à l'orange - elle a le goût de l'orange, et la grimace déforme son visage, puis disparaît au fur et à mesure qu'il s'y fait. sucette au bec, les doigts qui glissent sur la portière - le regard un peu hagard, un peu hasardeux qui cherche toute présence dont il devrait se méfier. mikkel qui se lance - c'est la deuxième fois qu'il fait ça. non pas en cassant le verre, mais en en forçant la serrure avec quelques outils rudimentaires - le vol de bagnole, second level sur le panthéon des plus grands échappés de ce monde. inspiration profonde, il a fait son choix sans réellement se poser, sans réellement se demander si elle allait pouvoir rapporter - ou s'il allait la faire tomber dans le fin fond de la flotte au loin. il l'a fait, comme ça. comme une météorite pourrait s'écraser. comme le monde qui pourrait s'écrouler. comme ça. sans raisons. et il suffit de peu pour qu'il s'y retrouve, pour qu'enfin ses fesses se trouvent à la place du conducteur - et il se baisse mikkel, il râle un peu en essayant de trouver les fils de quoi la faire démarrer, puisque de magie il n'a que celle de la disparition.
les dents qui se bloquent sur le sucre, il finit par craqueler quelques morceaux, tousse à peine en s'en prenant un qui passe mal le long de la trachée. soupir. soupir et le frisson de l'exploit qui vient doucement tapisser le bout de ses doigts - en redressant parfois le bout du nez pour vérifier si rien ne tourne autour, si rien ne saurait le trahir et surtout pas les vautours. - putain. naturellement, sans aucun filtre, la première tentative fut un échec dont il saurait encore se souvenir - se soldant par une course déplorable, et une chute lui ayant coûté un jean tout entier. et le coeur se met à palpiter de plus en plus rapidement, comme si subitement, atteint d'une crise de conscience, il lui proposait une porte de sortie sous le coup de l'angoisse. refus certain, ses doigts s'emmêlent dans les fils alors qu'une vibration le pousse à s'arrêter.
les cils battent rapidement - semblable à une biche enfin devant le canon du fusil. il attend la retombée, ose cependant se redresser, la main tendue vers la portière pour filer aussi vite qu'une balle en pleine course. surprise. silence. brisé cependant. - ah bah v'là autre chose. le sourire est maladroit, presque comique tant il n'a rien de naturel. et juste à côté, le jaugeant de ses grands yeux bleus, le frère reste dans le mutisme le plus total. rire nerveux qui s'extirpe des lèvres du plus jeune, il recherche inconsciemment ce qui a pu se modifier sur son visage - à clyde, clyde le grand, clyde le fort, clyde le sans foi ni loi. clyde qu'a un talent indéniable pour les grandes rentrées, et les sorties mémorables.
- salut. et fier comme un paon, il remet son dos bien droit - refuse de courber l'échine. songe au hasard, songe à une potentielle malédiction - à cette chance foireuse qui l'a fait tomber sur le tas de ferrailles de lawson fils. le sourire reste, le sourire se fige - et la tige de la sucette fait écho à une mauvaise comédie. devenue soudain tragique - ou encore plus ridicule qu'elle ne l'était déjà.
cool de t'revoir sous le chant des réverbères pétés.
(il passe sa main dans sa nuque, regard flou et sourcils froncés, le sourire leurre qui met du temps à se pointer à travers la vitre salie par la poussière tenace.)
la dernière fois qu'il a vu mikkel, son visage était haché par les barres grises d'une cellule crade, la voix arrêtée par une fierté qu'il tente encore d'exposer au reste du monde comme une arme toute puissante, avec le regard qui demeure toujours haut, visant probablement les étoiles – ou quelque chose de tout aussi ambitieux, pour prouver qu'il vaut autant qu'un autre, si ce n'est plus.
s'il n'en a pas le sang il en a au moins reçu le façonnage, de cette famille singulière, cette même façon distincte de s'attirer des problèmes comme le métal froid reçoit la foudre amourachée, à opter pour un mur opaque collé sur la face lorsque clyde sort de l'ombre ; lorsque clyde décide, impose son aide pour finalement l'en extirper. parce que s'il ne le fait pas, personne ne le fera – refrain tout pété, de toutes façons même lui sait que ça suffit pas pour juste filer un coup de main.
y'a besoin d'occuper une part là-dedans, finalement.
il cogne tout juste contre la paroi de métal que l'autre sursaute, s'affole. mikkel c'est un animal effrayé, qui pille les piaules de ses congénères quand l'occasion se présente, puis qui détale comme un lapin quand le danger prend la forme d'une arme tranchante – guillotine qui menace son cou droit à tout moment. il ouvre brusquement la portière, laisse le froid s'incruster dans l'habitacle avant de pencher la tête vers l'intérieur, puis il s'enfermer dans la boîte, frottant ses mains congelées.
- bruv. salutation un peu formelle, il prend place côté passager comme si le siège lui était tout attribué, de quoi observer pleinement le travail d'artiste de l'autre amateur de plans mal agencés. clyde choisit de se tourner plus explicitement vers sa distraction – redécouvre l'autre sous un nouveau jour, main sur le menton alors que son bras gauche se repose sur le bord de la fenêtre entrouverte. et il y a cette impression nette que y'a eu du changement, sur son visage, le long de sa mâchoire, la matière qui semble se raffermir un peu plus tous les jours, et y'a que la distance maladroite entre eux qui lui permet de le remarquer. - wassup ? that's my car, by the way.
(si finement.) alors il opte pour un soupir désabusé, le ricanement moqueur.
- même relier des fils t'as du mal ? come on. il commente ; constate comme si c'est nécessaire d'en rajouter. comme si y'avait que ça à dire.
ça la fout mal de se faire choper, le pif dans la farine et les traces du déluge entre les mains. ça la fout mal de se faire choper, la gueule qui se défait à mesure de toute sa fierté, en voyant la face de l'autre qu'arrête pas de le scinder. clyde il cherche, clyde il triture avec une fourchette rouillée le fin fond de ses entrailles déjà infectées - de quoi se faire une bouchée toute entière de ce qui se serait cassé au passage. il inspire mikkel, il reste droit, raide, comme un piquet qu'on aurait fièrement planté dans le sol, montrant aux ennemis une tête tranchée deux heures auparavant. il s'en mord la langue, presque les doigts si tant est qu'il serait pas tenté de se bouffer tout entier, à mi-chemin entre la honte et la provocation, entre l'envie de continuer, lui faire faire un tour dans les rues d'oriel jusqu'à se prendre un mur, et clamser ensemble, clamser à deux, comme un mauvais duo de danseurs aux gestes imprécis. il hausse les épaules mikkel, fuit le regard quelques secondes, à en préférer la compagnie des pigeons plutôt que les grands yeux du frère - ils ont jamais été pareils, même dans leurs dégaines. clyde il a la même face qu'un mégot de cigarette, écrasé, lassé, fatigué d'exister. lui il a jamais su se définir - et de toute façon mikkel, il a jamais été patient devant un miroir. - ouais bah, ta gueule hein, j'débute. le petit apprenti qui se démerde seul, à chercher parfois dans des bouquins des logiques quantiques, ou même sur internet de quoi squatter chez les filous. mikkel qu'aurait plus eu sa place dans un gang de malfrats douteux plutôt que solo dans ses propres déboires. ta caisse craint, d'ailleurs. il en rajoute une couche mikkel, comme si y'avait rien d'autre à faire et que seule la parole pourrait lui permettre de s'en tirer - il a le rire sec qui vient se casser à la commissure de ses lèvres, l'arrière de son crâne s'enfonce dans le dossier, il inspire profondément, dépité de sa maigre prestation.
- tu peux tout d'suite passer le chapitre morale à la con du fils lawson, j'connais le refrain. tu pourrais en faire un super jingle d'ailleurs j'pense, manque plus qu'un gros con pour t'faire l'air au piano et on y est. genre sois gentil pas méchant, c'est pas gentil d'être méchant. coup d'oeil rapide vers l'être qui fut admiré - comme sur ces posters qui tombaient dans sa chambre. c'est qu'il est vite tombé, l'aîné, de son piédestal pour mieux prendre l'aller simple vers le styx. il a envie de partir mikkel, il a envie de courir mikkel, mais il reste mikkel - il a le sens du paradoxe, du non-sens quand il entre en jeu. échec et mat.
- parle meilleur dickhead, j’te signale que c’est toi qui m’agresses là. dans les deux sens, en plus. scande-t-il paresseusement, les yeux qui bouffent - scrutent ce qui peut être caché sous la masse d’arrogance du plus jeune, ce qu’il ose lui présenter volontairement ou non. sorte de kaléidoscope particulier qu’est mikkel, quand on croit l’avoir cerné alors qu’il suffit d’un nouvel angle plus singulier pour se rendre compte qu’il nous mène en bateau depuis le départ. coincé entre affronter ses responsabilités et fuir vers un échappatoire rédhibitoire pour un peu de tranquillité, clyde lâche un soupir las, avachi de moitié sur le siège aux ressorts qui lui défoncent les omoplates. - ouais, elle craint tellement que t’es même pas foutu de la faire démarrer, donc la ramène pas. mads étale ses paumes sur ses pupilles, fatigué de batailler avec lui ; il n’est pas au programme, là, maintenant, mais c’est à se demander quand l’est-il, en vérité, et- ce n’est pas important.
le timbre de mikkel résonne à nouveau dans son esprit ; accusateur pour quelques insignifiances, poussiéreux comme un tas de cendres, il pointe du doigt des remarques qui ne sont pas encore tombées sur ses épaules lourdes, l’attitude semblable à celle d’un enfant de quatre ans qui se sent caliméro dans ses baskets fluorescentes de par son égo surdimensionné. clyde n’est pas responsable de son état, tique intérieurement aux reproches, mais reste infaillible. ce n’est pas lui qui a décidé de la deuxième chance dont il jouirait, et encore moins de la seconde famille qui l'accueillerait. réciproquement, ils ne se doivent techniquement rien, et ouvrir les yeux sur ses éventuelles erreurs n’est pas dans sa nature.
se contenter d’être un frère plutôt qu’un fantôme et peut-être tenter de rentrer dans les rangs pour lui montrer un parcours possédant moins de caillasses & de crevasses est une chose que clyde n’a jamais pu lui offrir - même maladroitement parce qu’il s’est envolé comme un corbeau à la première occasion, à s’éclipser quand il s’est rendu compte qu’il en avait la possibilité. et il n’a pas vraiment eu le choix. il n’a pas à s’excuser de lui coller au cul, de faire attention à lui - c’est son frère. c’est normal. c’est en tout cas ce qu’il pense. sous prétexte qu’il s’est barré sans préavis il n’en serait plus légitime - foutaises, de toutes façons c’était plutôt mourir que de passer quelques secondes de plus chez les lawson parents.
(ça le rassure de le penser, en tout cas.)
- t’as fini ? clyde impatient - l’intérieur du blanc des globes oculaires qui virent au bleu intense saveur agacement, small science qui lui joue des tours - je m’en cogne de ce que tu fais mikky, mais commence pas à me faire chier avec les sermons que je t’ai pas crachés. aujourd’hui, il bouffe sa propre carcasse. ramasse encore les restes de ses bourdes interminables, inoubliables. clyde qui n’est pas doué avec ses choses là. il hausse les sourcils, attrape les mains criminelles pour s’emparer des fils colorés. - bon, je t’aide à voler ma voiture ou on reste là toute la soirée ? j’suis attendu en vrai. il lâche, le sourire taquin qui revient sur sa face.
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