Si y’a bien une chose que Leo déteste, c’est de ne pas savoir. Leo, elle a besoin de tout comprendre, de trouver une raison, une explication à tout ce qui se passe, à tout ce qu’elle voit. Leo, elle ne croit que ce qu’elle voit. C’est l’une des raisons pour laquelle, bien que ses parents en soient la preuve vivante, elle ne croit pas au truc d’âme-sœur. Pour elle, si y’a pas de démonstration possible, pas de réponse scientifique, c’est que ça n’existe pas. Son cerveau de petit génie ne peut pas le concevoir et c’est sûrement ce qui la rend si buté, incapable de changer d’avis même si la preuve est juste sous son nez. Ça en a créé des engueulades avec son frère, des prises de tête avec sa mère. Son père lui, en rigolait toujours, baissait les armes avant que les mots ne s’envolent plus haut les uns que les autres. Mais parfois, il se dit qu’il aurait dû insister. Comme la fois où persuader qu’un drap pourrait lui servir de parachute, Leo s’est jeté du balcon de leur appart’ au deuxième étage. Un bras cassé plus tard, elle avait toujours pas compris la petite que parfois, elle ne pouvait pas avoir réponse à tout.
Dix-huit ans plus tard, rien n’a changé. Elle veut savoir Leo, elle veut comprendre ce qui vient d’atterrir sur sa table d’autopsie. C’est pas la mort qui l’interroge parce que ça Leo, elle connaît le sujet sur le bout des doigts, peut-être même plus qu’elle ne le devrait pour son âge, mais c’est ce bras bionique rattaché à ce corps refroidi, qu’elle n’a encore pas ouvert. D’habitude, elle aurait déjà ses mains gantées dans les tripes de ce type mais cette chose en ferraille, qui remplace sa chair, ses muscles, ses nerfs et toutes les autres cellules de son membre, la laisse perplexe. C’est pas la première fois qu’elle en croise et ce sera probablement pas la dernière mais c’est étrange, c’est pas comme les autres fois.
Des recherches, des coups de fils plus tard, elle se retrouve devant cet atelier et commence à douter, à se demander si cet endroit n'est pas abandonné. Mais les risques, Leo connait pas vraiment ça. Elle fonce tête baissée en se disant une fois qu’il est trop tard, qu’elle aurait peut-être dû réfléchir un peu plus avant de s’aventurer ici. Mais comme elle est pas non plus du genre à faire demi-tour à la moindre contrariété, elle a fait ce qu’elle fait de mieux (après ouvrir les gens en deux) : mis les deux pieds direct dans le plat. « Excusez-moi, je cherche un certain … XO ? ». Quand une paire d’yeux sombres se braque sur elle, Leo se dit qu’elle aurait dû penser à un meilleur plan plutôt que de débarquer à l’improviste. Il s’approche d’elle alors que le sourire de la blonde s’agrandit, comme pour montrer qu’elle est inoffensive, pas là pour chercher la merde. Elle lui aurait bien balancé une remarque dont elle a le secret mais elle se contente simplement d’abréger en lui tendant une série de photos qu’elle a prise à la morgue, les contours d’un bras se dessinant sur les clichés. « C’est à toi ça non ? J’aurai besoin d’un coup de main » qu’elle dit, se retenant de rire à son jeu de mots pourri.
coming to youleonor atkins & sami alucard Sami travaille dans le silence, quand Scar ne vient pas squatter et papoter, papoter, papoter tout ça pour ne rien dire. Sami travaille dans le silence, ses yeux agrandis par les lunettes-loupe qu'il porte constamment alors que ses doigts s'agitent comme des pattes d'araignée autour des différents éléments qu'il défait, refait, détruit, reconstruit, sans s'arrêter, sauf pour parfois avaler une gorgée de café. Certains écoutent la radio, certains discutent, certains chantonnent; pas Sami, ou rarement, quand il y a quelque chose à faire, il le fait et puis c'est tout, il ne se pose pas de questions. En l'occurrence, en cet instant précis, il doit réparer une amélioration bionique, les Sharks l'ont récupéré sur un cadavre avant de le jeter dans un canal de Neodam. Sami est en train de le défaire peu à peu, et puis il le connecte à son ordinateur pour voir de quoi il en retourne, il va devoir demander à Scar de passer, il ne peut pas lire le code. Ça le frustre un peu, il décide de travailler sur autre chose.
Il ne peut pas s'arrêter. Il ne peut pas penser. Si il se met à penser, il se met à rêver, si il se met à rêver, il se met à s'énerver, si il se met à s'énerver... Il n'a pas envie d'y penser. Ses doigts tremblent un peu, il boit un peu plus de café, il défait un téléphone qui a été volé au Club pour en récupérer les informations, pourquoi pas les informations bancaires, et surtout les éléments électroniques. Il y en a partout dans l'atelier, ça en vomit des étagères, des tiroirs, il y a des piles d'objets et de livres sur le sol — moteurs, encyclopédies, romans, carcasses d'ordinateur. Abandonnés ou jamais ouverts. Sami ne sait pas lire, il en a honte mais personne ne le sait: c'est comme un poids qu'il garde avec lui, quelque chose qui lui pèse sur les épaules, trotte dans l'arrière de son crâne. Constamment. Comme un buzz qui l'accompagne partout où il va, quelque chose d'horrible qui l'agite jusqu'au bout des doigts. Il a envie de dormir, il a envie de poser sa tête sur ses bras croisés, il a envie de rêver. Mais il n'ose pas — et si Jaz n'était pas là?
Et si Jaz était là?
Alors il travaille, intensément, ses yeux noirs brillants sous leurs sourcils noirs froncés, et il relève un regard orageux vers celui qui ose ouvrir la porte de son atelier, ce n'est pas quelqu'un des Sharks — ils l'auraient prévenus —, c'est un potentiel client, Sami n'a pas le temps pour un potentiel client, il doit travailler, il doit s'empêcher de dormir, il a trois mille de choses à faire, il n'a pas le temps. « Excusez-moi, je cherche un certain … XO ? » Sami cligne des yeux, se tend un peu, serre les dents, ça a le mérite d'attirer son attention. Elle est jolie, elle est jeune, joli visage, yeux et peau clairs. Les gens viennent chercher Sami le bricoleur, Sami le Shark, rarement XO le pilote de course. Surtout des gens comme elle. Il se lève lentement de son bureau, contourne son plan de travail, retire ses lunettes-loupe en fronçant toujours les sourcils, sans la lâcher du regard mais sans dire un mot. Elle tend quelque chose, une série de photos à laquelle elle n'accorde qu'un regard. « C’est à toi ça non ? J’aurai besoin d’un coup de main. »
Elle semble amusée, Sami ne comprend pas, angoisse un peu à l'idée de passer à côté d'une blague trop intelligente, avant de comprendre qu'elle parle du contenu des photos: une main. Un bras. Un... cadavre? Sami a un mouvement de recul malgré lui. Il a déjà vu des cadavres, bien entendu, mais jamais... comme ça. Étalés sur une table en métal, dénudés, scientifiquement décomposés. Il a une moue sur les lèvres, un peu dégoûté. “ Qu'est-ce que c'est? ” demande-t-il finalement. “ J'ai pas tué cet homme. ” Autant le préciser, il n'aimerait pas qu'elle appelle la police et qu'ils viennent fourrer le nez dans ses affaires, dans les affaires des Sharks. Peut-être qu'elle fait partie de la police? Non. Pas le genre. “ Je pense que tu t'es trompée de porte. ”
Leo, elle est comme ça, elle déroute, elle perturbe, elle dérange. Par ses grands yeux bleus limpides, son sourire indécollable de ses lèvres meurtries par les interrogations perpétuelles qui tournent en boucle dans sa jolie petite tête. Elle fait hausser les sourcils quand les premiers sons s’échappent de sa bouche et qu’on apprend à la connaître. Ca plait ou ça plait pas mais Leo, elle s’en fout royalement. Alors parfois elle oublie Leo, qu’elle est pas comme tout le monde. Ou comme tout le monde n’est pas comme elle. Elle se fascine pour des choses qui choquent les autres, qui soulèvent les cœurs et le dégoût, fait tordre les moues dans des grimaces qui elle, la rendent hilare. Elle est comme ça Leo. Alors elle pensait pas vraiment que les photos pourraient lui faire cet effet-là. Elle rattrape un sourire à la volée, le ravale pour ne pas paraître irrespectueuse ou donner l’air qu’elle se moque du jeune homme, sensible au corps violacé sur les clichés. Les organes détachés, les chairs découpées ne lui font plus rien, c’est devenu son quotidien.
Alors oui, elle oublie que pour les autres, la mort dérange. Elle fascine par son caractère imprévisible, inévitable. C’est une fatalité à laquelle personne n’échappe, pas même les plus riches qui dépensent des milliards en espérant que le temps se rallonge exceptionnellement devant une liasse de billets. Mais Leo, elle est bien placée pour savoir que la grande faucheuse n’épargne personne. Homme ou femme, enfant ou vieux, personne. Mais c’est pas pour autant qu’elle comprend pourquoi ça effraie tant les gens, pour les morts font cauchemarder et Leo, elle a presque envie de lui dire à ce gars, qu’il y passera aussi. Qu’ils y passeront tous.
Une mine étonnée passe sur son visage quand il se défend de l’avoir tué, les prunelles sombres du jeune se baladant partout sauf sur les photos. Si elle était sadique (du moins un peu plus qu’elle ne l’est déjà), elle aurait insisté, cherché à savoir ce qui se cache derrière cette attitude fuyante mais elle est pas là pour ça. « Si ça peut te rassurer, je sais que c’est pas toi qui l’a tué, il est mort … tout seul. Suicide » qu’elle ajoute en récupérant les photos avant de lui remettre celle avec le bras bionique sous le nez. « Ecoute, j’me fous totalement de ce que tu trafiques dans ton atelier ou avec tes petits copains, je m’intéresse seulement à ça » dit-elle en insistant, son index tapotant contre la surface lisse. « Je sais que c’est toi qui lui a implanté ». Elle croise les bras, s’adosse contre la table posée là. « Et je partirai pas tant que tu m’auras pas tout expliqué ».
Sami a appris avec le temps qu'il n'aimait pas rencontrer les gens. Qu'il n'aimait vraiment pas ça. Parce qu'il n'a pas le temps pour les gens, il n'a pas le temps d'apprendre à les connaître, les apprécier, les aimer. Il n'aime personne, Sami (ou du moins il essaie désespérément de s'en convaincre), il aime juste conduire des voitures à toute vitesse, et rêver. Visiter son monde onirique, y construire des empires, y détruire des empires. Parler avec Jaz. C'est la seule personne qui ne l'agace pas: les bavards lui polluent le cerveaux, ceux qui ne parlent pas beaucoup comme lui l'ennuient. Il ne sait pas à quelle catégorie appartient cette jeune fille, mais il ne compte pas l'apprendre, il s'en fiche, elle ne devrait même pas être là. « Si ça peut te rassurer, je sais que c’est pas toi qui l’a tué, il est mort … tout seul. Suicide. » Il fronce un peu plus du nez, lève la main comme pour effleurer le collier qu'il porte toujours autour du cou, caché sous son t-shirt; ses doigts n'ont pas le temps d'effleurer la croix que sa main retombe. Il n'aime pas la mort, il déteste l'idée du suicide encore plus, chose qu'il n'a jamais contemplé même au plus bas de son existence. Il y a quelque chose qui le dérange profondément dans cette notion, sans compter le fait que sa mère aurait eu la même réaction que lui en pensant à des principes religieux vieux comme la civilisation humaine.
Elle reprend les photos et lui montre une en particulière: un bras. Bionique. L'expression de Sami, confuse et pleine de doutes, ses sourcils froncés, change complètement; devient impassible, lisse. Il faut qu'il appelle Laszlo de toute urgence. Cette fille vient l'emmerder parce qu'elle a retrouvé la trace de leurs trafics de prothèses. « Ecoute, j’me fous totalement de ce que tu trafiques dans ton atelier ou avec tes petits copains, je m’intéresse seulement à ça. » Il hausse les épaules (quels petits copains? quel trafic?) en l'entendant sans rien dire. « Je sais que c’est toi qui lui a implanté. » Mais comment? Peut-être qu'elle a trouvé une trace de son ordinateur sur le logiciel de la prothèse. Ou peut-être qu'elle a les ressources pour remonter à l'origine de la prothèse, où elle a été fabriquée ou, en l'occurence, volée et modifiée. « Et je partirai pas tant que tu m’auras pas tout expliqué. » Il y a une alarme qui s'enclenche quelque part dans la tête de Sami, qui se force à esquisser un sourire affable. “ Désolé chérie, mais t'es au mauvais endroit. Comme tu peux le voir, ” dit-il en désignant l'atelier, “ je me contente de réparer les téléphones et les bagnoles. Rien d'illégal. ”
Elle pourrait littéralement prendre n'importe quoi dans l'atelier que ce serait un objet volé, une contrebande, un produit prohibé. Mais elle n'a pas besoin de le savoir, ça. Sami est étonnamment un plutôt mauvais menteur, il n'arrive pas trop à contrôler son visage, du coup il se détourne comme pour retourner à son plan de travail, il n'est pas trop inquiet qu'elle l'attaque par derrière, elle a l'air plutôt... gentille, dans le mauvais sens du terme. “ Si tu veux en apprendre plus sur ce genre de trucs, je suis sûr que tu peux trouver des cours à l'université. Moi je sais rien, j'sais pas c'est qui XO, j'sais pas ce que tu fais ici, je répare juste des petits trucs. ” Et puis pour faire bonne mesure: “ désolé de pas pouvoir t'aider. ”
Leo, la mort, elle la connait par cœur. Petite, son terrain de jeu préférée était la morgue où bossait son père. Elle regardait tous les outils chirurgicaux avec un œil admiratif, se demandant à quoi ils pouvaient servir. Une fois, elle attendait sagement sur le banc en face des portes battantes après l’école, son père ayant été appelé pour une urgence. Il lui avait promis une glace mais plus les minutes passées, plus la petite comprenait que sa gourmandise lui avait passé sous le nez. Lassée d’attendre, elle avait franchi les limites du sanctuaire et s’était retrouvé nez à nez avec son premier cadavre. Si son cher papa s’imaginait déjà les nuits de cauchemars horribles et les années de thérapie, il avait été bien loin de penser que sa blondinette développerait une passion hors du commun pour les morts. Il aurait peut-être pu se dire qu’en la berçant tous les soirs de contes à base de légendes d’outre-tombe, il était impossible que sa petite fille soit … comme les autres. On avait reproché à ses parents, l’environnement particulier dans lequel elle grandissait, les profs s’inquiétaient, les autres adultes s’interrogeaient pendant que leurs enfants rasaient les murs quand la « gamine aux morts » passait à côté d’eux.
Si on les écoutait, Leonor était vouée à devenir une tueuse en série. Au mieux une sociopathe bonne à interner dans un asile en camisole. Aujourd’hui, Leo elle en joue de ce côté bizarre, s’amuse des réactions quand elle annonce fièrement qu’elle passe ses journées à découper les gens. Elle rectifie le tir en disant qu’elle est médecin légiste. Mais pas tout le temps. Sinon ce serait pas drôle. Mais le gars en face d’elle n’a pas l’air d’avoir envie de plaisanter. Ni même de l’aider d’ailleurs. Au fil de son discours, ses épaules s’affaissent. Est-ce qu’elle se serait tromper de mec ? Non, elle est absolument certaine que ce bras bionique, c’est lui qui l’a posé. Elle a dû ruser Leonor, faire les yeux doux parfois, jouer de ses charmes alors que franchement, ça la met toujours hyper mal à l’aise de faire ce genre de choses. C’est pas le genre de nana à débarquer avec un décolleté super plongeant pour obtenir ce qu’elle veut. De toute façon, comme son frère adore le lui rappeler, y’a pas de quoi affoler grand monde au balcon. Elle avait cherché longtemps Leo, des nuits entières à décortiquer des codes, les programmes, à tanner ses collègues pour qu’on lui donne enfin les réponses, à elle l’impatiente. Trois jours sans dormir pour avoir le fin mot de l'histoire ou plutôt un seul nom, un pseudonyme connu dans les bas fonds de la ville. Quand elle veut quelque chose, elle finit toujours par l’avoir.
Et maintenant, qu’il est là devant elle, le jeune homme est loin d’être coopératif. Elle pourrait être vexée, de le voir essayer avec autant de ferveur de la virer d’ici. Mais elle l’écoute, le sourire évanoui soudainement, en espérant trouver les mots pour le convaincre. Il termine sa tirade par un commun « désolé de pas pouvoir t’aider », ce qui l’a fait doucement rire. Si Leo sait pas mentir, lui non plus. « J’suis pas flic, si c’est ça qui te fait flipper. Tu peux même vérifier, j'ai pas de micro, pas de flingue, rien du tout » qu'elle dit en tendant les bras avant de les laisser retomber. « J’suis médecin légiste, mon passe-temps c’est de découper les gens et de trifouiller dans leurs organes encore tout frais, encore tout chaud ». Rictus de circonstance, elle continue sa plaidoirie. « Sauf que ton petit joujou sur le corps de mon bonhomme m’en a empêché. J’en ai vu des bizarreries sur des cadavres, des choses comme ça c’est commun ici mais celle-ci, c’est pas pareil. C’est presque de l’art c’que tu lui as implanté et honnêtement, si j’suis là, c’est parce que j’veux comprendre comme ça fonctionne. Et que ça me ferait pas mal chier de l’abîmer. Alors entre artiste, on pourrait peut-être s’aider non ? ».
Le sourire de la fille s'efface rapidement, mais revient sous la forme d'un petit rire quand il s'excuse. Sami ne peut pas s'empêcher de penser à où se trouve le flingue le plus proche, ou si il pourrait appeler ses amis des Sharks pour venir l'aider à se débarrasser (de manière permanente?). Sami est quelqu'un de plutôt méfiant, il ne fait pas confiance à grande monde et encore moins aux gens qui débarquent du jour au lendemain chez lui et viennent lui poser des questions sur le travail illégal qu'il fait. Il imagine que bidouiller des prothèses illégales est moins dangereux, et moins illégal, que les poser comme le fait Laszlo; mais il a appris il y a longtemps qu'il vaut mieux ne rien risquer que prendre des risques inconsidérés. Sinon, Néphède vous bouffe tout cru. « J’suis pas flic, si c’est ça qui te fait flipper. Tu peux même vérifier, j'ai pas de micro, pas de flingue, rien du tout. » Pour autant, Sami sait que ça veut dire qu'elle n'est pas inoffensive pour autant. Quitte à choisir, Sami préférerait qu'elle soit flic plutôt que membre d'un gang ennemi des Sharks. Elle tend les bras, ils retombent, Sami ne bouge pas d'un poil, ses yeux deux faisceaux noirs sur elle.
« J’suis médecin légiste, mon passe-temps c’est de découper les gens et de trifouiller dans leurs organes encore tout frais, encore tout chaud. » Une grimace se hisse déjà sur le visage de Sami — il a eu l'air curieux en entendant le nom de la profession, apparemment inconnue de lui — quand il l'entend en parler avec une véritable passion. C'est une psychopathe. Il a raison depuis le début, il ne peut pas lui faire confiance, elle va le tuer et l'ouvrir et trifouiller dans ses organes encore frais. Sami se sent un peu malade. « Sauf que ton petit joujou sur le corps de mon bonhomme m’en a empêché. J’en ai vu des bizarreries sur des cadavres, des choses comme ça c’est commun ici mais celle-ci, c’est pas pareil. C’est presque de l’art c’que tu lui as implanté et honnêtement, si j’suis là, c’est parce que j’veux comprendre comme ça fonctionne. Et que ça me ferait pas mal chier de l’abîmer. Alors entre artiste, on pourrait peut-être s’aider non ? » Sami ne peut pas s'empêcher de rire un peu. Elle est complètement tarée. Ça ne veut pas dire qu'elle est inoffensive, au contraire. Mais les tarés, il peut s'occuper d'eux.
“ Je ne suis pas un artiste. ” Tout le contraire de ça, même. Sami est un rêveur, ceci dit, même si ce terme lui pince un peu le coeur et le rend mal à l'aise, ça lui fait penser à Jaz et au monde des rêves, leur monde à eux, qu'il a déserté ces dernières semaines. Il n'a jamais eu la fibre d'un artiste, Sami, c'est un créateur, un faiseur, mais certainement pas un artiste. “ Il n'y a pas d'organe dans le bras, ” dit-il en fronçant les sourcils, apparemment confus. Elle a dit qu'elle n'avait pas pu trifouillé les organes dans le bras de l'homme qui s'est suicidé alors il se demande si l'intérêt de la fille tient vraiment qu'à ça. “ Je m'appelle Sami. ” Il tend la main vers les photos qu'elle a rangé, jusqu'à ce qu'elle lui donne celle où on voit particulièrement le bras. Sami combat un peu son dégoût pour se concentrer dessus. “ Je me souviens de ça, ” dit-il lentement. “ Il possédait une fumerie d'opium dans le centre. J'ignorais qu'il était mort. ” Il est content que c'était pas à cause de sa prothèse, ceci dit. “ Je ne sais pas quoi te dire. Tu veux avoir un implant aussi? ”
Elle a toujours su obtenir ce qu’elle voulait Leonor. Avec ses parents, son frère, les autres, elle fait tourner en bourrique jusqu’à avoir ce qu’elle désire. Un brin capricieuse, quelque peu manipulatrice sur les bords, elle a toujours su tirer sur les bonnes ficelles pour arriver à ses fins mais elle est pas méchante Leo, elle déteste simplement ne pas avoir le dernier mot ou qu’on lui dise non, un peu comme une enfant. Au fond, Leo est encore un peu une gamine, l’innocence dans l’âme malgré les morts qu’elle côtoie chaque jour. Elle a toujours eu plus de mal avec les vivants de toute façon et avec ce gars, elle comprend vite qu’elle aura pas tout de suite livré sur un plateau d’argent. C’est pas grave qu’elle se dit, elle a pas souvent l’occasion de s’amuser. Il est méfiant, suspicieux même et il la regarde comme une détraquée, prête à lui arracher la gorge avec ses dents. Mais le cannibalisme, c’est pas son délire, ça la dégoûte même, a eu l’occasion d’en croiser les dégâts et c’est pas franchement joli à voir. Elle est pas fragile pourtant Leo mais ce jour-là, elle a bien cru dégobiller tout ce qui se trouvait dans le fond de ses tripes.
Elle secoue la tête pour se sortir de ses vieux souvenirs écœurants pour se replonger dans le réel. Et elle a beau lui expliquer à ce type qu’elle est aussi inoffensive qu’une mouche – peut-être aussi chiante, ça elle s’en cache pas – mais rien n’y fait, il reste campé sur ses positions. Alors elle insiste, use de sa grande gueule pour parvenir à son but et elle est plutôt douée pour ça. Si elle avait pas été médecin légiste, elle est persuadée qu’elle aurait fait une bonne enquêtrice. Quoi qu’elle sait pas vraiment garder les choses pour elle, c’est difficile, ça lui chatouille le palais et elle doit se faire violence Leo, s’en mord la langue pour ne pas se laisser atteindre par un flot verbal. Finalement, il se décoince, ose même un rire qui contamine Leo à son tour mais sûrement pas pour les mêmes raisons. « – Je ne suis pas un artiste. – Allez accorde toi un peu de crédit quand même ! ». Elle aime pas ça les gens qui dénigrent leur talent, comme Dylan qu’elle aimerait bien pouvoir taper quand elle dit qu’elle vaut rien comme écrivaine. Elle peste chaque fois qu’elle le dit et là, elle a envie de faire pareil avec lui mais elle risquerait probablement de s’en manger une en retour. « – Il n'y a pas d'organe dans le bras. – Je sais » qu’elle lui répond incrédule, la tête penchée sur le côté comme un chiot.
Leo elle connait le corps humain dans les moindres recoins, elle l’a étudié sous toutes les coutures, en a découpé chaque partie avec une minutie qui déconcerte les anciens. Bras, main, pied, entrailles, cerveau ; tout est passé entre ses mains mais c’est généralement pas une chose dans elle se vante, du moins pas auprès de tout le monde. « Je parlais du reste » qu’elle ajoute en mimant le geste d’un truc qu’on ouvre en deux mais c’est oublié quand le jeune homme se présente. « Moi c’est Leo. Enfin Leonor mais tout le monde m’appelle Leo ! Ravie d’te rencontrer Sami ! ». Finalement il a l’air plutôt sympa, passé le cap de la méfiance. Il récupère les photos, Leo le scrutant avec insistance quand il lui dit se souvenir de l’implant. « – Il possédait une fumerie d'opium dans le centre. J'ignorais qu'il était mort. – On fait pas plus mort, crois-moi, j’m’y connais » qu’elle affirme, hochant la tête pour elle-même, un sourire perché sur ses lèvres meurtries par la concentration.
« – Je ne sais pas quoi te dire. Tu veux avoir un implant aussi ? ». Leo le regarde de ses grands yeux océans, l’idée ne lui ayant jamais effleuré l’esprit mais comme c’est un peu déconnecté là-haut, elle balance, après avoir glissé un œil sur sa poitrine peu présente et compris qu’il parlait pas de ce genre d’implant : « Pourquoi ? J’suis pas assez bien comme ça ? ». Elle se rattrape en rigolant, ajoutant qu’elle plaisante avant de réitérer : « Nan mais j’veux comprendre comme tu fais. J’en ai déjà vu des implants, de toute sorte mais le tien, c’est une première. J’suis juste curieuse de te voir à l’œuvre. Et aussi si t’acceptais de le retirer de mon gars, ce serait grave cool. Promis, j’cacherai le reste. Par contre, tu pourras pas le récupérer. Alors tu veux bien ? Si tu dis non, j’reviendrai jusqu’à ce que tu cèdes. Just sayin’ ». Menace pas très convaincante mais elle essaie Leo, elle essaie.
Elle s'appelle Leo, enfin Leonor mais tout le monde l'appelle Leo, du coup Sami va l'appeler Leo, et elle est vraiment siphonnée, il se demande si elle a un problème dans la tête mais il n'ose pas lui demander, lui jetant juste un regard quand elle confirme que l'homme est bien mort, il espère bien qu'il est mort, sinon ça veut dire qu'elle a fait une autopsie sur un homme en vie. Cette simple idée le met mal à l'aise mais il a comme l'impression qu'elle ne choquerait pas tant que ça sa cliente du jour, du coup il évite d'en parler pour ne pas l'entendre dire cela exactement, ça lui foutrait les boules. Il ne comprend vraiment pas pourquoi elle est ici — elle a insisté pour l'appeler un artiste, ce à quoi Sami s'est contenté de froncer les sourcils sans comprend — à part si elle a tellement aimé son travail qu'elle a envie de se couper le bras pour qu'il s'occupe de lui en refaire un en métal et en plastique. Elle lui adresse un regard vide quand il lui demande si c'est la raison de sa venue, et Sami fronce les sourcils quand elle baisse les yeux vers sa poitrine, avant de rougir quand il comprend ce qu'elle a compris de ce qu'il vient de lui demander. « Pourquoi ? J’suis pas assez bien comme ça ? » Elle a le temps de lui dire qu'elle plaisante avant que Sami ne lui donne son avis sur la question; il referme la bouche avec l'ombre d'un sourire sur la lèvre, secouant légèrement la tête et se mettant enfin à bouger dans l'espace, s'approchant de son plan de travaille pour y poser les photos.
« Nan mais j’veux comprendre comme tu fais. J’en ai déjà vu des implants, de toute sorte mais le tien, c’est une première. J’suis juste curieuse de te voir à l’œuvre. Et aussi si t’acceptais de le retirer de mon gars, ce serait grave cool. Promis, j’cacherai le reste. Par contre, tu pourras pas le récupérer. Alors tu veux bien ? Si tu dis non, j’reviendrai jusqu’à ce que tu cèdes. Just sayin’. » Elle n'a pas trop le talent pour proposer des marchés qui fonctionne, Leo, en tout cas. Sami fronce un peu les sourcils et hausse les épaules. “ Et j'y gagne quoi? Rien, ” dit-il simplement. “ Tu peux me payer pour faire tout ça, si tu veux, ou alors je garde la prothèse à la fin. Mais je n'ai rien à gagner à gâcher mon temps pour toi, c'est précieux tu sais. ” Il a une brève pensée pour Sigan, repousse toute pensée s'apparentant à Jaz en grognant pour lui-même, s'éclaircissant la gorge en se rappelant que Leo est toujours là. “ Tu peux revenir autant que tu voudras, mais ce qui t'arrivera si tu m'énerves trop sera de ta faute. ” Il n'est pas très violent, Sami, mais il est agacé par tout ce qui est répétitif et les gens qui ne savent pas prendre non pour une réponse. Si elle revient tous les jours pour l'énerver comme elle semble le menacer de faire, il dira à Scar de s'occuper d'elle et il le fera, même si ça veut dire lui faire du mal. Et puis, avec un oeil critique en sa direction: “ t'es toute plate, ” dit-il d'un ton tout aussi plat, “ mais si tu me payes grassement, peut-être que je te ferai des seins bioniques, si t'insistes. ” C'est une blague, bien sûr, mais il s'exprime avec le plus grand calme et le plus grand sérieux, sans la lâcher des yeux, persuadé qu'elle va tomber dans le panneau parce qu'elle a l'air tarée. “ Ils pourront se connecter à internet et briller dans le noir, ” insiste-t-il, toujours aussi pince-sans-rire.
Peut-être qu’elle aurait dû mieux se renseigner avant de venir ici mais Leo, c’est pas le genre à se documenter avant d’aller quelque part. Non Leo, elle fonce tête baissée sans penser à ce qui pourrait arriver, à ce qui pourrait lui arriver. Leo elle se dit qu’elle a plus rien à craindre, qu’elle a déjà vu la mort en face et que la mort, ça lui fait pas peur à Leo. Elle a peur de rien Leo, du moins elle s’en persuade du mieux qu’elle le peut. Elle contourne ça avec des blagues, des réflexions douteuses qui ne font souvent rire qu’elle. Le rire est la meilleur des défenses, Leo le sait, elle en use, en abuse depuis qu’elle est gosse. C’est plus facile de faire croire que tout va bien avec un grand sourire perché haut sur ses lèvres que d’avouer qu’à l’intérieur, Leo se sent vide. Depuis la mort de Georgie, y’a un truc qui s’est éteint dans ses yeux, un truc qui va plus mais elle en parle pas Leo, elle en parlera sûrement jamais. Y’a le cluster qui sait, qui sait tout mais c’est déjà beaucoup trop. Alors Leo elle rit pour dissimuler les nuages sombres qui creusent ses beaux yeux océans, pour étouffer le son des craquelures qui résonnent sous sa cage thoracique, rit pour donner l’illusion que tout va bien. Même si rien ne va.
Leo elle se dit que dans d’autres circonstances, Sami aurait pu être un bon pote même si elle voit difficilement comment leurs chemins auraient pu se croiser autrement. Si elle croyait aux folies de sa mère, elle dirait probablement que le destin aurait fait son boulot et que peut-être ils auraient fini par se croiser. Mais Leo elle croit pas en ce genre de choses et finit par conclure que non, ils ne se seraient probablement jamais connus si Leo n’avait pas eu besoin de le rencontrer pour démonter ce bras bionique qui l’intrigue tout autant qu’il l’agace. Alors elle négocie Leo, du moins elle essaie mais son frère est plus doué pour ça qu’elle. Il aurait mieux fait de venir avec elle mais pas sûr qu’il aurait accepté. Non Timothy, elle l’entend déjà râler, l’engueuler même d’être allée se fourrer dans un bourbier pareil. « Tu peux me payer pour faire tout ça, si tu veux, ou alors je garde la prothèse à la fin. Mais je n'ai rien à gagner à gâcher mon temps pour toi, c'est précieux tu sais ». Il a raison ; elle a pas de frics à lui donner en échange et pourra probablement pas lui rendre la prothèse même si le mort n’en aura plus besoin maintenant. « Tu peux revenir autant que tu voudras, mais ce qui t'arrivera si tu m'énerves trop sera de ta faute ». Et Leo elle sourit, insouciante inconsciente qu’elle est. Mais elle a peur Leo, elle ressent juste une grande poussée d’adrénaline courir dans ses veines mais dans sa tête, y’a la voix de George qui éclate. Fais attention à toi Leo. Il lui répétait toujours ça quand il savait qu’elle sortait le soir, quand elle rentrait chez elle seule après le boulot. Mais Georgie est plus là. Et Leo se dit que c’est pas grave s’il lui arrive quelque chose. Alors elle écoute Sami dans son monologue, se contente de le regarder avec ses yeux de gamine impertinente et ce rictus indocile qui lui va si bien. Elle ose même un rire quand son regard sombre glisse sur elle, quand un commentaire sur son physique s’échappe de sa bouche et qu’il lui propose de l’arranger. C’est qu’elle aurait pu l’apprécier ce Sami mais pas sûr que la réciproque s’applique vraiment.
Le silence revenu, Leo le laisse planer un court instant autour d’eux, seuls ses talons claquant contre le sol abîmé. « C’est vrai que t’as rien à gagner en faisant ce que j’te demande ; j’ai pas de frics à te donner en échange et la prothèse, t’en ferais quoi de toute façon si je te la rendais ? ». Elle sillonne les murs, les étagères, laisse son regard se perdre sur les petits détails. « Il m’arrivera quoi si je reviens ? Évite le flingue, j’ai déjà donné. Et fais ça proprement, j’voudrai quand même qu’on me reconnaisse même morte. Dire que je pourrai même pas m’autopsier moi-même, c’est triste quand on y pense ». Elle revient sur ses pas, ses prunelles accrochées à celles de Sami. « Et c’est sympa de vouloir me refaire les seins mais j’suis pas le genre de cruche qui aime coller aux standards de gros machos pervers. J’suis à prendre ou à laisser comme ça ». Elle hausse les épaules plus pour elle, les mains dans les poches comme si rien n’avait d’importance. « Et puis les gros nibards ça fait pas tout. En tout cas, on s’est jamais plaint des miens. Puis de toute façon, j’suis pas venue là pour te plaire. Sauf si t’as ça en tête depuis le début ». Et une fois encore, Leo elle rigole, s’empare distraitement d’un outil qui traîne ; une clé à molette certainement mais elle en est pas tout à fait sûre, plus à l’aise avec la panoplie du chirurgien que du garagiste. « J’en conclus que tu refuses alors ? Si tu ne veux pas gâcher ton temps avec moi, j’vais pas gâcher le mien à attendre que tu dises oui ». Au final, elle s’en sortira probablement mieux toute seule. Comme d’habitude. « Ça te fait vraiment rien de savoir que ta prothèse va finir en mille morceaux ? Enfin ce qui risque surtout d’arriver, c’est qu’elle finisse à la déchetterie. Peut-être même que des types vont tomber dessus et en tirer un gros paquet de frics ». Elle teste, elle tente Leo mais s’il lui redit encore une fois non, elle lâchera l’affaire, ira s’en occuper elle-même parce que si Leo veut tout, elle les veut dans l’immédiat et pas attendre.
Silence, peut-être qu'elle a mal pris sa blague — ou pire, considère vraiment sa proposition de lui faire une prothèse mammaire connectée à Internet, Sami serait bien en peine de revenir sur ses mots pour lui expliquer qu'il n'est pas sûr que ce soit possible si c'est le cas. C'est un peu gênant, ce silence, et il fait mine de s'occuper en attrapant un bidule sur son plan de travail; une carte mère de téléphone, en l'occurence, qu'il fait nerveusement tourner dans ses mains avec ses doigts. « C’est vrai que t’as rien à gagner en faisant ce que j’te demande ; j’ai pas de frics à te donner en échange et la prothèse, t’en ferais quoi de toute façon si je te la rendais ? » Il hausse les épaules, il lui trouverait une utilité; d'un petit mouvement sans conséquence, il lui montre l'atelier. Il y a des milliers de choses ici, utiles ou pas, il a du mal à se séparer de ses affaires Sami, même quand elles sont obsolètes, vieilles ou inutiles. Et puis, si il se souvient bien, la prothèse de cet homme n'est pas si vieille que ça et au pire, il la réutilisera sur quelqu'un d'autre, c'est une économie comme une autre. « Il m’arrivera quoi si je reviens ? Évite le flingue, j’ai déjà donné. Et fais ça proprement, j’voudrai quand même qu’on me reconnaisse même morte. Dire que je pourrai même pas m’autopsier moi-même, c’est triste quand on y pense. » Il est plutôt surpris de l'entendre parler ainsi d'un ton si détaché d'une morte potentielle. Sami grimace un peu à la fin, quand l'image d'un cadavre essayant de s'autopsier lui-même s'impose à son esprit. Elle est vraiment étrange, cette fille.
Mourrait-elle pour ça? Sans doute pas, mais Sami sait que Scar saurait lui faire passer l'envie de revenir l'embêter. Une jambe cassée, généralement, ça suffit. Leo s'est éloignée pour regarder l'atelier sous l'oeil attentif de Sami, désireux de voir qu'elle ne vole rien, puis elle revient vers lui. Il n'a pas bougé. « Et c’est sympa de vouloir me refaire les seins mais j’suis pas le genre de cruche qui aime coller aux standards de gros machos pervers. J’suis à prendre ou à laisser comme ça. » Sami se demande si il fait partie de ces gros machos pervers. Peut-être au yeux de Leonor, mais il ne pense pas. Il préfère les filles de la vraie vie plutôt que celles des magazines. « Et puis les gros nibards ça fait pas tout. En tout cas, on s’est jamais plaint des miens. Puis de toute façon, j’suis pas venue là pour te plaire. Sauf si t’as ça en tête depuis le début. » Sami a un peu l'impression que Leo se fout de sa gueule et essaie d'inverser la situation: lui pourrait l'accuser d'avoir ça en tête depuis le début, puisque c'est elle qui est venu l'emmerder. Elle rit un peu, Sami a du mal à comprendre ce qu'elle prend au sérieux ou pas, ce qu'elle veut dire. Il fronce les sourcils quand elle s'empare d'une clé à molette, comme si c'était tout à fait naturel, et il se tend sensiblement en la voyant jouer avec.
« J’en conclus que tu refuses alors ? Si tu ne veux pas gâcher ton temps avec moi, j’vais pas gâcher le mien à attendre que tu dises oui. » Au moins c'est clair. Ceci dit, Sami préférerait qu'elle lâche la clé à molette avant qu'il ne formule son refus une nouvelle fois; après tout, ça fait mal, ces choses-là. « Ça te fait vraiment rien de savoir que ta prothèse va finir en mille morceaux ? Enfin ce qui risque surtout d’arriver, c’est qu’elle finisse à la déchetterie. Peut-être même que des types vont tomber dessus et en tirer un gros paquet de frics. » Sami ne peut pas s'empêcher de grogner à cette idée. “ Sans doute que ce seront mes types qui la trouveraient, ” rétorque-t-il, même si c'est vrai que les Sharks ont depuis longtemps cessé d'être des charognards, maintenant ils ont du matériau de meilleure qualité pour travailler grâce à un deal que leur chef a fait avec une petite entreprise ripou. Rien de bien surprenant à Neodam, au final. “ Tu peux reposer ça, s'il te plaît? ” La politesse lui arrache la langue, mais sa voix est tendue, Sami n'aime pas qu'on touche à ses affaires. “ Tu joues un peu avec le feu, Leo, tu le sais ça? ” Vu le regard qu'elle lui lance, Sami se rend compte qu'elle le sait et qu'elle semble s'en fiche.
Il soupire un peu. Il pourrait accepter d'aller voir la prothèse et essayer de la lui voler par la même. Elle n'a pas l'air d'être trop résistante et il lui rend bien un tête, ça devrait fonctionner. “ Qu'est-ce que tu veux que je fasse exactement à cette prothèse? ” lui redemande-t-il avec un autre soupir, semblant lui dire qu'il abandonne et qu'il accepte sans utiliser ces mots-là précisément pourtant.
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Si y’a bien une chose que Leo déteste, c’est de ne pas savoir. Leo, elle a besoin de tout comprendre, de trouver une raison, une explication à tout ce qui se passe, à tout ce qu’elle voit. Leo, elle ne croit que ce qu’elle voit. C’est l’une des raisons pour laquelle, bien que ses parents en soient la preuve vivante, elle ne croit pas au truc d’âme-sœur. Pour elle, si y’a pas de démonstration possible, pas de réponse scientifique, c’est que ça n’existe pas. Son cerveau de petit génie ne peut pas le concevoir et c’est sûrement ce qui la rend si buté, incapable de changer d’avis même si la preuve est juste sous son nez. Ça en a créé des engueulades avec son frère, des prises de tête avec sa mère. Son père lui, en rigolait toujours, baissait les armes avant que les mots ne s’envolent plus haut les uns que les autres. Mais parfois, il se dit qu’il aurait dû insister. Comme la fois où persuader qu’un drap pourrait lui servir de parachute, Leo s’est jeté du balcon de leur appart’ au deuxième étage. Un bras cassé plus tard, elle avait toujours pas compris la petite que parfois, elle ne pouvait pas avoir réponse à tout. 
LITTLE WOLF.