(#1) jesshan + i have dreams of another world

La bibliothèque universitaire a un charme particulier. Elle a été l’un des premier bâtiments à être construits après le cataclysme, quand les pionniers ont tenté de bâtir les fondations d’un nouveau monde, un monde meilleur que le précédent. Elle porte encore les traces des espoirs d’autrefois : une société égalitaire, la protection de ce nouvel environnement-providence. Yohan pense souvent à la naissance d’Altea. Il a beaucoup appris dans les livres d’histoire et à travers les contes des ancêtres que sa mère a gardés, mais il aurait vraiment aimé être là pour voir ça. Il aurait été curieux de découvrir le choc des anciens, quand les premiers enfants nés sur Altea ont commencé à fusionner avec la Small Science et manifester des capacités spéciales. C’était quelque chose qui semblait impossible, dans l’ancien monde… Une légende, que le cinéma, la télévision et la littérature se plaisaient à exploiter sans que jamais la fiction devienne réalité. Yohan se rappelle que sa mère disait parfois que peut-être, la force supérieure qui avait guidé tout ça avait entendu les prières des terriens. Qu’à travers le cataclysme, elle avait juste mis entre leurs mains ce qu’ils rêvaient d’avoir depuis toujours : un moyen de vraiment faire la différence. Haneul a toujours cependant émis des réserves quand à cette théorie, arguant que la nature humaine était peut-être bien trop sombre et négative pour faire bon usage de la Small Science, et que c’était donc peut-être un esprit malveillant qui avait trouvé l’idée bonne.
Yohan n’a jamais trop su quoi faire de toutes ces histoires, mais il se rappelle qu’il aimait écouter sa mère les raconter avec beaucoup de passion. Il n’ose même pas imaginer l’état dans lequel elle aurait été si elle avait été en possession du même savoir que lui - elle aurait probablement explosé d’enthousiasme et de curiosité. Elle était comme ça, Haneul : toujours à vouloir en savoir plus, toujours à vouloir voir le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide. Alors peut-être que c’est un peu pour elle qu’il se rend à Cosmopolis tous les jours en ce moment, pour mettre le nez dans de vieux livres d’histoire, de philosophie, de religion. Il ne sait pas trop ce qu’il cherche. Des pistes ? Sûrement. Il doute que ses questions trouvent des réponses dans les livres poussiéreux - car s’ils renfermaient des informations aussi énormes, le monde saurait tout, et Yohan n’aurait donc même pas à les consulter. Mais il a de l’espoir, ou plutôt, il est vraiment désespéré.
Il y a un peu plus de cinq ans, il a perdu son âme dans le café, les pages blanches et les écrans trop lumineux des ordinateurs de la bibliothèque pour comprendre pourquoi il y avait des inconnus dans ses miroirs, pourquoi il pouvait ressentir la douleur, la joie et le chagrin de sept autres personnes. Il a trouvé des légendes, mais rien de plus. Quelques mois plus tard, il est revenu pour en apprendre plus sur les soulmates et les soulmarks, sans trouver de quoi apaiser l’énorme poids qui venait de tomber sur ses épaules. Il y a un an, il est revenu hanter les couloirs et passer ses doigts sur le bois usé, afin de s’assurer qu’il n’était pas condamné, après que son soulmate ait rompu leur lien sacré. Il n’est cependant pas resté longtemps, horrifié par ce qu’il lisait dans les rapports médicaux et sociaux. Après ça, il pensait vraiment qu’il n’aurait plus de raison de remettre les pieds dans la vieille bibliothèque. Et pourtant. Maintenant il est là, confus, à essayer de trouver dans des antiquités de science-fiction comment un être pourrait passer d’un monde à l’autre, d’une dimension à l’autre. C’est quand même dingue, de se retrouver à chercher dans de la fiction. Mais il n’y a que ça qui réussisse un minimum à lui donner l’impression qu’il n’est pas complètement fou, comme la première fois qu’il a compris que les altéans n’étaient pas seuls dans l’univers. Oh, il ne sait toujours pas où se positionner. Est-ce que c’est une histoire de réalités alternatives, de planètes jumelles à des années lumières les unes des autres ? Est-ce que c’est juste une illusion collective ? Même après toutes ces années, il n’a pas de réponses, alors ça rend sa quête difficile. Mais il essaie. Parce que pour l’instant, il ne voit pas comment Jesse pourrait connaître Lennie tout comme elle le connaît lui. C’est littéralement impossible.

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Yohan ne se voyait pas inviter qui que ce soit d’autre. Aedhan est trop grognon, Isaiah est trop occupé. Eliott aurait probablement accepté mais n’aurait pas vraiment profité. Et puis, il adore les membres de son équipe, vraiment… Mais ils passent déjà toutes leurs journées ensemble. Non. Il lui fallait quelqu’un qui apprécierait autant que lui les festivités post-nouvel an. Il lui fallait quelqu’un d’enthousiaste, de joyeux, de solaire, un peu plus comme lui. « Jesse, par-là ! » Il sautille dans son grand manteau d’hiver en apercevant la jolie rousse sur le remblais de la plage de Soho. Ça fait des semaines qu’il veut venir ici, pour visiter le marché d’hiver, mais les entraînements ont été rudes, même pendant les vacances de fin d’année, ne lui laissant pas vraiment de temps pour profiter. Maintenant qu’ils sont enfin en vacances (courtes, mais tout de même), il ne compte pas gâcher une seule seconde de sa liberté.
Elle n’a même pas le temps de le saluer qu’il l’a déjà prise par le bras et l’entraîne au-dessous de la grande arche décorée qui marque l’entrée du marché. « Tu as la marchandise? » dit-il en plissant les yeux, et en regardant autour d’eux frénétiquement, comme s’ils étaient suivis. Par marchandise, bien sûr, il entend bien sûr bonbons. « Je suis trop content que tu aies pu venir. » dit-il en lui serrant un peu plus le bras. Passer l’après-midi avec Jesse au bord de la plage, dans le quartier de son enfance, à faire le marché d’hiver… Oui, ça lui semble être son plan le plus génial depuis un moment. Avec elle, il a toujours l’impression qu’il a le droit d’être heureux et de bonne humeur sans qu’on le lui reproche, et ça lui fait un bien fou. « Ça a été, ce matin, à la supérette ? » demande-t-il gentiment en l’entraînant vers la première échoppe, qui vend des petits objets sculptés en bois. Aujourd’hui, son plan n’est pas seulement de s’amuser… Il a bon espoir de poser quelques questions subtiles (ou pas subtiles du tout) à Jesse, afin d’éclaircir un peu plus son mystère.

Elle essaye de comprendre cette sensation. De s’en souvenir. De comprendre d’où elle vient. Elle arrête pas de se gratter l’épaule, mais ça continue. Comme si un moustique particulièrement robuste arrêtait pas d’la piquer. Sauf que, y’a pas d’moustiques. Et même si. Il aurait pas survécu une semaine entière accroché à son bras. Alors elle comprends pas, et elle se gratte. Parfois, elle fait autre chose, et elle y pense plus. Et puis ça revient, inlassablement. Et franchement, ça commence à lui gâcher la vie.
Pas plus tard qu’hier. Elle était chez la seule branche masculine des “Boyle” et elle a fait tomber un cristal par terre parce que son épaule la grattait.
Et c’est nul. De pas pouvoir vivre tranquillement.
Alors elle en a parlé, à sa “mère” adoptive, et même à Jo. Et elles l’ont regardé bizarre, d’abord. Et elles se sont renseignées sur ce qu’elle avait fait de sa journée, quand c’est arrivé pour la première fois. Et puis surtout les gens, qu’elle avait croisé. Sauf qu’elle se souvient pas vraiment, de toute ça. Elle se souvient bien d’ce père de famille, avec ses gosses, qu’était là pour acheter des bonbons. Et elle se souvient s’être dit qu’il était. Sublime. Comme si un être supérieur lui avait autorisé une beauté toute pour lui seulement. Mais fantasmer sur un père de famille, ça fait certainement pas partie des choses considérées comme “bien”. Alors elle l’a pas dit. Elle en a pas parlé. Juste qu’elle l’avait vu. Pas de ce qu’elle en avait tiré. Ni de ce qu’elle avait ressenti. Et elles ont juste haussé les épaules.
Et elles lui ont dit qu’elle devrait aller voir un médecin, probablement.

Elle y a été.
Et elle a rien.
Rien du tout.

Pourtant, alors qu’elle va rejoindre Yohan sur la plage, elle continue à se gratter l’épaule. Et vraiment, ça commence à faire mal. Et sans s’en rendre compte, elle s’enlève un bout de peau avec ses longs ongles colorés en jaune et elle se mord la lèvre de douleur. C’est pas censé faire si mal, vraiment. Elle se souvient de la première fois qu’elle est tombée en roller, elle s’est écorchée une belle partie du genoux, et ça faisait pas mal. Pas à ce point.
Les larmes commencent à se former au coin de ses yeux, et elle en laisse une tomber. Larmes, réaction automatique à une douleur flagrante, brulante. Elle jure pas Parker. Mais sinon, elle aurait jurer un mot qui commence par Pu, et finit par tain.

Elle continue d’avancer, essayant de ravaler les larmes qu'avaient déjà bien coulées. Et lorsqu’elle entend la voix de Yohan, elle se dépêche d’essuyer les preuves restantes sur ses joues et de courir vers lui. Son épaule lui fait un mal de chien, vraiment. Et ça la gratte maintenant au bras, juste en dessous de l’épaule, bien au dessus du coude. Et elle a presque envie de bouder, et de demander ce qu’elle a bien pu faire pour mériter un moustique aussi résistant.
Il la prend dans ses bras avant qu’elle puisse dire un mot, et elle garde le sourire tant qu’elle le peut quand il touche l’endroit qu’elle vient d’errafler sous son énorme blouson.
Elle pourrait lui en parler, mais une petite voix dans sa tête lui dit de pas l’faire. A Yohan, elle pourrait dire ce qu’elle a ressenti en voyant ce papa et ses adorables enfants. Mais elle veut pas. Un peu avec l’impression que si elle le faisait, une terrible malédiction s’abbattrait sur elle et tous ceux qu’elle aime.

Elle rigole et sort un paquet de bonbon qui tient à peine dans ses deux paumes ouvertes. Un gros. Paquet de bonbon. Qui sera rapidement terminé. Assez pour qu’ils aient à en racheter avant la fin de leur balade, très probablement. Elle sourit, continue à sourire. Elle lâche presque un sourire soulagé quand il la lâche et garde sa main sur l’autre bras, son bras gauche. Celui qu’est pas blessé d’une petite égratignure.
Elle le suit de près et hausse les épaules à sa question.

Ouais. C’était cool. Y’avait plein d’monde, et les autres étaient tout l’temps en pause, mais c’est pas grave. J’ai géré. Comme d’hab et tout. Et toi ? Depuis la dernière fois ?

Et elle a vraiment envie d’se gratter l’bras, mais Yohan la tient fermement, et finalement.
Finalement, c’est peut-être mieux comme ça.

Quand elle sort le paquet de bonbons de son grand manteau, un grand sourire se dessine sur les lèvres du sportif. Techniquement, il n’est pas censé se goinfrer de cochonneries. Pour être au meilleur de sa forme, il a tout intérêt à manger équilibré. Mais c’est les vacances, et de toute manière, sa santé est foutue quoi qu’il arrive, n’est-ce pas? Il s’éteint à petit feu, alors autant s’éteindre en se faisant plaisir. Il se saisit du paquet et commence à piocher dedans tandis que Jesse ouvre la bouche pour la première fois depuis qu’elle est arrivée. « Ouais. C’était cool. Y’avait plein d’monde, et les autres étaient tout l’temps en pause, mais c’est pas grave. J’ai géré. Comme d’hab et tout. Et toi ? Depuis la dernière fois ? » Yohan sourit. « T’es la meilleure, bien sûr que t’as géré. » Il lui trouve un ton étrange, mais ne dit rien. Ils se connaissent depuis un moment maintenant, mais il n’a pas l’impression de la connaître assez pour avoir le droit de creuser quand il sent que quelque chose n’est pas comme d’habitude. Peut-être qu’elle est juste fatiguée, peut-être qu’elle avait un peu la flemme de venir (il ne peut pas lui en vouloir, elle a passé sa matinée à travailler). Yohan va plutôt faire en sorte de lui faire passer un bon après-midi: si vraiment son instinct ne le trompe pas, alors un peu de soleil et de manèges aidera sûrement les choses à rentrer dans l’ordre.
Il tient toujours Jesse fermement en observant les petits objets sculptés en bois posés sur la table - des arbres, des visages, des animaux. Son regard glisse sur un petit lapin joliment sculpté, et ça lui rappelle son enfance, quand il décrivait les nuages à Eliott. « moi ça va forcément, je suis en vacances… et bien content de pas avoir à remettre les pieds au centre d’entraînement avant un moment. » admet-il. Ce n’est pas qu’il n’aime pas son boulot, loin de là. C’est juste que son corps ne suit plus trop, il a besoin de se requinquer pour continuer à faire illusion. Il ne sait pas encore combien de temps il va réussir à prétendre qu’il est au top de sa forme, mais jusqu’au bout, il mettra les cartes de son côté. « Je me tâte à partir quelques jours en province… » Un air plus pur que celui de Central City lui ferait probablement du bien, il y pense depuis un moment, déjà. L’idéal serait de partir seul, probablement. Son entourage est une source de stress permanent : quand vont-ils se rendre compte que quelque chose cloche ?. Même avec ceux qui sont au courant de ce qui se passe, il ne se sent pas toujours à l’aise : il a peur qu’ils s’inquiètent trop, que ça rende le quotidien bizarre… Il sait qu’ils se posent autant de questions que lui, et surtout, la plus effrayante : jusqu’où ça va aller?. Il les aime, vraiment, mais parfois, il rêve juste de leur échapper, de ne pas avoir à réfléchir à chacun de ses gestes, à chacune de ses paroles, pour s’assurer que personne n’est inquiet ou personne ne remarque qu’il est dans cet état.
« J’ai toujours vécu ici, à Central City… et à Soho. J’ai jamais vraiment vu le reste d’Altea, et je sais qu’il y a des paysages magnifiques… A bientôt vingt-trois ans, il serait peut-être temps que je sorte de chez moi. » dit-il en se saisissant du petit lapin en bois pour faire glisser ses doigts sur les aspérités, un peu songeur.
« Tu avais un animal de compagnie, quand t’étais gamine ? » demande-t-il finalement, les yeux toujours rivés sur l’objet en bois. La question n’est pas anodine: Yohan a appris par Lennie qu’il n’y avait pas d’animaux à Sigan, l’endroit où l’androïde a connu Jesse - du moins pas des vrais. Sa réponse sera peut-être un nouvel indice sur ce qui s’est passé. Il sent que Jesse gigote un peu, contre son épaule, et il se demande si c’est parce qu’elle est mal à l’aise, après cette question. Il s’en veut presque un peu. « Pardon, j’suis un peu collant. » s’excuse-t-il en libérant enfin le bras de la rousse qu’il s’était presque approprié. « C’est parce que je suis trop content de te voir, haha. Tu travailles en bas de chez moi et j’ai l’impression qu’on ne se voit jamais vraiment. C’est quand même vraiment dommage. » Il est sincère. Quand ils se croisent, c’est parce qu’il va faire des courses, et il est souvent assez pressé, et elle est en train de travailler. Pas idéal pour vraiment discuter de ce qui se passe dans leur vie.

Elle sourit en entendant la réponse de Yohan. Simple, sa réponse. Mais pleine de sens. Les compliments, ça a toujours un sens. Les compliments, c’est toujours importants. Chez certaines personnes, c’est une denrée rare. Chez eux, les compliments doivent être donnés au compte goûte pour être sûr que la personne en face s’habitue pas, n’en devienne pas avide, mais dépendant. Chez eux, les compliments, c’est cette carotte au bout du chemin. Et les personnes face à eux sont les chevaux affamés et gourmands. Parker, elle pense pas ça. Elle a jamais pensé ça, Parker. Parker elle pense que les compliments doivent toujours être véritables, jamais joués ou inventés, mais doivent être donnés sans compter. Pas pour récompenser mais simplement pour constater. Ce serait plus simple si les gens osaient se complimenter, vraiment, sans avoir l’impression que ça remet leur orgueil en cause. Leur personne n’est pas diminué parce qu’ils ont, un jour, décidé de complimenter quelqu’un, non, c’est pas comme ça que ça marche.
Parker, parfois, elle marche dans la rue, et elle s’arrête, regarde les gens passer. Et complimente. Les chaussures, les robes, pantalons, manteaux, chiens, chats, démarche. Ca lui fait du bien, à Parker, de complimenter les gens. Parce que ces gens là lui sourient, même si c’est, souvent, un sourire étrange, parfois apeuré ou de pitié. Mais Parker, elle prend les souvenirs, et ça lui fait du bien, le sourire des gens. Sourire, c’est toujours positif. Comme dire des compliments, c’est pareil. Positif.

Elle le regarde manger bonbon après bonbon, et elle pioche dans le sac à son tour. Elle non plus elle a pas faim, mais elle aussi, elle est gourmande. Et même si se servir dans un paquet que Yohan garde près de lui et pas pratique au vu de leur position respectives, elle y parvient. Après tout, tout est possible quand ces sucres jolis sont concernés.
En mâchant, elle l’écoute lui répondre. Il est en vacance. C’est bien les vacances. Il a de la chance. Avec les trois boulots, ça fait deux ans qu’elle en a pas eu du tout, de vacances, Parker. Aucun des employeurs ne décidant de fermer au même moment. Ca lui fait des semaines moins chargées, parfois. C’est ça, son nouveau sens des vacances. Vivement qu’elle retourne à Sigan. A Sigan, elle avait des vacances. Mais encore, elle avait que 15 ans à l’époque. Peut-être, qu’en y retournant, elle en aura plus, de vacances, peut-être. Elle aime pas cette idée. Mais au moins, si c’est le cas, elle y sera habituée.
Elle continue de l’écouter alors qu’elle replonge la main dans le paquet. Elle en peut plus de ces cochonneries sucrées. Entre les moments où elle en prend au boulot et les moments où elle les dévore en dehors, elle va finir par prendre beaucoup trop de kilo pour plaire à quiconque. Let alone un père de famille. Woop. Pensée dérivée. Partir loin, qu’il dit Yohan. Bonne idée qu’elle pense Parker.
Elle hoche la tête en pleine rêverie. Mais qu’est-ce qu’il lui arrive sérieusement. Déjà, faudrait qu’elle arrête de penser à cet homme, ça devient sérieusement grave, et sérieusement flippant. Ensuite, faut que cette tâche de naissance arrête de la gratter parce que si ça continue, ça va plus ressembler à une tâche, mais un marbré de cicatrices. Et Parker, elle a de très longs ongles. Qui rentrent très facilement dans sa peau. Et ça fait.
Mal.

Elle relève les yeux vers lui quand il lui parle de son enfance. Sigan. Ses parents. Nikita et les autres. Sibel, Aquila. Ca la fait sourire doucement, tristement. Son monde lui manque. Et alors que ce compteur, à un temps donné, c’était la preuve d’un monde qu’elle voyait corrompu, le fait qu’il soit fixe la rassure pas. Lui donne la chaire de poule.
Et Yohan finit par enlever son bras. Et Parker, elle a qu’une envie, lui attraper, et le remettre là où il était. Il lui faut pas deux secondes pour que son poignet se remette sur son épaule et qu’elle recommence à gratter. Avec la ferme attention, on dirait bien, d’enlever la moindre parcelle de peau qu’il reste de foncé. C’est une bonne chose qu’à la moindre douleur, elle enlève la main, qu’elle ait pas le courage d’aller jusqu’à la fin. Sauf que gratter, c’est comme une piqure de moustique, ça fait un bien de dingue.

T’es pas collant, Yohan. Tu l’as jamais été. T’es quelqu’un de formidable. Qui fait les bonnes choses au bon moment, maintenant s’il te plait, reprend moi ce bras et empêche moi de me gratter, c’est horrible.

Elle lâche un petit rire insécure. Parce qu’elle a pas vraiment envie de parler de tout ça. Qu’elle sait pas ce qui l’a déclenché, et que la seule chose auquel elle peut penser, c’est ce père, ces enfants, et l’impossibilité qu’elle a de révéler quoique ce soit à quiconque de peur de passer pour une briseuse de ménage sans coeur. Parker, c’est l’inverse d’une briseuse de ménage. C’est la première partisane des contes de fée. Pas des méchantes belles mères.

Pour répondre à ta question, ouais, j’avais un chiot. Bon, enfin. Un robot. Mais comme un chiot, juste, pas vraiment. Animal. Vivant mais pas, pas vraiment comme on pourrait l’imaginer ici, je suppose. Et toi ? Une petite boule de poil pour t’accompagner pendant ton enfance ?

Elle veut changer de sujet. Peut-être qu’en s’intéressant à la vie de Yohan, à son passé, sa main arrêtera de lui détruire le bras comme si elle était née avec cet unique but.

« T’es pas collant, Yohan. Tu l’as jamais été. T’es quelqu’un de formidable. Qui fait les bonnes choses au bon moment. Il la regarde, un peu surpris et décontenancé, mais c’est un grand sourire qui s’affiche sur ses lèvres la seconde qui suit. Jesse a sorti ces compliments avec un naturel et une sincérité qu’on voit rarement chez les gens, et Yohan a l’impression qu’on vient de refaire sa journée, sa semaine, son mois. Et on se demande encore pourquoi il adore la jolie rousse. Jesse est tout ce qu’il adore : le genre de personne qui vous tire vers le haut, et pas par intérêt. Elle est comme ça, elle a pas honte de dire les choses les plus positives du monde, elle a pas honte de dire ce qu’elle pense. Chez lui, ça a toujours été presque tabou après la mort de sa mère, de faire des compliments. Ils venaient toujours après des sacrifices, après des décisions difficiles ou des choses qu’il n’avait pas envie de faire. Il ne trouvait grâce aux yeux de son père que quand il faisait des choses à mille lieues de sa personnalité ou qui leur offrait une reconnaissance de la part de la société. C’était sa mère, la reine des compliments. Peut-être que s’il aime autant Jesse, c’est aussi parce qu’elle ressemble beaucoup à sa mère, d’une certaine manière. Il n’y avait jamais vraiment pensé avant, mais là, tout à coup, ça le frappe. Elles ont le même truc dans le regard. Ça le fait sourire d’autant plus.
« Maintenant s’il te plaît, reprends moi ce bras et empêche moi de me gratter, c’est horrible. Il hausse les sourcils, un peu surpris par la requête, mais s’exécute, et ils sont de nouveau bras-dessus, bras-dessous sur le marché de la plage. Il lui tend le paquet de bonbons. « Pour répondre à ta question, ouais, j’avais un chiot. Bon, enfin. Un robot. » Là aussi, Jesse est débordante de franchise. Yohan fait de son mieux pour garder un visage normal, penché sur le petit lapin en bois de nouveau. Un robot. Elle a dit ça comme si c’était normal à Altea. Alors que clairement, ça l’est pas. Cette spontanéité ne fait que confirmer à Yohan qu’il n’est pas sur la mauvaise piste. Il a encore plus envie de connaître le fin mot de l’histoire, du coup. « Mais comme un chiot, juste, pas vraiment. Animal. Vivant mais pas, pas vraiment comme on pourrait l’imaginer ici, je suppose. Et toi ? Une petite boule de poil pour t’accompagner pendant ton enfance ? » Il fait non de la tête. « On a brièvement hébergé un chien, mais il est retourné vite dans sa famille. Et maintenant… J’estime que mes colocataires font office d’animaux de compagnie. » dit-il d’un air amusé en reposant une bonne fois pour toutes le petit lapin de bois, et en embarquant Jesse un peu plus loin, vers d’autres échoppes. Aedhan et Isaiah ne seraient probablement pas très heureux de l’entendre dire ça… Mais au fond, c’est plus affectueux qu’autre chose.
Il avise les manèges du regard et finit par proposer, alors qu’ils passent devant un stand couvert d’écharpes et de bonnets dont personne n’a vraiment besoin dans l’agréable temps d’Altea : « Tu veux qu’on tente la grande roue ? Ça fait longtemps que je suis pas monté là-dedans, j’adorais quand j’étais gamin. » dit-il avec un sourire nostalgique. Il se rappelle être venu avec sa mère plus d’une fois - avec son père aussi, quand celui-ci était encore un homme sensé et aimant, avant de perdre sa soulmate. Il se souvient d’après-midis passés ici avec Eliott, aussi. Ils se gavaient de bonbons et faisaient autant de tours de grande roue que possible, en s’inventant des vies héroïques. Yohan a du mal, parfois, à réconcilier ces souvenirs heureux avec ce qu’ils sont aujourd’hui. « Y’a une super vue sur Soho et sur la mer, paraît-il. » Il se souvient que c’était le cas à l’époque, et comme le quartier n’a pas énormément changé, ils devraient retrouver à peu près la même vue grandiose. « A moins bien sûr que tu aies le vertige ? » La question peut sembler bête mais il ne veut pas qu’elle se sente obligée de faire quoi que ce soit - il la sent déjà un peu tendue, il ne veut pas ajouter à son inconfort. Il reprend un bonbon en attendant sa réponse, mais il la sent qui gigote encore, qui bouge son bras plus que de raison. « Bon, tu vas arrêter oui ? » finit-il par dire, en fronçant les sourcils. « Qu’est-ce qui te gratte comme ça ? C’est une étiquette ? Je peux l’enlever si tu as besoin, ce sera une bonne occasion de te déshabiller. » Il joue des sourcils, un air pervers sur le visage - mais il sait que Jesse saura qu’il plaisante. Ils ont déjà discuté beaucoup de ces choses-là : elle sait qu’il ne s’intéresse pas du tout aux femmes, et surtout, qu’il n’est pas un mec chelou et pervers. « Tu t’es fait piquer par quelque chose ? » Si oui, ça la gratte drôlement, juste pour un bouton. Faudrait peut-être qu’elle voit un médecin.

Parker, elle adore passer du temps avec Yohan. Yohan, il est gentil, il est respectueux, drôle. Et il aime les bonbons autant qu’elle. Même si, du coup, ça, c’est pas vraiment certain que ce soit un bon point. Bah ouais, ils vont devoir se disputer pour le dernier du sac. Et Parker aime pas les disputes. Mais well, tout pour un bonbon, après tout. Et rien que la présence de Yohan devrait la distraire, complètement, totalement. Mais c’est pas le cas. Parce qu’à côté de ça, elle pense beaucoup à l’homme qu’elle a rencontré au magasin de bonbon. Et qu’elle arrête pas de se gratter l’épaule, à aller jusqu’au sang, même, pour cette fois-là. Elle pensait pas que ça faisait aussi mal. Brrr, rien que d’y penser, elle en frissonne. C’est nul, cette histoire, c’est nul, tout ça. C’est nul qu’elle soit dehors, dans cet endroit trop cool, sur ce monde qui finalement, l’est peut-être pas tant que ça. Mais la plage, elle est cool. C’est l’endroit qu’elle préfère sur Altéa. Et elle en a découvert, des endroits, depuis qu’elle a débarqué.
Elle voudrait pouvoir profiter de ce moment, de la plage, de Yohan, du sac de bonbon. Mais c’est nul. Parce qu’elle y arrive pas. Parce que son bras la démange. Et, pourtant, depuis qu’elle a débarqué à Altéa, elle a déjà eu des problèmes de démangeaisons. En général à cause d’insectes, ou de plantes. Mais jamais, jamais à ce point là. Jamais sur une aussi grande surface, non plus. Parce qu’elle se concentre sur l’épaule, mais même sa main la gratte.

Alors elle change de sujet, et attend sa réponse. Soulagée, elle l’est, quand il lui reprend le bras. Ouais. C’est très énervant, cette envie insatiable de se gratter l’épaule, mais au moins, au moins, là, elle peut pas. Et tout pour pas reproduire le schéma de l’égratignure. Ouais. Tout. Un non de sa part. Pas d’animaux. C’est triste. Sans Boulou, elle aurait pas vécu la même enfance. Boulou, il doit l’attendre à la maison, sagement, se demandant quand sa maîtresse va revenir. Ses parents ont sérieusement intérêt à pas l’avoir jeté. Parce qu’elle s’attend à la retrouver dans sa chambre quand elle retournera chez elle. Oui, parce qu’elle y retournera, chez elle. Elle y croit. Malgré ses doutes, elle y croit.
Parker sourit quand elle l’entend dire que ses colocataires dont office d’animaux. C’est pas sympa, mais c’est drôle. Très drôle. D’imaginer des humains courir autant de Yohan avec des oreilles de chat ou des crocs de chiens. Oui, drôle.

Yohan finit par proposer la grande roue, arrêtant de parler d’animaux, de ses colocataires, ou du passé, de l’enfance de Parker. La grande roue. C’est simple, mais beau. Elle l’a déjà vu, de loin, mais a jamais vraiment osé monter dedans. Sur Sigan, c’est pas pareil. Et ça lui fait peur. D’y aller seule, ça lui fait peur. Mais elle se dit qu’avec Yohan, y’a aucune raison que ça se passe mal.
Elle réfléchit un peu, prend son temps. Elle a pas le vertige, juste peur qu’une nacelle se détache, c’est pas impossible hein. Et ce serait catastrophique. Elle bouge le bras de nouveau. C’est énervant, maintenant, pas juste dérangeant.
Elle se retourne vers Yohan, finalement, quand il lui pose la question. Et rigole à sa réflexion, qui pourrait, si la personne n’était pas Yohan, s’apparenter à de la drague. Mais c’est Yohan. Et Yohan, la draguer elle ? Non, non vraiment pas.

Je sais pas ce que j’ai. C’est ma tâche de naissance qui me gratte depuis quelques jours. Oh, d’ailleurs, je t’ai pas dit.

Parce qu’à lui, elle peut lui dire, qu’elle a rencontré un homme, beau, gentil, doux, qu’a l’air merveilleux, mais qu’il a deux enfants, non ? Lui, il la jugera pas, lui.

Y'a quelques jours, justement, j'ai rencontré un garçon. Enfin, un homme, plutôt. Et il est beau, et…

Mais elle s’arrête. Elle s’arrête parce que, devant eux, à la file d’attente, une fille qu’elle reconnaîtrait entre mille. Elle tapote sur le bras de Yohan, tapote, tapote, tapote, continue de tapoter en pointant l’endroit avec son autre bras. Celui que Yohan garde prisonnier.

Yohan. Yohan. Regarde, c’est la fille qui joue dans Bienvenue les binbins. Tu sais le truc, le matin là, avec des dessins, et des vrais chiots, et elle joue dedans, le rôle de la fée des animaux. Tu penses que je vais lui dire que j’aime trop ce qu’elle fait ou c’est mieux que je la laisse tranquille ? J’veux dire, peut-être faut que je lui laisse sa vie privée hein, ouais, ouais, je crois que je vais faire ça, c’est mieux, mieux, oui. Yohan, c’est trop bien, c’est trop bien.

Et elle sautille, d’une jambe à l’autre, entraînant malgré elle le bras de Yohan qu’elle a toujours autour du sien.
Son bras la gratte toujours autant. Mais au moins, elle pense à autre chose. Vraiment, cette fois.

« Je sais pas ce que j’ai. C’est ma tâche de naissance qui me gratte depuis quelques jours. Oh, d’ailleurs, je t’ai pas dit. » Yohan hausse les sourcils. Jesse a un air qu’il aime bien sur le visage. Un air content et enthousiaste. Le jeune homme oublie complètement la grande roue et ses nacelles, impatient de savoir ce qui lui donne ce joli teint. Yohan est un vrai gamin dés qu’il sent les potins venir, et son instinct lui dit qu’il va entendre quelque chose qui va lui plaire. « Y'a quelques jours, justement, j'ai rencontré un garçon. Enfin, un homme, plutôt. Et il est beau, et… » ELLE A RENCONTRÉ QUELQU’UN. Pas seulement un garçon : Un homme. Il imagine bien entendu tout de suite quelqu’un de plus âgé qu’elle, grand et ténébreux. Il sait pas pourquoi. Peut-être parce que le contraste avec les cheveux roux et l’air solaire de Jesse serait plutôt joli. Il aime bien l’idée. Ils ont parlé plus d’une fois de leurs vies, mais pour ce qui est de leurs histoires d’amour, ils sont jamais vraiment rentrés dans les détails. Jesse sait juste qu’il a été longtemps avec Joshua, mais il n’a bien sûr jamais parlé d’Eliott. De son côté, il ne peut pas prétendre savoir grand-chose de la vie amoureuse de la jeune femme. Tout ce qu’il sait, c’est qu’elle semble travailler trop pour avoir le temps pour ces choses-là. Alors forcément, si elle a rencontré quelqu’un, il va tout encourager avec enthousiasme : elle a bien besoin de ça. La vie ne devrait pas se résumer à travailler, et il serait ravi de la voir plus rayonnante encore dans les bras de quelqu’un de bien.
Il a mille questions au bord des lèvres, quand Jesse s’arrête net dans la file d’attente. « Quoi ? » Elle lui tapote le bras, semble être là sans vraiment être là. Il essaie de suivre son regard mais n’est pas sûr de comprendre ce qui la met dans cet état. Yohan. Yohan. Regarde, c’est la fille qui joue dans Bienvenue les binbins. » Il fronce les sourcils et suit son regard une seconde fois. « Tu sais le truc, le matin là, avec des dessins, et des vrais chiots, et elle joue dedans, le rôle de la fée des animaux. Tu penses que je vais lui dire que j’aime trop ce qu’elle fait ou c’est mieux que je la laisse tranquille ? J’veux dire, peut-être faut que je lui laisse sa vie privée hein, ouais, ouais, je crois que je vais faire ça, c’est mieux, mieux, oui. Yohan, c’est trop bien, c’est trop bien. » Il pose des yeux amusés sur Jesse. « T’es beaucoup trop chou. » Il la voit qui s’agite, jeter des regards furtifs à l’actrice… Il sait ce que c’est. Depuis qu’il est sportif, il s’est retrouvé plusieurs fois dans la même pièce que plusieurs de ses idoles. Il ne peut pas dire qu’il y est habitué, loin de là, mais il a déjà fait face à ce genre de situations… Et il sait que parfois, il faut un petit coup de pouce.
Il lâche le bras de Jesse et lui prend la main pour l’entraîner derrière lui. Il sent une petite résistance, mais il ne lui laisse pas vraiment le choix. « Bonjour mademoiselle. » Il a sorti son plus beau sourire. « Je suis vraiment désolé de vous déranger, mais mon amie ici présente est trop polie pour vous demander un autographe, ou une photo… » Il sourit en désignant Jesse. « Elle vous admire beaucoup… » Il pousse un peu la rousse vers lui, afin de la rapprocher de son idole. « Est-ce que vous voulez bien lui accorder quelques secondes ? Promis, si vous n’avez pas envie, on retourne tranquillement à nos places. C’est vraiment un honneur de vous rencontrer, vraiment. » La femme leur sourit, comme il le suspectait. « On attend, de toute manière, donc pas de souci ! Et c’est toujours un plaisir d’être reconnue… Ça n’arrive pas autant qu’on l’imagine, vous savez ! » « Ah, bah Jesse vous a reconnue immédiatement, je peux vous le dire. » Il envoie un clin d’oeil encourageant à son amie pour la pousser à ouvrir la bouche.

Trop chou, qu’il dit. Ouais, probablement. On lui dit souvent ça. Mais Parker a cette idée comme quoi c’est pas vraiment possible d’être trop chou. On l’est jamais assez. Y’a ce moment où pour certaines personnes, ça devient insupportable, voire même énervant. Mais Parker, et bien, elle a dépassé ce stade depuis un bon moment déjà. Alors qu’elle le soit encore plus, ça devrait gêner personne. Parce que les gens qui sont restés avec elle jusqu’à maintenant, ça veut dire que c’est des gens. Bien. Qui l’aime, même si sa naiveté d’esprit, et sa simplicité un peu trop évidente sont trop présentes. Yohan, c’est sûr qu’elle peut être naturelle avec lui. Elle essaye de l’être moins, par exemple, quand elle est, et bien, à la supérette par exemple. La supérette, elle peut pas agir comme ça. Parce qu’elle sait que certaines personnes, ça les énerve. Mais bon, chassez le naturel, il revient au galop comme on dit. Et Parker préfère éviter de chasser le naturel tant que c’est possible. Elle s’est donnée une règle, alors quand elle voit que vraiment, elle énerve trop les gens, elle essaye de changer un peu sa façon de voir les choses.
Le problème avec ça, c’est que Parker est assez aveugle à ce que les gens ressentent à son égard. Et particulièrement quand c’est négatif.

Elle trépigne de joie à côté de Yohan. Elle en revient pas, de la croiser là, cette femme. Elle est encore plus belle qu’en vrai. Et surtout, surtout, elle a l’air encore plus gentille. Son personnage est genre, enfin c’est une fée, donc forcément elle est gentille, et douce, et intelligente, et sociable, et elle aime aider les gens. Les animaux, dans son cas. Pakrer aime bien se comparer à elle parfois. Mais en vrai, elle a juste l’air d’être la plus gentille des jeunes femmes. Et Parker est contente de se rendre compte que c’est pas juste un rôle, qu’en dehors, c’est pas une grande méchante sorcière. Oui, vraiment, ça lui fait plaisir. Mais aller la voir, pour de vrai, c’est autre chose. C’est s’incruster dans sa journée, et elle est pas sûre que ce sera bien vu. Cette femme est là pour profiter de son temps avec ses amis. Parker a pas vraiment le droit de la déranger. Même pour lui faire tous les compliments du monde hein. C’est juste pas poli, peut-être. Oui, elle pense que c’est pas poli, de déranger quelqu’un qui veut juste profiter de sa journée. Alors elle demande son avis à Yohan. Parce que Yohan est intelligent, et il semble avoir une vue plus complète qu’elle sur les normes sociales. Parker, elle en manque totalement, de connaissances sur les normes sociales. La dernière fois, elle a parlé à un garçon dans la rue, pour lui dire qu’elle trouvait qu’il était trop trop beau. Le garçon a cru qu’elle lui faisait des avances.
Elle a du mal.
Et Yohan en a probablement moins qu’elle, de lacunes dans ce domaine là.

Il la prend par la main, sans lui répondre, et l'entraîne à sa suite. Oh. Il va vers l’actrice. Il veut que Parker lui parle. C’est bizarre. Mais son sourire s’étire tout de même. Parce qu’elle va pouvoir lui parler. Et lui dire ce qu’elle a tant envie de lui dire, à chaque fois qu’elle la voit à l’écran.
Yohan prend l’initiative de parler, au début. Et quand il a finit, il lui fait un clin d’oeil. Parker s’approche de l’actrice, les mains croisées, les pouces qui tournent, un peu gênées. Manquerait plus qu’elle se mette sur une pointe de pied et qu’elle se balance, et elle serait l’image parfaite de la petite fille qui ose pas demander un bonbon.

Bonjour.
Qu’elle commence à dire, doucement.
Votre rôle, il me rassure sur ce que je suis. Je me dis que les gens vraiment bien, ils sont pas bizarres, que c’est normal, de toujours vouloir aider les autres. Et je me rassure en me disant que si vous, vous avez un rôle comme ça, alors moi je peux être comme ça dans la vraie vie. Je. Je voulais vraiment vous le dire.

Et elle sourit, prend une photo finalement, avec la fée des animaux, sourit de plus belle, et retourne avec Yohan se placer dans leur endroit de la file, après avoir fait un gros coucou de la main à l’actrice qu’elle vient de quitter.
Elle entend un : “oh wow, j’ai jamais rencontré un phénomène pareil, on dirait un petit chaton.” quand elle repart, mais elle y fait pas non plus attention. Ca la fait juste sourire un peu plus.

Merci Yohan.

Qu’elle dit, alors que sa main, de nouveau libre, se remet à gratter son épaule, frénétiquement.

Elle a l’air un peu mal à l’aise, mais Yohan peut sentir que Jesse est contente. Il n’aurait pas voulu la forcer à faire quoi que ce soit, mais il sentait bien qu’elle avait envie de parler à l’actrice. Et puis merde, ce genre d’occasion ? Ça n’arrive pas souvent - ça aurait été dommage de laisser ça passer, de manquer de faire du jour de Jesse quelque chose d’un peu plus magique. Il l’observe s’approcher, dire bonjour, et déclamer ce qui lui sort du coeur comme si elle avait préparé ça toute sa vie. Forcément, ça l’attendrit encore plus, et son sourire s’étire sur ses lèvres à mesure qu’elle continue son petit discours. Il s’amuse de la voir prendre une photo avec la star, tout sourire. Ce qui est sûr, c’est que la photo ne sera pas ratée : Yohan imagine d’ici l’air heureux et les étoiles dans les yeux qui auront été capturées par le cliché.
Ça le rend presque un peu songeur, rêveur. Il ne sait pas trop qui il aimerait vraiment rencontrer. Ses quelques modèles dans le monde sportif, il a eu la chance d’au moins leur serrer la main une fois, alors il ne les compte plus sur sa liste. Il avait plein d’idoles, quand il était adolescent, et même si c’était il y a peu de temps… Il a l’impression d’avoir perdu cette passion pour les figures publiques. Peut-être parce qu’il en est devenu une lui aussi depuis que les Misfits ont rassemblé autant de supporters - et de fans. C’est bizarre. Peut-être tout simplement qu’il ne prend plus le temps d’apprécier autant qu’avant ce qu’il regarde, écoute, voit. La musique a toujours une place centrale, la danse aussi, mais il les consomme avec plus de détachement pour les artistes qu’à l’époque.
Il le regrette un peu. Il aimerait avoir autant de lumière dans les yeux que Jesse.
Il a vraiment l’impression qu’il passe à côté de quelque chose, ça le rendait heureux à l’époque.
« Merci Yohan. » Il lui sourit quand elle revient dans la file près de lui. « Mais de rien. » Il hausse les épaules. « Je t’ai un peu forcé la main du coup, je suis désolé… Mais j’ai eu peur que tu n’oses pas si tu réfléchissais trop. » C’est souvent comme ça : on a envie de faire quelque chose, on se prépare, on pèse les pours et les contres, et quand on se sent enfin prêt, l’opportunité est passée. C’est terriblement frustrant.
La file avance doucement mais sûrement. Ils vont encore devoir attendre un peu avant de monter dans les nacelles. Yohan n’a pas perdu le nord, alors il revient au sujet croustillant dont il attendait les détails juste avant qu’ils soient interrompus par la présence de l’actrice. « Et donc… » Il la regarde avec un air intéressé, celui qu’il prend quand il est prêt à entendre des potins croustillants. « … Tu me parlais… d’un homme ? » Jesse apprécie la beauté. C’est quelque chose qu’il trouve merveilleux chez elle. Lui-même est prompt à donner des compliments ou à reconnaître qu’une personne est jolie, alors c’est rassurant de voir qu’il y a d’autres gens comme ça, qui savent faire la part des choses entre les compliments et l’intérêt. Souvent, leur facilité à souligner les belles choses entraîne une mauvaise interprétation de la part de leurs interlocuteurs. A croire que les gens ne sont plus habitués à ce qu’on mette en avant leurs forces et leurs atouts. C’est dommage. La bienveillance se fait rare, ça lui fait mal de voir ça, à Yohan.
Mais des gens comme Jesse, ça lui redonne foi en l’humanité.
« Tu ne peux pas me dire ça et me priver des détails. Je compte sur toi. » Il a envie que Jesse lui vende du rêve, quelque chose de beau, de romantique qui lui donnera à penser, qui réveillera son amour de l’amour - qu’il sent glisser entre ses doigts depuis qu’il n’est plus avec Joshua et depuis qu’Eliott a brisé leur lien. « Il ressemble à quoi ? Où est-ce que tu l’as rencontré ? Tu lui as déjà parlé ou tu l’as juste remarqué. » Il se rend compte qu’il pose peut-être un peu trop de questions. « Pardon. T’es pas obligée de tout me raconter. » Mais il s’accroche à sa manche et prend son air de chat potté. « T’es pas obligée mais… je t’en supplie, fais rêver mon coeur triste et sec. » Il sourit un peu, lâche même un petit rire. Ça lui manque, l’époque où il pouvait parler de Joshua à tort et à travers sans gêne. Ça lui manque de pouvoir se montrer heureux et amoureux. Alors s’il peut trouver ça chez les autres, il va s’y raccrocher autant que possible. Ce n’est pas qu’il n’a plus espoir pour lui-même. Yohan est assez optimiste pour savoir que quelque chose l’attend… Mais il ne sait pas quand, et surtout, il ne sait pas avec qui, même si, au fond, il a une petite idée de qui il aimerait avoir auprès de lui pour le restant de ses jours.

En fait, elle a très peur de s’arracher de nouveau de la peau. Ca lui avait fait tellement mal la dernière fois. Mais cette tâche de naissance est bizarre. Une piqûre de moustique, y’a aucun soucis. Ca gratte, on gratte, et au bout d’un moment, ça fait tellement mal qu’on arrête de gratter. Et même si ça gratte de nouveau, les mains restent là où elles sont, bien loin de la zone de danger. La tâche de naissance lui donne pas cette possibilité là. La démangeaison est trop forte pour être juste pleinement ignorée.
L’actrice lui a donné une belle distraction, la démangeaison, bien que présente, était pas la chose la plus importante du moment. Mais maintenant que ce moment de répis est terminé, Parker a l’impression d’être bannie à devoir se gratter l’épaule pour le reste de sa vie. En faisant hyper attention à surtout ni se griffer, ni s’enlever de la peau par inadvertance.
Elle remercie Yohan, parce qu’il lui a permis ce moment de calme, et qu’il l’a forcé, ou fortement aidé à faire quelque chose qu’elle aurait jamais osé par elle-même. Après tout, elle aurait eu beaucoup trop peur. De déranger. De pas plaire. De donner une mauvaise première impression. Et donner une mauvaise impression est probablement une des pires choses qui puissent arriver. Les premières mauvaises impressions sont comme cette tâche de naissance que Parker a depuis, et bien, sa naissance. C’est impossible de s’en débarrasser.
Sa réflexion, à Yohan, la fait sourire. Peut-être qu’il la connait un peu trop. Parker a tendance à réfléchir une bonne demi heure avant de faire les choses. A l’inverse, elle a tendance à pas assez réfléchir avant de les dire. C’est une incompréhension qu’elle a toujours eu d’elle-même. Elle qui réfléchit tant pour déterminer si elle doit ou non faire quelque chose, elle réfléchit jamais assez pour déterminer si oui ou non, elle doit dire quelque chose.
Elle devrait. La plupart du temps.
Yohan la fait toujours sourire. Elle est toujours bien, quand elle est avec lui. C’est un bon ami, à qui elle peut tout confier. Même ses plus grands secrets. Même ses plus grandes déceptions. Même ce qu’elle a peur de dire, même à Jo. Après tout, il est bien le premier à qui il va parler de cet homme, du magasin de bonbon.

Il remet d’ailleurs le sujet sur le tapis, sans aucune surprise de la part de Parker. Elle voit pas pourquoi sa curiosité serait pas piqué par ce sujet là. Après tout, si elle avait été à sa place, elle est sûre qu’elle l’aurait été. Et Yohan et elle ont parfois tendance à se ressembler un peu trop sur certaines choses comme ce goût prononcé pour les ragots.
Elle l’écoute parler, sourit parfois, rigole parfois. A l’air sérieuse, jamais. Ils avancent de plus en plus vers la grande roue, et de plus en plus, Parker a envie de monter dans une des nacelles. Ca doit être beau vu de là-haut. Elle est effrayée de rien pouvoir voir, de peur du vide. Elle sait pas si elle a peur du vide, peut-être. Elle a jamais essayé.
Les questions fusent, trop de questions, mais qu’elle note dans un coin de son esprit, elle répondra à tout ce qu’il veut savoir. Parce qu’elle a besoin d’en parler à quelqu’un. C’est trop grave pour qu’elle le garde pour elle-même.
C’est un comble, d’avoir cette impression, de rencontrer son prince charmant, mais de voir que sa princesse, elle est déjà à ses côtés.
A son regard, à sa dernière demande, Parker rigole. D’un vrai rire franc. De ces rires qu’elle seule peut vraiment faire sans qu’on pense une seule seconde qu’il est appuyé ou faux.
Elle regarde Yohan finalement, et lui prend la main.

Alors, je sais pas son prénom. Je sais juste qu’il est vraiment très beau. Il est châtain clair, des yeux bridés, un visage assez marqué, des habits très normaux, presque old fashion. Je dirais qu’il a entre trente et trente-cinq ans ? Il était dans le magasin de bonbons. Et alors, bon. Je lui ai juste parlé pour encaisser. Quand il a payé. Mais, voilà le hic, c’est qu’il avait une bague au doigt, et il était accompagné de deux enfants. Donc, je pense qu’il est marié. C’est triste. J’ai vraiment. Ressenti quelque chose, c’était étrange.

Elle se remet à gratter sa tâche de naissance, lâchant la main de Yohan au passage. C’est la première fois qu’elle parle complètement de lui à quelqu’un. Avec la femme et les enfants. Aux autres, elle a honte de leur dire. C’est pas beau d’aimer quelqu’un qui aime déjà quelqu’un d’autre et qui est heureux. Mais Yohan la jugera pas, lui.