de guerre à faire et à refaire | Slash

Lua.
Elle a vingt et un ans, des cheveux blonds qui captivent, des yeux mazout où on s'y noierait bien dedans et un regard qui fait tourner en bourrique, un déhanché pour lequel on tombe à genoux et des robes et des jupes toujours trop courtes qui embrouillent l'esprit. Elle virevolte dans les pensées et obsède pour mieux posséder. Il suffit de son dos nu pour changer une pièce, il ne suffit que d'un sourire pour changer une vie toute entière, à vingt et un ans, c'est une diablesse venue à nouveau pour soumettre les hommes à la tentation divine. Pour la chute de ses reins, on se couperait une main et quant à son décolleté, il est préférable de ne pas en parler. Elle arrive et fout le chaos dans votre existence où rien n'est beau, tant mieux, vous aurez désormais un dieu — ou du moins une déesse — à aimer. Elle ramène avec elle les feux de l'Enfer et vous brûle les artères, irradie vos veines et réduis tout en poussières telle une sublime sorcière.
Cette fille les rend fous et ils pensent, eux aussi, la rendre folle.

Mais pour chérie, c'est spécial.
Pour elle, il y a le monde et un idéal, la certitude de liens étroitement entrelacés que rien ne pourrait jamais délier. Parce qu'il y avait Reyn et cette confiance qu'elle avait abandonné à ses pieds.  Tout devient vide de sens sitôt qu'elle sent la chaleur de son dos pesé contre le sien et, au fil des murmures et des regards, des baisers et des étreintes, Reyn se meut en ancre au milieu de la tempête.

Lua, elle était affalée entre ses draps, les cheveux dénoués, dévêtues.  Elle fixait un point indéfini, un peu à la droite de ses pieds, l'air songeuse. Elle fredonnait doucement, sans mélodie et sans grâce, un joint encore blottit entre ses doigts. Elle ne le regarda pas tous de suite lorsqu'il entra, pianotant d'une main sur l'écran de son téléphone, les jambes encore entortillés dans le tissu duveteux. Parce que Lua, elle avait l'indolence inscrit à même le grain de sa peau et il y avait bien longtemps que cette chambre était devenu sa résidence secondaire, point de pèlerinage où chacun pouvait penser ses plaies.

Et c'est comme soudain, lorsqu'elle se relève, à mi chemin entre le bond et la précaution,  et va verrouiller la porte de la chambre. Elle sourit Lua, laisse le temps s'étaler, balaye le corps de son ami avec un air de connivence. Drapée d'un des haut du jeune homme, elle revient vers lui, glisse ses mains derrière sa nuque,  se hausse sur la pointe des pieds, les lèvres entrouverte, le souffle brûlant, le regard joueur.

▬ Slash...

Ça, c’est un murmure glissé entre eux dans une intimité des plus secrète. Parce qu'il était aisé pour Lua d'oublier, d'oublier qu'elle avait été rejeté. Qu'elle ne devait plus lui adresser la parole. Plus le regarder, au risque d'en redemander. Mais Lua, elle s'en détournait, elle se raccrochait à tout autre chose. Un homme aux lèvres écorchés dont il aurait mieux valut se méfier. Reyn mériterait milles et uns outrages de part sa simple existence. Son corps est une plaie ouverte, un condensé de violence réprimé qu'on approche et qu'on rejette sans savoir à quel saint se vouer, un jeu pile ou face,  une subtilité du monde qui s'écroule sur les chaires avec le poids d'une lourde et entêtante obsession. Le premier pas vers le trépas n'est jamais bien loin lorsqu'il se tient dans votre sillage, prêt à en bouleverser tous les codes, à cueillir toutes les bouches. Tout ce que Reyn sait, Lua l'a exercé avant lui, elle mentait comme une arracheuse de dent, et elle ne supportait pas qu'on en fasse de même avec elle, évidemment.

Et sans doute était-ce pour cela - sans doute était-ce pour cela que ses mains glissèrent le long de son col jusqu'à l'agripper à pleine main, le regard incisif, la bouche dur soudainement, si dur qu'elle aurait très certainement plus le mordre jusqu'au sang sans en éprouver aucun remord.

▬ Tu vas me dire c'que tu me caches sinon je t'explose moi même petite frappe.

Mais c'est différent, parce que sous la colère, sous la violence, il y a une inquiétude qu'elle étouffe à chaque instant. Peur de le voir disparaitre. Peut de le voir tomber par terre en songeant que cette fois, peut être, il ne se relèverait jamais. Il avait tant perdu Reyn. Il avait tant vécu qu'elle se surprenait à penser que cette fois ci serait surement la dernière. Et que ferait-elle Lua, sans la meilleure moitié de son hémisphère?

Amour, ne soit pas si cruel avec elle.
Une insulte indignée n'a pas le temps de s'échapper de sa bouche. Un peu déboussolée, carrément outrée. Elle voudrait bien se jeter sur lui, et arracher avec ses ongles son petit sourire en coin, cet insupportable petit sourire. Et pourtant, il n'en est rien. Elle se contente d'un rictus agacé, et de lever les yeux au ciel. Il est consternant avec sa mauvaise foie perpétuelle, ses yeux trop clairs grands ouverts.
Alors, elle se téléporte une dernière fois, et le serre dans ses bras.

▬ Je te connais.

Elle enlace sa nuque, frictionne d'une main maternelle la tignasse brune, y plonge ses doigts, caresse quelques pétales brunes, plonge son visage aux creux de son cou blême. Il n'y a plus qu'eux. Le monde semble si loin une fois la porte refermée, perdu. Il n'y a qu'eux. Lua. Et Reyn. Et les mots du siganais, ceux qui l'ont tué tout à l'heure, tournent comme un vieux vinyle dans ses pensées. Ces petits mots sont là, vivants, avec la même gravité, la même sincérité que ceux qui avaient franchi la bouche rosée de l'altéenne.

▬ Tu peux faire le con ou te montrer désagréable comme un chien je lâcherai pas l'affaire. Je lâche jamais l'affaire.

Elle lui insuffle son secret au creux de l'oreille, à voix basse, pas plus forte qu'un soupir ; pour pas que le vent ne l'espionne, ou le soleil ne l'entende. Elle cogne leurs deux fronts, entremêle quelques mèches blondes à la frange brune. Et d'un regard entendu, elle tente d'éloigner les disputes et les rebuffades, les mots trop durs qu'ils s'étaient échangés après la disparition de Shade, après la dispute avec Kassian. Une seconde. Le temps de goûter à la saveur un peu acidulée de ses lèvres. Puis, elle se recule, le souffle haché, elle le dévisage quelques minutes, avant de lâcher un léger soupir, d'enrouler une mèche autour de son index, et glisser son regard dans le sien. Elle pense à elle, à lui. À eux. Au duo qu'ils formaient. A cette proximité qu'elle n'avait partagé avec aucun autre. Qu'elle ne partagerait avec personne.

▬ T'as une soul mark.

Comme des lèvres entrouvertes sur le poids des secrets. Et tout ce qu'ils impliquaient. Une peur insidieuse de voir qu'il pourrait devenir un autre "elle". Une petite version édulcorée de Lua, quelqu'un qui croirait trop fort en des "peut être" qui fatalement s'écrouleraient sur des moins que rien. Sans doute n'avait-il pas besoin de ça. Des coeurs brisés et des rêves envolés, de la poitrine qui se contracte, une petite mort, une fois encore. Mais il était évident qu'il n'en était pas encore là; il avait les pensés  entièrement tournés vers sa croisade fraternel,  la détermination retranscrite à travers ses gestes et ses escapades éternelles. Reyn respirait Shade comme d'autre chassait un idéal. Reyn se sentait coupable et s'y dévouait corps et âme.

▬ Et tu la planques depuis des semaines.

Lua démystifiait. Lua mettait en évidence. Du mouvement de son dos quand il se retournait à demi, elle, des rigoles creusées sur son visage quand elle voyait, en essayant d'être présente.

Lua s'approchait encore et encore. Contre lui.
Lua qui fonctionnait toujours ainsi, lentement, elle prenait place dans la vie des autres. Elle y entrait puis ressortait aussi vite. Et alors, dans un léger sourire, comme elle s'en amusait parfois avec lui, elle se glissa dans son dos et entreprit de l'enserre dans ses bras. Quand elle sentir la peau fraîche de Reyn, contre celle brûlante de ces bras, son rire d'ivresse redoubla, léger comme son insouciance. Elle approchait alors son visage près du sien.

▬ 'cause i can turn you on with one word.

Elle le taquinait.
Elle avait cette sensation pendue au bout de ses doigts lorsque ses mèches folles et claires piquaient les siens tout autour –. Elle se collait à lui, cruelle, alors que ses mains glissaient le long de sa colonne. Oh Reyn. Elle aimait voir son visage crème gravé de ces deux filigranes, ces lèvres coralliennes - elle aurait aimé les cueillir doucement, tendrement, avec la faucille la plus délicate qu'il soit ; sa bouche. Poser ses doigts de chaque côté de ses joues d'ivoires, et le piquer d'un baiser –. Et là, elle presserait ses lèvres un peu plus fort –. A chacune d'elle.
A chacun d'eux – à chaque soupir. Mais la situation actuelle - une confrontation, ne se prêtait pas à ce genre d'échange. Il y avait une agressivité sous jacente et un ton cassant, il y avait les yeux de Reyn qui la fusillait et que s'ils le pouvaient, la transperceraient. Et Lua, elle ne l'enserra que plus fort encore, laissant ses doigts glissés sur son ventre, se donnant une brève seconde de réflexion.

▬ Parce que c'est important.

Même si ce n'était pas Shade.
Parce qu'il comptait aussi, son bonheur, ses joies, ses peines, ses besoins et son bien être - devait-elle réellement souligner une chose aussi essentiel? Elle ne l'avait jamais vu se préoccuper de lui même Lua. Elle ne l'avait jamais vu chercher à construire quelque chose qui peut-être, lui raccrocherait le coeur à la bonne place, qui l'aiderait enfin à se sentir solide et stable. Il se nourrissait de sa culpabilité comme on vivait d'oxygène. Jusqu'au jour où elle l'étoufferait. Jusqu'au moment elle l'écraserait, impitoyable. Et il lui restera quoi alors à Reyn, si ce n'est un champ de ruines et de regrets? Une vie à regarder le bonheur d'autrui sans jamais pouvoir rassembler le puzzle du sien? Elle s'y refusait Lua. Reyn; il méritait mieux que ça.

▬ Une soulmate c'est... c'est quelque chose qui peut te faire te sentir comme une personne infiniment spécial. Et inversement. Alors même si pour le moment t'estimes que ça compte pas, si cette personne sait pour vous, essaye de pas jouer au con ok?

Elle se détache de lui pour tourner son visage vers le sien, redressant son menton de la pointe de son index. Parce que des conversations sérieuses, ils en avaient trop eut ces dernières semaines.  Elle avait l'impression que le monde tournait trop vite, sans aucun répit, sans jamais leur laisser le temps d'apaiser leur coeur meurtrit. Parce qu'il n'y avait que des vagues successives. Aucune acalmie.

▬ Juste, souviens toi que tu peux tout me dire. Et que si tu fais n'importe quoi je t'en collerai une.

C'était sans doute égoïste, mais elle ne supporterait pas que cet homme là fasse à un autre ce qu'Eridan lui avait fait subir. Cette solitude là, elle ne la souhaitait à personne.  Peut être même pas à la punaise qui parasitait leur colocation.

Et leurs rires, ce fut comme un éclat soudain. Comme un bout de lumière qui crépitait jusque dans leurs artères, embrasait l'esprit et les chaires. Et c'est qu'elle aurait presque put s'en rassurer Lua, aux chants des rires sur l'écho de leurs peines.

Elle se tenait le ventre, enlacée dans ses propres bras, menton levée vers le plafond, et se disait que ça pouvait être drôlement terne, la vie hors de cette pièces, sans les éclats de rire et l'odeur du soleil.

Mais sa main claqua bien vite contre sa nuque, la mine consternée et le nez pointé vers l'horizon. Parce que Thalia, elle tenait bien plus de la malédiction que la gracieuse bénédiction. Elle avait la voix aiguë et les caprices vivaces, le genre de nana qu'elle ne supportait pas.

▬ stop laughing it's not funny

Alors certes, Lua faisait son possible pour détester la dernière des Stilinski. La gamine se plaisait à être tout ce que mademoiselle détestait, un être pathétique qui recherchait un amour superficiel qu'elle ne méritait pas et qu'elle n'était même pas foutu de rendre correctement. Une enfant, un pure et dure comme on en faisait plus. C'était, tout du moins, ce que Lua se plaisait à penser. Il était plus simple de détester tout et tout le monde et de livrer bataille contre toute personne qui pénétrait sans la sphère privilégié de son confort. Mais pour Reyn, c'était particulier. Pour lui, elle pouvait tolérer de mettre ses préjugés de côté.

▬ Mon âme soeur à moi s'appelle Eridan et le soir où j'ai couché avec lui, je venais de me faire battre par mon père. C'est un truc que j'ai trainée depuis gamine, mais à chaque fois que je me retrouve devant lui, j'ai à nouveau six ans et je suis incapable de réagir.

Ca avait été un tel échec, cette bravade vaine, ce besoin de prouver qu'elle était plus forte que ça, qu'elle valait mieux que l'enfant terrifiée qui trouvait refuge dans une poignée de songes colorés. Elle avait été avide Lua, avide de se réconcilier avec la gamine qu'elle était autrefois. Et échouer si fort,  l'avait presque détruite.

▬ Et c'est con, mais lorsque je suis restée prostré dans mon escalier, il est la seule personne que j'ai eut envie d'appeler.

Et elle s'en était saoulée Lua. A ses lèvres et à ses baisers, à ses caresses et à cette illusion de complicité, à effleurer ce goût d'éternité qui lui avait toujours manqué. Agapé, il l'avait touché là où personne avant lui ne l'avait fait. Et il l'avait rejeté, comme si cette nuit n'avait jamais existé, comme si elle était une quantité négligeable qu'on se devait d'oublier. Agapé, il ne l'avait plus jamais rappelé.

▬ T'as beau dire Reyn, tu seras toujours important pour elle et elle aura besoin de toi. Le rejet, ça laisse un vide qui ne se comble pas.

Lui qui l'avait rendu boulimique, avide de ces caresses qui ne seraient jamais les siennes. De cette rudesse qui remplaçaient une tendresse éphémère. Avide de Reyn et de leur lien si particulier, de cette certitude que lui au moins, il ne l'abandonnerait jamais. Lua, elle soupira en secouant la tête, esquissant un délicat sourire en coin.

▬ Même si j'avoue que c'est une sacrée plaie.