love and other nightmares (yoshua)

« Tu repars ? » Yohan n’a pas prévenu Aedhan. Il a jugé que c’était mieux qu’il ne sache pas exactement où il va ce soir, et comptait s’éclipser discrètement pendant que l’aîné des Rietveld prenait sa douche. C’est plus facile, quand son meilleur ami le pense chez Nao, avec Jesse ou en train de traîner quelque part avec Bebe. « Oui... je... » Il hésite entre toutes ses possibilités de mensonge, et ça suffit à faire soupirer Aedhan, qui frotte ses cheveux mouillés dans une serviette, un air fatigué sur le visage. « J’peux prendre ta chambre si Isaiah ronfle, du coup ? » Yohan sourit et acquiesce, réajustant sa veste sur ses épaules, un peu gêné. Il murmure un salut rapide avant de s’élancer dans les escaliers.
Il sait qu’Aedhan n’est pas contre son couple avec Joshua. Après tout, ça fait des années qu’il connaît le médecin et sait combien Yohan est heureux avec lui - c’est pas le problème. Le problème, c’est qu’Aedhan sait pour Eliott depuis bientôt deux ans maintenant, et que Yohan peut sentir qu’il tique un peu, qu’il ne croit pas vraiment en cette nouvelle chance qu’il se donne avec Joshua. De toutes les personnes qu’Eliott aurait pu aller voir pour faire retirer sa marque, il a choisi son frère - pourquoi ? Yohan se demande parfois si le destin ne s’amuse pas à accumuler les situations complexes, juste pour voir comment elles vont tourner. Récemment, à chaque fois que Yohan mentionne qu’il retrouve Joshua, il sent dans le silence d’Aedhan qu’il n’est pas tout à fait enthousiaste devant toute cette histoire. Yohan aimerait lui expliquer par A plus B que c’est comme ça qu’il est heureux, que les choses ne peuvent pas être autrement, que Joshua et lui, c’est une évidence, mais le dialogue entre eux à ce sujet est inexistant. Et c’est désagréable, parce que Yohan a l’impression que ça met de la distance entre eux, subtilement. Il aimerait qu’Aedhan mette des mots sur tout ça, se mette en colère contre lui, même, peut-être ? Mais non, il n’y a que le silence, et le silence est parfois plus dur à supporter que des mots qui pourraient le blesser ou le vexer.

* * *

L’atmosphère est moite, désagréable, et avec n’importe qui d’autre, Yohan refuserait catégoriquement le contact physique. Mais Joshua est Joshua, alors il oublie complètement la lourde chaleur des rues d’Oriel tant que son amoureux tient sa main et le guide à travers le quartier dans lequel ils sont allés dîner. C’est marrant, de se laisser guider par Josh ici, alors que Yohan connaît probablement Oriel mieux que lui. Mais c’est ce qui fait le charme de la chose. Yohan aime bien quand Joshua décide : la direction qu’ils prennent, le restaurant dans lequel ils vont manger, le film qu’ils vont voir. Joshua a toujours raison, Joshua prend toujours les bonnes décisions. Au fond, ça le rassure, Yohan. Ça lui donne toujours l’impression que rien ne peut lui arriver. Même dans des ruelles sombres et un poil inquiétantes comme celle dans laquelle ils viennent d’entrer, après avoir marché un peu suite à leur dîner. Liz aurait probablement jugé qu’une soirée à l’extérieur n’était pas idéale en plein championnat national… Mais Yohan s’en fiche, de ce que Liz pense bien ou mal. Il n’en pouvait plus de rentrer tard, de manger un bol de pâtes et d’aller dormir. Le rythme soutenu auquel ils s’astreignent en ce moment, ce n’est pas fait pour lui. C’est pas bon pour sa santé mentale, de ne pas consacrer du temps à son amoureux. Alors tant pis pour les conseils : ce soir il est allé dîner au restaurant, et il va passer la nuit avec Josh, que ce soit recommandé ou non. Lui, il est sûr que c’est ce qu’il y a de mieux, et c’est de loin le plus important.
Et comment pourrait-il penser une seule seconde qu’il a fait le mauvais choix quand Joshua l’embrasse comme ça, hein ? « Merci, c’était vraiment trop parfait. » Yohan glisse entre deux baisers. « Kidnappe-moi plus souvent, d’accord ? » demande-t-il. « J’en ai marre. Vivement que le tournoi soit fini. Qu’on puisse partir à l’autre bout d’Altea et oublier collègues, colocs, coachs, médias, tout. » Il a leur expédition dans la tête depuis longtemps déjà. Yohan a besoin de s’éloigner de Central City, de laisser tout les bruits qui parasitent leur relation derrière eux pendant aussi longtemps que possible. Il ne s’est pas senti aussi heureux depuis plus de deux ans, et il fait tout pour se raccrocher au bonheur. Il passe ses bras autour du torse de Joshua et le serre fort contre lui. Pour l’instant, ils ne peuvent tourner le dos tous les deux à leurs boulots respectifs, alors il se contente de ça, ces petits moments entre deux entraînements, entre deux matchs, pendant lesquels il se sent chez lui dans les bras de son amoureux de longue date. Au début, il marchait un peu sur des oeufs, ne savait pas trop comment ils allaient réussir à faire marcher ça de nouveau. Mais très vite, il s’est rappelé d’à quel point tout était simple, tout était évident avec Joshua, et il ne lui a pas fallu longtemps pour chasser ses appréhensions et se plonger de nouveau à cent pour cent dans leur histoire. « Tu penses qu’Avi sera chez vous ? On peut toujours aller dormir à l’hôtel, sinon, j’veux pas déranger… Et puis ça a un truc un peu romantique et sexy à la fois, l’hôtel, non ? » propose-t-il avec un sourire en coin, en laissant de légers baisers dans le cou de Joshua.

« Avi sera pas là. Je le vire s’il l’est. L’hôtel, c’est une merveilleuse idée, mais c’est pas prudent. Pas en ce moment. » Yohan fait la moue, les lèvres collées au cou de Joshua, perdu dans son parfum si familier, si agréable. « T’as raison, c’est ça le pire. » Il soupire, pose sa tête sur son épaule et resserre son emprise autour de sa taille. « Pourquoi t’as toujours raison ? » Nouveau soupir. Non pas qu’il râle sur ce point. Il est bien content que Joshua ait toujours raison : il a eu raison sur l’importance et le potentiel de réussite de leurs retrouvailles après ces années de séparation forcée, et Yohan ne pourrait en être plus heureux. « Tant pis, ce sera pour une autre fois. Un jour. » Il sourit, bercé par les respirations de son amoureux. « Je garde ça dans un coin de ma tête, j’abandonne pas. Un jour. » Peut-être qu’un jour, ils n’auront pas à garder leur relation secrète pour le public, et que ça rendra tout plus facile. Dans leur entourage, tout le monde sait, mais les magazines peuvent inventer n’importe quoi, tourner tout en cauchemar, et ce n’est clairement pas ce dont ils ont besoin, tous les deux. Mais Yohan espère. Un jour, peut-être, ils pourront en parler et il n’y aura pas de retombées catastrophique. Un jour, peut-être, ils pourront s’afficher dans n’importe quel restaurant, dans n’importe quelle rue sans que ça ait la moindre importance pour qui que ce soit d’autres que de vieilles ménagères qui n’ont que ça à faire. Il y croit, vraiment. Et puis il compte pas lâcher Joshua de si tôt, maintenant qu’ils se sont retrouvés et qu’ils filent le parfait amour - enfin parfait, si on oublie la méfiance de leurs proches, bien sûr.
La nuit recouvre déjà les rues d’Oriel, mais la soirée ne semble pas rendre l’atmosphère plus respirable. Et pourtant, Yohan pourrait rester là trois heures. Il en est certain. Étrangement, c’est un frisson dans sa nuque qui lui rappelle qu’ils devraient peut-être se mettre en route et rentrer. Ça lui fait froncer les sourcils, parce qu’il n’y a pas le moindre filet d’air dans la rue dans laquelle ils se sont arrêtés. C’est la fatigue, probablement - qu’il se rassure en rompant leur étreinte et en soupirant une nouvelle fois. « Allez, viens. » Il lui tend la main, et cette fois, c’est lui qui guide la marche, embarquant Josh dans une rue, puis deux, puis trois. Il emprunte celles qu’il sait toujours vide, afin d’éviter de mauvaises rencontres avec des photographes ou des gens qui pourraient les reconnaître.
Ils marchent comme ça pendant un moment, en parlant de leur flemme d’aller travailler le lendemain, en débattant sur leur envie de manger une glace en rentrant. C’est simple, ça fait du bien. Yohan sait déjà que ça ira mieux, demain à l’entraînement. Depuis quelques jours, il faisait n’importe quoi. C’est aussi pour ça qu’il a jugé nécessaire cette escapade avec Joshua. Il avait besoin que son amoureux le remette sur le droit chemin, avec ses mots réfléchis et son calme unique. Qu’il lui rappelle qu’il était capable de le faire, qu’il n’avait pas besoin de se laisser bouffer par la pression du championnat.
« Il fait plus frais, non ? » finit par demander Yohan, après quinze minutes de marche. Il leur reste encore du chemin à faire, mais ils ne sont plus très loin de Soho. C’est surprenant, que l’atmosphère ait changé aussi rapidement. Peut-être que c’est juste qu’ils s’éloignent de la concentration des corps si spécifique à Oriel. Yohan serre un peu plus la main de Joshua, mais quelque chose le travaille. Il finit par s’arrêter en chemin. « Y’a quelque chose qui va pas ? » demande-t-il en levant les yeux vers le médecin. Mais Joshua a toujours son sourire, il semble toujours aussi content d’être là. Ce n’est donc pas lui qui a fait changer l’atmosphère. « Désolé. Je sais pas, y’a un truc qui cloche. J’aime pas cette rue. » Il sait pas d’où ça lui vient. C’est le même sentiment que quand quelqu’un arrive avec une attaque par derrière lors de match.

Peut-être qu’il est juste parano, que l’enchaînement des matchs a fait qu’il est plus souvent sur ses gardes, toujours prêt à réagir. C’est souvent comme ça, en période de championnat. Yohan se réveille même souvent en pleine nuit avec le sentiment qu’il a quelque chose à défendre, alors que l’appartement est calme et que la nuit est belle. Heureusement, la plupart du temps, il y a le bras de Joshua qui vient l’étreindre - parce que Joshua sent tout et qui lui rappelle que tout va bien. Le Small Science Tournament lui a appris à toujours avoir de bons réflexes, à ne jamais se laisser manipuler par une impression de calme ou d’ascendant sur une situation. Ça l’a aidé, plus d’une fois, quand il rentrait tard le soir en passant par les rues les plus sombres d’Oriel. C’est d’ailleurs incroyable, ce paradoxe, chez Yohan : il est un vrai gamin peureux devant des films d’horreur ou quand il croise un insecte, mais quand la situation est sérieuse, il ne fuit pas, et sait garder son sang-froid. Même lui a du mal à l’expliquer, mais c’est probablement le fruit de son entraînement. Il vaut mieux que ce soit dans ce sens là : tant qu’il est serein durant les matchs ou quand on tente de l’agresser, il veut bien passer pour un débile à chaque fois qu’il sursaute et crie devant le nouvel opus de Paranormal Activity.
Mais ce soir, alors qu’il sent quelque chose qui se trame, Yohan n’est pas serein. Aujourd’hui, il n’est pas avec ses coéquipiers de l’équipe, qui savent réagir eux aussi aussi bien que lui. Il n’est pas seul, capable de prendre des décisions rapidement sans se soucier des dommages collatéraux. Il y a Joshua avec lui, et s’il leur arrive quelque chose, Yohan n’est pas sûr d’être capable de garder son sang-froid et de savoir réfléchir correctement comme à l’accoutumée. C’est probablement moi qui arrive pas à décrocher. dit-il quand il voit que son amoureux commence lui aussi à se raidir un peu. Il voulait pas l’inquiéter, ou le mettre mal à l’aise. Il s’en veut presque d’avoir ouvert la bouche. Yohan serre un peu plus sa main. Hors de question qu’il laisse Joshua continuer à s’inquiéter. Il lui envoie un sourire - qui le distrait quelques secondes de son sentiment d’alerte.
Mais quelques secondes suffisent. Il sent la main de Joshua qui lui échappe, et quand il se retourne, il a l’impression que tout s’est transformé en cauchemar.
Il a l’impression que tout son corps tremble en voyant Joshua retomber lourdement sur le dos, à quelques mètres de là où il était une demi seconde plus tôt.
Devant lui, une vision sortie tout droit d’un film d’horreur.
La créature fait deux fois sa taille. Putain.
La seule chose qu’il réfléchit à faire, c’est détourner les yeux le plus vite possible. Il sait que s’il regarde une seconde de plus, il sera paralysé par la peur. Il cherche, à terre, une solution. Des gravats. Il s’aide de son don pour rassembler aussi vite que possible tout ce qu’il peut trouver et le balancer sur ce qui vient de les attaquer. Avec un peu de chance, la poussière sera assez dense pour que la créature perde ses repères pendant quelques secondes.
Il profite d’un recul léger du monstre pour courir vers Joshua, aussi rapidement que ses pouvoirs le lui permettent. Il trébuche au milieu des sacs poubelles, dans la hâte, dans la peur, aussi. Ses mains tremblent quand il les pose sur le visage de Josh. A quelques mètres, il sent que Malia est là, en projection. Bordel de merde. Il ne lui répond pas, elle n’aide pas. Il faut qu’on sorte de là, love. Tu peux bouger? Il essaie d’afficher son air le plus rassurant, essaie de faire croire à Josh qu’il a la situation en main. Yohan! La poussière se dissipe! Fuck. Il ne quitte pas Joshua des yeux. Tu veux que je te porte? Regarde pas derrière moI.

[ma vision du monstre lolilol]

Joshua est un habitué des situations de stress, tout comme lui. Être médecin, ça veut devoir prendre les bonnes décisions, et vite, parce que des vies sont en jeu à chaque fois qu’il est face à un dilemme ou un nouveau danger. Yohan sait bien que Joshua est tout aussi capable de faire face à la situation que lui - c’est juste que son don est moins offensif, et qu’il a peur qu’il ne puisse pas faire grand chose. Ce n’est pas pour rien que dans les tournois de Small Science, les body controllers restent souvent en retrait, et sont ceux qui protègent plus que ceux qui attaquent. C’est pour ça, qu’il lui demande de ne pas regarder. Il veut pas que Joshua se sente impuissant face à la situation - surtout si l’organisme du monstre ne répond pas à ses pouvoirs.
Il dit qu’il peut pas bouger. Merde.
Il faudrait qu’ils appellent des renforts. Mais Yohan sait que chaque seconde est précieuse : le moment d’attention donné à son portable pourrait leur coûter cher à tous les deux. Babe, gagne encore un peu de temps. Dix secondes, c’est suffisant ok ? Il serre la main de Joshua contre son visage, acquiesce vigoureusement, et se retourne. La projection de Malia est toujours là, et elle a l’air aussi confuse et effrayée que lui. J’ai l’impression qu’il se dirige au son. Yohan fronce les sourcils, à moitié caché derrière une poubelle. Il tente de vérifier l’hypothèse de la néphédienne en envoyant valser l’une des poubelles à l’autre bout de la rue. Le monstre se retourne, il est maintenant dos à eux. Malia, je t’aime. Il sort de sa cachette et pousse tout ce qu’il trouve du côté de la rue où ils sont arrivés, en espérant que le monstre soit assez débile jusqu’à ce qu’ils décident de bouger.
Il ne sait pas trop d’où lui vient son sang-froid.
Pendant les match, il est confronté à des choses… humaines, c’est normal qu’il arrive à se contrôler. Mais là ? Lui qui crie comme un enfant devant tous les films d’horreur… Il a du mal à comprendre. Peut-être que ce n’est qu’un cauchemar et qu’il va se réveiller. Peut-être que ses connexions avec les membres de son cluster ont préparé le terrain pour les choses inexplicables. Il en sait rien. Quand le monstre commence enfin à se diriger vers l’autre côté de la rue, Yohan prend une demi-seconde pour l’observer un peu mieux, et son visage se tord en une grimace dégoûtée et effrayée. Ça ne peut pas être réel - et pourtant, il se sent dans le présent, il se sent pas du tout dans un rêve. Il continue à balancer des trucs, parce qu’il ne faut pas prendre la victoire pour acquise, et tente de gagner le plus de temps possible, d’éloigner la créature le plus possible pour que si elle comprenne la supercherie, ils soient en mesure de courir pour aller se réfugier quelque part avant qu’elle leur retombe dessus.
Il attend un signe de Joshua, n’importe quoi, mais n’ose pas tourner la tête pour le regarder, de peur que ce soit ce moment-là que le monstre choisisse pour faire demi tour et lui courir après.
C’est une main autour de son poignet qui lui donne le signal, et les garçons s’élancent aussi vite que possible dans le sens opposé au monstre, raccrochés l’un à l’autre comme si leur vie en dépendait. Peut-être que leur vie en dépend, d’ailleurs. Yohan ne sait pas pendant combien de temps ils courent. Deux minutes, dix minutes, trente minutes. Ça lui semble une éternité. Il sait pas ce que Joshua a fait pour réussir à se remettre sur pied, mais il est impossible qu’il soit parfaitement remis. Quand ils sont enfin dans une rue un peu plus animée - bien que toujours relativement peu fréquentée, Yohan ne pense même pas aux gens qui pourraient les regarder ou les prendre en photo. Il s’arrête, les poumons en feu, et pose ses deux mains dans le cou de Joshua, l’observe sous toutes les coutures. Il finit par laisser tomber son front contre la poitrine de Josh. Il faut… Il faut qu’on appelle la police. Qu’on prévienne. Au cas où. Au cas où ce truc arriverait ici. Il faut. Il faut qu’on rentre. Chacun de ses mots lui brûle la gorge tant ils ont couru. T’as mal? Il jette un coup d’oeil derrière lui. Il faut qu’ils restent sur leurs gardes. Peut-être que la créature les a suivi. Yohan espère que non. Il n’est pas sûr d’avoir la force de mener un combat plus poussé que ce qu’il a fait jusqu’à maintenant.

Contre son front, il entend le coeur de Joshua, affolé. Il fait probablement miroir au sien, qui cogne si fort qu’il sent les battements jusque dans ses tempes, jusque dans ses chevilles. L’entraînement intensif ne change rien à ça - la peur l’a empêché de réfléchir à bien respirer, à faire les bons gestes dans sa course pour ne pas trop se fatigue. La main de Joshua dans la sienne et son désir de l’éloigner le plus possible du danger lui ont fait oublier de préserver son souffle. Ils respirent fort, tentent de reprendre des forces, mais Yohan a l’impression que maintenant que l’adrénaline retombe un peu, il est plus fébrile qu’avant. Et l’image de la bête revient derrière ses paupières à chaque fois qu’il ferme les yeux. Alors il les garde ouverts, ouverts sur les traits de Joshua, le froncement entre ses sourcils qui prouve qu’il est en train de souffrir. Il a envie de tout effacer, la douleur, la peur, mais il ne peut rien faire. Rien.

Ses yeux finissent par chercher derrière eux, paniqués. Il n’a absolument aucune idée d’où vient ce monstre. Aucune. Ce genre de chose n’existe pas à Altea, et de ce qu’il sait, elles n’existent pas à Sigan et à Néphède non plus. On aurait dit un cauchemar fait réalité. Peut-être la terre. Peut-être que ce monstre venait de la terre. Neha et Zazala lui ont parlé de créatures féroces et effrayantes - vues au détour d’expéditions ou évoquées par d’autres habitants des checkpoints. Mais comment aurait-il atterri là ? Comment pouvait-il être aussi grand ? Mille questions lui traversent l’esprit. La foule suffira-t-elle à l’éloigner ? S’il est réceptif au bruit, cela ne veut-il pas dire qu’il va finir par se tourner vers les endroits les plus peuplés et vivants de Central City ? La lumière peut-elle le garder à distance ? Il ne sait pas, et très franchement, il ne compte pas s’engager dans la ruelle de nouveau pour tester ses hypothèses. C’est beaucoup trop dangereux, et ce n’est pas son rôle. C’est le rôle des brigades, des wardens formés à Paracelse pour les défendre des dangers les plus inattendus. Il n’est qu’un botcher. Il a beau accomplir des choses impressionnantes en tournoi, il n’a pas les armes pour faire face à des choses pareilles.
Il pense à tous ses proches. Où ils sont susceptibles d’être.
Il devrait les prévenir, il devrait sortir son téléphone, les appeler un à un, leur dire de rester chez eux. Il pense à sa tante, qui traîne sûrement dans les rues d’Oriel, elle aussi. Il pense à Sydney et Isaiah, qui sont probablement en train de rentrer du travail. Il pense à Aedhan, qui passe la soirée au salon de tatouage. Il pense à Nephtys, il pense à Nashoba. Il pense à Meera. Il pense à ses coéquipiers. Il pense à Kassian et il pense à Eliott. Il ne supporte pas l’idée qu’il puisse leur arriver quoi que ce soit. Il ne peut pas perdre qui que ce soit, il ne peut pas, il ne veut pas.

Ce sont les mains de Joshua qui le sortent de la nouvelle vague de panique qui l’envahit. Ses yeux disent quelque chose comme On est vivants. et Yohan essaie de respirer plus doucement, fait glisser ses yeux sur le visage de son amoureux - crispé de douleur mais intact. Il se réfugie dans leur baiser, savourant le goût de la vie et de la chance. Il enroule ses longs doigts autour des poignets de Joshua, qui tiennent toujours son visage, et les serre fort, comme pour finir de s’assurer qu’ils sont bien vivants, les ancrer dans le sol - réel - sous leurs pieds. Tout va bien babe. Je vais bien. Et toi ? On rentre à la maison, avant. On agit, ensuite. Ok ? Yohan n’est pas sûr que ce soit la meilleure chose à faire. Et les autres ? Est-ce qu’ils les laissent sans rien dire ? Ils ne leur disent pas de fuir ? Il ferme les yeux, n’entend rien derrière eux. Le monstre ne semble pas les avoir suivi : il les aurait rattrapé, depuis le temps. Yohan essaie de se raisonner : ce n’est pas son travail, encore une fois, c’est le travail des brigades. Et depuis qu’ils se sont enfuis, elles ont peut-être été mises au courant, une opération est peut-être déjà en cours. Il essaie de se rassurer : il y a un gouvernement, des organisations, au-dessus d’eux pour gérer de genre de choses. Ok. finit-il par dire. Il acquiesce. Ok. Ils vont rentrer, se poser. Yohan va forcer Joshua à s’allonger, l’observer sous toutes les coutures, en espérant que le coup qu’il a reçu n’a pas laissé de marques plus graves que ce qu’il pense. Et ils vont appeler la police, raconter ce qu’ils ont vu - au risque de passer pour des fous. Mais si eux l’ont vu, d’autres doivent l’avoir vu aussi, pas vrai ? C’est peut-être mieux d’appeler de manière anonyme.

Yohan cesse de fixer les yeux de Joshua pour voir quelqu’un les prendre en photo. Son visage passe de la panique à la colère. Fuck. Ils auraient dû faire plus attention. Si je vois ça dans les journaux, je vous jure que-- Il s’interrompt avant de dire quelque chose qui pourrait nuire à sa carrière, à celle de Joshua, et à leur couple de manière générale. Le mec acquiesce, mais Yohan ne lui fait pas trop confiance. Tant pis, ils ont d’autres chats à fouetter. C’est pas important. Il prend de nouveau la main de Joshua, tant pis pour les passants, et l’entraîne un peu plus loin. Ils faut qu’ils trouvent un taxi. Il passe une main autour de la taille du chirurgien et l’aide à avancer, se cramponne à lui en espérant qu’il ne souffre pas trop. Heureusement pour eux, ils trouvent une voiture rapidement, et entrent, toujours un peu dans la précipitation même si le danger semble passé.
Yohan glisse, doucement, de nouveau ses doigts entre ceux de Joshua, et tant pis pour ce que le chauffeur verra dans le rétroviseur, lui dépose un baiser sur la joue. I love you. Il avait juste envie de dire ça. Un truc qui fait vraiment du sens au milieu de toute la folie qu’ils viennent de vivre.