dawn takes the stars away ((yasmeen))

dawn takes the stars awayyasmeen x hyacinth

Mauvais matin. Il avait la tête lourde et des nausées dont il aurait pu se passer. Mauvais matin. Sa mère l’attendait pour le déjeuner vu qu’il n’avait pas pris la peine de se lever comme lui avait clairement fait remarquer la voix monotone de l’un des androïdes de la famille. Il n’en connaissait même pas le nom. Non pas qu’il s’y intéressait. Au moins il avait à faire avec les histoires du manoir, de la famille, de son père, au mieux il se portait. C’était sans doute égoïste et cruel de sa part, mais il avait donné avec cette famille. Hyacinth ne portait pas son nom avec fierté. Ne le porterait sans doute jamais. Non. Aeneris, un nom tinté par le sang de ses héritiers. Un nom d’une vieille lignée, aristocratie de fine race, appauvrie par la folie qui coulait dans leur sang. Aeneris, un nom que peu d’enfants avaient pu porter. Il se mérite. Un nom que lui seul portait à présent outre son père, même sa mère n’avait pas le droit à cet honneur. Ni elle, ni ses enfants. De toute façon ils étaient tous morts et enterrés. Douleur au cœur. Il ne voulait pas penser à ça. Il ne voulait pas penser à grand chose Hyacinth. Plus penser à grand chose. Il voulait oublier, s’oublier. Retourner dans ses nuits sans rêve. Il voulait oublier. Oublier son cœur qu’il avait au bord des lèvres, sa tête lourde.

Et s’il avait quitté le confort de ses draps, non sans avoir congédié ce serviteur d’un geste de la main, même l’eau glaciale ruisselant sur son corps n’avait su calmer ce mal évident qui l’habitait depuis des années déjà. Enroulé dans sa sortie de bain, il avait eu des gestes automatiques Hyacinth. La capsule de temps qu’il apposait contre son bras d’un air absent, cadeau quotidien du patriarche pour le garder dans les rangs. Les cachets qu’il prenait à la suite. Substances douteuses, semblant de Nebula qu’il couplait avec de l’Arkham en journée qu’il fumait gracieusement avec une longue pipe aux origines asiatiques, plus élégante que les pipes masculines traditionnelles. Rare cadeau de sa mère qu’il appréciait. Cachets avalés, table de chevet vidée, il était habillé, prêt à errer lascivement dans ces jardins qu’il aimait tant. Il aurait pu d’ailleurs profiter du jardin, profiter de ces fleurs qui l’apaisaient toujours. Si un androïde, le même qu’au matin, ne lui avait pas annoncé que sa mère avait fait rentrer Yasmeen Vane dans l’enceinte du manoir et qu’elle l’attendait sur la terrasse extérieur. Yasmeen … Tendre Jaz’. Il n’avait rien contre elle à la base. Rien qui ne mérite cette animosité étrange eux. Rien qui ne mérite cette froideur entre eux. Ils aurait pu s’entendre. Il aurait pu la considérer comme une amie, une petite sœur, comme Noora. Mais il y avait le fantôme d’Acanthe. De la douce et triste Acanthe qui reposait dans ce mausolée comme tant d’autres.

« Yasmeen. » Salutation polie, il venait d’arriver sur la terrasse où la jeune femme se trouvait déjà, une collation sur la table, des fleurs à perte de vue en guise de paysage. Signe de tête de la part du maître des lieux, il n’était maître de rien, il prit place à son tour sur l’une des chaises en fer forgé, délicate dans ce décor de rêve, avant d’allumer sa longue pipe chinoise, d’un geste élégant. S’il devait dialoguer avec la jeune femme, autant qu’il ait un minimum l’esprit reposé. Parce qu’il se doutait. Elle ne venait pas pour rien. Jamais sans s’annoncer. Il imaginait. Il la voyait. Doux fantôme. Ses mains tordues devant elle dans un geste timide. Eternellement jeune. Toujours seize ans. Toujours ses yeux suppliants. Il la voyait presque derrière Yasmeen, réclamant vengeance, demandant la vérité. Triste Acanthe. « À quoi dois-je ta plaisante visite ? » Pas Acanthe. Pas à cause d’Acanthe, de ma sœur par pitié.

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Deux jours à l’hôpital, deux jours c’était le mieux que pouvait faire son docteur face à son équipe et sa mère saoulée. Deux jours à se faire sermonner jusqu’à ce qu’à chaque fois une infirmière finisse par mettre Darya dehors. Deux jours, mais aussi deux nuits depuis le nouvel an passées dans les bras de Sami dans le monde qui n’appartient qu’à eux quand elle ferme les yeux, deux nuits à rêver ensemble et construire leur futur, deux nuit qui ont rendu les jours à l’hôpital plus supportables, la rémission aussi plus atteignable. Jaz veut aller mieux cette fois, elle veut ce qui implique déjà admettre qu’elle ne va pas bien, ce qui est déjà nouveau. Elle veut aller mieux pour être normale quand elle rencontrera Sami pour de vrai. Elle veut aller mieux mais ce n'est pas facile avec sa mère sur les nerfs qui lui explique tout ce qu'elle a manqué quand elle était à l'hôpital sur le ton du reproche comme si c'était de sa faute (mais c'est le cas, ça Jaz le sait). Elle a envie de dire à sa mère de se taire et de la laisser tranquille, elle a envie de lui dire qu'elle s'en fiche de Tamina et Noora et leur mère avec. Elle aimerait surtout que ce soit vrai.

« Elle a profité du nouvel an pour renforcer ses connexions. Sharzad dit qu'elle l'a passé avec Hyacinth. » Elle, son double qui ne lui ressemble pas, elle, Noora la lumière née pour l'éclipser. Elle est parfaite jusque dans ses amitiés apparemment. Il est rare que Darya complimente même indirectement Noora, mais c'est le cas quand elle insiste sur le fait qu'elle est amie avec un Aenerys et pas Jaz. Elle a les bonnes connexion et pas Jaz. Et ça l'agace profondément parce que Jaz sait pertinemment que si sa mère connaissait vraiment Hyancinth — Sin, rien que ce surnom suffirait probablement à faire changer sa mère d'avis — elle ne le voudrait pas forcément à proximité de sa fille. Mais il est riche et il est jeune et, défaut mortel, il aime bien Noora.

La plupart du temps, elle baisse la tête et ignore la remarque, fait parfois un effort quand sa mère est présente pour la voir devant Hyacinth, mais elle ne veut pas de l'ami de Noora. Elle n'en veut pas et elle pense qu'il en veut pas d'elle non plus à cause de l'autre Aenerys celle qui l'aimait beaucoup quand elle était petite à en croire les vidéos et photos que sa mère lui a montré. « Tu vois ? Elle t'a choisi toi. Elle savait reconnaître le potentiel. » Acanthe qui l'avait prise son sous aile. Jaz ne s'en souvient pas vraiment, mais c'est rare les gens qui la choisissent au détriment de Noora (ou Tamina). C'est rare aussi les femmes que sa mère ne la presse pas de voir comme des rivales (quoi que ça serait peut-être venu avec le temps, si Acanthe avait vécu plus longtemps). Ou peut-être plus simplement, que Hyacinth ne l'aime pas parce qu'il aime Noora et que c'est impossible d'apprécier les deux. Peut-être même que Noora l'a monté contre elle — grande théorie de Darya d'ailleurs. La plupart du temps Jaz ne fait rien, mais peut-être que c'est devenu trop, peut-être que la mention de cette soirée du nouvel an et la suggestion de Darya — comme si Jaz n'avait pas prévu quelque chose de bien mieux que passer sa soirée à l'hôpital — penser à cette soirée ratée (elle aurait du rencontrer son Sami) a secoué quelque chose en elle. Jaz a décidé qu'elle en avait assez.

Le manoir Aenerys est d'une beauté et grandeur comparable à peu d'autres résidences à New Brasilia, même celle ultra-sécurisée et moderne dans laquelle vivent les Vanetti. Elle y est venue plusieurs fois quand elle était gamine à en croire là encore les vidéos que lui a montré sa mère et Acanthe a joué avec elle sur la même terrasse où on lui propose poliment de s'asseoir alors même qu'elle s'est présentée sans invitation et sans prévenir. Peut-être qu'elle aurait du. Peut-être qu'elle avait peur aussi de se dégonfler si elle se laissait le temps d'envoyer un message et d'attendre sa réponse. « Yasmeen. » C'est devenu rare les gens qui l'appellent Yasmeen à part sa famille. On lui sert des Miss Vane dans certaines situations, mais sinon c'est Jaz dans les médias, Jaz avec ses amis, Jaz sur scène et partout ailleurs. Il y a trop de formalité dans la salutation de Sin mais ça ne l'étonne pas. Ils ne sont pas amis malgré les soirées où ils se sont croisés, malgré les amis communs qu'ils peuvent avoir aussi, dans une certaine mesure. Ils ne sont pas amis. Et ils ne le seront sûrement jamais.  « À quoi dois-je ta plaisante visite ? » Wrong question. À qui devrait-il demander et Jaz pourrait lui dire à ma mère, ou à Acanthe. Les deux réponses sont vraies, le harcèlement de l'une a mené à des questions sur l'autre. Elle se force à sourire poliment pour ne pas le faire fuir si vite. « La mélancolie dirons nous. » fait-elle dans un soupir. Ce n'est pas vraiment ça, mais son étude de toutes les traces d'Acanthe qu'elle avait, les photos et vidéos et même un dessin qu'elle-même avait fait d'elle à trois ans, ont entraîné une certaine mélancolie pour cette imagine de grande sœur, un longing douloureux pour ce que sa relation avec Tamina aurait pu être, dans un autre monde. Si Sharzad ne l'avait rejetée à la naissance et donné à sa sœur, si elles avaient grandi comme des sœurs et pas comme des rivales. « Il n'y a jamais eu de jasmin dans votre jardin. » Remarque-t-elle platement en venant chercher du bout de ses doigts fins la limonade qu'on lui a servi pendant qu'elle attendait son hôte. Il n'y a jamais eu de jasmin et elle a eu besoin d'une photo pour s'en souvenir, mais Acanthe lui en a offerte une fleur quand même, probablement acheté chez le fleuriste pour ne pas qu'elle se sente exclue dans ce parterre de fleurs qui s'étale sous leurs yeux. Elle ne s'en souvient pas beaucoup et c'est facile de glorifier un fantôme, mais elle l'aime bien Acanthe. « Y'a-t-il des pousses d'acanthe quelque part ? » Question très innocente bien entendu. Elle ne se souvient plus de si c'était le cas avant, que ce soit sur cette terrasse ou ailleurs sur la grande propriété, mais elle pense savoir que si c'était le cas ça ne l'est plus. La famille semble avoir étrangement tourné la page depuis, presque avoir oublié cette fille aînée. Ce n'est sûrement qu'une impression, mais là où elle peut, dans une certaine mesure, comprendre comme on passe désormais chez elle sous silence Javed et son accident mortel parce que c'était de sa faute, elle ignore ce qui dans la mort d'Acanthe justifierait une attitude pareille. Elle ignore beaucoup de choses sur la mort d'Acanthe, ceci dit.

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Hyacinth n’était pas stupide. Jamais. Plus lucide qu’il ne le laissait paraître il avait compris le jeu chez les Vane. À qui aurait ses faveurs, lui le seul héritier vivant des Aeneris. Il avait bien compris ce jeu morbide. Il savait bien oui que le côté de la famille de Yasmeen déplorait la mort d’Acanthe, tragique, mais plus que la personne c’était le lien qui avait été enterré avec qui était pleuré, regretté. À part peut-être par Yasmeen. Il ne la comprenait pas vraiment Yasmeen. Ne comprenait pas cette attachement qu’elle avait pour Acanthe. Elle ne l’avait même pas connu. Pas vraiment. Elle chérissait une image, un fantôme, alors qu’il chérissait une sœur. C’était peut-être sa rancœur qui parlait, peut-être son amertume aussi. Mais dans le jeu des liens, des amis à avoir, Hyacinth avait choisi Noora. Il s’en était occupé depuis qu’il était tout jeune aussi. Il s’en était occupé quand on lui avait présenté Noora en lui disant à quel point elle serait importante dans sa vie. Ils n’avaient pas eu tort les adultes. Noora, sa tendre et sublime Noora était importante. Mais plus que pour le lien commercial, politique, social, c’était ce côté affectueux qu’il y avait entre eux. Noora savait tout de lui et l’inverse valait aussi. Ils se comprenaient. Un regard et ils se comprenaient. Mais quand Hyacinth regardait Yasmeen, il n’avait pas cette étincelle entre eux, il ne la comprenait pas. Quand son regard croisait celui de la jeune femme, il n’y voyait rien. Si ce n’est le fantôme d’Acanthe. Et c’était sans doute à cause de sa sœur qu’il ne pouvait l’apprécier. Sans doute à cause de sa sœur qu’il avait l’impression qu’on lui avait volé qu’il ne savait lui sourire de cette même douceur qu’il avait pour Noora.

Il n’était pas prêt Hyacinth. Pas prêt pour rencontrer Yasmeen ce jour là. Pas prêt. Ce n’était pas une bonne journée. Et la voir sur cette terrasse lui faisait du mal. Parce qu’il se souvenait. Il se souvenait d’Acanthe qui tenait la main d’une petite fille, lui faisant faire le tour de ce jardin, artificiel, mais tellement réaliste, lui montrant les différentes fleurs. Lui expliquant en douceur chaque sens derrière ces ornements floraux, sans que l’enfant n’y comprenne rien. Elle n’avait sans doute aucun souvenir de ça Yasmeen. Mais Hyacinth il s’en souvenait. Encore trop jeune il s’en souvenait. Il se souvenait de ses larmes aussi et du petit corps de Noora contre lui et ses petites mains séchant ces gouttes d’eau sur son visage. Il ne se souvenait que trop bien de ce jour où il avait ressenti les affres de la jalousie et l’impression qu’on lui avait retiré quelque chose qu’il croyait immuable. On lui avait retiré pour de bon à peine douze mois plus tard. Son père, son sourire, ses mots, les supplications d’Acanthe. Non. La cérémonie. Le mausolée, les pleurs de Yasmeen, et ses yeux secs de son côtés. L’éloignement. La peur. Les cauchemars. Non, il ne voulait pas se souvenir. Ils étaient tous morts de toute façon. Alors il souriait Hyacinth. Poliment. Il souriait tandis qu’il prenait place la questionnant sur sa présence, sa pipe asiatique entre ses lèvres, l’Arkham lui faisant du bien dans ses veines. Il souriait, son regard comme toujours flou cachant ses véritables sentiments. Et si peu savait lire derrière les brumes. Il souriait tandis qu’il rêvait de la voir disparaître, faire demi-tour. Et emmener le fantôme de la triste Acanthe qu’il voyait derrière elle.

« La mélancolie dirons nous. » Le sourire s’était figé, presque fané, tandis que son regard s’était porté sur le jardin, sur toutes ces fleurs artificielles, dont les parfums n’étaient que de pâles imitations de ceux qu’ils avaient pu être avant. Il se demandait s’il existait un monde où les fleurs n’étaient pas crées en laboratoire pour ne pas être nocive. Si elles poussaient librement. Si elles aussi n’étaient pas maitrisées dès la naissance, en cage. Tout était artificiel, crée de toute part. Comme lui. « Il n'y a jamais eu de jasmin dans votre jardin.
- Non … Je devrais peut-être en commander et les mettre non loin du mausolée. » Le ton était neutre, mais les paroles presque assassines. Il n’était pas stupide Hyacinth. Plutôt extra lucide. Assez pour savoir vers quoi la conversation allait se tourner. Et ses yeux se fermaient presque douloureusement. Parce qu’elle pleurait Acanthe, elle pleurait derrière Yasmeen et il avait cette impression morbide que c’était de sa faute. Non. C’était celle de sa mère. C’était celle de son infanticide de mère, et de son tueur de père. L’un comme l’autre, les deux étaient responsable. Et si Acanthe avait pu avoir un tombe, son nom ne pouvant être oublié, le reste … jamais mis au grand jour, leur mort les avait faits tomber dans l’oubli.
« Y'a-t-il des pousses d'acanthe quelque part ?
- Mère les a brûlées. » Et elle en passerait presque pour une sainte, femme éplorée pleurant sa fille se refusant à la voir quelque part, brûlant tout ce qu’il pouvait lui rappeler celle-ci. Elle avait pleuré sa mère. Plus parce qu’elle perdait la confiance de son époux. Elle avait brûlé les pousses d’Acanthe sa mère. Parce qu’il lui avait demandé. Elle avait brûlé toutes ses affaires aussi, condamné la chambre où elle dormait. Et elle avait commencé à rejeter ces enfants qui n’était pas les siens, à son père, reportant son affection tordu sur Hyacinth. Il n’arrivait même plus à avoir pitié de sa mère. « Tu ne t’en souviens pas hein … Tu avais trois ans … Tu pleurais comme si on t’arrachais ta sœur, suppliant mon père de ne pas l’enfermer dans le mausolée. ‘Acanthe a peur du noir’ … Ce n’était pas elle qui avait peur du noir … C’était moi. Mais Acanthe elle allumait toujours des lumières dans le manoir alors tu as cru que c’était pour elle … Elle est morte Yasmeen … Acanthe est tombée dans les escaliers, elle s’est rompue le cou … Je l’ai trouvé … Je l’ai vu. Elle est morte. » Et il ne savait pas pourquoi il lui racontait tout ça. Il ne savait pas qui il essayait de convaincre, elle ou lui. Le fantôme d’Acanthe pesait sur leur vie. Un peu trop. Mais il fallait se faire une raison. Elle était morte. Même si entre ses lèvres le mensonge était toujours amer. Elle n’était pas tombée dans les escaliers. Elle s’était vu privée de son temps parce qu’elle n’était pas l’enfant légitime des Aeneris.

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 « Mère les a brûlées. » Concept étrange, les Aeneris seraient ils pires que les Vane ? Plus insensibles encore ? Ils ont tous oubliés Javed, en espérant que les autres — le reste du monde, le public —, oublieraient la honte qu’il a apporté sur la famille. Ils ont tout mis de côté. Jaz n’en a jamais été proche et rien ne peut vraiment plus la surprendre de la part de sa famille, mais elle-même a trouvé ça incroyablement froid de leur part. Il semblerait toutefois qu’ils ne soient pas un cas unique à Sigan ; peut-être que, plus d’années on a à son compteur et moins on a de cœur, ça expliquerait bien le nombre de pauvres à Casma. Elle se demande si Hyancinth est comme elle, un simple témoin impuissant devant l’apathie du reste de sa famille ou si, lui aussi, il a simplement tiré un trait sur Acanthe. Elle en doute ceci dit, stupide, mais pas au point de ne pas avoir compris l’amertume qui l’agite. « Tu ne t’en souviens pas hein … Tu avais trois ans … Tu pleurais comme si on t’arrachais ta sœur, suppliant mon père de ne pas l’enfermer dans le mausolée. ‘Acanthe a peur du noir’ … Ce n’était pas elle qui avait peur du noir … C’était moi. Mais Acanthe elle allumait toujours des lumières dans le manoir alors tu as cru que c’était pour elle … Elle est morte Yasmeen … Acanthe est tombée dans les escaliers, elle s’est rompue le cou … Je l’ai trouvé … Je l’ai vu. Elle est morte. » Et si elle pouvait encore en douter un peu elle est sûre désormais qu’il ne s’est pas remis de la mort d’Acanthe et qu’il ne l’apprécie pas elle et que peut-être tout est lié. Elle ne saisit pas très bien pourquoi ceci dit.

Elle n'avait pas de sœur à l'époque Yasmeen, ou du moins elle ne savait pas encore qu'elle en avait deux et deux frères aussi, une grande et belle fratrie comme elle en aurait voulu, comme elle la hait presque maintenant qu'elle l'a. Elle n'avait pas de sœur et elle n'avait que trois ans et envie de prendre quelqu'un, n'importe qui pour modèle, fascinée par l'adolescente de presque treize ans son aînée qui avait décidé un peu miraculeusement de s'intéresser à elle, la prendre sous son aile. Devrait-elle s'excuser pour ça ? Parce qu'elle a su intéresser quelqu'un plus que Noora, une fois dans sa vie ? Parce qu'elle s'y était, à en croire le récit de Hyacinth, véritablement attachée ? Lui ne s'excuse pas à Tamina de s'être tant rapproché de Noora à ce qu'elle sache. Son regard s'arrache enfin aux fleurs artificielles — elles l'ont tant fascinée quand elle était petite, elles la rendent un peu triste aujourd'hui, pâles copies des vraies — pour se poser sur Sin. Pendant longtemps, elle a pensé que c'était surtout à cause de Noora qu'il ne l'aimait pas, parce qu'elle lui avait raconté des histoires sur elle, monté un peu la tête pour qu'ils ne soient jamais amis contrairement aux désirs de Darya. Peut-être qu'elle a eu tort. La rancune de Sin au sujet d'Acanthe a l'air suffisamment puissante pour expliquer qu'ils ne se soient jamais entendus. Elle ne peut s'empêcher d'être un peu blessée.

Ses souvenirs d'Acanthe sont flous c'est vrai. Elle en a peu et même ceux qu'elle a elle ne sait plus si ce sont de vrais souvenirs ou l'impression de se rappeler causées par les images qu'on lui a plus tard montré. Elle ne sait pas, mais ça n'empêche qu'elle aime bien l'idée d'Acanthe et l'idée de cette relation innocente qu'elles avaient et que d'une certaine manière elle lui manque. « Je ne me souviens pas très bien, c'est vrai.  » Les larmes dont parle Hyacinth par exemple elle ne s'en rappelle pas du tout. On ne lui en a jamais parlé, sa mère ne devait pas trouver ça très glamorous de sa part de s'époumoner même pour une Aeneris, même quand elle n'avait que trois ans. « Mais on a beaucoup de vidéos à la maison. Acanthe m'apparaît avoir été quelqu'un de très gracieux. Et pas vraiment quelqu'un de maladroit.  » Comme quelqu'un de susceptible de trébucher sur une marche et de se briser le cou si bêtement. Ce n'est pas qu'elle pense que Hyacinth ment, la pensée ne lui traverse même pas l'esprit en vérité, elle ne peut pas l'imaginer un seul instant, mais elle n'aime pas qu'il lui donne l'impression de ne rien savoir d'Acanthe, ni la façon qu'il a de lui parler. « J'aurais cru que les larmes d'une gamine de trois ans seraient universellement perçues comme sincères.  » Il doit la penser formidable actrice s'il croit que la scène qu'elle a causé et dont elle ne se souvient même plus était insincère. Il ne la connaît vraiment pas du tout. « Au moins quelqu'un l'a pleurée.  » Il n'y a pas d'échelle à la douleur lui a dit Sami et il a sûrement raison. Elles n'étaient pas du même sang et c'était sa sœur à lui d'accord, mais est-ce que ça rend pour autant ses larmes moins légitimes ? Et au moins quelqu'un se souvient d'elle — qu'il plante donc du jasmin artificiel près du mausolée — même si elles ne se sont connue que trois ans, même si Jaz était à peine plus qu'un bébé quand elle est morte. Elle sait qu'elle est de mauvaise foi, du moins elle pense savoir en tous cas que Hyacinth ne réagirait pas comme ça s'il n'était pas encore touché par le drame.