers l’affectait toujours autant et il ne devait pas montrer que ça le perturbait malgré les années. « Ça pourrait expliquer le fait qu’elle t’ait paru bizarre. » Lance-t-il. Il veut étouffer le regain d’espoir que Malia peut potentiellement retrouver son chemin si elle est toujours en vie. Mais il ne peut pas s’en empêcher. Il sait très bien que l’aiguille n’a pas disparu sur sa poitrine et ça, ça veut dire qu’elle n’est pas morte. Elle est perdue quelque part, c’est tout. Il penche la tête sur le côté et pose son regard sur Nina. « Tu veux peut-être que je te laisse te reposer ? » Il ne veut pas l’importuner plus longtemps. « Sauf si tu veux que je te lise le livre que je lisais pour t’endormir. » Ils font ça de temps en temps. Ils ont une relation un peu particulière tous les deux. Il est son chef, mais ne se comporte pas du tout comme ça avec elle (ou avec qui que ce soit d’ailleurs, ce qui peut en agacer plus d’un). Nina lui rappelle encore est toujours Eléanore alors qu’il sait pertinemment qu’il doit arrêter de faire cette comparaison. Il ne pourra pas protéger Nina éternellement.

Elle ne sait pas trop quoi attendre de la part de William. Même après toutes ces années, elle se sent parfois incapable de prévoir ses réactions - encore plus aujourd’hui, étant donné que ce qui s’est passé n’est jamais arrivé auparavant. Mais il finit par s’asseoir à côté d’elle et par mettre une mèche derrière son oreille, alors elle se détend un peu. Il n’a pas l’air trop en colère. Tout va bien. J’ose espérer que Bowie me reviendra tôt ou tard. Elle lâche un petit rire triste. J’y compte bien. Elle s’est fait une promesse à elle-même de toute manière. « Je suis content de voir que tu vas bien… malgré tout. Je vois que ça t’affecte pas mal cette histoire. Ce n’était pas une fille des Heathens je présume ? Sinon elle serait restée et aurait donné l’alarme je suppose. Nina fait non de la tête. Peu de chances. Quand elle est sortie de chez les Heathens, elle venait de faire du troc avec eux. Je pense qu’elle était indépendante, ou quelque chose comme ça. théorise-t-elle sans trop savoir.
Est-ce qu’elle va partir sur sa trace dans les prochains jours ? Probablement. D’abord pour se prouver qu’elle existe bel et bien, qu’elle n’a pas rêvé. Ensuite, pour savoir qui elle est vraiment - Nina se doute bien qu’elle ne doit pas être toute blanche, pour faire du troc avec les Heathens. Peut-être qu’elle appartient à un autre gang, un nouveau gang dont ils n’ont pas encore entendu parler. Raison de plus pour essayer de la retrouver, si c’est ça : il faut absolument qu’ils se renseignent sur ceux qui rôdent, parce qu’il est hors de question qu’un nouveau gang se mette sur le même marché qu’eux. Au fond, Nina est juste aussi curieuse que quand elles se sont quittées, y’a une impression de truc non fini qui lui reste sur le bout de la langue.
Tu crois qu’elle vient d’un autre monde ? Elle relève la tête de la plaie qu’elle est en train de désinfecter pour regarder William, un peu surprise. Mais elle finit par poser les yeux sur la bibliothèque, en face d’elle. Très franchement, ça ne lui est même pas venu à l’esprit. J’y avais pas pensé. Peut-être. Elle a quand même toujours du mal à y croire, que les gens puissent passer d’un monde à l’autre. Le sujet a été abordé plus d’une fois, avec William et avec Max… Mais elle a toujours du mal à s’y faire. Elle a encore l’impression qu’on parle d’un drôle de conte, d’une fable étrange, quand on évoque les autres mondes. Ça pourrait expliquer le fait qu’elle t’ait paru bizarre. Nina acquiesce. Pas faux. Elle continue à désinfecter de sa main libre, celle que William n’a pas dans la main, et ses pensées confuses rendent presque la douleur moins terrible à supporter. Elle se demande si William pense à Malia. Probablement. Il n’en parle jamais. Tu veux peut-être que je te laisse te reposer ? Elle n’a pas vraiment envie de rester seule. Sauf si tu veux que je te lise le livre que je lisais pour t’endormir. Elle fait oui de la tête, se débarrassant des cotons après avoir fini de désinfecter. Je veux bien que tu restes un peu. Elle se lève pour aller chercher de la crème, espérant qu’elle sera suffisante pour aider sa peau à se remettre. C’est bientôt l’été, et sa peau doit être parfaite pour les après-midi en compagnie de sa famille sur le Casablanca. Et j’ai bien besoin d’une histoire, alors je t’en prie. D’un geste de la main, elle l’invite à retourner à la place où il était initialement, avant qu’elle arrive. Elle passe très rapidement à la salle de bain, pour se mettre dans des vêtements plus confortables et se démaquiller, la porte entrouverte pour entendre l’histoire de Will. Quand elle a fini, elle s’installe sur son lit, allongée juste à côté de Will, qui parcourt les pages tranquillement, avec ses petites lunettes sur le nez. Ça l’amuse un peu, de voir ce côté très calme - cette facette plus douce du chef des Wonderlanders. C’est la facette qu’elle préfère - qu’elle pense alors que ses yeux se ferment, la voix de son aîné faisant berceuse. Ils sont quand même pas malins, Roméo et Juliette dit-elle d’une voix un peu endormie. Elle suit l’histoire, malgré la brume qui commence à s’emparer de sa faculté de réflexion. Elle va probablement s’endormir comme ça, épuisée par les émotions de la journée, apaisée par la présence rassurante de celui qui l’a recueillie quand elle se sentait plus seule que jamais, et qui lui a donné un nouveau but.

Nina lui demande de rester un peu avec elle. William sourit légèrement apaisé, mais toujours si inquiet pour elle. Il se réinstalle sur le lit tout en prenant soin de prendre le livre de Shakespeare qu’il lisait. Le titre lui saute aux yeux Roméo et Juliette. Il n’aime pas les romances, ça ramollit son cœur et ses pensées et il n’a pas le temps pour ça. Il tourne les pages pour arriver là où il s’était arrêté et reprend sa lecture d’une voix un peu plus forte pour que Nina puisse l’entendre de sa salle de bain. Il a la voix un peu monotone pour appuyer le fait que ça l’ennuie profondément les histoires romantiques. Nina revient dans la chambre et vient s’installer sous ses couvertures. William poursuit sa lecture encore un moment avant d’entendre la petite voix endormie de la jeune femme. Ils sont quand même pas malins, Roméo et Juliette Will sourit tendrement avant de tourner la page et de poursuivre encore pendant de longues minutes. Il finit par entendre la respiration de Nina se faire un peu plus lourde. Il tourne la tête pour la voir endormie. Il coince un marque-page et pose le livre sur la table de chevet avant de se dresser doucement du lit. Il remonte la couverture sur l’épaule de Nina et chasse une mèche de cheveux de devant son visage. Il se donnerait des baffes s’il pouvait. Il savait parfaitement qu’il prenait de gros risques en se montrant si attentionné face à Nina, mais il n’y pouvait rien.

Il quitte la chambre tranquillement et referme la porte délicatement. Il doit passer la nuit à penser à autre chose qu’à la blessure de Nina et qu’à ce qu’elle lui a dit. Il sait que ça va forcément l’attirer vers Malia et sa disparition et vers son autre soulmate qu’il n’a pas le droit d’approcher. Il doit les garder enfermer dans un coin de ses pensées sans jamais y accéder sinon ça risquait de le compromettre. William retourne dans ses appartements et s’y enferme. Il se verse un verre d’alcool et va se mettre devant l’immense baie vitrée qui donne sur le quartier le plus chic de Néodam. Il pleut encore. Comme toujours. William distingue la lumière des voitures et des lampadaires de la ville. Il boit une gorgée d’alcool et grimace comme à chaque fois au début. Il se laisse la soirée pour repenser à ses soulmates et à son lien particulier avec Nina. Il se laisse juste cette soirée pour être un être humain à peu près normal avant de reprendre son masque de chef de gang. Il ne peut pas se laisser perturber par des pensées aussi sentimentales. Ce n’est pas lui. Il n’est pas comme ça. Il laisse ça volontiers à n’importe qui dans son cluster, mais pas lui. Il ne doit pas montrer ses faiblesses à Moriarty ou à qui que ce soit. Jamais.

William finit par aller s’installer dans son fauteuil face à son bureau et se met à réfléchir à des plans d’action pour les Wonderlanders. Qu’est-ce qu’ils vont bien pouvoir parasiter pour gagner en visibilité ? Qu’est-ce qu’il peut souiller et qui fera bondir furieusement Moriarty ?