Tobsyn #1 + Like Real People Do

Mmh. Accrochée à son téléphone comme d’habitude, Tamsyn tente d’éviter les passants sur les trottoirs, son sac sur un bras, des dossiers dans l’autre. Non, lui, il attendra demain. Au bout du fil, Ari, son assistant, lui fait un état des lieux de tous les messages qui sont arrivés pendant qu’elle était en réunion à Soho, ce matin, pour l’organisation d’un tournage. On déplace le point à 16h si ça ne dérange pas Caroline, envoie moi un message si elle refuse. Doucement, elle se fraie un chemin jusqu’au café ou elle et Tobias se sont donnés rendez-vous. C’est étrange, à quel point la devanture n’a pas changée, depuis ces après-midi où il l’emmenait traîner ici quand elle était jeune ado. Ça la fait sourire, et perdre un peu le fil de ce qu’Ari lui raconte. On parle plus tard. Si on essaie de me joindre dans les deux prochaines heures, je ne suis pas là. Elle doute qu’elle restera deux heures ici, mais elle préfère prévoir large : ça fait beaucoup trop longtemps qu’elle n’a pas passé de temps avec Tobias, et puisqu’ils ont enfin trouvé un créneau pour se rejoindre, elle compte profiter du moment. Je ne répondrai qu’à tes appels à toi, et tu as intérêt à m’appeler uniquement si c’est une urgence absolue. À tout à l’heure. Elle raccroche avant qu’Ari trouve le moyen de lui poser de nouvelles questions. Elle est tentée, avant d’entrer dans le café, de passer son téléphone en mode avion afin d’être sûre que même son assistant ne l’appelle pas… Mais ce serait irresponsable. Et quand on est directrice d’une entreprise comme la sienne, on ne peut pas se permettre d’être irresponsable, malheureusement. Elle fourre cependant son téléphone au fond de son sac, en espérant qu’elle n’aura pas à l’en sortir. Quand elle relève les yeux, Tobias lui fait signe, à l’intérieur du café.

Rien que le voir la met de bonne humeur. Le visage de l’ami de sa mère est ancré dans de beaux souvenirs de son adolescence, alors forcément, elle ne peut être qu’heureuse de le voir. Elle lui rend bien son accolade quand il l’accueille dans le café, tout sourire. « T’as encore grandi non ? » Tamsyn lève les yeux au ciel. Évidemment, qu’il allait lui poser cette question. Évidemment. Elle aurait dû l’attendre. Mais comme d’habitude, elle répond avec un sourire, et une main qui passe légèrement au dessus des cheveux : T’as encore blanchi, non ? Son petit sourire est moqueur, mais elle sait que Tobias sait qu’elle n’est pas sérieuse. « Ça me fait plaisir de te revoir. » Elle soupire. Plus tu vieillis, plus tu deviens niais… Mais de nouveau, la petite moquerie se transforme en sourire, et elle répond, plus sérieuse. Ça me fait plaisir aussi. Elle pose ses dossiers sur un coin de la table, le plus loin possible, afin de ne plus poser les yeux dessus. Elle ne peut plus les voir en peinture. « Désolé, je ne t’ai pas attendu. » Quel outrage ! s’amuse-t-elle en parcourant la carte tandis qu’il appelle un serveur. « Tu as toujours eu un don pour bien choisir alors, je me contenterai de prendre la même chose que toi. » Tamsyn lui lance un sourire fier.

Il y a peu de gens avec qui elle est aussi expressive et enthousiaste naturellement. La majorité du temps, elle se force à être sociable pour le travail, feint des sourires et des tournures de phrases malignes pour ses interlocuteurs. Les gens avec qui elle est vraiment à l’aise quand elle est elle-même… Ils se comptent sur les doigts d’une main. Sa mère, bien sûr. Tobias, aussi. Son assistant, qui la suite depuis plusieurs années. Et Sydney, bien sûr. Son meilleur ami et associé. Elle a beau réfléchir, elle ne voit personne d’autre. Elle n’est pas à l’aise dans les soirées où elle n’est pas invitée pour le boulot… Comme si, dés qu’elle n’avait pas une bonne raison d’être là, elle se fermait comme une huître. C’est étrange, le fait que tout le monde la prenne pour quelqu’un de très sociable, parce qu’elle est en réalité… Juste une très bonne actrice. Je crois que je vais partir sur du basique. Le serveur arrive à leur table. Deux cafés, et deux grands jus d’orange pressée, s’il vous plaît. Elle tourne les yeux vers Tobias en fermant la carte. Bah quoi ? T’es vieux, il te faut des vitamines si tu veux rester en forme. Je m’inquiète pour ta santé, moi ! En tous cas, moi j’en ai bien besoin, des vitamines. Elle soupire et se laisse aller contre le dos de sa chaise, et contemple la vie qui continue d’aller à cent à l’heure, derrière les vitres du café. Alors, à quoi ressemble la vie de quadragénaire ? Fais moi rêver. Elle se prend souvent à rêver de quoi sera faite sa vie quand elle aura cet âge-là, Tamsyn. Idéalement, son entreprise High Hopes Entertainment tournera encore à plein régime, ils auront un étage entier réservé à tous les awards qu’ils auront gagné, et plein d’artistes géniaux sous leur label. Tamsyn ne raisonne qu’en terme de boulot : ça fait longtemps qu’elle n’a plus de vie privée.