Siegiam + Whole Lotta Trouble

« Bon les gars je ne le répéterai pas deux fois. Alors ouvrez vos esgourdes. » Liam roula des yeux et tira une nouvelle latte sur sa cigarette avant de recracher la fumée vers le plafond. Il laissa son regard parcourir la pièce, s’arrêtant de temps à autre sur un collègue et reporta rapidement son attention sur leur supérieur. C’était la première qu’ils étaient autant à être convoqué par un briefing. Ça sentait vraiment la grosse opération ce coup-ci et avec un peu de bol, on ne lui collerait pas Schtauffen dans les pattes.
Ce serait vraiment sympa de la part de leur boss de le mettre dans une autre équipe pour une fois.

« Cette opération est d’une importance capitale. » Ben voyons… Vu le nombre qu’ils étaient c’était pas compliqué à deviner. « Voici votre cible. » Un visage apparu sur l’écran dans le dos du boss et Liam ne put réprimer un sourire avant de lâcher un. « J’aurais jamais deviné que c’était un pourri. » Sans déconner. C’était marqué sur sa tronche que c’était un criminel. « Vos traits d’humour vous les gardez pour vous Jensen. » Le jeune homme lui fit un salue militaire suivi d’un. « Yes sir ! » Qui provoqua quelques ricanements dans l’assemblée. « Je disais donc. Voici votre homme. Il se fait surnommer Slasher. Oui, je sais ce que vous vous dîtes messieurs. » De nouveaux rires se firent entendre. « On ne sait pas grand-chose sur lui, en dehors du fait qu’il dirige un des plus importants cartels de Black Alleys. Et qu’il a la main mise sur toutes les saloperies qui y circulent. » Liam préféra tira sur sa cigarette plutôt que de faire un nouveau commentaire. « Et nous savons aussi où il sera ce soir. » Liam releva les yeux vers le patron, les sourcils froncés. Ok. C’était pour ça qu’ils étaient aussi nombreux. On ne faisait pas une descente dans ces quartiers là avec une simple patrouille. Ça s’appelait du suicide.

« Pas de composition d’équipe particulière ce coup-ci. Vous ferez équipe avec vos coéquipiers habituels. » Liam tourna brièvement son regard vers Siegfried qui était assit de l’autre côté de la pièce.
Et merde… « Vous serez briefé pendant votre préparation mais l’ordre prioritaire est le même pour tout le monde. » Il pointa le visage de Slasher du doigt. « Vous me l’interceptez et vous l’arrêtez par tout les moyens. » Bon au moins ça voulait dire qu’ils étaient autorisés à l’abîmer un peu s’il décidait de résister. C’était déjà ça.

« Vous pouvez disposer. »

*  *  *

Liam plaqua la tête du type sur le sol en lâchant un juron et dû lutter pour lui passer les bras dans le dos afin de le menotter. Le truand commença à se débattre en crachant plusieurs insultes -du moins c’était ce que le brun comprenait vu que le type avait la mâchoire cassée- et Liam l’assomma avec la crosse de son arme. Il poussa un soupir et se redressa péniblement avant de balayer les alentours du regard.

Comment est ce que ça avait pu merder à ce point ? Ça devait être une opération toute simple. Ils débarquaient, arrêtaient tout ce joli monde et rentraient au bercail. Alors pourquoi est ce que c’était parti en latte ? Ils avaient à peine eu le temps de pénétrer dans l’entrepôt que leurs cibles avaient commencé à les allumer. Comment est ce que c’était possible ? L’opération n’avait été mise en place que deux heures avant, ils n’avaient pas pu l’apprendre aussi vite et être aussi bien préparés.
Alors quoi ? Ils avaient une taupe dans leur unité ?
Il ne voyait que ça.

Liam vérifia le chargeur de son arme et se remit en route vers le bâtiment adjacent, celui dans lequel il avait vu Siegfried s’engouffrer juste avant que l’autre enfoiré ne lui tombe dessus.
« Où t’es passé putain ?! » Il courrait aussi vite que la douleur dans ses côtes le permettait et s’engouffra dans un couloir du deuxième étage. « Siegfried ! » Putain mais où est ce qu’il était ? C’était dans son protocole de foutre le camp dès qu’une fusillade se déclenchait ? Il allait le cogner.

Il s’immobilisa brusquement en voyant une silhouette au détour d’un couloir et leva immédiatement son arme par réflexe avant de s’avancer lentement dans sa direction. « Qu’est ce q… » Il ne termina pas sa phrase et s’arrêta à trois mètres derrière Siegfried -qui se révélait être la silhouette- mais garda son arme levée. « J’t’ai dit de lâcher ton flingue ! » Qu’est ce qu’il foutait ce con ? « Siegfried ? » Ok, c’était quoi ce bordel ?

Slasher se trouvait au sol et un de leurs collègues -un inspecteur en l’occurrence- se tenait entre lui et l’androïde. Ça c’était plutôt simple. Ce qui l’était moins, c’était pourquoi l’autre flic et Siegfried se tenaient en joue. C’était quoi ? Sig avait pété un câble ? Ils n’avaient aucune raison de se pointer leur flingues dessus comme ça.
Toute cette histoire allait mal se terminer s’il n’intervenait pas. Il pouvait allumer Sig, lui mettre une balle dans la jambe pour le mettre hors d’état de nuire mais il y avait des risques qu’il puisse quand même tirer sur l’inspecteur.

« Sig ? Baisses ton arme ok ? Il est avec nous. » Vu qu’il le connaissait, il y avait plus de chances qu’il l’écoute lui plutôt que le type qu’il avait face à lui non ? Sauf dans le cas où il avait vraiment un circuit grillé. Et dans ce cas là, ils se retrouveraient vraiment dans la merde...

Le regard trop clair de l’androïde galope sur les murs de la salle, amassant dans sa mémoire le moindre détail de ce qui aurait pu changer depuis sa dernière visite en date. Pendant cette activité des plus naturelles, les mots du lieutenant lui parviennent au compte-gouttes. Je ne le répéterai pas deux fois. Ses yeux s’échouent finalement sur le reflet de l’écran encore noir. Importance capitale. Dans son angle inférieur droit, il aperçoit Aedhan, à qui il sourit des yeux.
Tiens ? Pourquoi Will, qui apparaît alors, lève t-il les yeux au ciel en croisant ses perles saphir ? Il suppose qu’il s’agit encore de sa chemise, à qui il semblait tenir plus qu’à son rein droit. Quelque part, Siegfried se sent coupable. C’est quelque chose qui n’échapperait à aucun des membres de leur cluster. « Voici votre cible. » et son attention est aussitôt accaparée par le visage dudit malfrat, qu’il présente sous la douce appellation de Slasher. Les autres rient mais lui ne comprend pas. Pas important, semble t-il. Pour le bon déroulement de la mission en tous cas.

Lorsque le lieutenant annonça la composition des équipes, Sig jeta un coup d’œil par-dessus l’épaule du flic en face de lui, croisant au même instant le regard blasé de son binôme habituel, Jensen. Ça lui avait nettement suffi pour saisir à quel point il était ravi de le voir à nouveau à ses côtés. Pourquoi dissoudre un duo qui était efficace ? Telle est la question.
Siegfried lui, est plutôt satisfait d’avoir Jensen avec lui ce soir. Leur pourcentage de réussite était nettement supérieur à celui qu’il avait pu connaître avec son prédécesseur.

Espérons que Zenia ne se soit pas privée de souper ce soir.
Peu importe où il sera, il s'en inquiétera.

❖

« La mission est compromise, » a-t-il glissé à Jensen lorsque les premiers aléas s’étaient imposés à eux, les enfermant dans un piège dont ils devraient à eux seuls se sortir. Les cibles avaient été préparées. C’était anormal. Une première fusillade avait éclaté. Seule option selon lui : un véreux. Schtauffen n’avait pas attendu que Slasher leur file entre les doigts, car c’était lui qui importait. Les mots du lieutenant étaient gravés au fer rouge dans sa mémoire vive : vous me l’interceptez et vous l’arrêtez par tout les moyens. Alors il avait  laissé son coéquipier avec l’un des membres du Cartel à coffrer; disparaissant à l’étage. À pister la cible jusqu’à un bâtiment annexe, l’arme au poing. Prêt à finir ce qu’il avait commencé, puisque c’est ainsi que tout devait se terminer.

L’androïde clos ses paupières 2,01s avant de les rouvrir sur le long corridor qui se présentait à lui. INFRAROUGE ACTIVÉ.
Il progresse alors dans le couloir, le pas naturellement lourd et assuré. « Qu’est-ce que c’est ? » siffla Slasher. Aussitôt après, une voix connue résonna. « Putain de merde…ils arrivent ! Tes chiens de guerre sont en papier, c’est ça ?! J’me suis mouillé pour ton cul alors maintenant, bouge ! » La voix était en mouvement. L’autre la suivait et traversa le couloir en glissant. « Je t’ai suffisamment gavé d’heures pour que tu fermes ta gueule aussi, Lane. » Et sentit la présence de l’androïde, pourtant encore lointaine, qui les menaça du canon de son arme. « Merde, à couvert ! » une première détonation retentit, une balle vint se loger dans l’articulation du genou de sa cible, qui hurla sous le choc. L’homme en uniforme qui l’accompagnait le ramena à lui, le tirant vers l’arrière de toutes ses forces. Sig tira une seconde fois, ne faisant qu’esquinter le mur qu’ils longeaient — ils avaient disparu hors champ.

Dans un son caractéristique, Slasher regagne lourdement le sol, des projections de sang marquant sa courte progression. Marchant au pas dans leur direction, Siegfried ferma les yeux une nouvelle fois, s'arrêtant un peu avant l'angle du second couloir où le duo se trouvait. 1,58s. INFRAROUGE DÉSACTIVÉ. Secondes pendant lesquelles il entendit sa cible beugler sur ledit flic, l’inspecteur Lane. Qui, sitôt après, l’interpella. « Baisse ton arme ! » vociféra Lane à son attention, la sienne dégainée vers le pan du mur où l'androïde était sensé débouler. L'inspecteur vérifie la blessure du malfrat d'un coup d'œil succinct. « Il doit être vivant, t’entends ? Vivant ! » …mais qui diable croit-il convaincre avec des mots ?
Ce n’est pas tout à fait ce qu’il a comprit, non. Le protocole est ainsi, comme il peut désigner Lane comme étant une épine dans son flanc. Parce qu’il n’y avait aucune raison qu’il se dresse là entre lui et Slasher. Parce qu’il n’y avait aucune raison qu’il ne soit pas l’espion.

Sans précaution aucune, Schtauffen s’engagea dans son champ de vision et voulu pointer de son arme sa première cible désignée… « …toi…Schtauffen ?! » …or, l’inspecteur lui obstruait nettement la trajectoire désirée pour son prochain tir. Au vu du regard qu'il lui lance, Lane ne semblait pas l'attendre lui. « Ne m’force pas à tirer ! » « Bute-le, on sortira jamais de là sinon… » grommela Slasher sous la colère et la douleur, là, dans le dos de Lane. « Tu as compromis la mission, Lane. » « Tu dérailles Schtauffen, » « …putain mais pourquoi il parle comme un attardé ?! » et remarqua juste après la lumière bleuâtre sur ses tempes. Son silence eut raison de lui.
Petit à petit, les bras de Sig se hissèrent, un point rouge invisible marquant le front de l’inspecteur.
Sa conclusion était sans appel : CIBLE À ABATTRE.

« J’t’ai dit de lâcher ton flingue ! » crie t-il, Siegfried ne cillant pas. La seule chose qui l’empêchait de tirer était qu’il ciblait lui aussi sa tête — une zone où il n’était pas protégé, qui menacerait ses jours… et par extension, la mission.

« Siegfried ? »

Importance capitale.

« Sig ? »

Cible à abattre.

« Baisses ton arme ok ? »

Par tous les moyens nécessaires.

« Il est avec nous. »

Non.

Non, il n’est pas avec eux. S’il n’avait pas été dans son dos, Liam aurait pu le lire dans son profil, dans ce regard glacial qu’il offrait à celui qui lui faisait front. Il n’est plus avec eux, il a fait son choix depuis longtemps. Lane n’ose pas regarder Jensen et son coeur bat à tout rompre. Siegfried fait un demi-pas, lentement, sur la droite, commençant à baisser son arme en décrispant volontairement ses muscles.
La feinte sembla fonctionner, puisque Lane finit par jeter un coup d’œil par-dessus l’épaule de l’androïde pour y chercher le regard de Jensen. Sans crier gare et d’un geste vif et précis, Schtauffen réincline son arme en visant ce même point invisible. « NON ! » braille la voix de Slasher, qui se mêle alors aux coups de feux. 0,32s DE RETARD. La balle se loge entre ses deux yeux et les cervicales de l’inspecteur formèrent une ligne brisée, quelques instants avant qu’il ne s’écrase au sol tel un pantin désarticulé. CIBLE NEUTRALISÉE.

Dans un geste réflexe, Lane a lui aussi tiré, visant aléatoirement : Sig a accueillit son cadeau d’adieu dans sa cuisse droite, qui n’était bien sûr pas protégée par un gilet par balles. (Il fronce les sourcils sous la douleur qui irradie son membre.) DÉGÂTS SUBIS ESTIMÉS À : 22,3%. Sa constitution optimisée, en revanche, avait suffisamment amorti la balle. Balle qui s’était coincée entre l’épiderme et le derme, ce qui lui permettrait de l’extraire assez facilement, sans craindre une quelconque hémorragie qui pourrait le condamner.

Les premiers soins n’étant pas encore dans ses priorités, l’androïde se reposa un peu sur son autre jambe pour se stabiliser et tira aussitôt dans le deuxième genou de Slasher, qui rampait pour s’enfuir. Le cri qui retentit sonne comme une vieille ritournelle macabre avec laquelle il avait été bercé.

Or, l’instant d’après, alors qu’il pointe à nouveau son arme sur sa dernière cible, son binôme parvient enfin à attirer son attention…

Putain mais qu’est ce qu’il se passait ? Il ne comprenait absolument rien à la situation et il n’avait vraiment pas le temps de se poser de questions. Ils étaient prêts à se descendre et Liam ne voulait pas avoir la mort d’un collègue sur la conscience. Que ce soit Lane ou Schtauffen, même si c’était un androïde.

Il fit un pas de de plus en avant, le plus discrètement du monde -persuadé que Sig ne l’avait pas remarqué- mais se raidit subitement au moment où l’androïde se décala très légèrement sur sa droite, le faisant croiser le regard de l’inspecteur. C’était quoi ce regard ? Pourquoi est ce qu’il était… Il n’eut pas le temps de pousser plus loin sa réflexion, le mouvement du bras de Sig le coupant net.
Le « NON ! » De Slasher résonna dans l’entrepôt et Liam n’eut pas le temps de réagir que la détonation de l’arme de son coéquipier se répercutait, rapidement suivie par celle de l’arme de Lane.

Non. Non, non, non.

Il ne venait pas de faire ça. Siegfried ne venait pas de descendre un inspecteur. Ça n’était pas possible. Alors quoi, il avait vraiment pété un câble ? Il ne voyait pas d’autre explication. Ça ne devait pas être dans son programme. Il n’avait pas pu abattre un collègue comme ça, de sang froid. Quelque chose devait avoir merdé. Ça ne pouvait être que ça. Ça faisait plus de deux ans qu’ils bossaient ensemble et Sig n’avait jamais eu un comportement pareil. Il ne voyait pas ce que ça pouvait être d’autre.

Siegfried leva à nouveau son arme, dans la direction de Slasher cette fois et Liam ne chercha même pas à réagir. Il savait qu’il n’en aurait pas le temps de toute façon.
La balle explosa l’autre genou du criminel, lui arrachant un hurlement de douleur.
Liam se décida finalement à agir quand il vit Sig pointer à nouveau son arme vers leur cible et s’interposa, venant se placer juste devant son arme. « Ça suffit Sig ! » Il écarta les bras, espérant que ça suffirait à faire comprendre à son collègue qu’il devait arrêter. « Tu réalises ce que tu viens de faire ? » Il pointa le corps de Lane -dont la moitié de la boite crânienne et son contenu se répandait lentement sur le sol- du doigt avant de reprendre d’une voix toujours aussi forte et agressive. « Qu’est ce que t’as foutu ?! T’es pas bien ?! » Il pouvait entendre Slasher gémir dans son dos mais l’ignora, la main fermement ancrée sur la crosse de son arme, prêt à s’en servir. Il ne savait pas ce qui déconnait chez son coéquipier, mais collègue où pas, il n’hésiterait pas à lui coller une bastos s’il faisait le moindre geste suspect.

« J’ai pas envie de te descendre Sig. Alors baisses ton arme ok ? C’est bon, mission accomplie, t’as arrêté la cible. » Pourquoi est ce qu’il avait encore levé son arme après avoir mis Slasher hors d’état de nuire ? Ça n’avait pas de sens, ce type avait les deux genoux en miettes. Il ne représentait plus une menace pour eux. Il n’avait aucune raison de vouloir lui remettre une balle non ?

Voyant que Siegfried semblait s’être arrêté, Liam baissa lentement les bras, sans geste brusques pour ne pas risquer d’énerver son collègue. « Tout va bien ok ? Je prends la suite en main. » Sans quitter son vis à vis du regard, il désigna Slasher d’un bref mouvement de tête. « Je vais le menotter et ensuite on le ramènera au poste ensemble. Ça te va ? » Pourquoi est ce qu’il avait un mauvais pressentiment ? Gardant son doigt sur la détente, juste au cas où, il leva lentement sa main libre vers l’arme de Siegfried pour s’en saisir. « Mais avant je vais juste… » Il lui sourit faiblement, espérant que ça suffirait à lui faire comprendre qu’il n’était pas son ennemi. « Prendre ton arme d’accord ? » Il referma doucement ses doigts autour de l’arme et commença à la retirer de la main de l’androïde.
Et ce putain de mauvais pressentiment qui se faisait de plus en plus persistant…

CIBLE VERROUILLÉE.

L’instant d’après, Liam se pointe face à lui, les bras écartés. Une cible toute désignée, s’il n’avait pas l’aura imperceptible pour le faire hésiter. Il lui demande d’arrêter. L’information ne passe pas, sa requête se heurte à un mur. Les yeux clairs de l’androïde se vissent dans ceux de son binôme.

« Tu réalises ce que tu viens de faire ? »

Non.

Non, il ne réalise pas. Siegfried, en mission, n’est plus le même. Siegfried est machine plus qu’émotion et sensibilité. Et aujourd’hui, il y a eu conflit dans le protocole. Il a agi. Il a bien agi. Mais ça, il ne s’en est pas encore rendu compte.

« Qu’est-ce que t’as foutu ?! T’es pas bien ?! »

Il se refuse à suivre du regard ce que Jensen lui montre, pour la simple et bonne raison qu’il n’en a rien à faire : l’homme est mort, neutralisé, et c’était un vendu. Il y a du sang bleu qui coule, là, sous le tissu qui recouvre sa cuisse. Siegfried n’a pas le temps pour se justifier — pourquoi le ferait-il, au juste ? N’avaient-ils pas reçu les mêmes ordres ?

Alors il le fixe toujours dans le blanc des yeux, sans sourciller. Un masque d’acier agrafé à ses traits. Le canon, lui, est toujours orienté dans la même direction — sous la clavicule droite de son collègue, sans toutefois le toucher. Les gémissements de Slasher ne le confortent pas vraiment dans l’idée qu’il soit neutralisé, et ça à chaque seconde en plus qui filait.

« Tu n’es pas ma cible Jensen, pousse-toi. » d’une voix posée, monocorde et sans chaleur. Les mots de son comparse coulent sur son masque comme une pluie sale. Liam insiste malgré tout, mentionnant le fait qu’il ne veuille pas le tuer. Le détail semble le troubler — quel homme, face à une menace, s’embêterait à laisser ses envies le guider au détriment de sa propre sécurité ? S’il ne sait pas en cet instant s’il a envie de le savoir sauf, Siegfried sait pourtant qu’il ne pourra pas le laisser mettre le sablier dans le camp ennemi indéfiniment. Slasher ne peut pas se déplacer, pas suffisamment du moins, mais la menace est, selon lui, toujours présente.

La mission… n’est pas terminée.

« C’est bon, mission accomplie, t’as arrêté ta cible. »

Les mots de Jensen tournent en rond dans son esprit formaté, mais ne parviennent pas à trouver repos. Ni à agréer ce qui n’était pas un état de fait.

Pourtant, l’androïde a conscience que son interlocuteur ne bougera pas, voire, fera le nécessaire pour le neutraliser lui si l’urgence s’imposait. Encore une fois, feindre. Le manque d’expressivité flagrant joue toujours en sa faveur, rendant ses réactions plus imprévisibles. Sig incline progressivement son arme. Mission accomplie, t’as arrêté ta cible. Ses paupières papillonnent deux trois fois. Il ôte son doigt de la gâchette, toujours muet. Un silence qui ne présage rien de bon. « Je vais le menotter et ensuite on le ramènera au poste ensemble. Ça te va ? » Il jette enfin un regard à Slasher, qui s’avéra être plus appuyé qu’il n’aurait dû. Amer constat.

PROPOS INVALIDES. REQUÊTE REFUSÉE.

« Mais avant je vais juste… » et sentit la main de Jensen se poser sur son arme peu après. Jensen qui devint au centre de son attention, mais à qui son sourire lui échappa… « …Prendre ton arme d’accord ? » …là, ses yeux vrillèrent d’une vivacité mécanique jusqu’aux prunelles de l’intéressé. Et resserre un peu plus la prise sur la crosse de son arme.

MISSION TOUJOURS EN COURS. CIBLE À NEUTRALISER.

Siegfried le prend de court, lui jetant son poing d’acier dans le nez. Un mouvement de recul naturel de sa part, un râle de douleur. L’androïde fait abstraction de celle qui l'incombe et qui serpente dans sa cuisse. Il n’a pas relevé le canon de son arme sur son binôme. Pourtant…

Jensen accapare son attention et c’est mauvais — parce que Slasher n’est plus sous surveillance optimale. « La mission n’est pas terminée. La cible n’est pas neutralisée. », répète t-il, affrontant à nouveau Jensen de front. Le disque est rayé. Il le sera jusqu'à ce que le protocole soit aboutit — jusqu'à ce que la mission soit accomplie. Une fois leur regard respectif à nouveau scellé, il poursuit. « Par tous les moyens nécessaires. » et s’avance dans sa direction, qui a déjà reprit pied après s’être tenu le nez, le regard aussi noir que noyé par l’incompréhension.

Soit il s’y collait, soit c’était lui. Dans les deux cas, la finalité devait être identique, avec ou sans dégâts collatéraux : Slasher devait mourir. La boucle serait bouclée, la mission serait finalisée.
Arrivant à sa hauteur et sentant Jensen bouillonner, il souffla. « Lane était… » Et c’est sans grand étonnement que le veuf lui offrit un bon crochet du droit — geste qu’il ne chercha pas à éviter, se le prenant de plein fouet contre l’une de ses pommettes. Il grimaça et secoua brièvement la tête. S’il l’avait senti passer, il en devait être autant pour les phalanges du trentenaire. Il lui attrapa le cou et le fit pivoter un peu avec lui — Slasher les avait en profil. Il gémissait toujours. « Lane était avec lui. Lane a compromit la mission. Je l’ai neutralisé… » Sans serrer avec démesure, Siegfried le maintenait fermement. Il sentait aussi le canon de l’arme de Jensen contre son artère carotide. Eux aussi se compromettaient sérieusement, eux et leur intégrité.

Mais en y plongeant son regard un peu plus, il commence à comprendre.
Qu’il n’était pas enthousiaste à l’idée de lui éclater le crâne à coup de poings, ni à coup de balles. La pression se fait moins agressive, mais reste froide et ferme. « …je dois finir ce que j'ai commencé, Jensen. Je dois accomplir ma mission. » et bientôt, elle le sera.

La situation serait un peu plus gérable une fois qu’il y aurait pris son arme. Il connaissait les capacités physique de Sig et savait qu’il ne serait pas de taille s’ils devaient en venir aux mains mais au moins débarrassé de son flingue, il serait moins dangereux.

Le regard de l’androïde se planta dans le sien au moment où il referma ses doigts sur son arme et il sentit immédiatement un frisson lui glacer le sang.
Et merde…
Siegfried resserra sa prise sur son arme et lui envoya brusquement son poing en plein visage. Liam sentit son nez et sa pommette craquer sous l’impact et lâcha un gémissement sonore au moment où la douleur se répercuta dans son crâne. Il tituba de quelques pas en arrière, sa main libre pressée sur son nez et son doigt tremblant sur sa gâchette.
Et encore, il devait s’estimer heureux, il n’avait pas frappé avec toute sa force. Dans le cas contraire, sa tête aurait volé à l’autre bout de la pièce.

Qu’est ce qu’il pouvait faire ? Mettre une balle à Siegfried était envisageable mais vu les réflexes qu’il avait et son état à lui, il n’aurait même pas le temps de lever son arme avant de se prendre une bastos.  « La mission n’est pas terminée. La cible n’est pas neutralisée. » Liam poussa un nouveau gémissement de douleur avant de cracher le sang qui avait coulé dans sa bouche au sol et de reporter son attention sur son adversaire. « Qu’est ce que tu racontes comme conneries… » La cible au sol. Il n’avait plus de genoux et pouvait à peine bouger. C’était ce qu’on appelait être neutralisé non ?
Il n’y comprenait rien.

« Par tous les moyens nécessaires. » Liam poussa un grognement et se rapprocha à nouveau de Sig, venant se replanter devant lui. Il ne pouvait pas le laisser continuer. D’accord ce type était une ordure et méritait sans doute de crever, salement en plus, mais ils avaient des ordres. Le capturer vivant leur permettrait en plus d’avoir des infos sur tous les trafics qui avaient lieu dans les environs. Pourquoi est ce que Siegfried ne le comprenait pas ?

« Lane était… » Ne tenant plus, le jeune homme lui envoya un crochet du droit qui fit à peine réagir son vis à vis et dangereusement craquer ses propres phalanges. Bordel… Il avait l’impression d’avoir frappé dans un mur. Comment est ce qu’il pouvait espérer l’arrêter de cette façon ? Il n’avait aucune chance.
Il n’eut pas le temps de retenter quelque chose, les doigts de l’androïde se serrant brusquement autour de son cou avant de le faire pivoter. Il frappa plusieurs fois le bras qui le retenait, espérant le faire lâcher sa prise mais sans résultat, Siegfried ne réagissant même pas à ses tentatives.

« Lane était avec lui. Lane a compromit la mission. Je l’ai neutralisé… » Suffocant, Liam appuya le canon de son arme contre la carotide de Sig, le doigt fermement pressé sur la détente. Il parvint à articuler un. « J’veux pas en arriver là Sig. » Est ce qu’il comprenait ses menaces au moins ? Il semblait tellement obnubilé par sa mission que ses mots ne semblaient pas avoir le moindre effet sur lui.

« …je dois finir ce que j'ai commencé, Jensen. Je dois accomplir ma mission. » La pression sur sa gorge se fit moins forte et le flic en profita pour prendre une grande inspiration, la respiration sifflante. Il appuya un peu moins son arme contre la gorge de Siegfried, espérant que ça lui ferait comprendre qu’il ne comptait pas le tuer. « Ta mission est accomplie Sig. Je sais pas ce que t’as mal compris dans le briefing mais c’est bon. Tu l’as neutralisé. » Il tourna légèrement la tête vers Slasher qui gémissait toujours. Est ce que c’était lui où il s’était rapproché du corps de Lane ? Non, ça devait être lui qui délirait. « Alors lâche moi avant de faire une connerie. » La prise sur sa gorge avait beau être moins forte, il avait toujours du mal à respirer. Il reprit une grande inspiration avant de reprendre. « Je suis pas ton ennemi Sig. » Qu’est ce qu’il pouvait faire d’autre ? Absolument rien. Essayer de le raisonner par la force ne servirait et ne lui coûterait que des fractures dans le meilleur des cas. Il fallait qu’il arrive à lui faire comprendre qu’ils étaient dans le même camp. Siegfried avait l’air de s’en souvenir, il l’aurait tué immédiatement dans le cas contraire, mais il le considérait quand même comme une menace ou un obstacle à sa mission. C’était ça qu’il fallait lui faire comprendre.

Il retira complètement le canon de la gorge de Sig et le releva lentement avant d’en réenclencher la sécurité. Il écarta ensuite son bras et laissa tomber son arme au sol, ne quittant pas son vis à vis du regard.  « Tu vois ? On est dans le même camp. » Il n’y avait plus qu’à espérer que ça suffirait à calmer la situation.

« J’veux pas en arriver là Sig. »

Vouloir. Encore vouloir.

Il entend, ses mots à l’eau-forte commencent à peine à creuser le masque pour atteindre l’être sensible qui se cachait en dessous.

Qu’est-ce que lui voulait ?  

Il n’y pensait pas.

(C’était trop dur.)

Il n’avait pas le droit d’y penser.

(Il ne devrait pas.)

Seule la mission comptait, sa priorité.

Et elle était encore par terre à gémir comme un animal prêt à être achevé.

PAR TOUS LES MOYENS NÉCESSAIRES.

Le problème est là. Lane n’aurait pas dû être avec eux. Le lieutenant n’aurait pas dû prononcer ces mots. Ces mots qui, dans l’esprit du soldat, n’a aucune autre signification que celle qu’il avait pu lui attribuer.

…il n’y aurait pas dû avoir conflit dans le protocole.

Le contact froid du canon se fait moins insistant, devenant alors presque insignifiant. Le visage de Jensen s’incline très brièvement vers Slasher — l’androïde le fixe toujours, coi. Il boit ses paroles, s’ouvre davantage à l’interprétation des signaux (verbaux ou physiques) que lui envoyaient son coéquipier. Les secondes filent, interminables, alors qu’il le tient toujours. Au moment même où Liam prononça ces derniers mots, quelque chose se fêla en lui. « Je suis pas ton ennemi Sig. » Et le plongeant dans une marée d’encre, celle du doute. Quelque chose ne va pas. Il le lit dans ses yeux et dans ses émotions. Les siennes, d’ailleurs, lui échappent complètement. Elles le submergent.

Les autres le sentent eux aussi, il se passe quelque chose. Mais surtout, ce trouble est affliction instable. La machine formatée se heurte à nouveau au protocole, cette chose qui, sur l’instant, se présentait comme la pire des diableries. La présence de Slasher lui revient tel un boomerang maudit. « Non. Il n’est pas… » et fronça les sourcils, son visage se froissant dans une expression contrite. Assimilable à une réaction (saine) face à un signal nerveux traduisant la douleur. Or, ce n’était pas tant la douleur physique qui lui faisait cet effet - mais autre chose. Un conflit interne, puissant, étouffant. Cet autre chose qui mettait en péril la vie de son propre binôme. Je suis pas ton ennemi Sig. Des mots qui se concrétisent en un geste auquel il ne s’attendait pas. Geste qui l’informe et parvient, une fois marié à ses propos et à ses émotions, à lui faire entendre raison. La sécurité est enclenchée et Jensen est désarmé. Sitôt après et sans douceur, la main de l’androïde s’ouvrit, relâchant sa prise de manière totale. Je suis pas ton ennemi Sig. Il l’entend. Le ressent. 2,01s DE RETARD.

Une première détonation qui éclate dans leur champ auditif avec une douleur qui s’impose dans le profil de sa cuisse gauche. Il n’a pas réussi à viser le genou, qui fléchit légèrement malgré tout sous le choc. DÉGÂTS SUBIS ESTIMÉS À : 34,1%, VITESSE DE DÉPLACEMENT AMOINDRIE À HAUTEUR DE 4%. Le premier à être prit pour cible, c’est lui, le cuirassé, mais sitôt fait, c’est à Jensen d’être pointé de l’arme de Lane, tenue entre les doigts tremblants et gorgés d’adrénaline de Slasher.

AUCUNE AIRE SÉCURISÉE DÉTECTÉE.
Il le sait, c’est évident, et ils ne pourront pas y échapper : il n’y a nulle part où se mettre à couvert.
La seule solution… finir ce qu’il a commencé.
PROTÉGER JENSEN. PAR TOUS LES MOYENS NÉCESSAIRES.
La réaction de l’androïde est automatique et réflexe : il obstrue aussitôt la trajectoire de la balle et fait face à Jensen qu’il force à marcher en arrière — et à qui, dans ce mouvement, lui confie son arme d’un geste vif et mécanique. DÉGÂTS SUBIS ESTIMÉS À : 39,8%. Pendant ce temps, trois balles ont déjà sifflées, une dans son dos, dans son bras, et l’autre a éraflé la naissance de sa mâchoire inférieure en essayant d’atteindre Jensen. DÉGÂTS SUBIS ESTIMÉS À : 47,6%. RISQUE D’HÉMORRAGIE ESTIMÉ À : 3%………4%………5%………… Les autres se perdent alors que Liam s’affaire déjà à riposter, là, caché au mieux derrière ce mur de chair synthétique et d’acier. Il n'avait pas le droit d'échouer.

Siegfried le libéra finalement de son étreinte et Liam porta immédiatement sa main à sa gorge endolorie. Il prit plusieurs grandes inspirations et hocha faiblement la tête à l’attention de Sig pour le remercier.
C’était pas passé loin…

Une détonation retentit brusquement dans la salle, faisant sursauter le flic qui n’eut que le temps de voir la balle traverser la cuisse de Siegfried. Il se retourna le plus rapidement dans la direction du tir et lâcha un juron en voyant qu’il venait de Slasher, qui avait réussi à récupérer l’arme de Lane. Il avait vu juste finalement. Il s’était bel et bien rapproché du cadavre de l’inspecteur.
Qu’est ce qu’il avait pu être con…
Il porta sa main à son holster mais se raidit en réalisant qu’il avait laissé tomber son arme au sol quelques instants plus tôt.
Mais quel con !

Il fallait qu’il réfléchisse, qu’il trouve une solution. Sig avait déjà pris deux bastos et il n’était pas sûr qu’il pourrait tenir plus longtemps si ça continuait à ce rythme là.
Du coin de l’œil, il vit l’arme de Slasher se pointer sur lui.

Et merde…

Sig se retrouva soudainement face à lui, tournant le dos à leur cible, et le força à reculer avant de lui donner son arme dans le même mouvement. « Qu’est ce que t… » Il fut coupé par trois nouvelles détonations.
Il le protégeait.
Cet abruti était en train de le protéger.
Pourquoi est ce qu’il faisait ça ? Sa priorité était d’arrêter leur cible non ? Alors pourquoi est ce qu’il se mettait en danger pour le protéger lui ?
Non. Il fallait qu’il arrête de réfléchir et qu’il réagisse. Les réponses à ses questions viendraient plus tard.

Liam leva son arme et commença à tirer dans la direction de Slasher, sans vraiment viser.
La première balle éclata au sol à un bon mètre de sa cible mais la deuxième l’atteignit à l’épaule, lui arrachant un cri de douleur. Il était neutralisé. Avec son épaule touchée, il ne pourrait plus lever son arme. Les ordres étaient de l’arrêter par tous les moyens, c’était vrai mais vu son état, Liam pouvait baisser son arme et le menotter. Sauf qu’il ne s’arrêta pas.
Il continua de vider son arme sur le criminel et ne s’arrêta qu’au moment où il ne lui restait plus qu’une balle dans le chargeur.

Il passa aux côtés de Sig et se rapprocha rapidement de Slasher qui était en train d’agoniser. Il s’arrêta face à lui et le regarda un moment sans prononcer un mot, la tête légèrement penchée sur le côté. « T’attends quoi pour m’arrêter ? » Sa voix n’était plus qu’un râle mais Liam l’avait parfaitement entendu. « J’me rends. T’as gagné. » Non, ce serait trop simple. « Même si je t’arrête, vu ton état tu passeras pas la nuit. » Slasher sembla réaliser ce qu’il voulait dire et tenta de se redresser avant de s’écrouler lamentablement au sol en gémissant. Le flic s’accroupit et lui prit l’arme qu’il tenait fermement dans sa main avant de se relever. Il se rapprocha ensuite du corps de Lane et le fouilla rapidement pour mettre la main sur sa radio. « Ici l’agent Jensen. » Il tourna son regard vers Siegfried qui se tenait toujours debout. « J’ai un officier à terre et j’ai interpellé la cible. Elle a besoin d’une évacuation médicale. » La radio grésilla avant qu’une voix ne se fasse entendre. « Quelle est votre position ? » Il poussa un soupir et observa rapidement les alentours pour essayer de repérer un détail qui pourrait faciliter leur recherche. « Premier étage de l’entrepôt au nord de la zone cible. Magnez vous. » Il coupa la radio et la laissa retomber au sol avant de reporter son attention sur Slasher qui baignait littéralement dans sang avant de cracher un. « Tu vas peut être t’en sortir. Mais ça dépend plus de moi. » Et de retourner aux côtés de Sig.

Il l’observa rapidement, grimaçant en voyant l’état de certaines de ses blessures. Comment est ce qu’il pouvait encore tenir debout ? Lui se serait déjà effondré à sa place. Ils les faisaient vraiment trop résistants...
Il posa ensuite son regard sur l’éraflure au niveau de sa mâchoire et ne put réprimer un sourire en coin. « T’as vraiment une sale gueule. » Il lui tendit son arme -dans laquelle il restait toujours une balle- et désigna Slasher d’un mouvement de tête. « Là il est neutralisé. Mais si tu veux finir le boulot… » Il posa l’arme dans la main de l’androïde. « Je t’en empêcherai pas. »
Il avait bien dit que ça ne dépendait plus de lui.

DÉGÂTS SUBIS ESTIMÉS À : 52,9%. RISQUE D’HÉMORRAGIE ESTIMÉ À : 6%. CALCUL EN COURS…

Des tirs qui finissent par équilibrer les dégâts d’un camp à l’autre. Les secondes filent, interminables, et Jensen parvient finalement à le creuser de quelques balles. Balles qui volent, balles que l’androïde compte. Slasher n’a plus assez de voix pour marquer sa souffrance. Mais Slasher est un dur à cuire. Même s’il sait qu’il va mourir, il est conforté dans cette idée qu’il trépassera en s’étant battu l’arme au poing — et ça, ça vaut bien toute la came de Casma, de disparaître en glorieux martyr. Mais qui s’en souviendra ? L’IA, peut-être. Mais même elle le considèrerait comme un moins que rien, comme un sac à viande duquel il fallait en chasser la vie.

DÉGÂTS SUR JENSEN TRANSFÉRÉS. ASSISTANCE DÉFENSIVE TERMINÉE.

La douleur… la douleur est là. Ressentir n’est pas s’anéantir, se paralyser.

S’acharner. Subsister.

Il ne lui reste plus qu’une balle. Pourquoi la garde t-il ? Pourquoi n’achève t-il pas cet homme, leur mission ? DÉGÂTS SUBIS ESTIMÉS À : 57,3%. RISQUE D’HÉMORRAGIE ESTIMÉ À : 6,9%. SOINS RECOMMANDÉS. Siegfried est encore debout, mais l’une de ses jambes a été plus touchée que le reste et le force à boitiller lors de ses déplacements. Comme celui où il remonte lentement vers Jensen, qui s’est déjà occupé à désarmer le malfrat. Il s’est arrêté à mi-chemin. La mission n’est pas terminée. Pas encore. « J’me rends. T’as gagné. » vomit Slasher à son binôme. CIBLE À NEUTRALISER. Il mérite bien de finir dans un sachet plastique.

La sève bleuâtre coule au niveau de sa mâchoire abîmée et scrute en silence la scène qui se déroule face à lui.
L’extraction doit attendre encore un peu.
« J’ai un officier à terre et j’ai interpellé la cible. Elle a besoin d’une évacuation médicale. » Le regard froid de l’androïde forcit sur la silhouette de Jensen. Pas d’évacuation médicale. Pas de soutien pour la cible. Cible qu’il se met à fixer à son tour, cible dont la bouche déborde d’un rouge sombre devenu trop familier.

Alors que Jensen dévore facilement les mètres qui les séparent, Sig est incapable d’ôter son regard trop clair de Slasher. Un regard qui sonnait son glas, et il semblait l’avoir comprit, lui aussi.
« T’as vraiment une sale gueule. » L’œil vrilla dans sa direction. « Là il est neutralisé. Mais si tu veux finir le boulot… » Puis se vissa à nouveau sur le presque-cadavre. Je suis pas ton ennemi, Sig. Le contact froid de l’arme caressa à nouveau sa peau. L’androïde s’en saisit. « Je t’en empêcherai pas. » et leva le bras, qu’il orienta dans l’axe souhaité. CIBLE VERROUILLÉE. Sans prendre de précaution quant aux tympans de son coéquipier, il pressa sur la gâchette, libérant la dernière balle. Celle qui boucla le premier cycle, salvatrice.

CIBLE NEUTRALISÉE. MISSION ACCOMPLIE.

Des paupières qui se ferment quelques instants…
Et l’esprit de Siegfried s’ouvre à nouveau. Petit à petit. Son bras s’incline, l’arme toujours coincée au bout de ce dernier. C’est terminé. C’est terminé et maintenant, il peut espérer ne plus être aveuglé.
Maudit soit le protocole…
L’éclat de son regard est quelque peu… changé. Pourquoi est-il en train de briller ? La douleur se fait plus présente.

Sig fait un bilan rapide de la situation, pose ses yeux sur Jensen. Il revoit son visage meurtri et le traduit différemment. En rebondissant sur la remarque qui avait précédé avant la mise à mort.
« Tu as une sale gueule aussi, Jensen. » Pause. La culpabilité déploie ses premières ailes et nuance ses propos. Il ne le regarde plus. « Je ne voulais pas te blesser. » lui accorde t-il, d’une voix toujours aussi plate. Au moins, il le croit.
Mais quelque chose semble le perturber… lorsqu’il revoit Lane, lorsqu’il repasse en boucle les derniers événements. Lorsqu’il revoit ce regard qu’il lui a lancé, quand il fait la relecture de ses paroles dans son esprit numérique.
Un léger silence pendant lequel le doute et l’affliction semblent danser sous son enveloppe synthétique. Ils le sentent, eux aussi.
Un voile brillant sur ses perles d’eau, à nouveau.
Il le regarde. Les autres arrivent.
« Ai-je fait une erreur ? »

Siegfried referma ses doigts sur l’arme et leva immédiatement son bras pour viser Slasher. Il pressa la détente dans la foulée, faisant se crisper Liam à cause du bruit de la détonation et la balle atteignit sa cible pour l’achever.

Liam appuya une main sur son oreille meurtrie, grommelant plusieurs insultes à l’attention de Sig puis reporta son attention sur l’androïde quand celui-ci baissa finalement le bras. Il avait l’air complètement différent. Il ne parvenait pas à l’expliquer, mais Sig semblait enfin apaisé d’avoir pu accomplir sa mission. Ce qui était vraiment une bonne chose. Ça aurait vraiment foutu la merde qu’il continue à disjoncter.

« Tu as une sale gueule aussi, Jensen. » Parce qu’il faisait de l’humour maintenant… Le flic leva les yeux au ciel mais se retint de rebondir sur cette réflexion. Et c’était de la faute à qui s’il avait une sale gueule hein ? « Je ne voulais pas te blesser. » Liam cligna plusieurs fois des yeux, surprit par la réplique de l’androïde. Est ce qu’il venait de s’excuser ? Wow, alors ça c’était… Inattendu ?
Il balaya brièvement l’air de la main. « T’en fais pas. C’est jamais qu’un nez cassé. Au moins tu m’as pas collé une bastos, c’est déjà ça. » Il n’arrivait même pas à lui en vouloir. Il avait semblé tellement différent au moment où ils s’étaient accrochés qu’il était sûr qu’il n’avait vraiment pas voulu lui faire mal. Ça devait être lié à son protocole ou une connerie dans le genre.

Le jeune homme profita du silence qui s’était installé pour se traîner jusqu’à un conteneur non loin pour s’asseoir dessus et sortit une cigarette de son paquet avant de l’allumer et de tirer une longue latte dessus. Il ne quittait pas Siegfried des yeux, l’observant sans cesse. Qu’est ce qu’il s’était passé pour que la situation dégénère autant ? Et surtout, pourquoi est ce qu’il avait descendu Lane ? L’inspecteur avait voulu s’interposer, ça il l’avait vu, mais la question était pourquoi ? Pourquoi est ce qu’il s’était mis sur la route de Sig ? En faisant ça, l’androïde avait du le considérer comme une menace lui aussi mais ça n’avait pas de sens… Liam baissa la tête en soupirant.
Ils étaient partis pour des heures d’explications et d’interrogatoire, c’était certain.

« Ai-je fait une erreur ? » Le flic releva les yeux vers son coéquipier, l’air grave. « T’as descendu un inspecteur et abattu la cible prioritaire de la mission. » Il poussa un nouveau soupir et se passa sa main libre dans les cheveux. « Si c’est pas une erreur je sais pas ce que c’est. » Ils avaient merdé en beauté ouais. « T’as dit que Lane était avec lui. Ça veut dire quoi ça ? » Il écarta les bras, l’air incrédule. « C’est pour ça que tu l’as descendu ? Parce qu’il s’est interposé ? » Il laissa ses bras retomber le long de son corps. « T’es dans une sacrée merde Sig. Et moi aussi du coup parce qu’il va falloir que j’explique tout ça au Big Boss. » Et dire que cette mission devait être simple à la base. Tout était complètement parti en latte.

« J’espère que t’avais de bonnes raisons de faire ça, parce que dans le cas contraire, je donne pas cher de notre peau. » Des bruits de pas et des cris commencèrent à se faire entendre dans le hangar adjacent. Leurs collègues n’allaient pas tarder.

Liam tira une dernière latte sur sa clope avant de la laisser tomber au sol et redescendit de son appui pour aller ramasser son arme qui était restée au sol. Il la rangea dans son holster et glissa celle de Lane à l’arrière de son pantalon. Il tourna ensuite la tête dans la direction de l’androïde et désigna du pouce, par dessus son épaule, les escaliers desquels les bruits de pas provenaient. « Ils seront là dans pas longtemps. T’as encore quelques secondes pour foutre le camp si tu veux. Je t’arrêterai pas. Mais si tu restes, va falloir me donner des explications Sig. » Il voulait comprendre ce qu’il s’était passé et aider son coéquipier, vraiment. Il lui avait sauvé la vie, c’était bien un signe qu’il n’avait pas complètement pété un câble. Mais pour ça, Siegfried allait devoir lui dire ce qu’il s’était passé.
Enfin s’il le pouvait.

DÉGÂTS SUBIS ESTIMÉS À : 57,3%. RISQUE D’HÉMORRAGIE ESTIMÉ À : 7,4%. SOINS RECOMMANDÉS.

Jensen ne réagit pas mal et accepte ses excuses. Il n’aurait jamais cru cela possible, pas dans une telle situation. Quelque part, sous la douleur et la confusion, il y a l’ombre d’une rémission.

Si le malaise englobe naturellement le fait d’avoir mit en danger son binôme, il n’est pas sans ignorer le reste. Le reste, c’est le déséquilibre total, c’est l’exagération de ses actes, le conflit interne lié au protocole. Conflit qu’il ressent de manière viscérale au plus profond de lui, sans parvenir à le toucher du doigt.

Alors, lorsque le seul homme encore en vie à ses côtés lui confirme ses craintes, l’esprit de l’androïde est griffé par la douleur, — et rien ne pourrait y être comparable, pas même celle qui fait couler son sang bleu aujourd’hui. L’erreur est synonyme d’échec, et l’échec est un péché qui n’est pas aisé de pardonner. À vrai dire, pour Sig, l’échec est pire que la seule idée d’être mit hors service. Le fait est qu’il ne comprend pas : il a tout fait pour mener à bien cette mission, absolument tout, mais l’erreur est bel et bien là.

Tel un bloc de granit cascadé de sa propre sève, Sig est toujours debout. Son regard, brillant et confus, cherche à se rattraper à la carcasse de Jensen, qui vient à lui poser des questions sur Lane. Lane était un vendu. Sig l’a entendu, l’a vu, a déduit et a agi, renversant tout le protocole à son insu. La suite, vous la connaissez. L’androïde ne répond pas immédiatement, même s’il en aurait certainement été capable. Il ferme les yeux à nouveau et presse fermement sur l’une de ses blessures pour faire taire le saignement. Jensen débite, et le problème est aussi là. L’IA récupère les informations mais peine à les traiter en bonne et due forme. Une réponse vient, mais l’autre pas, se heurtant à un nouveau mur invisible…

« J’espère que t’avais de bonnes raisons de faire ça, parce que dans le cas contraire, je donne pas cher de notre peau. » les autres ne sont pas loin, il les entend lui aussi. Le soldat-flic n’a pas bougé d’un iota. Le clair de ses perles réapparaît suite aux derniers mots de l’homme. Il va chercher son regard et le soutient. « 7 secondes 24 centièmes, » ajoute t-il à l’information de Liam concernant le délai pour fuir. Or, ce n’était pas dans ses projets… et ça n’avait pour ainsi dire jamais été dans ses habitudes. XR-66 Stormbringer. Un androïde de combat ne fuit pas le champ de bataille, et lui, s’il existe bel et bien une unicité de son entité, fera face à ses erreurs. « C’est ma faute. J’ai fait une erreur. Je reste ici. Avec toi. » Il ne manquerait plus que Jensen soit le seul à en pâtir — mais avait-il seulement conscience de ça ? Lui causer autant de tord, ce n’était pas non plus dans son interêt. Siegfried respectait cet homme, quant bien même il était un fieffé emmerdeur.

L’androïde écrase davantage sa paume contre sa plaie. Le bleu dégouline entre ses doigts synthétiques. Il tente de reclasser les informations, les redistribuer. Les exprimer. La communication n'a jamais été son fort — et pour cause, il n'a pas été créée à cette fin. « Lane était avec Slasher. Il l’a défendu. Il s’est interposé… » les bruits se font plus insistants et se rapprochent. « Il ne voulait pas accomplir la mission. Je devais le neutraliser. » dans son océan d'un bleu cristal, la culpabilité assemblée à une assurance étonnante, presque touchante.
L’écho d’une voix leur vient et la silhouette entre dans la pièce.
« Jensen ! Schtauffen ! »
Pourtant, il poursuit, appuyant ses mots et son regard.
La dernière information, jetée, était capitale. Le son de sa voix qui meurt au fond de sa gorge sous la douleur qui le fauche un peu plus fort. « Lane était l’informateur. » « Mais qu’est-ce qui s’est passé, bordel ?! » …oh, ça, ils allaient bientôt le savoir. Mais avant, ils allaient devoir nettoyer l’erreur de Schtauffen.

ASSISTANCE MÉDICALE REQUISE.

…et lui fournir des soins, accessoirement.