(#1) jesshan + i have dreams of another world

Jesse lui prend la main et il prend une grande inspiration, prêt à recevoir les premiers chapitres d’une belle histoire d’amour en devenir. Il est déjà prêt à faire mille scénarios pour le futur. « Alors, je sais pas son prénom. Je sais juste qu’il est vraiment très beau. Il est châtain clair, des yeux bridés, un visage assez marqué, des habits très normaux, presque old fashion. » Yohan a fermé les yeux, comme pour mieux visualiser l’homme qu’elle lui décrit. Franchement, pour l’instant, l’image que son esprit construit est loin d’être désagréable. « Je dirais qu’il a entre trente et trente-cinq ans ? Il était dans le magasin de bonbons. » Il est donc un peu plus âgé qu’elle. Il s’en est douté au moment où elle l’a détaillé, quelques secondes plus tôt. Le fait qu’elle mentionne qu’il avait le visage un peu marqué lui a mis la puce à l’oreille. Bon en tous cas, une rencontre dans un magasin de bonbons… Voilà vraiment un bon début pour un film de romance; « Et alors, bon. Je lui ai juste parlé pour encaisser. Quand il a payé. Mais, voilà le hic, c’est qu’il avait une bague au doigt, et il était accompagné de deux enfants. Donc, je pense qu’il est marié. » Yohan fait une petite moue. Merde. Il ne manquerait plus que le gars soit vraiment marié. « C’est triste. J’ai vraiment. Ressenti quelque chose, c’était étrange. » Ça aussi, ça lui met la puce à l’oreille. Il ne peut s’empêcher de se demander quelle était vraiment la nature de ce ressenti. Et si ? … Jesse n’a jamais parlé d’une quelconque âme soeur, jusqu’à aujourd’hui. « Peut-être qu’il est veuf, qui sait ? Ou peut-être divorcé, et il porte toujours son alliance pour éviter qu’on vienne le draguer quand il est avec ses enfants ? » Yohan hausse les épaules. « Y’a plein de possibilités, j’en suis sûr. » Il lui offre un petit sourire confiant. « Tu le reverras sûrement… Surtout s’il a ressenti la même chose que toi… » Le mec reviendrait pour pouvoir l’observer, au moins, c’est sûr. Quand quelqu’un nous plaît, on ne peut pas s’en empêcher : on a besoin de reposer les yeux sur la personne pour confirmer l’attraction ou décider de l’oublier. « Tu as ressenti quelque chose d’étrange, tu dis ? Est-ce que… tu veux dire soulmate-level étrange, ou juste étrange ? » C’est peut-être trop intime, mais Yohan n’a pas hésité une seconde à poser la question. Depuis que son lien à lui s’est brisé, c’est comme s’il s’était donné la mission de réunir toutes les âmes soeurs qui croisent son chemin. C’est une quête probablement un peu pathétique et absurde, mais il ne peut pas s’en empêcher. Quelque part, peut-être qu’il cherche à se prouver que des soulmates peuvent être heureux comme l’étaient ses parents avant que tout foute le camp.

Ils arrivent enfin au bout de la file, et Yohan paie pour leurs deux places - refusant que Jesse sorte le moindre stellar pour le manège dans lequel il a prévu de l’embarquer. Il sent son estomac se serrer un peu, pour deux raisons. Monter dans une nacelle lui rappelle beaucoup de souvenirs, et le visage d’Eliott revient le hanter pendant quelques secondes quand il prend place dans la petite boule blanche. Mais la raison pour laquelle il se sent un peu anxieux, c’est parce qu’il s’apprête à bouleverser un peu l’atmosphère sympathique et rassurante de leur après-midi. Il a peur de faire quelque chose de mal, peur de briser le beau lien qu’ils ont.
Mais il faut qu’il sache. Il faut qu’il en ait le coeur net.
Un homme abaisse la barre de sécurité de la nacelle, et Yohan sourit quand elle entre enfin en mouvement - même si ça ne calme pas vraiment ses inquiétudes. Et voilà, c’est parti. Il sait qu’il peut toujours s’abstenir de poser les questions. Mais s’il ne parle pas maintenant, il sait qu’il ne le fera jamais.
Il les laisse prendre un peu d’altitude avant d’embarquer sur la pente glissante. « Jesse… » Il la regarde avec un air un peu grave. « Si je t’ai demandé de venir… C’est parce que j’ai quelque chose à te demander. » Il serre les dents, pince les lèvres et prend déjà un air désolé. « Bon, au moins tu peux être sûre que je vais pas te demander de sortir avec moi… » tente-t-il avec un sourire un peu amusé, un peu hésitant, avec l’espoir de montrer que la situation n’est pas grave. Il prend une grande inspiration, et regarde Jesse dans les yeux. « Est-ce que tu connais… une Lennie Parker ? » Il pince les lèvres. Ça y est, la bombe est lâchée. Il n’a aucune idée de comment la situation va tourner, il n’a aucune idée de ce dans quoi il s’est engagé. Jesse va peut-être lui en vouloir, demander à ce qu’ils ne se revoient plus… Peut-être que c’est un sujet trop dur pour elle, et qu’elle va préférer ne pas en parler. Il se sent égoïste d’avoir engagé cette discussion incertaine… Mais il ne veut pas être hypocrite et faire comme si de rien n’était. Lennie lui a dit des choses, et il ne peut rester silencieux. Il a besoin de savoir, de comprendre.

C’est la première fois qu’elle parle de lui à quelqu’un. Elle sait pas vraiment la réaction que Yohan va avoir, et sincèrement, c’est vraiment pas ça qui l’effraye. Les réactions de Yohan sont jamais contraires à ce qu’elle espère. C’est étrange, un peu comme s’ils réussissaient à être sur la même longueur d’onde pour que jamais l’un ne blesse l’autre. Même si, pour Parker, pas blesser les gens, c’est comme compris dans sa personnalité. Calmer les esprits et les moeurs, toujours aimer, toujours apprécier, toujours positiver. Elle parle, le décrit. Ca y est, enfin, elle dit à quelqu'un la vérité sur cet homme, qu’elle a rencontré. Sur son statut, surtout. C’est ce qu’elle avait toujours réussi à cacher. Sur ses deux enfants, aussi. Sur leur différence d’âge qu’est vraiment pas négligeable. Bref, elle lui raconte tout. Parce qu’elle sait qu’elle peut toujours tout raconter à Yohan. Quoiqu’elle dise, après tout, il la comprendra. C’est sûr. Elle en est sûre. Il la jugera pas. Yohan, il juge pas les gens. C’est pour ça, qu’elle l’aime autant.
Ils continuent à avancer dans la file d’attente. Et ça va vite. L’actrice monte dans une nacelle, et Parker frémit à la pensée de ce qu’il vient de se passer, y’a quelques minutes. C’était dingue, qu’elle puisse lui parler, vraiment. Vraiment lui parler.
La voix de Yohan la sort de ses pensées et elle se retourne vers lui, les yeux penseurs. Veuf ? Peut-être. Pas sûr. Parker l’a pas senti veuf du tout. Elle l’a senti marié et heureux en ménage. Comme si, vraiment, une femme l’attendait à la maison. Et puis, peut-être a-t-elle aussi entendu un des enfants parler de “maman” à un moment. Ce qui retire l’idée du veuf. Pas celle du divorce. Mais Parker y croit pas. Parce que Parker croit pas au divorce, déjà. Et que cet homme, il avait pas l’air d’être quelqu’un de tristement divorcé. Non. Parker pense qu’il est marié. Et personne pourra la faire changer d’avis. Vraiment.
Le revoir ? S’il a ressenti la même chose ? Parker veut pas y penser. Plus elle y pense, plus elle a le coeur qui se sert. Il est marié. Même s’il a ressenti pareil, c’est pas une bonne chose. Son épaule la gratte. C’est insupportable.
Sa question suivante, à Yohan, fait réfléchir Parker, rapidement. Elle secoue la tête. Non. C’est pas son soulmate, c’est pas possible que ce soit son soulmate. Parce que si c’était le cas, il serait pas marié à quelqu’un d’autre. Enfin c’est vrai quoi. Les soulmates sont censés être amoureux. Alors c’est pas possible, qu’un soulmate soit amoureux de quelqu’un d’autre. Alors marié, encore moins. Pas vrai ? C’est comme ça, que ça marche.
Le destin fait bien les choses.
Alors pour répondre, elle hausse juste les épaules. Parce qu’au final, elle sait pas. Et qu’elle a pas envie de parler de la possibilité que ce soit ça, vraiment. Parce que ce serait triste, et douloureux, pour sa femme. Parker, c’est pas une briseuse de ménage. Si quelque chose, elle a plutôt tendance à jouer Cupidon.

Finalement, ils montent dans une nacelle, et Parker est fascinée. C’est déjà beau, alors qu’ils ont pas encore monté. Elle prend l’air de gamine surexcitée et bondit sur son siège deux trois fois. Se reconcentre sur Yohan quand il se remet à parler. Et sa voix la surprend. Il est sérieux. Très, sérieux. Presque trop pour que Parker continue de sourire. Pourquoi est-ce qu’il a l’air si sérieux ? Ca lui va pas au teint, le sérieux.
Quelque chose à lui demander ? Il peut tout lui demander, il le sait. Parker ferait tout pour ses amis. Surtout pour Yohan, il est probablement en tête des amis qu’elle a. Elle se mettrait en quatre pour lui donner ce qu’il veut.
Elle rigole doucement à son affirmation sur un possible couple entre eux. Parce que non, ça arrivera pas. Et c’est vraiment drôle d’imaginer ce qu’il se passerait, si ça arrivait. Ils seraient probablement un couple doux, amusant. Un couple qui se retrouverait pour des sorties autour de machines à bonbons. C’est pas alléchant, bizarrement.
Peut-être que Parker, elle a besoin d’un peu plus de maturité.
Lennie.
Lennie.
Lennie ?
Pourquoi il parle de Lennie ? Comment est-ce qu’il connaît Lennie ?
Les yeux de Parker se transforment en deux parfaites soucoupes. Elle hoche la tête, rapidement.

Bah oui, bien sûr que je la connais. Enfin, elle est pas sur Altéa celle que je connais par contre, c’est bizarre. Comment tu la connais ? Enfin tu la connais, non ? C’est bizarre. C’est une bonne amie à moi. On était proche quand j’étais sur Sigan. Je t’ai jamais parlé de Sigan, je crois. Hm. Peut-être que je suis pas censée t’en parler ? Mais en même temps, t’as demandé. Enfin non, t’as demandé si je connaissais Lennie. Oui, je connais Lennie. Je l’aime bien. On est amies. Tu la connais alors ? Elle va bien ?

Parker parle, et parle, et parle, et respire à peine entre ses phrases. Parce que Yohan connaît Lennie. Ca veut dire qu’il connaît Sigan. Peut-être qu’il connaît un moyen de rentrer ? Au moins un moyen de communiquer avec Lennie ?
Elle a jamais pensé à prendre son numéro.

Yohan sait que le monde est bien loin d’être ce qu’il imaginait. Il a grandi avec la certitude qu’Altea était le seule monde existant, avec la certitude que cet endroit magnifique et un peu magique avait été la seule issue pour la civilisation humaine. Depuis son enfance, on lui répète qu’Altea est arrivé comme une terre promise, quand les hommes s’étaient préparés à être rayés de la carte. Comment, ô combien comment aurait-il pu imaginer que d’autres mondes avaient servi le même but, et avaient donné naissance à des populations similaires mais pourtant bien différentes de la sienne ? Essayer d’expliquer ça à quelqu’un qui ne l’aurait pas vu serait probablement peine perdue. Pour beaucoup, ce sont des histoires, des légendes qui survivent dans les romans de science-fiction, et quand bien même on peut les imaginer, il faut beaucoup plus pour accepter l’idée que ce soit réel. Yohan ne sait toujours pas exactement ce qu’il en est. Le monde d’alors s’est-il divisé en différents monde lors du chaos qu’ont connu leurs ancêtres ? Vivent-ils dans des dimensions parallèles ? L’existence des jumeaux inter-mondes lui laissent penser que c’est une hypothèse probable. Mais s’ils vivent dans des dimensions parallèles… Cela veut dire qu’il y a peu de chances qu’ils puissent tous se retrouver, ces êtres qui évoluent en parallèle, non ? Il est un peu perdu, et malheureusement, ses recherches dans les différentes bibliothèques d’Altea n’ont rien donné.
Cependant, il a désormais une raison de croire qu’il pourrait mieux comprendre. Quand Lennie a reconnu Jesse dans un reflet, il y a quelques mois de cela, Yohan a cru qu’elle était en train de buguer sévèrement - avant de se rendre à l’évidence, sous le poids des preuves : Jesse a vécu sur Sigan - ou du moins quelqu’un qui lui ressemble comme deux gouttes d’eau y vivait. Si c’est bien elle, elle est peut-être une clé pour comprendre comment tout ça fonctionne. Comment est-elle arrivée là ? Pourquoi ne retourne-t-elle pas là où elle a grandi ? Pourquoi aurait-elle pris un faux nom sur Altea ? Yohan a mille questions, mille théories, et bien que ce soit un peu audacieux, il a décidé qu’il ne devait pas réfléchir à tout ça tout seul. Et puis… Lennie aimerait bien avoir des nouvelles de sa vieille amie, il doit au moins ça à l’une des présences qui partagent sa vie depuis cinq ans maintenant.

Il s’attend à tout - surtout à ce que Jesse le regarde comme s’il était fou, et qu’elle démente. Mais il est tout de même surpris quand il voit les yeux de la belle rousse s’écarquiller. Elle n’a pas l’air de le prendre pour un malade… On dirait plus qu’elle est surprise qu’il lui parle de ça. Yohan aimerait être soulagé, mais il ne sait toujours pas à quelle sauce il va être mangé, alors il attend qu’elle ouvre la bouche. « Bah oui, bien sûr que je la connais. » Cette fois, c’est lui qui ouvre grand les yeux, choqué. «  Enfin, elle est pas sur Altéa celle que je connais par contre, c’est bizarre. Comment tu la connais ? Enfin tu la connais, non ? C’est bizarre. C’est une bonne amie à moi. » Yohan a l’impression qu’il est en train d’halluciner. Jesse vient de lui dire tout ça avec un naturel désarmant - même s’il sent la surprise et l’angoisse dans sa voix. Elle n’a même pas cherché à démentir, ou à l’envoyer sur une autre piste. Elle a parlé de Lennie, et d’Altea comme d’un monde non-unique comme si c’était la chose la plus normale, comme s’ils en avaient déjà discuté avant. « On était proche quand j’étais sur Sigan. Je t’ai jamais parlé de Sigan, je crois. Hm. Peut-être que je suis pas censée t’en parler ? Mais en même temps, t’as demandé. Enfin non, t’as demandé si je connaissais Lennie. Oui, je connais Lennie. Je l’aime bien. On est amies. Tu la connais alors ? Elle va bien ? » Il a presque complètement oublié où ils étaient. « Euh. » fait-il, toujours complètement choqué. « Oui, elle… euh… elle va bien. On est… amis aussi. » Il déglutit avec difficulté et tente de reprendre un air un tant soit peu normal.
Il la quitte des yeux pour observer la baie de Soho, le temps de remettre un peu d’ordre dans ses pensées, et également dans les paroles de Jesse. Cette conversation est parfaitement irréelle. « Donc… Tu étais bien à Sigan ? C’était bien toi ? » Il fronce les sourcils en reposant son regard sur elle. « Comment…. Qu’est-ce que… » Il ne sait même pas par où commencer, tant les questions se bousculent dans sa tête. « Tu ne m’en as jamais parlé, non. J’ai toujours cru que tu étais née ici, je… Comment c’est possible, Jesse, comment t’as atterri là ? Ça fait combien de temps ? » Il s’adosse bien à la nacelle, comme si ça pouvait éviter à ses émotions de se disperser. « J’arrive pas à le croire. Je pensais que je me trompais… ou que… je sais pas. Le monde est donc vraiment encore plus dingue que je l’imaginais… Est-ce que ça s’arrête un jour, ce tourbillon de surprises ? » Il a demandé ça un peu dans le vent, c’est pas vraiment une question qu’il pose à Jesse, parce qu’il se doute qu’elle a aussi peu de réponses que lui sur l’aspect général des choses.

Depuis qu’elle a retrouvé Aquila, elle cherche plus activement un moyen de rentrer sur Sigan. Depuis qu’elle a retrouvé Aquila, elle se pose beaucoup de questions sur le bien fondé de rentrer sur Sigan. Ses parents lui manquent, ses amis aussi. Donner du temps aux pauvres avec Nikita, ça lui manque, beaucoup. Tout ça, elle aimerait pouvoir le retrouver. Retrouver ses parents, ses amis. Et Lennie fait partie, de ses amis. Elle aimerait pouvoir revoir Lennie.
Mais ici aussi, elle a des amis, Parker. Elle a Yohan, elle a Evan, et puis, y’a les Boyle. Les Boyle qui l’ont accueilli si gentiment alors qu’ils la connaissaient même pas. Qui lui ont ouverts les bras pour la faire vivre parmis eux, comme si elle faisait déjà partie de la famille, pas comme une pièce rapportée. Et le truc, c’est qu’eux, elle veut pas vraiment les quitter. Elle veut pas quitter Yohan non plus, ni Evan, ni tous les gens formidables qu’elle a rencontré depuis qu’elle a débarqué sur ce monde inconnu qu’était Altéa. Ils sont gentils, ils sont accueillants. Elle peut leur parler normalement. Elle trouve pas cette séparation de temps qu’elle avait, avec ses amis sur Sigan. Elle les aime tous tellement. Elle voudrait rester rien que pour rester avec eux.
Mais ses parents lui manquent tellement.
Alors quand Yohan lui parle de Lennie, c’est un peu comme si elle venait de trouver un moyen de rester ici tout en étant là-bas. Ou de rentrer, tout en restant ici. Un peu comme si Yohan pouvait lui apprendre qu’il existait un pont entre les deux qui soit définitif, et qui laisserait à Parker le choix. De pas choisir entre les deux mondes. Entre les deux familles. Entre les deux groupes d’amis.
Elle parle, elle répond, elle s’extasie face à la possibilité qu’elle entrevoit. Et elle regarde dehors, aussi, profite du tour sur la grande roue. Parce que la vue est beaucoup trop prenante pour qu’elle en profite pas. Ils ont encore plusieurs minutes à être enfermés là dedans, et ça la dérange pas. Bien au contraire. Elle aime, être là. Avec lui. A parler de tout et de rien. Et principalement maintenant, à parler de Lennie.
Elle sait pas trop pourquoi elle lui a jamais parlé de Sigan, de sa vie d’avant. Elle y a jamais pensé. Elle a jamais pensé à lui dire : oh, en fait, je m’appelle pas vraiment Jesse Boyle. C’est bizarre, qu’elle y ait jamais pensé. C’est que, aussi. Yohan, il fait partie de ses personnes, sur Altéa, qui la fait se sentir comme si elle était vraiment d’ici, pas comme une étrangère. Qu’il l’appelle Jesse, ça la dérange pas, parce que quand elle est avec lui, elle se sent Jesse l’Altéenne. Pas Parker la Siganaise perdue.
C’est pour ça peut-être, qu’elle lui en a jamais parlé. Que ça lui a même jamais traversé l’esprit.

Elle finit sa tirade et se tarde d’entendre les réponses de Yohan. Est-ce que Lennie va bien ? Et comment il la connaît, lui ? Est-ce que, vraiment, il va être celui qui va pouvoir lui donner la solution pour faire partie des deux mondes à la fois ?
Il commence à lui répondre, il a l’air surpris. Et Parker suppose que c’est normal, qu’il le soit. Il faudrait pas qu’il pense qu’elle lui a menti, parce que c’était pas ce qu’elle voulait, oh ça non, pas du tout. Lennie va bien. Ils sont amis, eux aussi. Et ça la fait sourire, Parker, parce que ça veut dire que si elle retourne sur Sigan, elle pourra rester amie avec Yohan. Juste comme Yohan l’est avec Lennie. Et c’est une très très très bonne nouvelle, ça.
Elle fronce les sourcils, et hoche la tête, pas vraiment sûre de ce qu’il lui demande. Elle était à Sigan, en tout cas. Si c’était bien elle ? Bah ça dépend de quoi il parle. Mais elle était à Sigan, en tout cas, y’a cinq ans. Alors elle hoche la tête.
Et se rend compte que ça doit être bizarre pour lui, finalement. Parce que Yohan, il connaît peut-être qu’Altéa. Et que pour lui, Lennie, elle est sur un autre monde, mais que, et bah justement, elle est sur un autre monde. Alors il doit se demander comment c’est possible qu’elle, Parker, soit sur Altéa, alors qu’elle était sur un autre monde, avant. Ou peut-être que c’est pas du tout ça, qui l’étonne. Mais si c’est pas ça, Parker se demande ce que c’est. Le fait qu’elle connaisse Lennie ? Oh, c’est peut-être parce qu’elles sont amies, et que Lennie est un androïde. Mais il comprend pas bien, Yohan. Parker, elle a toujours été très amie avec les androïdes. Elle les aime bien. Elle les considère pas comme androïdes, mais comme des Êtres vivants. Et comme elle a une tendance forte à aimer tout ce qui est vivant, et bah.
Elle écoute ses questionnements. Et c’est vraiment sur les mondes. Pas sur Lennie. Ca la rassure. Elle avait pas envie de lui expliquer que le raisonnement comme quoi elle, humaine, pouvait pas être amie avec un androïde était franchement raciste. Alors elle sourit. Parce qu’elle aimerait bien l’apaiser aussi, Yohan. Il a l’air complètement perdu, et on dirait que son cerveau fonctionne à deux cents à l’heure.

Et bah. Bon. En fait, je m’appelle Parker Shaw. J’suis arrivée y’a cinq ans. Et Evan m’a aidé quand j’étais dans la rue. Et la maman de Johanna Boyle m’a trouvé. Et elle m’a accueilli. Et elle m’a dit que comme bah, j’étais rousse et tout, je pouvais passer pour quelqu’un de leur famille. Alors elle m’a redonné un autre prénom. Jesse. Boyle, du coup, Jesse Boyle. Et, pour le comment, et bah. En fait, j’en sais rien. Un jour, j’marchais avec Nikita dans Casma, et j’suis entrée dans une ruelle que j’avais jamais emprunté avant, et. Et voilà. Je me suis retrouvée à marcher droit dans un mur. Sur Altéa. Heureusement qu’Evan m’a trouvé le lendemain.

Elle sourit aux souvenirs qui remontent doucement à son esprit. Elle a eu peur d’Evan au début. Elle pensait qu’il était un garçon avec de mauvaises intentions qui voulait juste l’emmener chez lui pour qui sait quoi lui faire. Elle rigole en y repensant. Evan, il serait incapable de faire un truc pareil.

Yohan est toujours un peu incrédule face à la facilité avec laquelle Jesse lui a répondu. C’est un peu comme s’il lui avait parlé de quelque chose de purement normal - comme ses histoires d’amour, ses dernières courses ou le dernier film qu’il a vu. Il ne sent pas une quelconque peur dans les yeux de la rousse, ne sent pas de réticence non plus. Elle semble surprise, bien sûr, mais elle agit simplement, comme si c’était un sujet comme un autre. Comme si la seule raison pour laquelle ils n’en avaient pas encore parlé était que ce n’était pas venu dans la conversation. Yohan a du mal à croire que ce soit si simple. Le sujet lui semble beaucoup plus complexe, beaucoup plus émotionnellement bouleversant que ce qu’elle montre sur cette grande roue. Comment pourrait-elle parler de tout ça à la légère ? Il doit y avoir une raison pour qu’elle soit si à l’aise avec tout ça, et ça ne rend Yohan que plus curieux et désireux d’en apprendre plus sur elle. Et bah. Bon. En fait, je m’appelle Parker Shaw. Il ouvre grand les yeux. Elle ne s’appelle donc vraiment pas Jesse Boyle ? Il s’en doutait un peu - enfin, c’était une de ses hypothèses - mais qu’elle le confirme… Pffiou, ça donne tout de suite un sacré tournant à tout. J’suis arrivée y’a cinq ans. Et Evan m’a aidé quand j’étais dans la rue. Yohan fronce les sourcils cette fois. Evan. Evan a rencontré Jesse… Parker, quand elle est arrivée. Est-ce que ça veut dire qu’il sait, depuis tout ce temps ? Elle n’a pas précisé s’il était au courant. Et la maman de Johanna Boyle m’a trouvé. Et elle m’a accueilli. Et elle m’a dit que comme bah, j’étais rousse et tout, je pouvais passer pour quelqu’un de leur famille. Alors elle m’a redonné un autre prénom. Jesse. Boyle, du coup, Jesse Boyle. Il comprend enfin un peu mieux comment elle en est arrivée à ce pseudonyme. Mais ces révélations ne font qu’engendrer plus de questions : pourquoi les Boyle l’ont-ils accueillie ? Sont-ils eux aussi au courant de l’existence des différents mondes ? Pourquoi a-t-elle été obligée de prendre un pseudo ? Pourquoi tout le monde semble au courant officieusement, et personne officiellement ? Et, pour le comment, et bah. En fait, j’en sais rien. Un jour, j’marchais avec Nikita dans Casma, et j’suis entrée dans une ruelle que j’avais jamais emprunté avant, et. Et voilà. Je me suis retrouvée à marcher droit dans un mur. Sur Altéa. Heureusement qu’Evan m’a trouvé le lendemain. » Yohan fronce un peu plus les sourcils, baisse les yeux sur la rambarde de la nacelle, concentré.

Elle marchait, et elle s’est retrouvée sur Altea. Ça paraît irréel. Yohan prend le temps d’assimiler tout ce qu’il vient d’entendre avant de reprendre la parole. « Et tu ne pouvais pas faire demi-tour, c’était impossible ? » La question est probablement bête, mais pour quelqu’un qui n’a pas vécu l’expérience, elle est évidente. Yohan espère que Jesse Parker lui pardonnera. « Tu étais jeune, tu as dû laisser beaucoup de choses derrière toi… Tu as une nouvelle identité ici, une nouvelle vie… Mais tu as essayé de trouver un moyen de rentrer, j’imagine ? » Il a peur que ses questions manquent de sensibilité, mais il ne sait pas vraiment comment les tourner autrement. Tout ça, c’est du terrain inconnu pour lui. Il a l’impression qu’il n’y a pas de bonne manière de poser toutes ces questions. « Et tu n’as.. absolument aucun contact avec Sigan ? » La question n’est pas anodine. Cela fait longtemps qu’il vit avec deux Siganaises dans sa tête, alors il se demande si Jesse connaît la même expérience ou non. D’après ce qu’il a compris, certains ont une connexion avec d’autres mondes, et d’autres pas. Comme si l’univers avait joué à la roulette russe toi oui, toi oui, toi non. Il suppose que Jesse n’a plus de contacts avec son monde d’origine, puisqu’elle a perdu tout contact avec Lennie, et est.. toujours là. Si elle était toujours en contact avec Sigan, elle aurait trouvé un moyen de rentrer, non ? Après tout, les habitants de ce monde sont les spécialistes de la technologie et des inventions : ils doivent bien avoir une solution. Yohan se demande si ce qui est arrivé à Jesse arrive souvent, et si d’autres personnes de son entourage cachent des choses aussi énormes.

Elle se souvient de chaque choses qu’elle a ressenti ce jour là. Au millimètre près. Presque comme si son corps s’en souvenait pour elle. Elle se souvient d’avoir été surprise, d’abord. D’avoir eu mal, juste après. D’avoir eu peur. Puis d’avoir marché. D’avoir eu chaud. D’avoir, finalement, eu besoin de s’asseoir et de prendre un grand bol d’air. Parce qu’elle se souvient aussi d’avoir toussé. Beaucoup, en arrivant. Comme si son organisme avait eu besoin de réagir avant de s’habituer à l’air d’Altéa. Si différent de celui de Sigan. Sigan est pas particulièrement pollué, mais ce qui est sûr, c’est que c’est pas naturel. Sur Altéa, c’est quelque chose qu’elle a découvert, Parker. La nature. Elle souvient d’avoir sourit, ensuite. Et d’avoir été attirée par un parfum bien particulier. Un parfum qu’elle a tout de suite aimé. Puis elle est arrivée devant le magasin d’Adriel. Et elle a vu les couleurs. Elles étaient naturelles, mais presque aussi belles que les couleurs des boissons qu’elle avait l’habitude de boire sur Sigan. Sauf que sur Sigan, ce qui était beau, n’était en général pas bon. Alors qu’ici, c’était beau et ça sentait bon. Elle se souvient s’être humidifier les lèvres, probablement par gourmandise. Puis d’avoir tapé le pied par terre. Elle ne sait toujours pas pourquoi, mais ce jour là elle s’est mise à tapoter le pied par terre, très souvent. Elle se souvient avoir pris une fleur et avoir passé sa langue dessus. Elle se souvient que ça avait pas de goût et qu’elle était déçue. Elle se souvient aussi être repartie rapidement. Adriel l’avait pas vu ce jour là. Ou elle l’avait pas vu la voir.
C’est pas difficile pour elle de parler de tout ça à Yohan, au contraire. Ca lui fait du bien de lui en parler. Ca lui rend le sourire facile (encore plus que d’habitude), puis ça lui permet de partager son secret avec quelqu’un d’autre qu’Aquila, Evan et les Boyle. Yohan est aussi important qu’eux dans sa vie. C’est normal qu’il sache. Après tout, ça faisait longtemps qu’elle pensait à lui dire. Le moment était juste pas vraiment venu de lui-même. Puis, elle savait pas non plus comment il réagirait. Y’avait des risques qu’il réagisse mal.

Puis Yohan commence à poser des questions sur ce qu’elle lui a dit. Et ses questions sont étranges. Et elles la font sourire. Parce qu’après tout, non, Parker a pas pensé à faire demi tour. Parce que quand elle est arrivée, elle avait perdu tout sens de l’orientation. Et déjà, de base, c’est pas son truc, s’orienter dans une ville. Mais ce changement de monde l’a mis dans une situation où elle savait plus vraiment d’où elle venait. Maintenant qu’elle y repense, peut-être que si elle avait juste marché en arrière, elle serait retournée sur Sigan. Et elle sait pas quoi en penser. Parce que, elle a envie de rentrer, bien sûr. Mais elle aurait pas rencontré Evan, ni les Boyle, ni Yohan, ni Adriel, ni cet homme dans le magasin de bonbon. Alors elle hausse juste les épaules. Et lorsque Yohan lui parle de ce qu’elle a laissé là-bas, elle baisse la tête, ses épaules s’affaissent, son sourire suit le mouvement. Ses lèvres se tordent dans une genre de tristesse qu’elle a l’habitude de ressentir quand elle pense aux gens qu’elle a laissé là-bas. A ses parents, surtout. Mais aussi à tous les androïdes avec qui elle s’entendait si bien. A Mew, puis à Nikita. Parce qu’il doit peut-être avoir trouvé quelqu’un d’autre pour reprendre le flambeau pour aider les gens de Casma. Ca lui fait de la peine. Il l’a peut-être remplacé.
Puis la question sur les contacts qu’elle a avec Sigan arrive sur le tapis, et Parker relève les yeux vers lui, sourcils froncés.

Bah si, bien sûr que j’ai des contacts avec Sigan.

Elle sort son portable de sa poche, et ouvre la page de textos pleines de messages d’amour qu’elle envoie un peu tous les jours à sa mère.

Tu sais, sur Sigan aussi ils ont des téléphones. Même des beaucoup plus classes qu’ici. Je leur parle tous les jours.

Elle remet son portable dans sa poche et sourit au garçon face à elle. Yohan est un très bon ami. Et elle est contente qu’il soit enfin dans la confidence. Il a l’air d’avoir du mal à comprendre, mais c’est pas grave. Parce que Parker est prête à prendre répondre à toutes les questions qu’il pourrait possiblement se poser.

Yohan a du mal à imaginer qu’on puisse passer dans un autre monde et s’y établir, sans chercher par tous les moyens à retourner d’où l’ont vient. Mais c’est peut-être normal, pour un gars qui n’a jamais dépassé les frontières de son monde. Sur Altea, Yohan a absolument tout ce qu’il lui faut - il n’a jamais pensé à partir. Il n’a même jamais pensé à quitter Central City pour les provinces, tant il est chez lui dans la capitale, avec ses colocataires, son métier qu’il aime à la folie, ses amis et ses amours, quand bien même ils sont compliqués. S’il venait à se retrouver dans la même situation que Jesse, il lui semble évident qu’il paniquerait immédiatement, et mettrait tout en oeuvre pour rentrer chez lui.

Il ne lui est pas du tout venu à l’idée que peut-être, Jesse avait choisi de rester ici. Il a réfléchi avec sa vision des choses, sans se débarrasser de ses oeillères. Il a probablement eu tort. Jesse semble bien un peu tristoune, quand il évoque les choses laissées derrière elle à Sigan… Mais elle n’a pas l’air… mal. Pas du tout. Bah si, bien sûr que j’ai des contacts avec Sigan. Il y a des sms avec sa mère, des messages d’amis dont il ne connaît pas les noms. Il écarquille un peu les yeux. Tu sais, sur Sigan aussi ils ont des téléphones. Même des beaucoup plus classes qu’ici. Je leur parle tous les jours. Yohan s’adosse à la nacelle dans laquelle ils sont, le poids des révélations commençant vraiment à peser sur son épaule et dans son esprit - il a un peu mal à la tête. Tu es en train de me dire qu’on peut communiquer par téléphone entre mondes? Il n’aurait peut-être pas dû généraliser : Jesse n’est peut-être au courant que pour Sigan et Altea. Mais dans tous les cas, il est abasourdi. Tout ça prend une tournure beaucoup plus énorme - et beaucoup plus politique dans sa tête. Tu me dis que si, maintenant tout de suite, je voulais envoyer un sms à Lennie de mon téléphone d’Altea, elle le recevrait à Sigan? Il a beaucoup de mal à y croire, et surtout, beaucoup de mal à comprendre comment cela pourrait fonctionner. Mais il n’est pas un spécialiste des ondes ni de la technologie, alors cela ne sert à rien de trop réfléchir à la question.

Et du coup, tu comptes rester vivre ici, sur Altea? Tu ne comptes pas retourner vivre à Sigan? dit-il finalement, avec un sourire. Ce serait une bonne nouvelle, il serait triste de voir la rousse partir, même si, apparemment, ils pourraient toujours s’envoyer des messages. Je suis désolée pour toutes ces questions, mais… Tu es la première personne ayant voyagé que je connaisse, alors forcément… Dis moi si je t’embête. Il continue cependant avec les questions, toujours aussi curieux de tout bien comprendre. Tes parents et tes proches Siganais savent que tu es sur ici ? Sur Altea, je veux dire. Quelque chose d’autre lui revient en tête, quand il se rappelle de ses longues discussions avec Lennie par miroirs interposés, et de son échange de corps avec Charlotte, une fois, par accident. Tu as… est-ce que tu as un compteur sur le bras, du coup? Est-ce qu’il continue à tourner, ici? Il en sait peut-être déjà trop sur tout ça, lui, simple altéan n’ayant jamais voyagé, et ça trahit ses connexions avec d’autres mondes - ces connexions qu’il a toujours du mal à expliquer.

Elle le fixe, et continue de sourire. Elle a envie qu’il puisse partager ce secret avec elle, complètement. Et même s’il semble pas bien comprendre pour le moment, c’est pas très grave. Parker est prête à répondre aux questions, aux interdits, et aux problèmes physiques que ça pose, l’idée même des mondes parallèles. Alors évidemment, elle connaît pas exactement les tenants et aboutissants de tout ça. Elle pourrait pas expliquer comment c’est possible, que des molécules passent pas un portail d’un monde à l’autre. Mais elle pourra lui expliquer tout le côté personnel de la chose. Comment elle, elle l’a vécu. A quel point elle est reconnaissante à Evan, puis aux Boyle, d’avoir apparu dans sa vie. A Jo, à Jamie, et aux parents. Comment, bien qu’elle soit pas de leur famille, pas de leur monde, ils l’ont accepté parmi eux. Tout ça, Parker peut lui expliquer, à Yohan. Son portable dans sa poche, c’est son bien le plus précieux actuellement. Elle peut garder contact avec les personnes importantes. Y’a plein de personnes dont elle connaissait pas le numéro par coeur, et c’est triste. Mais quand elle retournera sur Sigan, elle leur expliquera. Elle expliquera à Nikita, à Mew, à Sibel, où elle était, ce qu’elle faisait, et pourquoi elle est restée si longtemps. Elle pourrait avoir du mal à expliquer la dernière partie. Elle aurait peur qu’ils lui en veuillent, d’être restée pas juste parce qu’elle trouvait pas de portails pour rentrer. Elle aimerait pouvoir rentrer, mais elle voudrait aussi éviter de perdre tous ses amis d’ici. Et elle sait vraiment pas si c’est compatible. Elle devrait y réfléchir plus sérieusement. A cet homme aux bonbons, à Adriel, à Yohan, à Jo. Elle doit penser à ce qu’elle deviendra sans eux, à Sigan.
La question de Yohan la sort de ses pensées et elle hoche la tête, lâchant un petit rire cristallin. Bien sûr que c’est possible. Il suffit de changer les indicatifs. Yohan le savait pas. Parker se demande un moment comment il faisait, alors, pour communiquer avec Lennie, mais laisse la question tomber quelque part, très profond dans un puits des questions qu’elle oublie de poser. Il continue sa question, et de nouveau, Parker hoche la tête. Lâche même un “hm” de confirmation.
Et évidemment, Yohan finit par lui poser la question qu’elle aime pas qu’on lui pose. Parce qu’elle sait pas y répondre. Elle aimerait retourner sur Sigan. Parce qu’il y a ses parents, et ses plus proches amis. Mais Altéa est devenu ce monde, dont elle rêvait, à un moment. Beau, qui sent bon, avec de belles couleurs. Et puis elle a des amis ici, aussi. Elle passe sa langue sur ses lèvres en pensant à Adriel. Lui et l’homme au bonbon, elle se voit pas les laisser là. Alors elle hausse les épaules. Pas certaine de sa capacité à lui donner une réponse simple.
Une nouvelle question tombe, et Parker réalise qu’elle a pas une seule fois répondue par des mots, des phrases. Elle aime bien parler de Sigan, mais les questions de Yohan lui font penser à des choses qu’elle préfère oublier depuis quelques temps. Et ça la rend triste. Silencieuse. Ses parents oui, le savent. Ses proches, ceux dont elle connaissait le numéro par coeur aussi. Mais ils s’inquiètent, quand même. Et Parker a l’impression qu’en restant là, elle a l’impression de cultiver cette inquiétude. Elle aime pas trop ça.
Finalement, il lui pose une question sur Sigan, vraiment. Sur elle. Pas sur ses plans, pas sur sa famille, mais sur le compteur. Et Parker retrouve son sourire.

Ouais, regarde.

Elle remonte la manche de t-shirt, et soulève le patch couleur peau que lui a donné Jamie. En dessous son compteur, qui s’est jamais débloqué, qui a jamais commencé son compte à rebours.

J’suis arrivée j’avais 15 ans. Et les compteurs se déclenchent à 16 ans. Il a jamais été utilisé.

Elle sourit, remet le patch et regarde dehors. Elle a loupé le plus grand du trajet. La nacelle est déjà presque au niveau du sol. Sa bouche forme une moue malheureuse. Mais elle est contente, au final. Parce qu’elle a expliqué à Yohan les choses, la vérité sur elle. Et qu’il était franchement temps qu’il l’apprenne.

Yohan pose peut-être trop de questions. Du moins c’est l’impression qu’il a quand il se rend compte que Jesse ne répond pas à toutes celles qu’il pose. Il sait pas si c’est parce qu’il les enchaîne et qu’elle n’arrive pas à toutes les assimiler, ou si elle évite volontairement de répondre à certaines, mais dans le doute, il préfère ne pas les répéter. Il veut ni la blesser, ni la chagriner. Peut-être que - malgré son air enjoué - elle se sent un peu écrasée par tous les souvenirs qu’il brasse, et il ne peut pas lui en vouloir. Il se contente de ce qu’elle lui donne pour l’instant, c’est déjà beaucoup. Ouais, regarde. Il baisse les yeux vers son bras, et grimace un peu quand elle retire le patch qu’elle porte - ayant en premier lieu l’impression qu’elle s’arrache la peau, tant c’est bien fait. Sous l’accessoire, il y a un compteur. Le même qu’il a vu plus d’une fois, qu’il a fixé pendant de longues minutes, quand il s’est retrouvé dans le corps de Charlotte, au début. Enfin, celui de Charlotte portait beaucoup, beaucoup de numéros - signe de sa richesse, s’il a bien compris. Ça lui paraît incroyable, de faire du temps une monnaie, quelque chose qu’on peut troquer. Ici, à Altea, on meurt à cause du destin, on meurt de vieillesse ou de maladie. Là-bas, ce n’est pas la nature qui dicte la mort, et il n’est pas sûr que ça lui plaise beaucoup. Bien sûr, il y a plein de choses de Sigan qui l’intriguent. Plein de choses qu’il aimerait voir de ses propres yeux… Mais ces compteurs ? Ils l’angoissent. Et encore, il a de la chance que Charlotte et Lennie ne soient pas dans une merde internationale par rapport à ça - sinon, ça le rendrait probablement fou, de savoir qu’elles peuvent lui claquer dans les doigts à n’importe quel moment.
J’suis arrivée j’avais 15 ans. Et les compteurs se déclenchent à 16 ans. Il a jamais été utilisé. Yohan hausse les sourcils, fait signe qu’il comprend. J’arrive pas à croire que tu sois arrivée si jeune. dit-il finalement, alors que la nacelle commence à ralentir, près du sol. Il n’a pas vu leur tour de manège passer. Le responsable les fait sortir de la nacelle, tranquillement, et ils le remercient, avant de reprendre leur chemin sur le remblais. Merci, d’avoir été honnête avec moi. finit par dire Yohan, une fois qu’ils sont un peu éloignés de la foule. Je n’avais pas beaucoup de doutes sur le fait que tu viennes de Sigan, mais j’avais peur que tu me mentes, par peur de dire la vérité à quelqu’un… Je sais pas, j’étais pas sûr que tu oserais en parler. Il hausse les épaules. Je suis content qu’il n’y ait plus ce secret entre nous. Il lui sourit, un peu ébloui par le soleil qui les surplombe. Il reprend son bras, et l'amène un peu plus loin, vers une rue avec plein de petites échoppes. Tu veux manger un truc - qui ne soit pas des bonbons? propose-t-il. Promis j’arrête de te poser plein de questions. dit-il en esquissant un sourire. Ça te gratte toujours, d’ailleurs? Il se souvient qu’avant qu’ils changent de sujet, elle était en train de gratter frénétiquement sa peau. On peut aller à la pharmacie te chercher un truc, si tu veux? Yohan a envie de traîner. Il se fiche d’où ils vont, il veut juste profiter de sa journée de repos et de son amie, qu’il n’a pas vue depuis un moment. La conversation a pris un tour très sérieux, en parlant de Sigan, mais Yohan ne compte pas laisser ça casser leurs plans et leur moment ensemble. Jesse a beau venir d’un autre monde et s’appeler en réalité Parker, elle n’en reste pas moins son amie, sa Jesse qu’il adore. Rien ne change.