tu peux faire jaillir l'orage de tes doigts. (Aoibheann)

Il relève la tête vers le miroir comme un automatisme qui s'impose à lui contre sa propre volonté. Marionnette entre les mains de son égo surdimensionné il croise le regard de son propre reflet et aussitôt un sourire glisse sur ses lèvres, sa main à lui vient ébouriffer ses cheveux noirs. Soit toujours présentable que lui rappelle son agent en boucle depuis des années et malgré sa connerie, malgré sa méchanceté il sait obéir aux bonnes personnes Orion et son agent est définitivement une personne à laquelle il doit obéir pour poursuivre une carrière sans vague. Parce qu'il en cache beaucoup trop des cadavres dans le placard Orion, il a arrêté de les compter en remarquant qu'ils devenaient toujours un peu plus nombreux. Le problème qu'il a le jeune prétentieux c'est qu'il est incapable de résoudre ses problèmes, il préfère que les autres les résolvent à sa place c'est tellement plus simple que se salir les mains par soi-même. Il a peut-être le menton relevé et l'allure d'un fier coq ça reste une petite flippette sous bien des angles.
C'est pour ça qu'il a une cicatrice aussi moche sur le bras. Enfin plutôt qu'il a une cicatrice moche et inutile. Il a tellement flippé ce jour-là qu'il a même pas été capable d'aller jusqu'au bout de son idée. Il croque dans sa lippe à cette pensée et ferme son poing. Il le ferme si fort qu'il sent ses ongles s'enfoncer dans la chair de sa paume, petits croissants de lune marqués pour quelques minutes à peine. Une petite, infime, goutte de sang choit sur la moquette et le fait grimacer. Merde. Elle est tachée maintenant, ça se voit pas mais lui ça le contrarie parce qu'il le sait. Sa mâchoire se crispe et il secoue la tête ; son incapacité à garder le contrôle de ses émotions est un véritable problème pour lui, monsieur est colérique et déteste être contrarié.
Il a envie de prendre l'air.
Non, il en a besoin.

Comme il l'a prédit ça lui fait du bien, un peu. Il rabat la capuche de son sweat sur ses cheveux pour camoufler son identité. Il reste une personne connue, il a aucune envie de se faire accoster à tous les coins de rue. Mais c'est la fourmilière ici, personne ne semble ou ne veut le remarquer. Les gens se pressent, les gens se bousculent et lui évolue dans tout ce petit monde, attarde son regard sur quelques visages. Il aime bien, parfois, imaginer ce que les gens font de leur misérable vie. Parce que pour Orion toutes les vies sont misérables à part la sienne.
Il se dit que les gens sont inférieurs à lui.
Un rire s'échappe de sa gorge, cette pensée lui fait du bien à l'homme aux mille voix. De se dire que sa vie est belle, que sa vie vaut la peine d'être vécue comparée aux autres, Orion ne s'émeut jamais de la misère, de la tristesse des autres. Il manque complètement d'empathie mais s'en fout complètement, à quoi ça sert d'avoir un cœur à part pour se maintenir en vie ?
Lui il répond : à rien.
Et son regard se pose sur une proie. Parce que si il trouve une personne à faire chier alors forcément elle devient sa proie, d'après lui. Et là il a repéré la personne parfaite, il a repéré sa cousine. Enfin, un truc du genre parce que concrètement Orion il s'en fout complètement. Il compte pas lui dire d'ailleurs qu'elle est sa cousine parce que lui ça le fait rire. De savoir un truc sur la personne à qui il parle et que la personne elle-même ignore, ça lui donne une sorte de pouvoir dont il se délecte.
Et puis elle s'appelle comment déjà elle ? Aoiquelquechose. C'est très joli comme prénom ça, Aoiquelquechose. Il a décidé qu'à partir de maintenant c'est le prénom de sa cousine, ça et pas autre chose.
Et il décide aussi de lui foncer dedans.
C'est pour lui, c'est gratuit !

- Putain de merde, tu peux pas faire un peu attention sérieusement ? Les gens comme toi vous vous croyez vraiment tout permis, vous pensez que vous pouvez bousculer une star sans qu'il n'y ait des répercussions. Si tu veux un autographe il suffit de la demander, poupée.

Fouteur de merde, hostilités lancées.
Il fait un pas en arrière, plonge ses mains dans les poches de son sweat. Au fond de son regard brille la lueur malicieuse. Il est toxique Orion, pour lui-même mais sûrement encore plus pour son entourage. Parce que c'est un petit con, parce qu'il est méchant. Mais c'est pas un méchant armoire à glace, Orion c'est un méchant calculateur c'est encore pire, lui il aime foutre la merde dans la tête des gens, les faire douter.
Il est toxique, Orion.
Et pour l'heure c'est avec sa cousine qu'il veut s'amuser.

REPORT N°5983 (09/07/2018)
Rien à signaler. J’ai fini de suivre Monsieur Deelsir. Il s’est rendu chez sa maîtresse, comme d’habitude. Rien de suspect, donc. A part pour sa femme.
Oui, parce que désormais, Aoibheann a décidé qu’elle ferait de l’humour dans ses rapports. Seize ans qu’elle en fait un tous les jours, à la longue, ça devient compliqué de rester tout le temps sérieux. Puis si ça peut faire rire quiconque reçoit son rapport, c’est tant mieux. Si ça l’énerve, c’est encore mieux.

Elle se balade dans les rues de Néodam. Seule. Et c’est rare que ça lui arrive, ça. Parce que se balader, oui, bien sûr, parfois, quand elle est pas en train de traquer des gens ou de les dénoncer. Mais seule, c’est ça, la vraie nouveauté. Aoibheann est rarement seule. Principalement parce que personne n’a envie de la laisser seule. Aoibheann, seule, elle fait peur. Elle inquiète. Ses employeurs ont de plus en plus de mal à lui faire confiance. Mais oui, Aoibheann n’est plus une enfant, et ce n’est plus une marionnette. Elle commence à se poser des questions, et ça plait pas, du tout. Heureusement qu’elle les pose pas à voix haute, ce serait désastreux. Et pour elle, et pour ceux qui l’ont élevé. Mais surtout pour elle. Elle sait au fond, que quelque chose n’est pas clair, que quelque chose cloche. Elle sait que ce qu’on lui dit depuis l’enfance ne peut pas être que vrai. Qu’il y a des zones d’ombres à éclaircir. Des zones particulièrement douloureuses. Pourquoi, alors que les corbeaux sont censés être des monstres, Liebe est comme ça, avec elle ? Elle comprendrait s’il y avait une histoire de soulmate. Mais ce n’est même pas le cas. Et elle le sait ça, que c’est pas sa soulmate. Ca a même tendance à lui taper sur les nerfs, pour une raison qui lui est inconnue.
Donc elle marche, s’arrête parfois, regarde les gens, sans les observer, sans avoir cette arrière pensée d’avoir à rapporter ce qu’elle aura vu. Juste les regarder. Et certains semblent si heureux. Ca lui fait étrange, à Aoibheann. Parce que, c’est possible, d’être heureux comme ça ? Est-ce que ses parents étaient heureux comme ça ? Aoibheann pense que oui. Elle pense se souvenir de moments heureux, de moments de rires et de complicités entre eux deux. Même avec elle, parfois, lorsqu’elle était là. Elle a l’impression, cependant qu’il lui manque tellement de souvenirs. Comme des gros trous dans les années qu’elle a passé à leur côtés. Celles dont elle était assez grande pour se souvenir. En tout cas.

Elle s’arrête finalement face à un homme. Il sourit à sa femme. C’est un couple de personnes âgées. Enfin. De personnes plus âgées qu’elle. Ils doivent avoir une grande cinquantaine. Et peut-être que c’est l’âge qu’auraient eu ses parents. Ils s’aimeraient toujours autant s’ils étaient vivants. Aoibheann le sait. Aoibheann le sent. L’amour qu’ils ressentaient l’un pour l’autre crevait les yeux, ça, elle s’en souvient. Elle aimerait ressentir la même chose, un jour. Alors qu’elle, la seule chose à laquelle elle ait droit, c’est ce sentiment persistant, comme une sangsue, insupportable, qu’elle a pour Liebe.
Elle est réveillée de sa contemplation par un étranger qui lui fonce dedans. Et c’est désagréable. Mais Aoibheann est dans un bon jour, alors elle regarde l’homme, prête à écouter ses excuses, à les accepter, même, et à retourner à sa contemplation. Ce qui suit, cependant, la prend un peu à dépourvu. Elle hausse les sourcils, et observe attentivement le garçon qui lui parle. Il est évidemment plus jeune qu’elle, et a une tête de petit prince. Ce qui sort d’entre ses lèvres est aussi ridicule que ce qu’il porte. Et, vraiment, qui met encore des sweat avec des capuches, ici ? A part les meurtriers et les hors la loi. Ou elle, quand elle a besoin de suivre quelqu’un.
Il dit qu’il est connu, lui demande même si elle veut un autographe. Mais Aoibheann est calme, aujourd’hui. Et alors qu’un autre jour, à un autre moment, elle se serait mise à crier, à pleurer, à courir, et serait partie, aujourd’hui (peut-être de penser à ses parents), elle se sent juste bien.

Désolée, mais… Qui êtes-vous ?

Parce qu’elle sait pas, qui il est. Qu’il agresse les gens très facilement, qu’il l’agresse, elle, très facilement. Et qu’Aoibheann a grandi un peu à l’écart de tout. Si ce garçon est une star, c’est normal qu’elle ne le connaisse pas. Après tout, y’avait pas vraiment de télés, là où elle a été éduquée.

Orion il a juste pas envie. De faire des efforts et d'avoir un comportement exemplaire, non pas vraiment exemplaire mais au moins plus enclin à la société parce qu'après tout, pourquoi faire ? Pour des gens dont il se moque complètement de savoir leur vie, leur caractère et d'apprendre à les connaître c'est hors de question - il est bien dans sa solitude, il n'a besoin de personne à part d'être adulé par ses fans. Au fond peut-être bien qu'il ne veut même pas de leur amour, il veut juste leur adoration et leur respect. Parce que ça lui procure une forme de pouvoir.
C'est satisfaisant.
Il aime voir les gens s'agglutiner devant son hôtel simplement dans l'espoir de l'apercevoir, il aime voir une foule hurler son nom. Dans ces moments là il est obligé de sourire alors il se force mais ça vaut le coup. Les gens pensent qu'il est gentil, qu'il a une tête de gentil. Certains disent qu'il a une tête de con. C'est surtout son staff qui dit ça et pas n'importe qui dans le staff. Ils le savent ceux qui ont le droit de le charrier sur ça et si un petit nouveau si amuse. Hé bien il doit se trouver un autre travail dès le lendemain. Parfois il espère qu'un nouveau lui dise simplement pour le plaisir de le virer.
Il trouve ça amusant.

Comme bousculer les inconnus - pas vraiment inconnus - dans la rue. C'est pas du tout une conduite exemplaire, c'est pas comme ça que les gens sont censés se comporter en société. Mais lui il s'en fout. Orion il a envie de bousculer sa cousine qu'il connaît pas alors il la bouscule c'est comme ça qu'il réfléchit. Quand il veut un truc, il le prend. Ni plus ni moins et si les gens ne savent pas faire ça d'après lui ce n'est pas une preuve de bonne éducation mais de lâcheté. Si Orion a envie de bousculer quelqu'un il le fait, si il a envie de frapper quelqu'un il le fait, si il a envie de cracher - littéralement - sur quelqu'un alors il le fait. Et si il a envie d'être gentil, il le fait aussi.
Mais ça, ça n'arrive jamais.
Il relève le nez vers la jeune femme, incline légèrement la tête sur le côté pour l'observer en espérant que ça la gêne. Oui, il aime mettre les gens mal à l'aise parce que ça les oblige à baisser le regard. Et c'est un signe de soumission d'après lui. Sauf qu'elle lui demande qui il est. Alors elle peut pas savoir que c'est son cousin mais quand même, sa tête est affichée partout. Dès qu'un film d'animation sort son nom est inscrit presque au milieu tellement il est la star dans son domaine, tant on se vante quand il accepte un contrat - les gens viennent plus pour entendre ses voix que pour voir le film. Et elle, elle ne sait pas qui il est ?
Franchement ça l'énerve et ça le frustre. Sa langue claque contre son palais.

- Dis donc ma chérie, il t'arrive de sortir de chez toi ou t'es genre une ermite enfermée dans sa chambre ?

Toute personne normalement constituée sait qui il est. Ou peut-être qu'elle le sait mais qu'elle cherche juste à faire la grande, qu'elle veut l'emmerder un petit peu parce qu'il l'a bousculé - il dit qu'elle n'avait juste qu'à pas être au milieu de son chemin. Elle doit savoir qui il est.
Il lève la main vers elle pour la poser sur son épaule, sans son autorisation.
C'est franchement déplacé.

- J'attends toujours tes excuses.

Ou peut-être que c’est un chanteur. Y’avait pas vraiment de CDs non plus, là où elle a été éduqué. Mais il a une voix qui pourrait être celle d’un chanteur. C’est une belle voix. C’est dommage qu’il en fasse cette usage là. C’est ce que pense Aoibheann. Elle pense aussi que c’est dommage que quelqu’un de connu, que les gens apprécient, soit aussi méchant. Soit aussi désagréable. Aoibheann n’insulte jamais, parce qu’elle n’a pas été élevé dans un endroit où on lui a apprit les insultes, mais plutôt comme mettre quelqu’un au tapis en dix secondes, et comment suivre quelqu’un sans être repérée. Mais il semble être un garçon méchant, imbu de lui même. Et ces gens là ont le don d’énerver les gens en général. Pas Aoibheann. Aoibheann s’en fout.
Il semble être heureux de sa célébrité, et elle semble le rendre fier. C’est pour cette raison qu’elle s’excuse avant de lui demander qui il est. Elle a peur, et à raison, qu’il le prenne mal. Après tout, si elle était connue, vraiment connue, comme il prétend l’être, est-ce qu’elle aimerait que quelqu’un ne la reconnaisse pas ? La réponse est vite vue. Aoibheann détesterait ça, être connue. Elle détesterait que quelqu’un ose intervenir dans sa vie sans y être invité. Elle détesterait avoir sa photo placardée partout, quand déjà, elle a du mal à se regarder dans un miroir.
Il est énervé, ça ne l’étonne pas, lorsqu’il se rend compte qu’elle ne sait pas qui il est. Sa langue claque contre son palais, et c’est un bruit particulièrement désagréable. Son formateur faisait ça, souvent, lorsqu’elle faisait quelque chose de mal, ou lorsqu’elle se trompait. Puis, suivaient souvent plusieurs coups bien placés, ou plusieurs humiliations psychologiques qu’elle préférerait oublier. De toute façon, au final, c’était pour son bien, pour qu’elle puisse venger ses parents. Elle a un léger mouvement de recul lorsqu’il claque la langue, elle aime pas ça. Mais reste calme, finalement. Elle croise ses mains devant elle, laissant les bras tomber jusqu’à ce que ses doigts s’entrelacent, et elle continue de le regarder alors qu’il se remet à parler.
Sa méchanceté est fascinante, presque. Son arrogance est digne de son rang de célébrité. Et ça la fait se demander, Aoibheann, si tous les gens célèbres sont aussi arrogants et méchants que lui. S’ils se prennent tous autant pour les meilleurs, et regardent tous les autres de haut.
Elle aimerait que ce ne soit pas le cas. Elle aimerait qu’il ne soit qu’un cas isolé. Le monde mérite probablement mieux que ça.

Lorsqu’il la touche, c’est son corps entier qui se tend. Elle déteste ça. Le contact humain. Celui de Liebe est le seul qu’elle apprécie, et ceux de ses entraîneurs sont les seuls qu’elle supporte. Alors Aoibheann, toujours calme, attend juste la fin de sa phrase (et qui saura où elle a trouvé la force d’attendre jusqu’à là), avant de prendre sa main, de la sécuriser, et de mettre son autre main en oeuvre pour qu’il finisse par terre. Elle se recule, s’éloigne de lui, rapidement. Il y a trois quatre mètres en eux désormais. Aoibheann est toujours superbement calme, c’est effrayant pour quelqu’un qui ne la connaît pas. Elle fixe juste le jeune face à elle et attend. Ouvre la bouche finalement, après une seconde.

Excusez-moi.

Là, au moins, elle a une raison de s’excuser, vraiment. Aoibheann n’y peut rien. Elle ressent le moindre contact comme une agression. Et elle déteste se faire agresser.