learn to wring magic from the ordinaryRoll the dice it's always snake eyes mateWe learn to hold our heads as if we wear crowns. spider's
webs of death MATERIAL.Papa travaille dur à la forge, ses cheveux blonds sales sont presque bruns de sueur et collés à son front. Il travaille dur et ne s'arrête que quand Ameera vient lui porter son déjeuner. Elle a presque peur parfois, que pendant qu'elle est à l'école en semaine et qu'elle ne peut pas venir, il ne fasse pas de pause, parce que, les autres jours, elle se cache avant de rentrer en grande pompe, pour le voir travailler inlassablement, prenant à peine le temps d'essuyer les grosses gouttes sur son visage, faire fondre le métal et le frapper, encore et encore avec de grands bruits. Elle ne sait jamais ce qu'il fait exactement Papa, des pièces détachées de ceci et un peu de cela, mais jamais rien qu'il ne ramène à la maison, c'est
toujours pour les autres. Il travaille le métal, et c'est du métal qu'on lui donne à lui aussi, mais c'en est des miettes, des poussières de stellar (même pas du vrai cryptostellar même pas la vraie monnaie qui permet de faire ses courses dans des boutiques) tous les jours qui se transforment difficilement en nourriture sur la table pour les Kolinsnychenko. Il travaille dure et personne ne vient jamais le voir à la forge sauf elle, quand elle lui apporte son déjeuner dans une boîte en métal. Leur maison aussi elle est en métal. Un jour elle lui a demandé s'il pouvait la faire fondre elle aussi et la remodeler pour qu'elle soit plus jolie. Il a sourit, mais il ne l'a pas fait. Parce qu'il ne travaille pas pour eux Papa, il travaille pour les
autres. Toujours toujours, excepté le petit médaillon qu'il lui a offert pour ses six ans, rien de plus qu'un bout de cuivre, sûrement des copeaux de ce qu’il a forgé pour ces autres aux visages que Meera se plaît à imaginer, mais taillé avec tellement plus de soin que tout le reste. «
To my darling daughter » lui avait-il murmuré dans un ukrainien si doux comparé à celui dont elle avait l'habitude qu'elle a mis du temps à comprendre les mots. Elle aime bien regarder Papa travailler, Ameera. Il a appris à laisser la porte ouverte avec le temps pour sa petite “sauterelle” comme il l’appelle, mais elle préfère passer par la fenêtre comme la toute première fois que Maman l’a envoyée lui apporter son déjeuner et qu’elle n’a pas su comment rentrer. Il a ri, dès qu’il s’est assuré qu’elle ne s’était pas fait mal dans sa chute, «
So inventive lil’ grasshopper » et elle s’était laissée ébouriffer les cheveux toute fière, en lui offrant un sourire édenté — plusieurs dents de lait étant alors éparpillées dans leur cabane de tôle sous des morceaux de tissus empêchant la lumière de les atteindre jusqu’à ce que ses gencives ne trouvent de nouvelles hôtes, comme selon la tradition ukrainienne. Elle est tombée plusieurs autres fois avant d'apprendre à atterrir sur ses petites pattes et sans plus faire tomber la boîte comprenant le repas de Papa et ce jour-là quand elle est entrée pour la première fois sans faire aucun bruit, surprenant son père au point de le faire sursauter, lui aussi il a sourit et sa petite dent en métal a pris le peu de soleil qui passe à travers le fog et pendant un instant, son sourire, on aurait presque dit de l'or.
EARTH.«
Don't talk to strangers ok? Don't get lost on the way there. » Les doigts de Jameela sont enfoncés dans ses épaules et elle semble prête à changer d’avis à tout moment. La petite chaumière de son oncle Rakeem n'est qu'à même pas deux kilomètres un peu plus à l'Est et ils y sont allés en famille des milliers de fois. Sa cousine l'a invitée à venir essayer le vélo qu'elle a reçu pour son anniversaire (Maman a froncé les sourcils très fort quand elle lui a raconté ça et Ashkar a expliqué que c'est parce que l'oncle Rakeem, ses cadeaux ils sont toujours
tombés du camion et Maman aime pas ça). Le chemin n'est pas compliqué et les rues sont encore pleines de monde et puis il fait jour, le fog est presque clément aujourd'hui. Ameera est un peu casse-cou et écoute trop Ashkar au goût de Jameela, mais elle est débrouillarde et on lui fait confiance pour ne pas faire de détour. Et puis elle a huit ans, et là où ils vivent ça veut dire qu'il faut qu'elle commence à grandir où elle va se faire bouffer toute crue. Jameela hésite encore un peu, ça se voit à ses doigts qui tremblent mais elle embrasse la gamine sur le front et la laisse filer. Ameera fait bien attention à où elle va, même si elle passe par le terrain vague pour voir si elle n'y trouve pas des amis pour faire un bout du chemin avec elle — c'est pas le cas — et échange son goûter pour des friandises auprès d'une petite bande de camarades son école dont le business est d'ailleurs fleurissant. Elle connaît bien le chemin et mange tranquillement ses bonbons, passant un instant de trop à défaire un emballage, confuse quand elle relève la tête pour se retrouver dans une impasse. Elle a du prendre un mauvais tournant. Elle secoue la tête, remarque à peine que le fog a disparu — ses poumons sifflent encore, comme une seconde nature — et revient sur ses pas, les yeux relevés cette fois. Elle ne reconnaît pas vraiment l'artère sur laquelle elle se trouve, c'est beaucoup plus vert que ce qu'elle connaît, mais elle ne s'y arrête pas vraiment, la traverse et tourne à gauche ; il lui semble que c'est la dernière direction qu'elle a prise. Elle fronce les sourcils quand les bâtiments inconnus ne laissent la place à rien d'autres que leurs jumeaux, s'arrête, les mains sur les hanches et cherche un nom de rue quelque part. Le trouver ne l'aide pas beaucoup. «
Sorry d'you know which way is the crystal pier? » C'est le dernier endroit qu'elle est sûre d'avoir dépassé. «
Never heard of it » Rétorque la passante en haussant les épaules sans lui laisser le temps de s'étonner. Tout le monde à Downtown connaît la jetée, au moins de nom, elle est à peu près sûre que c'est le cas dans tout Neodam même si ce n'est que pour regretter la réputation des quartiers qui l'entourent. Peut-être qu'elle est Uptown (elle n'y a jamais mis les pieds elle ne saurait pas dire), mais c'est trop loin de la maison ça et elle n'a pas assez marché, de ça elle est sûre. Elle est un peu déçue d'elle-même de s'être perdue, elle refuse de demander son chemin de nouveau, préfère se débrouiller toute seule pour prouver qu'elle
peut le faire.
Elle ne s'arrête que quand elle en a marre de marcher, s'asseyant tristement sur un banc alors que déjà le soleil commence à se coucher. Elle doit définitivement avoir quitté Downtown parce qu'il n'y a pas de fog ici (mais le fog touche toute la ville, elle devrait le savoir) et personne ne porte de masque, elle a même fini par retirer le sien. Elle en a assez de marcher, elle est fatiguée et elle s'en fiche du vélo maintenant elle veut juste rentrer à la maison. Elle mentira à Maman dira qu'elle a tout très bien trouvé et que c'était très amusant et tant pis si sa cousine refuse de corroborer son histoire, elle veut juste retrouver Ashkar et la couverture qu'ils partagent. Elle a mangé tous ses bonbons et maintenant elle a soif et un peu faim, elle regrette d'avoir échangé son goûter. Il y a une autre gamine sur le banc, qui balance ses jambes dans le vide et semble attendre quelque chose d'invisible en regardant ses mains avec grande concentration. «
Hey…could you tell me where we are? » L'autre a l'air agacée d'être dérangée — Ameera ne comprend pas vraiment ce qu'il peut y avoir d'intéressant à regarder ses doigts — mais consent tout de même à la regarder. «
Little Havana »
Never heard of it. «
And how do I get to Downtown from here? —
Y'mean South Oriel?» Cette fois elle fronce franchement les sourcils, elle ne peut pas croire que même à Uptown on ne connaisse pas Downtown, elle ne peut pas croire non plus que la gamine à peine mieux habillée qu'elle soit riche et y a que les riches qui habitent à Uptown. «
This is Neodam right? » Question stupide parce qu'il est impossible qu'elle se soit tant éloignée que ça. Pourtant le visage de l'autre lui répond aussitôt, la confusion dans ses yeux gris insufflant un vent de panique dans la poitrine de Meera. «
What's Neodam? »
Quand la vie nous fait tomber à terre, il peut souvent sembler que la meilleure solution c'est de se relever à tout prix, se rebeller même quand une main invisible semble résolue à nous y garder. Une autre solution, souvent oubliée consiste à faire de la boue, son amie, son alliée. À apprendre à la modeler, à s’en faire une béquille plutôt que de se laisser engloutir. Meera c’est ce qu’elle a fait, la boue elle connaissait depuis la naissance, elle a eu l’impression de tomber plus bas que terre avec son réveil dans ce monde inconnu sans moyen de retrouver son chez elle. Elle a eu plus peur des gens, ces inconnus auxquels sa mère lui a dit ne pas parler, que de du monde lui-même. Le monde est étrange bien sûr, incompréhensible au début, mais les gens sont pires. Il y'a eu la bande de gamins auxquels la fille du banc l'a amenée, les cartons dans lesquels ils ont tous dormi ensemble, eux, elle les aimait bien. Y a eu le réveil en panique quand des grands sont arrivés, des hommes, des
monstres plutôt, griffes sorties pour attraper des dizaines d'enfants à la fois. Elle a couru, couru et la terre ne l'a pas trahie, ne l'a pas fait trébucher elle. Les autres jeunes, après ça c'était différent, elle était pas comme eux, on lui a volé sa nourriture durement gagné en menaçant d'utiliser leurs pouvoirs démoniaques sur elle (Meera tentée de se
signer et de réciter une prière contre
Shaytan tout à la fois).
Elle s’y est habituée à Altéa, a appris à comprendre le fonctionnement de Central City, de ses districts, de ses mœurs, de ses
no-go zones pour ne pas se faire raffler, s'enfonçant dans la boue toute entière juste pour passer entre les mailles du filets. Elle a appris à connaître chaque pavé, chaque mur que, plutôt que comme des obstacles elle a appris à voir comme des aides, des échelles jusqu’aux toits de la ville d’où elle observe cette terre qui aurait voulu l’engloutir. Et comme dans l'atelier de Papa, elle a fini à apprendre à ne plus tomber.
METAMORPHOSIS.Elle a erré longtemps, longtemps, elle a cherché un chemin pour la maison d’abord, puis a fini par comprendre que personne ici ne connaissait même Néphède. Elle s’est pincée mille fois, elle a pleuré jusqu’à la déshydratation, elle s’est griffé jusqu’au sang pour se forcer à se réveiller de ce qu’elle pensait un cauchemar et puis elle s’est résignée. Elle s’est mise à chercher quelque chose, ni un moyen de retourner chez elle, ni un moyen de contacter sa famille, juste un moyen de survivre dans ce monde inconnu. La rue l’a élevée, la rue l’a aidée, l’a rue la piégée, aussi.
Elle court, elle court, jusqu’à en perdre le souffle, elle court elle court, regardant à peine où elle va, parcourant le dédale de rues qu’elle connaîtrait presque par cœur désormais. Elle court et court, jusqu’à relever la tête et se retrouver face à un mur. Elle hésite, mais elle les entend sur ses talons alors elle saute sur une poubelle pour s’aider un peu et tente d'escalader la pierre mal taillée, elle est rapide, mais
il l’est plus, un maître de l’air, sûrement. Son mollet est pris au piège dans ses doigts cruels, elle échoue durement au sol. On la retourne sans ménagement sur son dos. «
Her? Talk about a catch she’s barely nine. »
Almost eleven actually, pourrait-elle rétorquer, mais elle est trop occupée à se débattre contre celui qui est en train de la
palper à la recherche d’une arme probablement — le couteau à sa cheville est vite trouvé —, et puis elle n’est pas sûre que ça viendrait à son service. «
Well armed for a little girl. » Presque comme si elle prenait offense de son ton elle redouble d’énergie, essaye de donner des coups de pieds et de coudes à celui qui la maintient encore au sol, il lui reste une lame très plate mais bien taillée qu’elle a glissé entre ses omoplates, s’imbibant désormais des gouttes de sueurs froides qui y coulent. Il y’a peu de secrets bien gardés à Oriel a-t-elle découvert et l’un des pires est ce qui arrive aux enfants perdus quand ils sont trouvés. Peu importe par qui d’ailleurs, le mot d’ordre est de courir devant les sourires comme devant le canon d’un pistolet. «
She's tiny but Calla will like her. » Son genou parvient presque à trouver l'entrejambe de son assaillant mais c'est trop tard, la lame dans son dos est arrachée, jetée à l'autre bout de l'impasse. Son collègue la met debout alors que lui même se relève difficilement en lui offrant un regard mauvais. «
You're lucky Calla pays more for brand new girls or I-- —
Enough. » Elle pense qu'il s'adresse à l'autre homme mais il plaque un mouchoir contre son visage et le monde devient noir. Si Ameera a compris quoique ce soit à cette conversation, elle espère presque que ce qu'elle respire est du poison.
Ça n'en est pas. Pas du mortel en tous cas. Juste de quoi la faire se réveiller déjà prisonnière, poings liés sur une chaise dans ce qui ressemble à un bureau odieusement bien éclairé pour le cadre pourtant lugubre. «
Ah you're awake. I was starting to think they might've sold me dead goods. »
Calla l'aime bien. Assez pour ne pas la vendre (ou plutôt la
louer) trop vite. Elle la fait plutôt laver les draps des autres filles (une fois par semaine seulement), préparer leur repas, elle la laisse grandir un peu (
crevette, l'appelle-t-elle) mais ne lui permet jamais d'oublier sa
clémence. Ni sa place. Le fait qu'elle lui appartient, qu'elle est à elle, sa chose. (
Tu ne m'auras pas, a-t-elle pourtant toujours répété sous son souffle une fois laissée seule). Et quand la suivante arrive, plus jeune que Meera encore, c'est fini. Quelques semaines de répit qui n'auront servi à rien. Qui ne servent à rien quand elle se retrouve coincée dans une des chambres individuelles avec un homme qui a peut-être trois fois son âge. «
Put the money on the table. » Elle évite ses yeux, son regard noir et avide et dégoûtant, qui arrache à son petit corps des milliers de frissons. Il s'exécute visiblement habitué, tout autant semble-t-il qu'il l'est à se déshabiller à la vitesse de l'éclair — pour mieux profiter du temps pour lequel il a payé, certainement. Malin. Mais pas assez. Il est joli son collier, la petite amulette qu'il porte et qui indique qu'il maîtrise l'eau. Il lui va mieux au teint son collier quand sa peau aussi est devenue bleue, quand son visage se fige dans un mélange de choc et de colère. Quand la chaîne est si bien entortillée à la peau de son cou que Meera peut à peine la lui arracher.
Les semaines de répit n'auront servi à rien, sauf à lui permettre, toute tremblante, de prendre le chemin le plus rapide vers la sortie. Les cuisines sont la meilleure option, la moins regardée, la plus sous-estimée, mais elles ne sont jamais vides. Peu importe, il y a des couteaux dans la cuisine et elle a les pièces de son
client dans la poche. Peu importe, c'est sa seule option. Elle est presque essoufflée de son trajet pourtant pas si long, ose à peine cligner des yeux, de peur de voir imprimée sur ses paupières l'image qu'elle a laissée à l'étage. Un cadavre. Le sien.
Tu ne m'auras pas. Elle s'était promis ça, elle s'était promis que Calla ne l'aurait pas, ne la changerait pas.
«
Put the knife down before you hurt yourself. » Pas une fois Anya ne s'est retournée et Ameera est
certaine de n'avoir pas fait de bruit en entrant dans la cuisine sur la pointe des pieds, ni en attrapant un couteau à viande. Peut-être que son reflet dans une des casseroles l'a trahie. Elle est surprise, mais pas assez pour lâcher son arme, pour ne pas s'approcher malgré tout, couteau levé devant elle visage froncé par la détermination. «
Let me out and no one gets hurt. » Anya laisse échapper un rire moqueur et presque doux à la fois en se retournant enfin pour lui faire face. Elle la regarde un instant une petite moue sur les lèvres comme si elle essayait de déterminer que faire d'elle. «
You get out and then what? » Ameera ne sait pas. Après c'est la rue, après c'est le faim dans le creux de l'estomac tous les jours et la peur de mourir et les visages de papa et maman qui disparaissent et la fatigue et la peur toujours toujours toujours, mais c'est mieux qu'ici c'est mieux qu'être vendue, louée, prêtée, peu importe, après cette porte c'est la liberté. Elle ne dit rien, mais comme si elle pouvait lire toute sa réflexion sur son visage Anya soupire lourdement. «
I have money » propose Meera le cœur déjà tordu d'avoir à offrir ce qu'elle a durement gagné, mais c'est plus facile à offrir que sa vie, que son corps que sa liberté. «
Keep it. Let's see if you make it past a week. » Mais elle a déjà survécu jusque-là Meera. Plus d'une semaine, des
années. Et elle survivra. Encore.
Elle ne voulait pas que Calla la change. Mais c'est d'Altéa qu'elle aurait du se méfier. Enfin libre, à moitié aveuglée par ses cheveux qui volent librement au vent, le poids du couteau entre ses doigts qui la rassure de manière presque effrayante, elle sait qu'elle a déjà changé.
Trop. Maman, Papa, Ashkar…personne ne la reconnaîtrait.
BODIES.«
So you think you're free now? » Meera hoche la tête sans aucune hésitation, elle est libre avec ses dagues cachées partout sur elle, son corps couvert de bleus mais qui lui appartient. Elle a fêté ses douze ans, enfin, et elle libre, pas heureuse, pas riche, pas sûre de voir demain, mais elle est libre et c'est ça qui compte. «
You're not. » Lâche Anya sur le ton de l'évidence, avec un regard qui a quelque chose de condescendant qui arrache un petit grondement à la gamine. «
Freer than you » argue-t-elle comme une provocation qui allume comme un feu derrière les yeux de la prostituée. «
That's what you think doll. But if you're free of the brothel you're not free of hunger, fear, pain. You're not free of want and need. And you're alone. » Meera sent fout d'être toute seule ceci dit. Ameera venait d'une famille nombreuse, mais elle, elle n'est plus une Kolinsnychenko, elle ne sait plus quand elle a cessé de l'être, elle sait juste que s'est vrai. Elle sait juste qu'elle, c'est pas Jameela et Andriy qui l'ont élevé. Elle c'est Oriel et Calla et Anya avec ses rencontres mensuelles, qui ont de plus en plus des airs de leçon. «
I'm free of Calla. » Le reste, c'est rien, le reste c'est la vie, le reste tout le monde le connaît, tout le monde à Oriel en tous cas. «
If you think Calla's the problem you're a bigger fool than I thought doll. » Elle écrase sa cigarette contre le mur et Meera sait que ça veut dire que la discussion est terminée. Elle fume toujours une cigarette à la fin et quand elle l'a achevée alors elles se séparent. Au début elle lui apportait un morceau de pain, au début Meera le prenait quand elle avait trop faim et se promettait de lui en rapporter deux la fois prochaine, désormais Anya n'en apporte plus ; elle sait que Meera se débrouille seule.
Le problème, d'après Anya, ce n'est pas Calla. C'est
eux, c'est l'Homme, c'est les gangs qui gangrènent la ville. Elle blâme pas la matrone pour la maison close, elle blâme les propriétaires et les clients et Oriel. Anya aussi elle veut être libre, Meera a fini par le comprendre, mais Anya elle voit plus grand. Anya elle pense à l'après et pas juste à demain, elle pense au
futur.
Anya sait que Meera n'aime pas la charité. Elle sait qu'elle n'aime pas prendre ses bouts de pains, qu'elle en a plus assez
besoin pour les accepter. Alors en échange de pièces et d'un revolver magnifique elle lui a donné une tâche à exécuter. Meera a accepté bien sûr, un peu parce qu’une part d'elle avait l’impression de cerner que ça n’était pas réellement une
offre, un peu parce que l'arme était une petite beauté qui pourrait lui être incroyablement utile, un peu parce qu’elle avait envie de lui montrer ce dont elle était capable. Ce qu'elle ne savait pas Meera c'était qu'Anya l'envoyait accomplir l'impossible, tuer un des gamins les mieux protégés de tout Central City. Peut-être qu'inconsciemment elle était flattée, elle a cru que ça voulait dire qu'Anya avait plus confiance en elle qu'elle l'aurait cru. Ce n'est qu'après qu'elle a compris qu'Anya l'envoyait se faire tuer. Qu'elle était peut-être agréablement surprise de la voir survivre, mais surprise quand même. Plus encore que le sang sang d'Hakim Maresh soit sur la lame de sa plus belle dague. Elle l'a pas tué ceci dit. Il a survécu l'imbécile après des jours à l'hôpital. Elle a si bien réussi son coup pourtant. La première lame l'a raté mais la seconde a trouvé sa jugulaire. C'était à cause de l'Autre. Celui qui l'a
brûlée. Elle aurait pu réussir. «
Pity. » a dit Anya en pansant son avant bras, mais Meera a su déceler autre chose que de la déception dans son ton, tout le contraire même. Peut-être qu'elle aurait aimé voir le fils Maresh mort, ouais. Peut-être qu'elle voulait surtout voir ce que valait Meera.
Elle l'a envoyée en tuer d'autres, des petits gars à chaque fois. Des petites mains des One Niners ou du Gang qui sévissait à l'Est d'Oriel, là où se trouvait la maison close de Calla justement. Petit coup par petit coup, pas toujours par la violence, pas toujours de façon mortelle, parfois juste en laissant ses oreilles traîner sous les bonnes fenêtres. Meera n'a jamais déçu Anya. La pile de cadavres qui a menée à l'ascension des Sister Morphine, l'avènement d'Anya comme reine, on ne la doit certainement pas qu'à elle, mais elle a participé un peu et surtout elle a du grimper sur eux pour se hisser à côté d'Anya gagnant sa confiance,
body after body.
WATER.Les visages de Kareem et Jeremiah, Meera ne les connaît pas, pas vraiment, elle les a vu dans des
reflets, dans les vitrines de magasins à Cosmopolis, dans l’eau de la rivière polluée où elle s’est lavée pendant des années (et la première fois que Kareem a croisé son regard, si Meera avait su étrangler un pan d’eau, elle l’aurait fait). Elle les a vu dans des miroirs ensuite, ou dans le reflet de l’écran devant lequel Kareem passe ses journées à jouer aux jeux vidéos, elle les a touché du bout de leurs doigts à eux, ceux tous doux de Kareem et ceux plus rugueux de Jeremiah. Elle a découvert Sigan et la Terre à travers eux. Elle ne leur dit jamais, elle ne leur dira sûrement jamais, mais elle les aime bien, Kareem et Jeremiah. Ils l’agacent, surtout le second, voix de la raison dont elle n’a décidément pas besoin, mais elle les aime bien, ils la font se sentir moins seule depuis qu’ils sont là. Mais elle n’était déjà plus seule quand ils ont débarqué dans sa vie. Quand elle a senti comme un poids nouveau dans sa poitrine et pris soudain comme quatre souffles à la fois dans cette ruelle d’où elle a du fuir, brûlée. Y avait déjà Neha. Le visage de Dagan par contre, Meera le connaît. Elle l'a vu
en vrai plein de rage quand il avait encore sa petite trace noire en dessous de l'œil (mystérieusement disparue après leur première rencontre), elle l'a vu yeux écarquillés un peu fous il lui a semblé, dans le reflet du plateau métallique dans lequel on lui servait ses repas à l'hôpital psychiatrique. Dagan elle l'aime pas. Dagan elle le hait. La seule chose qui lui plaît chez lui c'est la façon qu'il a de souffrir de sa simple présence rendu incapable de venir finir ce qu'il a commencé, il y a des années, cramer sa peau cuivrée jusqu'aux cendres. L'avoir dans son cluster c'est une bénédiction comme une cascade d'eau sur les flammes qui le composent. Mais Dagan elle déteste
partager avec lui, voir son train de vie parfait dans sa maison parfaite avec son frère…son frère qui ressemble tant à ce à quoi Ashkar aurait ressemblé. Son frère qu'elle a failli tuer, qu'elle aurait du, qu'elle aurait voulu, mais à qui elle n'oserait plus jamais faire le moindre mal aujourd'hui. Et c'est idiot parce que ce n'est
pas Ashkar et elle ne
sait pas à quoi Ashkar ressemble aujourd'hui s'il est même vivant, s'il a même existé (cette peur-là la maintient éveillée parfois, l'idée que tout l'avant Altéa ait pu n'être qu'un songe), mais peut-être qu'Hakim, c'est l'Ashkar d'Altéa, comme Neha est la Meera de la Terre, son double parfait dont elle partageait un cœur et désormais presque toutes les pensées depuis cette maudite soirée où elle a failli tuer le sosie de son frère.
FIRE.Fut un temps, le feu c’était synonyme de création, il permettait de fondre pour remodeler, rendre joli, gagner de l’argent ou se voir offrir un sourire de sa fille. Fut un temps elle pouvait se blottir devant et s’endormir comme une masse jusqu’à ce que deux grands bras la cueillent et la ramènent à la maison. Fut un temps le feu c’était rassurant c’était la soupe bouillante, c’était la maison. Mais ça, c’était l’époque d’Ameera. C’était Néphède. Le feu maintenant c’est la peur, la
phobie même, des flammes quand elles dansent trop près d’elle, c’est la douleur qui a mis du temps à la quitter vraiment sur son bras, c’est la trace indélébile qu’il lui a laissé. Le feu c’est le danger, c’est le seul truc qui lui fait tourner les talons, irrationnelle, qui la fait fuir quoi qu’il arrive. Le feu c’est
lui, c’est Dagan, la mauvaise blague du Destin, ou de Dieu elle ne sait pas. Mais y'a quelque chose qui brûle plus fort que ça, qui se propage plus vite encore aussi, c’est la haine qu’elle ressent pour ce membre-là de son cluster, pour tout ce qu’il est pour tout ce qu’il respire. C'est la rage aussi, quand Kareem roule des yeux et
Get a room guys. Dagan fait barrage entre elle et Hakim et c’est peut-être encore ça le pire, elle a besoin de lui parler de savoir si son instinct est juste mais le Warden semble avoir été créé pour lui gâcher la vie, obstacle vivant à ce qu’elle entreprend, mur de flamme qu’elle ne
peut pas sauter, malgré cet effet presque magique (ou
satanique comme les pouvoirs de tous ces altéans) qu’elle semble avoir sur lui.
Le feu, ceci dit, ça l’a rendue prudente, ou en tous cas un peu plus qu’elle ne l’était avant, ça lui a rappelé les dangers du corps à corps, son impuissance face à la Small Science, ça lui a appris à chérir ce pistolet durement gagné à penser stratégie plutôt qu’impulsion. Son ennemi est feu elle doit se faire glace, quand bien même ce sont des petits flammes dorées qui lui dansent sur le flanc gauche, marque de naissance oubliée, soulmark rejetée.
WIND.Meera n'a jamais voulu appartenir à quelqu'un mais faire
partie de quelque chose, c'est différent. Mieux vaut avoir des alliés qu'être seule dans la rue et n'y avoir donc que des ennemis. Mieux vaut, a-t-elle fini par le comprendre, la communauté et quelques ordres, plutôt que la solitude, l'incapacité presque de dormir de peur de se faire prendre son butin ou pire, sa vie. Maintenant son butin elle le partage. Maintenant elle comprend Anya. Elle est libre quand même, elle pense. Elle court quand même sur les toits de Central City avec le vent qui fait flotter ses cheveux derrière elle et lui donne, l'espace d'une seconde, quand elle saute d'une charpente à une autre, l'impression de voler.
Spider qu'on l'appelle désormais. Ça la fait sourire, ça la fait frissonner, ça lui rappelle comme Ameera criait quand elle en voyait une dans la cabane de tôle à Neodam, hurlait pour qu'Ashkar, son frère, son héros vienne l'écraser.
Acrobate venimeuse elle est devenue une des créatures de ses plus vieux cauchemars, Meera est contente que les Kolisnychenko ne soient pas là pour la voir.
Elle se sent libre, mais
toujours elle revient au bercail aux côtés d'Anya, auprès des Sister Morphine, araignée peut-être, mais apprivoisée semble-t-il, dégueulant le contenu de ses toiles à leurs pieds
whisper after whisper.