midnight summer dream (grim)

Puis y’a pas que son monde. Auquel il tient. C’est pas tant Sigan en soi, que les gens qui y habitent. S’il devait aller sur un autre monde, il irait sur Altéa. Parce que sur Altéa, il y a Parker, il y a Aquila, et qu’il y a Gali. Mais sur Sigan, il y a Ilya, Lidiya, son ex femme, et puis, surtout, il y a Candide. Où qu’il aille, il faudrait qu’il prenne Candide avec lui. Et connaissant un peu l’homme qu’il aime, Nikita sait que Candide se sentirait pas forcément chez lui, autre part que sur Sigan. Et Nikita non plus, d’ailleurs. Il pourrait, par exemple, difficilement vivre sans le Wristle. Et comme Aquila a pu lui dire, les compteurs se bloquent sur les autres mondes. Donc le Wristle s’avèrerait impossible. Puis, sans aucun but. Puisque, toujours d’après Aquila, ils vieillissent normalement. Mettre le compteur à zéro n’engendrerait pas la peur de mourir. Ouais, Nikita pourrait définitivement pas vivre sans Wristle. Lorsqu’il lui parle de l’argent, et de “crypto” stellars, Nikita note le nom dans un coin de sa tête. Il sait que sur Altéa, ils utilisent les stellars. Sur Sigan, c’est le temps (ou les bonus, pour les androïdes). Sur la Terre, c’est du troc, seulement. Et il lui manquait Néphède. Cryptostellars. Est-ce que c’est de la monnaie, comme sur Altéa ? Ou est-ce que c’est plus technologique, comme sur Sigan ? Niita se dit que ce serait bien, qu’ils aient tous la même monnaie, pour un jour pouvoir réellement faire du commerce entre les mondes. Comme, par exemple, pouvoir vendre un robot Siganais sur Altéa. Aujourd’hui, c’est chiant. Peut-être que ça éviterait les vols, aussi. S’il y en a. Nikita est pas un pro, là dessus.
Nikita hoche juste la tête. Oui, ses cryptostellars doivent être plus proche des stellars Altéen que du temps Siganais, de toute façon. Il réfléchit à toutes les formes possibles et inimaginables que l’argent pourrait prendre. Le fait que, chez eux, ce soit du temps, ça à tendance à surprendre les gens, en général. Et Nikita comprend ça. C’est vraiment la connerie humaine à son apogée, le fait de lier le temps et l’argent. L’avidité de l’humain dans toute sa splendeur. Et d’un autre côté, Nikita, ça le choque pas. Après tout, il fait entièrement partie de ce système. Autant à cause de sa famille, que de sa position dans le monde du Wristle. Il utilise ce système pour tuer, et pour sauver. Il trouve ça plus radicale, mais quelque part, aussi, plus juste. Et moins sadique. Parce que quelqu’un sans argent meurt de faim. Lentement. Quelqu’un sans temps meurt. Juste, meurt. D’un coup.
Le type répète le nom de son monde, Sigan. Et Nikita attend. Peut-être que, tout comme lui, il essaye d’imprégner les nouveautés qu’il est en train d’entendre. Vu comme il lui parle, ce qu’il lui demande, c’est pas quelqu’un qui doit être habitué à rencontrer des gens d’autres mondes. D’ailleurs, même, pire que ça. S’il sait pas ce qu’est une intersection, il comprend probablement pas la moitié des trucs que vient de lui biter Nikita. Et lorsque la question tombe, Nikita lâche une expiration longue et déçue, un peu.

Non. C’est déjà chez moi. Donc j’ai qu’à marcher assez, et j’y retournerais, dés que je serais plus dans l’intersection. Mais si tu marches dans la même direction que moi, tu rentreras chez toi, sur Néphède. Pour que tu puisses venir sur Sigan ? Je sais pas trop. Un ami s’est perdu sur Altéa, en passant par un portail, mais… Je suppose qu’il faudrait un portail entre Néphède et Sigan, du coup ? Je sais pas. Je les connais pas, les portails, aucun. Juste les intersections. Les autres mondes m’intéressent peu, comparés aux gens des autres mondes que je rencontre ici.

Il se tourne vers lui, les yeux emplis de curiosité.

Pourquoi ? Tu veux y aller ?

Il est passé au tutoiement, à un moment. Sans s’en rendre compte. Cette conversation est bien trop chill pour qu’il continue à vouvoyer ce gamin plus longtemps.

C’est étrange. Ça fait bien longtemps qu’il n’a pas parlé à un simple inconnu et il aurait pensé avoir complètement oublié comment faire pour engager une conversation avec quelqu’un qu’il ne connaît pas. Quelque chose de plus poussé que bonjour, vous allez bien ?, en tout cas. Il ne se doutait pas non plus que ça lui ferait tant de bien, de s’évader pendant quelques heures de son monde trop sombre pour se perdre sous les étoiles, que ça lui changerait les idées, de n’être qu’un mec comme un autre, paumé dans un terrain vague, sans le Mercury attaché à son prénom comme une sangsue à la peau. A toujours être dans le paraître, il en devient exsangue, une ombre vidée de substance, qui ne fait qu’orner les pages des magazines et les écrans publicitaires, offrant une belle image à la famille de psychopathes qu’est la sienne. Il se perd, là-dedans, en oublie ce qu’il est, ce qu’il veut être, ce qu’il ne veut pas être. C’est peut-être pour ça que ça s’est fini, avec Arlo, ils ne savaient plus qui ils étaient, ni comment se retrouver. Des personnages publics, médiatiques, mais plus des personnes, avec de vraies pensées, des sentiments réels. Nostalgique, il secoue discrètement la tête pour chasser ces idées moroses, revenant à l’homme et à ses histoires. Il soupire comme s’il venait de dire une bêtise et Grim l’écoute tel un élève assoiffé d’apprendre. Cela lui semble vague, abstrait, mais il comprend le concept, en soi. Et il y croit, juste comme ça. C’est ce qui l’a toujours démarqué, par rapport aux autres Mercury, une ouverture d’esprit, une capacité à accepter l’autre sans mettre en doute sa parole ou l’éliminer. Ça explique trop de choses d’un coup, cette histoire d’intersection. Ce garçon, Evan, qu’il avait rencontré et qui venait d’Altéa, sans savoir comment il avait atterri là. « Les mondes se rejoignent, alors », il murmure, songeur, les yeux plongés dans la noirceur devant lui. C’est ce qu’il entend par intersections. Mais ils ne peuvent pas passer d’un monde à l’autre de cette façon, s’il comprend bien. Ce serait trop beau. Trop facile.

Il tourne à nouveau la tête vers l’inconnu à sa question, croise son regard et laisse le silence planer un moment. Il ne sait pas s’il doit parler de sa jumelle cosmique. Georgia. Si ça risque de la mettre en danger ou pas. Si sa famille savait, ils trouveraient probablement un moyen de s’en débarrasser, comme pour les âmes sœurs. Georgia n’est pas son âme sœur, c’est plus fusionnel que ça. Ce serait pire, aux yeux des Mercury qui détruisent tout ce qui est étranger à eux-mêmes. Peu importe qu’elle soit dans un autre univers. Les Mercury ne manquent pas de ressources, ils trouveront une manière de l’atteindre, tôt ou tard, s’ils découvrent son existence. Surtout que c’est à cause d’elle, indirectement, que Grim a perdu son bras. Et ça, c’est pas quelque chose qu’on prend à la légère, dans l’organisation. Mais Lance étant endormi à l’appartement, les chances pour que cet individu connaisse Mercury Corp. étant minimes, il se laisse aller à la confidence : « J’ai quelqu’un, sur Sigan. On a un lien particulier. Je préférerais être avec que de rester sur Néphède. » Il reste évasif, prend soin de ne pas dévoiler d’informations sur l’identité de Georgia, au cas où. Il penche la tête sur le côté, son regard revenant contempler l’obscurité, le néant, en pensant aux portails. Peut-être qu’il en trouvera un, un jour. « Je déteste là d’où je viens. » Et un sourire triste se glisse sur ses lèvres.

Nikita se dit que c’est quand même pas si rare que ça, les conversations qu’il a, dans le genre. A croiser des gens d’autres mondes, aux intersections, et à leur parler de son monde, à écouter leur récit de leurs mondes. Il se demande pourquoi plus de gens ne sont pas au courant. Après tout, Nikita, il kifferait bien avoir la possibilité de faire des fêtes, aux intersections, avec des gens des différents mondes, pour apprendre à se connaître. Et pourquoi pas faire du commerce entre les mondes. Il est sûr qu’il y aurait des trucs à récupérer, de partout. Il est certain qu’il y aurait des trucs à faire. Que tous ensembles, ils pourraient essayer de faire des différences dans les mondes, des choses moins évidentes. Peut-être qu’avec tel ou tel truc d’Altéa, les jeunes de Casma à Sigan pourraient ne pas être si malheureux. Nikita rêve d’un monde d’égalité. Alors bien sûr, c’est probablement optimiste, ou rêveur, de sa part. Mais en tout cas, il fait tout pour. Il a toujours tout fait pour que ça puisse être plus égal, plus juste. Il tue des connards, et refile le temps qu’ils avaient à des jeunes qui n’avaient parfois que deux minutes à vivre. Et il voit, dans leurs yeux, la reconnaissance. Et Nikita, y’a rien au monde, qu’il préfère. Que de voir cette reconnaissance. Il se dit qu’avec un peu plus de connaissance des autres mondes, peut-être qu’il pourrait la voir plus souvent, cette reconnaissance. Peut-être que les cadavres à Casma s’empileraient pas autant. Et, par conséquent, peut-être que Nikita tuerait moins de personnes. Peut-être.
Il aime ce genre de discussions, parce qu’il se dit que s’il en avait plus souvent, non seulement Sigan mais les autres mondes, aussi, pourraient être bien meilleurs. Et il s’étonne, presque, qu’aucun groupuscule, ou quoi, essaye de faire en sorte que les mondes communiquent. Il trouve ça surprenant que personne avant lui n’ait pensé à ça. N’ait essayé de faire quelque chose, pour que les différents mondes se rapprochent. Nikita, c’est le renard des intersections. Les gens qui y viennent souvent le savent. Il y est la plus grande partie de son temps, et il parle à tout le monde, de tout, tout le temps. Il compte plus le nombre de personnes à qui il a parlé des timers, et à qui il a piqué deux ou trois stellars pour les ramener chez lui, juste pour un souvenir. Il s’amuse à lui expliquer, à ce gamin qui semble pas connaître. Et il se souvient, lui, de la joie que ça lui a donné, la première fois qu’il a rencontré quelqu’un, d’un autre endroit. C’était ce type, sur Terre. C’était ce gars, à qui il raconte sa vie, maintenant, chaque fois qu’il le croise, sur ce même wagon où il est installé avec le jeune garçon. Jeune homme, plutôt, d’ailleurs. Il se souvient de son émerveillement, lorsqu’il a comprend qu’il n’y avait pas que Sigan. Et quelles nombreuses différences il y avait entre Sigan, son monde, et le monde rustique de la Terre d’où il venait, l’autre. De la soif de savoir, que ça a déclenché, chez lui.
Nikita hoche vaguement la tête, le regard dans le vide. Oui, les mondes se rejoignent. Et Nikita sait qu’il y existe des genre de, portes, ou, autres choses, qui permettent de passer d’un monde à l’autre. Après tout, Aquila en a utilisé une. Parker, aussi. Et Gali et Ajay semblent en utiliser aussi, pour passer d’Altéa à Sigan. Il trouve ça fascinant. Probablement que si Nikita en trouvait un, il passerait sa journée à juste le passer. Juste pour, constater. Est-ce que ça fait juste comme une porte, ou est-ce qu’il y a un genre de sentiment bizarre ? Est-ce que ça fourmille, ou est-ce qu’on a l’impression de passer dans de l’eau, ou dans du feu, ou. C’est quoi ? C’est comment ? Est-ce que c’est translucide, ou est-ce que ça brille ? C’est. C’est quoi, au juste ? Il écoute lorsque le jeune se remet à parler. Il a quelqu’un sur Sigan, de proche. Probablement lié aux liens cosmiques. Nikita il fait dans les liens cosmiques. Entre sa soulmate, sa putain de soulmate. Et son cluster. Son putain de cluster. Il connaît. Mais à l’inverse du gamin, il préfère rester dans son monde qu’aller les retrouver. Oh ça, ouais, sans hésitation. “C’est chaud, de détester là d’où on vient. C’est pas cool, j’comprends.” Il se lève, finalement, se remet debout, sur le wagon. Il regarde l’heure, sur sa montre. Pas celle qui compte les heures (années, dans son cas) qui lui restent à vivre, l’autre. “Je dois y aller” Il a un match à gagner, et un homme à tuer. “Mais j’reviens ici, souvent. Si toi aussi, on pourra s’y revoir, si tu veux.” Il regarde par terre, se dit qu’il aimerait bien sauter. Se rappelle qu’il est pas tout jeune, et reprend finalement l’échelle pour descendre. Il le regarde de nouveau, d’en bas, avant de sourire, un peu. “Tu sais, ça existe, les passages, entre les mondes. Faut juste les trouver. Et moi j’les connais pas. Mais peut-être que si tu cherches, tu pourras en trouver, ou trouver quelqu’un qui les connaît.” Il lui aurait bien demandé qui c’était, ce lien, sur Sigan, qu’il aurait pu lui filer un message. Mais il le fait pas. Parce que merde, après tout, Nikita, c’est pas un pigeon.