(#1) lishua + a gentle thunderstorm

Elle devrait pas être dans un bar.
Non, Lila devrait être chez elle, dans son lit, bien au chaud, en train de récupérer de sa semaine de merde. Au lieu de venir ici, elle aurait dû filer chez elle après son service au Lunar Dome, s’étaler devant un film pourri et manger quelque chose de sain. Le pire, c’est qu’elle avait vraiment envie de rentrer chez elle. Elle avait même prévenu Remi qu’elle ne bougeait pas ce soir, et que peut-être, elles pourraient prévoir de manger ensemble, pour une fois, vu que sa colocataire est en vacances avant la reprise des entraînements, et qu’elle avait enfin un soir de libre. Mais Lila est une pauvre égoïste, et elle n’a même pas prévenu son amie qu’elle avait finalement pris le chemin d’un bar au lieu de celui de la maison. A vrai dire, Lila ignore complètement son portable, rangé au fin fond de son sac, à ses pieds. Il pourrait être volé qu’elle ne s’en rendrait même pas compte - peut-être même qu’elle s’en foutrait, pour tout dire.
Ce soir, Lila se fiche un peu de tout. Elle a juste envie de boire, de parler avec des inconnus et de danser, si possible. Elle n’exclut même pas de ne pas dormir dans son lit ce soir. Tant pis pour la fatigue accumulée, et franchement, tant pis pour sa santé. C’est pas comme si elle en avait quelque chose à faire, finalement.
Peut-être que si l’un de ses clients n’avait pas autant ressemblé à Lys, aujourd’hui, elle serait restée dans le droit chemin. Ça l’a stoppée net, pendant son service, l’a poussée à faire des erreurs qu’elle n’aurait jamais commises normalement. Et depuis que le gamin est reparti avec sa famille, aux alentours de quinze heures, elle a été incapable de penser à quoi que ce soit d’autre. Alors l’alcool lui a semblé être la meilleure solution, après des heures de tourmente. Ça vaut peut-être mieux pour Remi, au final, qu’elle ne soit pas rentrée : elle aurait été de très mauvaise compagnie de toute manière.
C’est quoi ce cocktail? C’est mortel! Lila a pris deux gorgées à la paille, et franchement, elle n’a jamais rien goûté d’aussi bon. Ça fait huit mois qu’elle est là, maintenant, mais il y a toujours des goûts qu’elle découvre. Des plantes, des fruits, des légumes qui ne poussent pas sur Néphède et dont le destin a fait don à Altea. Poire, pomme, gingembre, citron vert. Elle hausse les sourcils. Vous êtes en train de me dire que y’a pas d’alcool dedans? Le serveur la regarde, pince les lèvres. J’ai voulu feinter. Vous avez beaucoup bu, déjà, jeune fille. Lila repousse le verre, avec une moue énervée. J’en veux pas, alors. Servez-moi autre chose, j’aime pas les entourloupeurs. Il soupire, finit d’essuyer un verre, et lui sert un nouveau martini. Lila balaie la pièce du regard, plisse les yeux. Personne d’envisageable. Soirée de merde.
De nouvelles silhouettes entrent dans le bar, trouvant refuge à la pluie battante de l’extérieur. C’est rare, la pluie, à Altea. Lila a appris ça, depuis son arrivée. Elle a peut-être vu deux jours de pluie, depuis le début - pas plus. Parfois, cet endroit semble être à la limite du paradis sur terre dont parlent les livres qu’elle lisait quand elle était ado. Et puis, derrière des mèches noires mouillées, elle reconnaît un visage. Eh, toi! appelle-t-elle Théo, qui se débarrasse de sa veste trempée. Elle se lève, son verre à la main, se rapproche de lui - un peu trop près - et plisse les yeux, encore. C’est bien toi! Qu’est-ce que tu fous là? Tu devrais pas faire des trucs de… Elle claque des doigts, cherchant son mot. ....des trucs de racaille? Elle lui fout une claque dans le dos. Allez viens mon gars, j’te paye un verre! J’ai pas d’argent, mais je suis quelqu'un de profondément généreux quand même.

Joshua était censé rentrer directement après sa ronde à l’hosto. Après tout, ils s’étaient arrangés, avec Yohan, pour se voir ce soir, et passer la nuit ensemble. Et ces moments sont beaucoup trop rares pour que Joshua prenne le risque de passer à côté. Mais il devait faire cette ronde, et il l’a prévenu par texto. Lorsque Yohan lui a dit qu’il comprenait, que de toute façon, il l’attendait à l’appart, Joshua s’est senti étrangement heureux. Comme s’il avait l’impression que sa femme l’attendait à la maison après une dure journée de travail. Et ce qu’il aimerait que ce ressenti reste, longtemps. Le plus longtemps possible. Il regrette pas d’avoir retenté sa chance avec Yohan. Il aurait regretté de pas le faire. Parce qu’ils sont eux, et que rien ne peut réellement les séparer pour toujours. Ils seront toujours attirés l’un à l’autre comme deux aimants. Comme deux amants. Et même les Eliott et autres soulmates pourront pas leur enlever ça. Joshua en est persuadé. Et cette nouvelle tentative semble fonctionner, pour l’instant. Alors à quoi bon être défaitiste. Si ce n’était pas le cas quelques semaines après son anniversaire, aujourd’hui Joshua s’autorise à espérer, réellement. Qu’avec Yohan, ça puisse durer, si possible jusqu’à leur mort. Que ça puisse en tout cas durer assez pour qu’Eliott sorte définitivement du paysage, et la soulmate inconnue de Joshua par la même occasion. Parce qu’il en veut pas, de cette soulmate, il en a pas besoin. Il a besoin que de Yohan. Et il sait parfaitement se convaincre que c’est réciproque. Même si, vraiment, c’est pas le cas. Il fait comme si ça l’était. Parce que pour une fois, pour une seule fois, dans toute sa vie, Joshua a pas envie d’être factuel. Il a envie d’écouter son coeur avant sa tête. Et son coeur lui dit que l’un l’autre sont tout ce qu’ils ont besoin pour survivre à tout ça. Au destin qu’a toujours voulu leur jouer des tours affreusement tordus pour les séparer. Joshua veut réfuter ça. Joshua veut absolument dire au destin d’aller faire chier d’autres couples, bien moins heureux qu’eux deux. Ils méritent le bonheur, ensemble.
Mais outre le destin, la température semble pas être d’accord avec leur relation non plus. Ou en tout cas, pas avec leur plan de ce soir. La pluie dehors le force à se rabattre avec quelques personnes, dans le bar le plus proche. Il aurait probablement pu foncer en courant à son appartement, mais il n’y aura personne d’autre que lui, dans les rues. Et avec les créatures du type qu’il a vu avec Yohan la dernière fois, qui trainent dans les rues, il se sent pas assez courageux pour se lancer dans un Altéa solitaire. Il sort son téléphone pour la deuxième fois de la soirée, et envoie de nouveau un message à l’homme de sa vie. Il lui explique rapidement la situation, c’est conci. Il arrivera quand la pluie se sera calmé. Et rapidement. Parce qu’il a envie de retrouver la chaleur de ses bras et le confort de ses baisers. Il l’écrit, ça aussi. Pour lui montrer que c’est pas juste du retard, que c’est malgré lui. Que si c’était sa décision, il serait déjà avec lui depuis trois heures.
A peine est-il rentré dans le bar, et a t-il rangé son téléphone qu’une voix féminine l’interpelle. Et lorsqu’il se tourne vers la propriétaire de la voix, il fronce un peu les sourcils. Il a vu cette fille, déjà. Et s’il se souvient pas d’où, au début, il se rappelle vite la photo sur le dossier patient de son collègue, à l’hôpital. C’est cette fameuse fille, qui a une maladie qu’aucun docteur ne peut soigner. Son cas le fascine, Joshua, mais personne n’a encore pensé à lui demander son avis. Alors il est pas encore intervenu. Il s’approche d’elle, parce que, pourquoi pas, il a du temps à tuer. Et plus il s’approche, plus il se dit qu’il l’a aussi vu, genre. Vu. En vrai. Pense à une jumelle cosmique, peut-être. Ou à un différent monde. Parce qu’il l’a vu à travers les yeux de Scar. Et que ce jour là, un des rares jours de sa vie où il n’était pas en couple avec Yohan, il se souvient de l’avoir trouvé jolie. C’est toujours le cas. Mais aujourd’hui, ça signifie plus rien. Parce que Yohan est de retour dans sa vie, et qu’il a toujours été dans son coeur. Et que le fait qu’il trouve quelqu’un joli n’a plus aucun impact sur lui, désormais. Elle s’est levée aussi. Et s’est approchée de lui. Il devrait probablement se souvenir de son prénom, il était juste en dessous de la photo, sur le dossier de l’hôpital. Mais il a probablement pas pris le temps de le lire, réellement. Quand à la fille du corps de Scar, Joshua a un vague souvenir d’une Lila. Mais il n’en est pas sûr, et refuse de dire des bêtises.
Et lorsqu’elle se met à parler, Joshua soulève un sourcil. Lui ? Faire des trucs de racailles ? Puis, elle lui parle comme si elle le connaissait. Ils se connaissent pas. Enfin. Pas directement, en tout cas. Joshua est pas con, et il lui faut quelques secondes pour mettre A et B ensemble. Ou alors elle est très bourrée. Ou alors il y a quelqu’un dans les environs qui lui ressemble comme deux gouttes d’eaux. Joshua pensait pas avoir un jumeau cosmique. Et ça l’arrangeait bien. Mais en tout sincérité, il n’y porte pas grand grand intérêt. Outre que ça explique pas mal de choses sur des notes de magasins dans lesquels il n’a jamais été. Elle continue de parler, de lui parler comme si elle parlait à une vieille connaissance, et ça le fait sourire Joshua.
Il a du temps à perdre, dans ce bar, à attendre que la pluie cesse pour pouvoir rejoindre son homme. Alors pourquoi pas ?
"Trop aimable." Le ton de sa voix est presque ironique, à la limite du sarcasme. Déjà parce que Joshua est pas la personne à qui elle pense parler, et il trouve ça amusant, dans la limite du raisonnable. Puis aussi parce que cette fille est malade. Et qu’elle semble être fortement alcoolisée. C’est inconscient de sa part. Et ça rend Joshua cynique. Gâcher le travail de ses collègues en noyant ses problèmes dans l’alcool. Joshua réfléchit pas encore au fait que c’est pas comme lui, de réagir comme ça, sarcastiquement. C’est pas comme lui de réagir tout court, d’ailleurs.
Lorsque son portable vibre dans sa poche, avec la réponse de Yohan, il l’ignore et prend le verre qu’on lui tend, qu’il boit doucement, sans quitter la jeune femme des yeux.

Elle l’entraîne sans grande élégance vers le bar, est à deux doigts de l’appeler bonhomme à cause de l’alcool. "Trop aimable." Elle commande un verre pour lui au barman, et celui-ci s’empresse de le servir. Bien sûr, j’suis toujours aimable. Tu sais qu’on me surnommait le petit ange quand j’étais à la fac? dit-elle en ricanant un peu. Comme si. On l’appelait Kang bitch et bordel, elle l’avait pas volé ce surnom. Elle boit son martini un peu trop vite, pense déjà à en recommander un autre (elle ne les compte plus, à ce stade de la soirée). Tu m’as répondu, qu’est-ce que tu fous là? demande-t-elle une nouvelle fois - étrange qu’elle ne perde pas complètement le nord malgré son degré d’alcoolémie. C’est un bar un peu chic, ça te va pas trop, ce genre d’endroit, nan? T’es plutôt un r at des pavés, nan? Il va peut-être mal le prendre. Mais franchement, elle en a un peu rien à foutre. Elle sait pas beaucoup de choses de lui, mais elle sait qu’il est chez les Nulls depuis un petit moment, et qu’il y a l’air super à l’aise, alors il doit faire ça depuis un moment. Elle l’imagine mal être un petit gars de bonne famille qui a décidé de se réorienter. Bien que la tenue qu’il porte ce soir laisse à penser le contraire. Bordel, mais c’est quoi ces fringues? Elle attrape le revers de sa veste de costume, tâte le tissu à motifs à l’intérieur. C’est douuuux. Mais ça doit coûter une blinde. évalue-t-elle en approchant ses yeux du tissu, beaucoup trop près, à quelques centimètres du torse de Théo. Puis elle se redresse un peu. Quelque chose me dit que soit t’essayais d’entourlouper quelqu’un en t’habillant comme un prince, soit tu sors d’un date. Je parie sur la première option. Elle se rapproche un peu, son index relevé comme un expert de la question. Pas que tu sois dégeu, hein, tu sais. T’es plutôt pas mal dans ton genre - même si tu serais mieux avec des lunettes, c’est un avis personnel, t’en fais ce que tu veux. Mais bon je te vois pas aller à des dates. T’es plutôt le genre à pas t’attacher, nan? Puis elle recule un peu, se marre toute seule en se rendant compte de tout ce qu’elle est en train de dire. Eh beh. Miss Kang, reine de la psychanalyse. Ces années à étudier la psychologie à la fac ont peut-être servi à quelque chose, finalement. Enfin bon, c’est mort pour le diplôme, mais bon. Elle lâche un rire jaune, et finit son martini cul sec. Allez, un autre, monsieur le gentil barman, et vous mettez de l’alcool dedans sinon j’passe derrière le bar et j’m’en fais un moi-même, j’ai été un peu barman vous savez, moi ça me connaît les cocktails. Même si vous avez des putains de fruits bizarres ici. Elle croque dans l’olive. Bon, tu parles ou j’vais être de combler pour deux? Ça me saoule, les gens qui parlent pas. lâche-t-elle, incapable d’avoir le moindre filtre avec le nombre de verres qu’elle a enchaîné. Elle le toise, le regard plein de jugement, passe sa tenue au crible de ses yeux noirs, en machouillant son cure-dents. Il est envisageable. Vraiment envisageable. Mais si elle doit ramener quelqu’un ce soir, ce sera certainement pas Théo. Ce serait pas professionnel, et puis elle l’aime pas vraiment, ce gars - elle aime que son physique. Si seulement il pouvait garder ce corps mais changer complètement à l’intérieur… Ce serait parfait. Peut-être que si elle lui tape la tête contre un mur, ça changera sa personnalité ? Non. C’est une mauvaise idée. Une idée de meuf bourrée avec de tous petits problèmes d’impulsivité.

Il devrait probablement regarder la réponse de Yohan. Ce serait ce qu’un petit ami raisonnable devrait faire. Et ce serait ce qu’aurait fait Joshua s’il avait pas été aussi amusé par la situation. Joshua est souvent raisonnable. Parfois trop souvent. Et il lui arrive, parfois, de trouver le temps long, à l’être trop. Sa conscience reprend toujours le dessus, dès qu’il commence à dérailler, ou à ne serait-ce que penser à faire quelque chose qui pourrait lui nuir. Lui ou ses proches. Le barman lui sert un verre, et Joshua se retrouve face à un verre bien plus alcoolisé que ce qu’il a l’habitude de boire. Si elle l’avait laissé choisir, il aurait probablement juste pris un soda, ou un jus de fruit. Mais elle lui a pas demandé son avis. Ce qui semble logique, si elle connaît la personne à qui elle pense parler. Puis Joshua est curieux. De savoir à qui, elle pense parler. Parce qu’il est pas con. Ou alors elle le confond avec quelqu’un qui lui ressemble, ou alors elle est vraiment, mais vraiment trop bourrée, et le prend lui comme elle aurait pu prendre un homme de cinquante ans pour quelqu’un d’autre, ou alors elle connaît réellement quelqu’un qui lui ressemble comme deux gouttes d’eaux. Et dans ce cas là, ou alors il a un sosie, quelque part sur Altéa. Ou un jumeau cosmique. Il a apprit que ça existait grâce à Gali, les jumeaux. Et Oskar. Et c’était la rencontre la plus gênante qu’il lui ait été donné de faire. Aujourd’hui encore, il essaye de l’oublier, souvent. Et Gali lui rappelle, tout le temps. Il a jamais pensé que peut-être que lui aussi, il en avait un, de jumeau cosmique. Mais ça pourrait être intéressant. De découvrir un autre monde, que celui dans lequel il évolue. De découvrir une autre vie que la sienne. Joshua est habitué aux vies de son cluster, maintenant il en veut plus. Et quoi de mieux qu’un jumeau cosmique, pour ça. Mais après tout. Joshua sait qu’il aurait été tout aussi heureux sans cluster, et sans jumeau cosmique (si tant est-il qu’il en a réellement un). Joshua a jamais demandé plus que ce qu’il n’avait. Joshua a toujours eu plus que ce qu’il ne voulait. Et l’ironie, c’est que ce qu’il veut réellement, y’a toujours quelqu’un aux alentours qui veut le lui enlever. C’est frustrant. C’est ce qui lui permet de trouver une raison de se battre un peu, tout les jours. C’est plutôt positif, du coup. Sauf pour Yohan. Mais avec Yohan, tout est différent. Y’a pas de comparaisons possibles. Il finit par sortir légèrement le portable de la poche de son jean, et de regarder la prévisualisation du texto. Parce qu’il le doit. Parce que c’est Yohan, finalement, et que rien n’est plus important que lui. Le texto, lui en revanche, est pas hyper intéressant. Il lui dit juste qu’il sait qu’il pleut, qu’il peut l’attendre. Et c’est genre, bien. Joshua est content de lire ça, mais s’attendait pas non plus à lire autre chose. La voix de la fille le fait relever les yeux vers elle. Et son visage. Et il lève presque les yeux au ciel en entendant ce qu’elle lui dit. Lâche presque un rire qui pourrait se vouloir dédaigneux. Parce que, ouais, bien sûr. Elle a le visage d’un ange, sans aucun doute. Mais le comportement ? Elle en est loin aujourd’hui, et il a aucun doute sur le fait qu’elle en était loin à l’époque, aussi. Après tout, il se souvient, de lorsqu’il l’avait vu, à travers les yeux de Scar. Et elle se souvient qu’à l’époque non plus, c’était pas un petit ange. Mais il réagit pas, parce que c’est Joshua. Il prend juste le verre et boit une gorgée. Et c’est fort. Vraiment fort. Mais l’alcool passe dans sa gorge, et brûle un peu. C’est pas bien grave. Elle se remet à parler, et plus elle parle, plus Joshua est intéressé par ce qu’elle dit. Et pourtant, ça ressemble vraiment aux paroles d’une personne bourrée. Qu’est-ce qu’il fout là ? Et il peut pas vraiment lui dire qu’il revient de l’hosto et qu’il va voir son mec. Elle le prend pour quelqu’un d’autre. Puis même si c’était pas le cas, Joshua est pas connu pour raconter sa vie aux étrangers. Un rat des pavés, ensuite. Et Joshua hausse très légèrement un sourcil. Son sosie, jumeau cosmique doit être un sacré raté. Il s’en fout, Joshua, au moins, s’il doit découvrir sa vie, il est persuadé qu’elle sera diamétralement opposée à la sienne. Elle parle des habits de Joshua, ensuite. Et forcément, si la personne pour qui elle le prend est un “rat des pavés”, y’a aucune chance pour qu’il s’habille avec cette qualité là. Joshua pourrait sentir un élan de supériorité, mais il le dira à personne. Elle est proche de lui. Et c’est juste étrange. Pas désagréable, comme ça pourrait l’être avec un parfait étranger, mais juste bizarre. Probablement exactement parce qu’il a pas envie de l’envoyer chier. Il a juste envie qu’elle se recule. Il observe les gars de l’hosto qui sont arrivés avec lui alors que son attention à elle est sur sa chemise, et ils lui font tous des signes de gros beaufs. Ils savent pas, pour Yohan et lui. Et dans la situation dans laquelle il se trouve, c’est peut-être mieux comme ça. Puis elle continue ses réflexions, parle de lunettes. Et Joshua retient un sourire, parce qu’il en porte, parfois, quand il a eu une longue journée d’ordonnances à rédiger. Pas s’attacher, ensuite. Si elle savait. Il est tombé une seule fois amoureux depuis le début de sa vie. Si ça, c’est pas s’attacher.
Elle redemande un verre. Et c’est juste pas raisonnable. Joshua note dans un coin de son esprit, qu’il devra en parler à son médecin traitant demain. Parce qu’il doit avoir une sérieuse discussion avec elle. Ok, son pronostic vital est enclenché, d’accord. Mais de là à vouloir absolument raccourcir son espérance de vie, c’est pas forcément intelligent. Il prend de nouveau son verre pour avaler deux gorgées du cocktail avant tourner son visage vers elle. Visage très Joshua. Lèvres droites, yeux ennuyés, et une profonde envie évidente d’être n’importe où, sauf à l’endroit précis où il se trouve. Et pourtant, au fond de son regard, y’a cette lueur, un peu amusée. Qui peut être visible, si on cherche bien. “T”as l’air de t’amuser à combler le vide. J’voudrais pas te priver de ça.” Il s’amuse Joshua. Il a l’impression d’être dans une séance de tac au tac avec une gamine de dix ans. Et alors qu’il devrait trouver ça ennuyeux à mourir, et pas même s’y intéresser, du tout. Il trouve ça jouissif.

Elle avait pas le souvenir que Théo parlait si peu. Franchement, elle trouve ça extrêmement frustrant. Si elle avait su, elle serait peut-être restée seule au bar. C’est épuisant, de faire la conversation pour deux (ou d’avoir l’impression qu’elle doit le faire). Azalea déteste les blancs. Il faut toujours qu’elle les comble, pour pas se sentir mal. C’est pas tellement qu’elle a peur que les autres s’ennuient : ça, elle n’en a pas grand-chose à faire, c’est pas de sa faute, s’ils ne sont pas fun. C’est plus pour elle, qu’elle parle trop : ça lui évite d’avoir à penser, à trop réfléchir aux choses qui la tracassent. Le diagnostic du médecin, sa famille restée à Néphède, Lava, Cliff. Elle déteste quand les gens lisent ses doutes, ses hontes et ses chagrins sur son visage. Elle n’a pas de mal à montrer ses joies et ses colères - mais le reste, elle préfère les noyer dans des discussions vides de sens pour que les gens ne se concentrent pas sur la lueur dans ses yeux qui la rend faible. Parce que c’est ça, le problème : Azalea déteste être faible. Il faut toujours qu’elle ait l’ascendant, qu’elle contrôle les situations, qu’elle impressionne, qu’elle inspire le respect. Elle sait très bien qu’à partir du moment où elle perd ça, elle n’est plus rien. Elle n’a plus aucun intérêt pour les autres. Mieux vaut être détestée qu’oubliée ou prise en pitié.
Alors oui, si Théo continue à se taire, elle va partir. Parce qu’elle n’aura pas l’énergie de prétendre avoir des choses à dire pendant des heures, et elle n’a aucune envie que l’alcool qu’elle a ingéré finissent par atteindre ses nerfs à vif et par faire ressortir ses faiblesses, les trucs que Théo ne doit pas voir. Elle a réussi à se faire une petite réputation, au Deck. On sait qu’il faut pas trop l’emmerder, et elle a bien l’intention de garder cette réputation-là. Pas question que Théo vienne tout casser parce qu’elle l’a croisé un soir, complètement bourrée et beaucoup trop à fleur de peau.

T’as l’air de t’amuser à combler le vide. J’voudrais pas te priver de ça. Elle hausse les sourcils, le regarde d’un air mauvais. Elle apprécie pas beaucoup cette remarque. Elle apprécie pas non plus qu’il se moque d’elle. Tssk. Elle finit par détourner le regard pour observer les photos derrière le bar - ou plutôt pour faire mine de les observer. Je vois. Elle hausse les épaules, vexée. J’essayais juste d’être sympa. Mais écoute, très bien. Elle soupire, visiblement exaspérée. On est pas obligés de se parler hein. Tu peux retourner avec tes potes. Azalea se sent comme une conne, de lui avoir sauté dessus à son arrivée dans le bar. Il avait visiblement pas vraiment envie de la voir, ni envie de lui parler. On dirait qu’elle n’apprend jamais de ses erreurs. Elle cesse complètement de le regarder, joue à faire tourner le pied de son verre entre ses doigts. Puis elle finit par le boire cul-sec, par déposer des stellars sur le comptoir et descendre de son tabouret. Elle va trouver un autre bar où elle ne se sera pas ridiculisée.  
Allez, j’ai une clope à aller fumer. Bye. dit-elle, ponctuant ses paroles d’un petit salut militaire. Maintenant qu’elle est debout, tout est un peu flou, et elle marche sur une ligne qui zig-zag un peu. Mais pas grave, la porte n’est pas loin, et dehors, dehors elle trouvera son chemin. Elle n’a pas les moyens de se payer un taxi, elle rentrera à pied.

Avec un peu de chance, Théo oubliera qu’ils se sont croisés, après quelques verres avec ses potes. Ce serait mieux. Azalea n’aurait même pas dû essayer d’engager la conversation. Pourquoi essayer de se faire des amis, de toute manière ? Elle n’est pas d’ici : ce qu’elle sert aux autres n’est qu’un tissu de mensonges, et se rapprocher des gens rend la cohérence des mensonges compliquée. Et puis, à quoi bon ? Si on en croit l’hôpital, elle sera six pieds sous terre d’ici quelques mois - y’a rien à entamer, rien à construire avec les habitants de ce monde maudit.
Et puis elle n’a jamais eu beaucoup d’amis, de toute manière. La plupart des gens prétendaient être ses amis parce qu’elle était populaire, véritable queen bee au lycée et à l’université. Ici, elle n’est même pas populaire, juste… invisible. Qui voudrait être son ami ? Il y a Remi, bien sûr. Mais Remi n’est pas vraiment son amie : elles ne se sont pas choisies, elles se sont juste trouvées à habiter ensemble. La seule personne qui lui ait donné l’impression de l’avoir choisie au moins un peu, c’était Cliff. Et pourtant, ils se sont fait plus de mal qu’autre chose. Elle n’était même pas une bonne chose dans la vie de la seule personne qui lui ait montré une véritable affection. C’est une véritable malédiction.

Joshua a l’impression d’être un chat, face à une souris. Une souris qui s’amuse parce qu’elle sait pas que la personne face à elle est un chat. Dans leur cas, à eux, c’est plutôt une bonne comparaison. Pas que Joshua ait envie de la bouffer ou quoi, le cannibalisme, très peu pour lui. Mais il connaît cette fille, via le médecin qui la suit. Et il sait que dès demain, il ira le voir, et lui balancer que sa patiente “mystère” se bourre la gueule le soir, dans des bars. Qu’il l’y a vu, et que vu l’habitude avec laquelle elle s’y comporte, c’est très probablement pas la première fois. Il a pas envie de la mettre dans la merde, pas particulièrement. Il fait juste bien son job. Et si c’était l’inverse, si c’était un de ses patients à lui, qui se bourrait la gueule, il aimerait bien aussi que quelqu’un le prévienne. Cette fille, il la comprend pas. Est-ce qu’elle est si pressée que ça de mourir ? Est-ce qu’elle a pas au moins envie d’attendre un peu, pour vérifier qu’il y a vraiment aucun traitement ? Ils sont tous en train de bosser dessus, à l’hosto. Même Joshua, parfois, met son grain de sel. En général pour finir par faire une découverte énorme, mais pas suffisante. Alors ouais, les médecins qui la suivent ont pas été ouf classes quand ils lui ont dit qu’elle allait mourir, parce qu’ils savaient pas ce qu’elle avait mais que ça paraissait grave. Ok. Joshua était pas présent, mais il en a entendu parler, plus tard, et il aurait définitivement fait les choses autrement. Ceci dit, c’est pas une raison pour elle de tout laisser tomber comme ça. Joshua l’arrête pas, déjà parce que ça le dénoncerait probablement, lui, et sa qualité de médecin. Puis aussi parce qu’après tout, c’est pas directement ses affaires. Ni son problème. Si cette fille veut s’intoxiquer à en crever, grand bien lui fasse, c’est certainement pas Joshua qui va l’arrêter.
Elle parle beaucoup, et Joshua écoute d’une oreille. Mais elle parle, genre, vraiment, beaucoup. A un point que ça ferait sourire n’importe qui. Parce que ça va de digression en digression, et que c’est hilarant, au bout d’un temps, à écouter. Joshua est pas du genre à exploser de rire, alors il sourit juste, et lui répond une phrase qu’il considère bienvenue. Il s’amuse. Il recueille toutes les infos qu’il peut, comme ça, il pourrait en donner à son collègue demain. Et il insistera pour être là caché lors de leur prochain rendez-vous. Juste pour le plaisir de voir cette fille se faire remonter les bretelles à la “Vous devriez pas boire” “Vous devriez vous reposer”. La fille se vexe, à sa réponse. Et c’est amusant à voir. De l’imaginer si rapidement et si facilement vexé. C’est pourtant pas méchant, ce qu’il a dit. Il lui a juste dit ce qui lui semblait être une réalité. En effet, elle a l’air d’aimer ça, combler le silence, parler d’elle-même. Et c’est pas un problème, Joshua a toujours été de ceux qui préféraient écouter que de parler. Sauf à Remi, Remi est une exception. Il finit même pas hausser les sourcils lorsqu’elle lui dit de retourner avec ses potes. Il a toujours un sourire un peu cocky aux lèvres. Et il devrait probablement pas s’amuser autant. Il devrait probablement pas apprécier autant cette conversation sans queue ni tête ni but précis. Outre que celui de balancer toutes ses bêtises à son médecin demain. Elle finit même par prendre tellement la mouche qu’elle paye le verre et descend de son tabouret haut. Elle va s’en aller. C’est dommage. Puis il pleut toujours dehors. Manquerait plus qu’elle ne choppe une pneumonie en plus de sa maladie inconnue. Lorsqu’elle se remet à parler, Joshua arrive pas à retenir le rire qui sort naturellement d’entre ses lèvres. Parce que, sérieux ? Fumer now ? Il se lève aussi, finalement, et avance d’un pas rapide pour se placer devant elle. Il fronce un peu les sourcils, le smile toujours un peu à demi, collé sur le visage. “Sérieux ? T’allumeras jamais quoique ce soit sous une pluie comme celle-ci. Et tu risques de tomber malade.” Il s’en fout, un peu, Joshua. Après tout, elle est qu’une inconnue. Mais en tant que médecin, il a le devoir de la prévenir des risques qu’elle prend en sortant sous un temps pareil. D’autant plus qu’il faut savoir être honnête, elle est pas super couverte. Et ce serait juste bête qu’elle se choppe la crève juste parce que Joshua a été incapable de tenir une conversation. “Tu veux qu’on parle ? Parlons. Pourquoi tu bois comme ça ? T’as des trucs à oublier ?” C’est dangereux ce qu’il fait. Parce que si ça se trouve, cette personne pour qui elle le prend, c’est quelqu’un qui la connaît assez bien pour qu’il sache, tout ça, déjà. D’un autre côté, Joshua aime à penser que c’est pas le cas. Parce que si elle le connaissait si bien que ça, elle aurait déjà compris que c’était pas à lui, qu’elle était en train de parler. Il s’assoit finalement à la table juste à côté de lui, et propose d’un geste de la main la place face à lui, à la jeune femme. Il partira lorsqu’il fera meilleur. Et il ira rejoindre Yohan. Il a envie de le voir. Il lui manque.

Elle commence à fouiller ses poches à la recherche de son paquet de cigarettes. Bordel, où est-ce qu’elle les a foutues ? Le sol tangue toujours un peu devant elle, et elle ne reconnaît pas tout de suite la silhouette qui se dresse sur son chemin. Sérieux ? T’allumeras jamais quoique ce soit sous une pluie comme celle-ci. Et tu risques de tomber malade. Elle fronce les sourcils, reconnaît Théo, et se met à rire. Tomber malade. Ça la fait rire. S’il savait. Qu’elle tombe un peu plus malade qu’elle l’est déjà, ça changera rien à l’issue : ça changera juste la date de l’inévitable. Son esprit est embrumé, mais pas au point de le balancer à tort et à travers, qu’elle est déjà malade. Manquerait plus que Théo ramène l’information aux nulls, et qu’ils la virent. Hors de question qu’elle passe ses derniers mois dans la rue, plutôt que dans le confort de l’appartement qu’elle partage avec Remi. Et puis qu’est-ce qu’elle va faire, si elle travaille pas ? Elle ne peut pas rester désoeuvrée. Il vaut mieux travailler pour les nulls que ne pas travailler du tout. Ils pourraient aussi lui demander, pour rembourser sa dette plus vite, de devenir prostituée, et ça, c’est hors de question. Elle se traînera entre les tables des cercles de jeux jusqu’à son dernier jour plutôt que laisser son corps à de vieux mecs chelous. Et puis elle saurait même plus comment s’y prendre. Ça fait longtemps qu’elle a pas donné son corps tout court, quand bien même elle prétend le contraire à qui veut bien l’entendre. Et c’est pas comme si ses expériences avec Cliff avaient été très enrichissantes et agréables.
Tu veux qu’on parle ? Parlons. Pourquoi tu bois comme ça ? T’as des trucs à oublier ? Théo. Il est là, c’est vrai. C’est surprenant, qu’il l’ait arrêtée. Il aurait pu retourner avec ses potes. Mais non. Azalea n’est pas assez bête pour croire que c’est parce qu’il voulait la protéger du temps pourri à l’extérieur. Il pense sûrement aux intérêt des nulls : ils peuvent pas se permettre de se passer d’une serveuse en ce moment : ils ont beaucoup de monde depuis quelques semaines. Azalea aimerait bien lui dire d’aller se faire foutre mais le sol commence à trop tanguer, et malgré elle, elle prend place en face de lui à la table, dans l’espoir que le monde cesse de tourner autour d’elle. Je bois, mon cher ami… Elle soupire. Parce que c’est cool, de boire. Elle a levé son index, comme si elle s’apprêtait à lister des choses.
En fait, ouais, c’est bien ça. Elle va lister des choses.
Je bois parce que ma coloc Remi gagne beaucoup plus d’argent que moi alors qu’elle a un boulot et que moi j’en ai trois, et que je trouve ça super injuste. Elle ramène ses mèches de cheveux derrière ses oreilles, inspire un bon coup comme pour stabiliser son organisme, parce qu’elle est un peu dans le mal, et continue. Je bois parce que ma famille s’est perdue dans la nature et que même si je les détestais, je les aimais bien quand même. Elle a dit ça sans ciller, alors qu’elle parle jamais de sa famille. Elle déglutit avec difficulté, elle se sent encore un peu plus mal. Je bois parce que je me suis renversée du café brûlant sur la jambe ce matin et que ça fait SUPER MAL. Elle grimace. Quand elle passe la main sur son mollet, elle a toujours la peau ultra-sensible, malgré l’eau froide qu’elle a passé pendant trois heures. Je bois parce que si ma vie avait été normale je serais en train de fêter la fin de l’université et j’aurais un putain de diplôme pour devenir psy et que j’aurais de L’ARGENT. Elle aurait son propre cabinet, une vie saine, probablement. Je bois parce que je suis à découvert, d’ailleurs, aussi. ajoute-t-elle avec un rire jaune. Je bois parce que j’ai pas d’amis sur ce monde SUPER CHELOU. Ma coloc fait probablement juste semblant de bien m’aimer. Elle a probablement l’air pathétique, mais il lui a dit de parler, alors elle parle. Je bois parce que j’ai faim. Ouais, elle a super faim. Et elle veut pas demander encore à Remi de payer pour les courses. Je bois parce que… il pleut, et que ça me rappelle chez moi, je déteste la pluie, mais vraiment, je la déteste. Elle peste, lâche un cri exaspéré. ET BORDEL JE BOIS PARCE QUE JE SUIS SEXUELLEMENT FRUSTRÉE. Nouveau semi-cri exaspéré. Elle pose sa tête contre la table, le regarde d’en bas. Alors, content ?

Ce serait mentir que de dire que Joshua a pas envie de se griller une petite clope aussi. Il est médecin, ok, et peut-être qu’il est pas vraiment censé fumer. Après tout, il connaît les risques mieux que quiconque. Mais il fume, depuis quelques temps déjà, et il arrive pas à s’arrêter. Même si, depuis qu’il est de nouveau en couple avec Yohan, il fume moins. Beaucoup moins. Il en ressent moins le besoin, après tout. Et pourtant, lorsqu’il a pas une sucette entre les lèvres, il a une clope. Et lorsqu’il a aucun des deux, c’est dans des moments comme ceux-là, où il est avec des inconnus, ou alors au travail, ou dans un environnement de travail, avec des collègues. Comme c’est aussi le cas. Il lance un regard, d’ailleurs, vers les dit collègues. Certains parlent entre eux, et certains le regardent bizarrement. C’est pas souvent qu’ils ont l’occasion de voir Joshua discuter dans un bar, avec une fille, surtout. Joshua doute que d’autres que lui l’ait reconnue comme la patiente à la maladie qu’on peut pas expliquer. Si c’était le cas, ils auraient été bien plus nombreux à venir la voir. Mais tant mieux, qu’ils l’aient pas reconnue. Il aurait été plus difficile de discuter avec elle comme il le fait maintenant s’ils avaient été plusieurs à lui parler. Et surtout, les autres, ils ont peut-être pas de jumeaux cosmiques à qui ressembler. Joshua y repense, rapidement. Oui, vraiment, il aimerait le rencontrer, ce type.
La question qu’il lui pose, il la pose pas vraiment à demi mots. Juste, d’une façon où elle est pas vraiment obligée d’y répondre. Après tout, elle fait bien ce qu’elle veut. Si elle veut répondre, et se confier, elle le fait. Sinon, elle continue son chemin, et va chopper la crève et un cancer. C’est pour ça qu’il s’assoit, et qu’il lui présente la chaise face à lui. Parce que c’est une façon, sans l’obliger à rester, de lui forcer un peu la main. Si elle part, elle aura probablement l’air de lui poser un lapin, ou mal élevée. Et lui, aura l’air très con. Pas que ça le dérange, après tout. Le regard des autres, il y a toujours fait attention, mais dans des cas comme ça, il sait comme changer la donne, et tourner une mauvaise vision des choses à son avantage. Lorsqu’elle s’assoit, il considère que c’est une première mini victoire. Au moins, elle ira fumer plus tard. Et elle chopera peut-être une maladie des poumons, mais au moins, pas une crève. Déjà qu’elle en a une jolie, de maladie, que personne n’arrive à comprendre. Et ça le fascine, Joshua, un peu.
Peut-être que lorsque le temps se sera calmé, il fumera une clope avec elle, dehors, avant de retrouver Yohan, même.
Lorsqu’elle se met à parler, Joshua lève un sourcil, étonné. Il s’attendait pas à cette raison. Mais lorsqu’il voit l’index levé, il se dit que c’est qu’une première raison, qu’en viennent probablement d’autres. Alors Joshua pose son coude sur la table, son menton sur sa paume ouvert, et écoute ses raisons, avec plus ou moins d’attention. Elle parle d’une coloc, d’une Remi, et Joshua essaye de cacher sa surprise. Elle parle de trois jobs, et Joshua réfléchit rapidement. Remi, si elle parle bien de la Remi qu’il connaît, il savait pas qu’elle avait une coloc. Après tout, en général, c’est elle qui vient chez lui, quand il veut lui parler. Pas l’inverse. Mais maintenant qu’il le sait, il a envie de sourire. Si elle parle de la Remi à laquelle il pense, il pourra revoir cette fille. Lorsqu’elle aura compris qu’elle s’est trompée sur son identité. Et un côté de lui est déjà pressé d’y être. Il observe le geste de sa main, lorsqu’elle touche ses cheveux. Elle a pas l’air d’être la fille la plus douce de l’univers, mais ses gestes restent emplis d’un charme que Joshua réussit pas à placer. Elle parle de sa famille, et d’un coup, Joshua se dit que peut-être, il aurait pas dû demander. Il voulait pas en savoir autant que ça, pour être honnête. Puis, cette phrase le fait la plaindre. Parce que Joshua pourrait pas vivre sans sa famille. Elle continue, parle d’un café brûlant, et Joshua hoche la tête. Yes, c’est un struggle ça, qu’il connaît bien. C’est ce genre de truc qui peut facilement arriver à tout le monde. Il apprend qu’elle voulait devenir psy. Se dit que dans les états dans lesquels elle se met, elle aurait probablement pas été la meilleure psy du monde. Elle parle du monde, super chelou, dans lequel elle est. Et Joshua réfléchit. Peut-être que sa maladie, elle vient de là ? Du fait qu’elle est pas habituée à ce monde ? C’est une idée rapide, qui passe comme un éclair, mais qu’il garde dans un coin de son esprit. Elle a faim, ça lui rappelle chez elle, tout ça, il passe à côté, parce qu’il pense à cette possibilité, que ce soit une différence dans l’air ou dans la composition de l’atmosphère, qui lui provoque ses symptômes. Une allergie à Altéa, ou à un composant d’Altéa qui n’était pas dans son monde.
Retourne à la réalité à la phrase suivante. Et Joshua qui est connu pour sa poker face, est surpris. Et ça se voit. Les deux sourcils levés, un sourire un chouilla moqueur sur son visage. Il essaye de ravaler le sourire, racle sa gorge à plusieurs reprises avant d’y arriver. Et la quitte pas des yeux lorsqu’elle pose sa tête sur la table. Il regarde rapidement juste, si d’autres personnes ont entendu. Et, bien sûr que oui. Les gens les regardent, bizarrement. Après tout, ils sont ensembles, ils parlent de ça ensembles, et Joshua préfère éviter de penser que beaucoup d’entre eux s’imaginent que c’est de sa faute à lui, si elle est frustrée sexuellement. Il retourne son attention vers elle, croise son regard, un peu rieur. “Pas de bol.” Qu’il répond, juste, un petit sourire qui menace de se perdre de nouveau sur son visage. “Mange, si t’as faim, bois pas, c’est pas intelligent comme raisonnement. Et trouve quelqu’un pour combler ta frustration. C’est pas une bonne chose, de rester frustré trop longtemps. Ça devrait pas être difficile, t'es loin d'être moche.” Il prend le verre en face de lui, et le boit, doucement. En profite pour cacher le sourire qu’il retenait lors de ses paroles. Il pensait pas être capable d’avoir ce genre de discussion avec une inconnue. Mais c’est pas désagréable, au final. Il sort son portable, regarde l’heure, sourit à la réponse que lui a envoyé Yohan. Vivement que la pluie s’arrête et qu'il puisse le retrouver.

Elle n’a même pas honte d’avoir lâché tout ça à Théo. Elle devrait, pourtant. Ils se voient presque tous les jours au travail, et il ne la verra probablement plus jamais pareil après avoir entendu tout ça. Mais franchement, Azalea n’a pas les idées suffisamment claires pour penser aux conséquences de ses actes, là tout de suite. Il lui a demandé pourquoi elle buvait, elle a répondu à sa question, voilà tout. Elle ne sait pas vraiment si elle attend qu’il réponde quelque chose, mais elle attend quelque chose, le menton collé à la table. “Pas de bol.” Elle hausse les sourcils, plein de jugements. Il vient vraiment de lui dire pas de bol ? Ce mec est sacrément chelou. Déjà, c’est pas le genre de chose qu’on dit à quelqu’un qui vient de lister toutes les raisons de son malheur, surtout après la dernière raison. Ensuite, elle est surprise du fait qu’il n’ait pas rebondi sur ses derniers mots pour lui proposer une solution au moins à ce problème-là. La majorité des gens l’auraient fait. Azalea fronce les sourcils. Est-ce qu’il est gentleman, ou est-ce qu’il est gay ? Elle espère que c’est la première solution, parce que sinon, la petite gamine avec qui il traîne tout le temps, Lava (le nom la fait toujours grimacer), sera sacrément déçue. Azalea se console : même s’il lui avait fait des avances, elle les aurait refusées. Elle le trouve beaucoup trop chelou ce gars. Elle couche pas avec les mecs chelous, même sous l’influence de l’alcool.
“Mange, si t’as faim, bois pas, c’est pas intelligent comme raisonnement. Et trouve quelqu’un pour combler ta frustration. C’est pas une bonne chose, de rester frustré trop longtemps. Ça devrait pas être difficile, t'es loin d'être moche.” Mmmh. Intéressant. Elle fait danser ses sourcils. Vraiment ? Elle se redresse un peu, dégage son cou en repoussant ses cheveux derrière ses épaules. Tu me trouves jolie ? Elle sourit largement, puis dit, en levant l’index : Heureusement que ta copine est pas là, elle aurait pas aimé entendre ça. Elle m’aurait probablement déjà arraché les cheveux. Elle sait pas vraiment si Lava est sa copine, mais c’est une manière détournée de le savoir. Elle tourne ses yeux noirs vers les amis avec lesquels Théo est entré.
C’est bizarre, ils n’ont pas vraiment l’air d’être le genre de mecs à être amis avec Théo.
Est-ce qu’il a une double-vie ?

Tu crois qu’un de tes potes pourrait m’aider ? Et par là, elle sous-entend à calmer sa frustration, bien sûr. Elle fait un signe de la main et un grand sourire aux jeunes hommes qui la regardent. Ils sont pas mal, tous. Pas aussi canons que celui qui est en face d’elle bien sûr, mais elle serait carrément partante pour apprendre à les connaître, s’ils sont pas trop chelous. Ça manque un peu de nanas, cette bande, mais elle s’en contenterait. Elle tourne la tête vers le brun, attendant sérieusement une réponse. Peut-être que je pourrais demander à l’un d’eux de m’acheter à manger, comme j’ai pas d’argent. fait elle en se grattant le menton. Tu pourrais m’acheter à manger ? Comme ça je serai un peu moins saoule ? Alleeeeez. Elle met ses mains en signe de prière et le regard avec l’air le plus mignon qu’elle réussisse à sortir malgré l’influence de l’alcool. Je te revaudrai ça... Elle réfléchit à quand sa prochaine rentrée d’argent va tomber, et à quel point tout va passer dans son loyer et les courses. Un jour. Elle penche la tête. Peut-être. Elle attrape sa manche par-dessus la table. Sois mimiiii. Elle se souvient de l’époque où Cliff lui offrait tout le temps des glaces, des pancakes, des brunchs, des verres de soda. Ça lui manque, d’avoir un copain. Ça lui manque d’avoir quelqu’un tout court. Quelqu’un qui veille un peu sur elle. Cliff lui manque un peu parfois - ils ont été heureux, au milieu de toutes leurs phases malheureuses.

Joshua sait pas vraiment trop dans quoi il s’est laissé embarqué, lorsqu’il a accepté de parler à cette fille complètement saoul. Mais il regrette, maintenant. Il a envie que la pluie s’arrête, et de partir rejoindre l’homme de sa vie. Pas de passer sa soirée avec une fille bourrée frustrée sexuellement, vraiment pas. Et pourtant, une partie de lui s’amuse. S’amuse à dire des conneries à cette fille, à se faire passer pour quelqu’un qu’elle pense qu’il est, mais qu’il n’est manifestement pas. Et ça lui fait du bien, de prendre ce temps, un peu, pour sortir de sa vie de médecin parfait, de copain parfait. Joshua est d’un naturel parfait alors il en a pas “marre”, mais, il se rend compte que c’est fatiguant, de l’être, tout le temps. Et cette discussion totalement hors de ses habitudes, ça lui fait du bien. Comme s’il se sentait plus léger. Il s’autorise même à se moquer, gentiment, à lui lancer des sourires cachés derrière un verre. Et à la complimenter. Joshua complimente rarement les gens. Outre sa soeur, son cluster et Yohan, évidemment. Même Avi et Eli, il ne les complimente jamais. Ou, vraiment, vraiment rarement. Mais cette fille le mérite. Elle est jolie. Puis, y’a quelque chose, dans ce qu’elle dit, qui lui donne envie de la complimenter, qui lui donne envie de lui donner du peps.
Après tout, elle trouvera quelqu’un pour lui enlever cette frustration qu’elle a, il en est sûr. Elle est trop jolie pour que ce soit pas le cas. Et il comprend d’ailleurs pas comment c’est possible qu’elle soit arrivé à un moment où elle l’est. Elle doit avoir des mecs qui lui tournent autour. Et Joshua sait, que si Yohan était pas la seule personne qu’il voyait, il ferait probablement partie de ces mecs. Il resterait loin, pour l’observer, mais il l’observerait, quand même.
Il lui dit, qu’elle est jolie. Le regrette quasiment aussitôt. Lorsqu’elle joue la belle. Elle est alcoolisé. Il espère sincèrement que sobre, elle ferait pas des trucs comme ça. C’est le comportement habituel de quelqu’un sous influence de l’alcool ceci dit. Il hoche la tête, simplement, pour affirmer qu’il la trouve jolie. Il voit que ses collègues les regarde. Peut-être qu’ils se demandent pourquoi il parle à une fille qui le drague sans prendre de gants, alors qu’il a un homme qui l’attend chez lui. Mais Joshua se dit que c’est pas grave, qu’après tout, aucun d’eux n’en reparlera demain. Il leur fait confiance, assez pour pas dévoiler des trucs comme ça. Puis, au pire, si ça sort, il pourra toujours dire qu’il essayait d’aider une pauvre fille en état d’ébriété. Ouais.
Joshua est peut-être pas vraiment dans son état normal non plus, après tout.

Puis il parle de “sa” copine. Et Joshua est heureux de savoir que son jumeau est au moins casé. Avec une fille jalouse, manifestement, mais pas du genre à aller à droite à gauche, peut-être. Et ils se ressemblent au moins un peu. Quelque part, Joshua, ça le rassure. Même si ce n’est qu’un peu. Même si, arracher les cheveux est pas forcément une bonne solution pour garder un homme. Mais Joshua pense. Est-ce que ça aiderait, s’il arrachait ceux d’Eliott ? Probablement pas. Il hausse les épaules, plus pour lui et sa réflexion, que pour la fille devant lui. Et si ça arrive juste après sa question à propos de ses collègues, c’est une pure coïncidence.
Il se remet à l’écouter lorsqu’elle lui demande si l’un d’eux pourrait lui acheter à manger. Et Joshua reste de marbre, surpris par la question. Non. Probablement pas. De ce qu’il sait, ils sont tous plus ou moins casés, et pour ceux qui le sont pas, Joshua serait fou de laisser n’importe quelle fille, surtout bourrée, rentrer avec eux. Il secoue négativement la tête. En réponse à sa question. Et lorsqu’elle lui demande s’il pourrait lui, lui acheter à manger, il lâche un début de rire qu’il fait mourir dans sa gorge avant même qu’il n’en sorte. Et alors qu’il s’apprête à lui dire que “non”, que ça “n’arrivera jamais”, il se surprend à lui sourire, plutôt. Pas un sourire tendre ou quoi, plutôt un sourire moqueur. Parce qu’il la trouve ridicule. Mais pas. Pitoyable, pas négativement. Elle le fait juste rire. Sourire, en tout cas. Et alors qu’il voit ses collègues sortir, alors qu’il comprend qu’il a arrêté de pleuvoir dehors, et qu’il pourrait sortir lui aussi pour rejoindre Yohan, il se surprend à lâcher un “hm”, en hochant la tête. Pas qu’il veuille être mimi, mais. Y’a un truc, chez cette fille, qui lui donne envie de la savoir en sécurité. Et il sait que s’il la laisse là, saoul, elle sera tout, sauf en sécurité. “Lève toi. On va autre part.” Il se lève, sort son téléphone et envoie un texto à Yohan, lui disant qu’il arrive dans vingt minutes. Vingt, petites, minutes. C’est le temps qu’il lui faut pour l’emmener dans un supermarché pour lui acheter un truc à manger et rentrer. Il connaît bien la caissière. Une fille gentille qui laissera pas cette jolie fille se faire avoir par un mec qui voudrait l’utiliser pour la jeter le lendemain. Lorsqu’il l’aura lâché à la jeune rousse, il pourra rentrer, et serrer Yohan dans ses bras. Fort. Pour s’excuser de son retard.