(#1) nellsyn + we could do great things, together

Tamsyn est dans le métier depuis presque dix ans, maintenant. Entre ses années d’assistante auprès de son mentor, puis les cinq ans de sa propre agence, High Hopes Entertainment, elle peut fièrement dire qu’il y a peu de choses qui lui sont encore étrangères. Ce serait prétentieux, de dire qu’elle a tout vu, tout connu. Elle n’a que vingt-six ans, après tout, et elle refuse d’être vue comme une gamine qui se croit reine du monde. Mais il faut quand même reconnaître que pour son âge, elle en a vu des vertes et des pas mûres, et que ça l’a rendue capable de gérer à peu près toutes les situations qui lui tombent sur le coin du nez - le succès de l’agence n’est d’ailleurs pas anodin : avec Sydney, ils ont bossé dur, et ont l’expérience suffisante pour faire tourner la machine, quand bien même leurs détracteurs s’amusent à dire que leur business va s’effondrer du jour au lendemain parce qu’ils n’ont pas les épaules.

Tamsyn croyait vraiment être plus ou moins arrivée au bout de ses surprises. Elle pensait s’être retrouvée dans suffisamment de situations complexes ou gênantes pour ne pas être décontenancée une seule seconde par les studios de tournages d’un film érotique. Après tout, combien de scènes de sexe a-t-elle dû voir, derrière la caméra, pour s’assurer que l’acteur était bien traité et que les limites des contrats étaient respectés ? Elle ne les compte même plus.
Et pourtant, ici, l’atmosphère est différente.
Peut-être que c’est parce qu’elle ne connaît personne. Peut-être que c’est parce que cette fois, c’est elle qui vient demander quelque chose, et pas corriger ou surveiller quoi que ce soit. Tamsyn se cherche des excuses, des raisons pour expliquer la petite appréhension dans sa poitrine, son impression de devoir longer les murs comme si elle n’avait pas sa place ici. En avançant, au fur et à mesure, elle croise des techniciens qui ont l’air parfaitement dans leur élément, elle croise des écrans sur lesquels les scènes précédemment tournées sont re-visionnées et montées. Il y a de la peau, de la peau, de la peau partout. Et il y a des gens beaux, aussi. Tamsyn croise deux femmes montées sur des talons, parfaites dans une lingerie magnifique et des peignoirs de soie qui laissent tout le loisir d’imaginer les formes sous l’étoffe.
Tamsyn toussote, et a un peu de mal à se concentrer.
Vous voulez quelque chose, miss? Une voix masculine finit par interrompre le fil de ses pensées - un fil dont elle n’est pas très fière. Oh, euh. Elle brandit le badge qu’elle a autour du coup. Oui. Tamsyn Huggins, je viens parler à Miss Rivera. L’homme regarde son badge, la regarde. Elle voit une brassière à son bras - il doit être de la sécurité. Et vous êtes? Tamsyn esquisse un sourire. Son.. futur agent? L’homme semble sceptique, lui demande d’attendre quelques minutes. Il attrape son talkie-walkie, sûrement pour vérifier qu’elle a bien le droit d’être ici, et qu’elle n’est pas missionnée pour kidnapper un quelconque acteur ou poser une bombe dans les studios. Tamsyn se tient un peu raide, toujours un peu mal à l’aise - elle ne sait pas trop ou regarder. Elle est en train de discuter d’une scène avec la réalisatrice, vous pouvez avancer dans la pièce suivante, elle sera bientôt dispo. La jeune Huggins ne se fait pas prier, et entre dans la salle suivante : le fameux studio. C’est là qu’elle la voit en chair et en os : Nelia Rivera, avec ses longs cheveux bruns, en train de parler avec la femme derrière la caméra. L’actrice est tellement belle que Tamsyn en aurait presque le souffle coupé. Et pourtant, elle en a vu, des actrices, dans sa carrière. C’est rare qu’elle se laisse surprendre par de beaux visages ou un charisme certain - et pourtant. Elle attend, patiemment, en essayant de ne pas trop fixer les lieux. Elle donnerait presque tout pour retourner dans sa zone de confort : son bureau, avec sa jolie plaque indiquant son nom.

Tamsyn finit par sortir son smartphone pour occuper ses mains - et son esprit, surtout - en attendant que la jeune actrice vienne la trouver. De temps en temps, elle lève les yeux, juste au cas où, mais finit inévitablement par se replonger dans ses mails, feignant un confiance qui lui fait étrangement défaut aujourd’hui. Et puis, dans sa vision périphérique, elle la voit qui approche. Nelia Rivera. La jeune Huggins est assez soulagée que l’actrice ne soit pas venue la rencontrer habillée seulement de sa lingerie, même si celle-ci est également très, très belle. Les sous-vêtements qu’elle porte, d’après ce qu’elle a pu observer de loin, ont l’air de coûter très cher, mais Tamsyn ne devrait pas en attendre moins, sur ce tournage. Ici, on ne tourne pas n’importe quel film érotique : la réalisatrice du film est connue pour être une amoureuse de l’art, des beaux plans. Tamsyn a vu l’un de ses films, et elle doit dire qu’elle n’a pas détesté. C’était sympa, de voir l’érotisme sur écran mis aussi élégamment en scène.
Le regard de l’actrice glisse sur elle - sans la moindre gêne, et Tamsyn se sent de nouveau toute petite, comme une gamine. Si je me fie à ta présentation auprès de la sécurité, j’en déduis que t’as plus de balls que tous ceux qui m’ont représentée jusqu’à maintenant… Tamsyn esquisse un sourire en coin, en rangeant son téléphone dans sa poche - franchement, là tout de suite, elle n’a plus trop l’impression d’être ballsy. Et pourtant, je dois dire que c’est moi qui me retrouve un peu décontenancée maintenant. Je m’attendais pas à rencontrer quelqu’un avec qui j’aurais préféré tourner. Le sourire s’affaisse d’un coup sous la surprise, les yeux s’élargissent un peu. Elle vient vraiment de dire ça? C’est plutôt… direct. Tamsyn se contrôle de tout son être pour ne pas rougir. Elle n’arrive pas à croire qu’une actrice l’intimide comme ça. Pardon, je manque à tous mes devoirs en me laissant si facilement distraire. Allons plutôt dans ma loge pour discuter plus tranquillement. J’ai une heure devant moi avant de tourner la prochaine scène donc j’ai vraiment hâte d’en savoir plus ce qui t’amène. Tamsyn n’a même pas le temps d’ouvrir la bouche que l’actrice la mène déjà, une main dans son dos, jusqu’à la loge. C’est comme si elles se connaissaient depuis des années. Elle se contente de suivre les indications de Nelia, pas très sûre d’à partir de quand elle peut commencer à parler (depuis quand a-t-elle l’impression qu’on doit lui donner le droit de parler?). Je t’en supplie, vends moi du rêve, je suis toute ouïe.

Tamsyn se redresse, assise sur le rebord de la chaise. Elle tend sa carte à la brune, un petit sourire - qu’elle veut le plus confiant possible - sur les lèvres. Je m’appelle Tamsyn, et depuis cinq ans, je dirige High Hopes Entertainment, est-ce que tu en as entendu un peu parler? commence-t-elle, puisqu’elle n’a pas vraiment eu l’occasion de se présenter convenablement. Elle a décidé de partir sur un ton familier, puisque c’est visiblement comme ça que Nelia veut que ce soit entre elles. Tant mieux. Tamsyn déteste faire l’agent trop formel, la plupart du temps. Il se peut que j’aie entendu dire… que tu cherchais de nouveaux projets… et un nouvel agent…. dit-elle doucement, avec un petit sourire en coin. Elle ne veut pas tourner autour du pot trop longtemps : Nelia doit être occupée et elle doit elle-même retourner au bureau après ce rendez-vous. Je suis venue voir si les rumeurs étaient vraies. explique-t-elle, avant d’ajouter : Et si oui, si tu avais envie de te lancer dans une aventure qui allait changer ta vie. Elle ponctue cette déclaration très optimiste d’un petit rire. Elle reprend un air un peu plus sérieux, et demande, tout de même : Ça fait longtemps que tu veux changer d’environnement ? Tamsyn ne sait pas grand-chose de la jeune femme sur le plan personnel - elle ne sait pas si elle est arrivée là, sur ces tournages de films érotiques, par choix, par hasard ou par obligation. Elle ne sait pas d’où elle vient. Ce qu’elle sait en revanche, c’est où elles peuvent aller ensemble, et ça, c’est de loin ce qui l’intéresse le plus.