(#1) yoshua + gray areas

Parfois, c’est facile de croire que rien n’a changé.

22:18 Yohan est debout dans l’encadrement de la porte qui sépare la chambre de Joshua et le salon, et il observe la joyeuse compagnie rassemblée ici aujourd’hui. La famille, les amis, les collègues. Tous des visages familiers qui font partie de sa vie, même après tout ce temps. Il ne devrait pas tous les connaître et être aussi à l’aise avec eux. Les gens normaux s’éloignent, les gens normaux prennent de la distance. Il devrait y avoir au moins un semblant de malaise dans la salle. Quelqu’un aurait dû demander pourquoi Yohan est là, pourquoi il est toujours invité aux anniversaires comme si sa place n’avait pas changé… Mais non. Personne ne semble se poser la question. Il ne voit de gêne ou de doute dans les yeux d’aucun des invités. Il est là, c’est normal, c’est une évidence, et personne ne semble prêt à lui faire la leçon sur le fait que ce n’est pas sain, de rester aussi présent dans la vie de son ex.
Yohan, il fait presque partie des meubles. Il sait où sont les couverts, il sait où ranger les verres, il peut aller chercher lui-même les assiettes pour le gâteau parce que cet appartement, il le connaît sur le bout des doigts. Avi se fait un plaisir de l’envoyer chercher tel ou tel truc, comme si c’était normal, comme si Yohan recevait les invités au même titre que lui et Joshua. On continue à lui parler comme si lui et Joshua était un package deal, alors que pourtant, ce n’est pas le cas. Ils ont chacun leurs vies, avec leurs métiers et leurs responsabilités. Ils ne rentrent plus au même endroit le soir, ils ne se baladent plus main dans la main le dimanche quand il fait beau, ils ne vont plus voir tous les films ensemble au cinéma. Mais on continue de partir du principe qu’ils sont toujours fourrés ensemble, que si Joshua a fait quelque chose, Yohan l’a fait aussi. Ça devrait pas être comme ça. Si encore, ils s’étaient séparés y’a quelques semaines… Peut-être. Mais là ? Ça fait longtemps, beaucoup trop longtemps pour que ce soit encore normal.

00:36 « Pas de trucs louches dans la cuisine. » La voix d’Eli - qui vient chercher un verre dans la cuisine - le prend de court, et Yohan sursaute un peu. Par réflexe, il fait un pas en arrière. La bulle éclate et soudain, il se rappelle qu’il peut plus sourire comme ça à Joshua, qu’il a plus le droit de détailler son visage des yeux, qu’il devrait pas rechercher constamment le contact entre leurs corps - que ce soit leurs mains qui se frôlent ou son pouce qui vient dégager une miette de gâteau aux coins de ses lèvres. Le rouge lui monte au joues, et il se remet à servir des verres de champagne, n’osant pas trop relever les yeux vers Eli, ni même vers Joshua. Il n’a jamais été du genre à rougir comme ça - la plupart du temps il assume pleinement ce qu’il fait, et tend même à exagérer les choses quand on les lui fait remarquer, pour amuser encore plus la galerie.
Mais là, c’est sérieux.
Il le sait parce qu’il pense qu’à ça depuis plusieurs jours. Le fait que Joshua et lui recommencent à passer beaucoup trop de temps ensemble, à agir comme avant - les signes d’affection en moins. Il pense qu’à ça et il se sent extrêmement coupable. Il en a pas parlé, parce que assumer à voix haute serait rendre les choses réelles. Yohan espère encore que ça va lui passer, qu’il va bien finir par laisser Joshua partir.
Il espère - mais en même temps, il a pas envie.

03:09 « go get him, tiger! » Yohan écarquille les yeux et lâche un rire quand Gali lui murmure à l’oreille, un peu éméché, son manteau sur l’avant-bras, flamboyant dans sa veste absolument exceptionnelle que le sportif aurait bien aimé voler. « tss, t’es bourré. » Il n’a pas trouvé mieux à dire, un peu décontenancé. Gali lui lance un clin d’oeil en passant, la porte, et très franchement, Yohan n’a pas le moindre doute sur ce que Gali voulait dire par là… Il secoue la tête, comme pour chasser l’idée.
Le salon est bien calme tout à coup.
Tous les invités sont partis, et Avi accompagne sa soeur et Julia jusqu’à chez elles. Joshua et Yohan ne sont plus que tous les deux, à ranger un peu le salon, à débarrasser les assiettes dans lesquelles il ne reste plus que des miettes du fabuleux gâteau acheté pour l’occasion. Il aime bien, Yohan, ces moments-là. Après les soirées, quand le silence revient, et qu’on se rend compte que… oui, on a passé une excellent moment, qu’on se sent bien, et que quand même, bah c’est pas trop mal, d’être vivant. Ce serait mentir de dire qu’il se sent parfaitement en forme… Mais ça faisait longtemps qu’il s’était pas senti aussi bien. Et c’est déjà beaucoup. « Qu’est-ce que c’est que ça ? » Il est penché sur une espèce de petite mallette qui contient plusieurs couteaux. « Est-ce que c’est un de tes cadeaux ? » Yohan rit un peu et sort un des beaux couteaux du coffret. Il tourne des yeux amusés vers Joshua. « T’as menti à quelqu’un et dit que tu faisais souvent la cuisine ? » Il rit de nouveau. « Publicité mensongère… » Son sourire s’affaisse un peu quand, en voulant tester la lame, il se coupe le pouce comme un débile. « Merde. » Il rattrape la goutte de sang qui s’apprête à tomber sur le plancher grâce à la Small Science et file au dessus de l’évier. « Oui, je suis un boulet, t’as pas le droit de te moquer. On va dire que c’est la surconsommation de sucre qui me fait faire des trucs débiles. » Joshua se rapproche et son parfum couvre celui du sang. Yohan a l’impression d’être chez lui. Cette fragrance, c’est celle du confort, du bonheur, des beaux souvenirs. C’est le parfum d’une époque que Yohan aimerait ne pas voir révolue.

Parfois, c’est facile de croire que rien n’a changé.

Un anniversaire, c’est heureux. Et pour Joshua, ça a toujours été annonciateur de bonnes nouvelles. Les cadeaux ont toujours été des cadeaux à la hauteur des amitiés qu’il s’était forgées (sauf les cadeaux d’Avi, ils sont toujours très pourris, les cadeaux d’Avi), et parfois, les cadeaux devenaient des changements dans sa vie qu’il avait pas prévu, qui était les bienvenus. Il se souvient de l’anniversaire de ses dix-huit ans, quand ses parents lui ont dit qu’il allait maintenant avoir une colocation avec Avi, à Soho, pour pouvoir s’éloigner des projecteurs, pour pouvoir se reposer, pour pouvoir passer du bon temps sans avoir trop peur d’être pris sur le fait. Il se souvient de l’anniversaire de ses vingt-et-un an, quand Avi (c’est vraiment le seul bon cadeau qu’il lui ai fait, de sa vie), lui a offert le chien. Neige. La chienne. Ils l’ont su que plus tard. Avi était dégouté, il voulait une “coloc entre mecs”. L’boulet.
Il se souvient de tous les cadeaux qu’il a reçu depuis ses cinq ans. Avant, il les a oublié. Parce qu’il le voulait, plus que parce qu’il les a pas retenu. Il pourrait s’en souvenir s’il cherchait vraiment, mais. Y’a aucune intérêt, réel, à se souvenir de ses cadeaux d’anniversaires. Alors de ceux d’avant ses cinq ans, c’est carrément inutile.
Depuis des années, les invités restent globalement les mêmes. Certains s’ajoutent pour un an, des amis du moment, puis arrêtent de venir, aux années qui suivent. Ils jurent de jamais dire à qui que ce soit, qu’il existe, cet appartement. Il fait rien signer, Joshua, il leur fait assez confiance pour ça. Jusqu’à maintenant, il s’est jamais trompé sur la confiance qu’il donnait aux gens.
Et y’en a qui s’ajoutent pour rester. Cette fille, adorable, qu’a débarqué pour la première fois y’a trois ans, qui bosse dans le magasin de bonbon, qui vient depuis trois ans. Qui lui offre son poids en sucette tous les ans. Dans le secret le plus total des autres, bien sûr.
Et cette fille, justement. Elle connaît Yohan. C’est étrange, à voir. Joshua voit des liens entre les gens qu’il a invité, qu’il ne connaissait pas forcément. Il en prend un coup. De pas tout connaître. Surtout quand ça concerne Yohan.

Les gens diront que c’est bizarre. Avi dira que c’est malsain. Eli dira que c’est. Eli dira rien, elle s’en fout. Julia dira que c’est ‘oh mais trop bieeeen’. Mais Julia aime, quand c’est le dawa dans sa vie, à Joshua. Les autres, les autres trouvent juste ça, bizarre. Joshua comprend pourquoi. Voit leur point de vue. Serait très probablement à leur place s’il était pas à la sienne. Il dirait ce qu’ils disent, si ça concernait un ami à lui. Mais ça le concerne lui, et Yohan. Et pour eux, y’a rien de bizarre. Après tout, ils sont juste sortis ensemble, et ont terminé leur relation d’un commun accord, en tant qu’amis. Proches. Y’a rien de bizarre, à ça. Les surnoms sont restés, bien. Les baisers sur les coins des lèvres aussi, très bien. Y’a rien de bizarre à ça, à partir du moment où eux, trouvent pas ça bizarre. A partir du moment où eux, se sentent bien comme ça.
Eux, ont besoin de ça.
Joshua en a besoin en tout cas, c’est sûr.

Forcément, y’a eu des contacts pendant la soirée, évidemment. Et beaucoup plus qu’avec n’importe quel autre invité. Parfois, des contacts juste entre eux, des contacts habituels, mais juste plus fréquent qu’entre deux amis. Deux amis, normaux. Et y’avait les autres contacts. Ceux qu’ils ont pas réussi à cacher. Ceux souvent initiés par Yohan, les pas forcément accidentels. Même si, en toute sincérité, aucun contact n’est vraiment accidentel quand ça concerne Yohan. C’est juste que Joshua. Joshua a besoin, de ça.

Il est trois heures du mat quand les derniers invités finissent par partir. Et il irait volontiers se coucher tout de suite, Joshua. Il peut pas. Il doit commencer à ranger. Et puis il veut pas. Yohan est pas encore parti. Avi est parti “raccompagner sa sœur et Julia” mais Joshua a aucun doute sur le fait qu’il rentrera pas de la nuit. Il avait l’air de dévorer une des invités du regard. Le genre d’invité qui reste qu’un an.
C’est peut-être pour ça, au final, qu’elles restent qu’un an.
Il range, entend, sent plus que ne voit Yohan l’aider à ranger, à côté. Jamais trop loin. Jamais trop près. Yohan n’est jamais, jamais trop près.
Il se retourne quand il l’entend poser une question, parler, lui montrer le cadeau d’Avi. Cadeau pourri. Cher, beau, magnifique même, mais d’une utilité réduite. Très, très réduite dans son cas.
Les remarques de Yohan le font sourire. Un peu plus à chaque fois qu’il ouvre la bouche. Il sent l’envie de tendre la main vers lui pour lui dire de faire attention quand il sort un des couteaux de son étui, mais le fait pas. Il l’aurait probablement fait, avant. Plus maintenant. Maintenant, il le laisse faire tout seul. Il est grand Yohan. Et surtout, plus sous sa responsabilité. Ou en tout cas, pas, pas comme ça.
Alors qu’il a ce sourire en coin du Joshua qui rit à moitié à une pique balancée par Yohan (c’est un sourire très particulier), ce qui devait arriver arrive, et Yohan se coupe le pouce. Joshua le suit vers l'évier du bar, qu’est toujours dans le salon. Et le regarde. Observe les gouttes de sang tomber sur l’inox. Avi voulait mettre un évier en verre. Joshua l’a envoyé balader.
Il rigole, malgré la demande très claire de pas se moquer de Yohan, pose une de ses main sur ces cheveux qu’il connaît tant, geste habituel, et bouge son pouce, quelques centimètres. Presque une caresse, c’en est pas une.
Sourit, garde sa main sur les cheveux de Yohan. Doucement, il approche son autre main de cette qu'est sous l'eau, la sort du torrent froid. Garde sa main dans la sienne, pose l'autre dessus, le recouvre de la main qu'il vient d'enlever de ses cheveux.
Se concentre, finalement.
Il aime pas forcément utiliser son don sur les autres. Il trouve ça trop intime, trop comme donner une partie de lui-même.
Avec Yohan, c’est différent.
Yohan, il pourrait le soigner d’une maladie mortelle s’il le devait. Quitte à ce que ça l’épuise lui.
Parce qu’il a jamais eu de mal à donner des parties de lui-même, à Yohan.

Il a pas besoin de beaucoup de concentration, la coupure se referme doucement, facilement. Joshua le sent, concentre son regard sur les mains, attachées l’une à l’autre.
Parce qu’il préfère regarder ça, que de regarder son visage, à Yohan.
Trop peur de voir ce qu’il pourrait ressentir, ou y trouver.

Depuis qu’ils se sont rencontrés, Yohan n’a pas manqué un seul des anniversaires de Joshua. Quand on y pense, ça fait beaucoup d’anniversaires. Huit, s’il calcule bien. Il a du mal à imaginer que tant d’années soient passées depuis le jour où leurs chemins se sont croisés. C’est bizarre, de faire le compte des choses qu’ils ont vécu ensemble - des épreuves qu’ils ont traversé. Souvent, Yohan, ça l’effraie presque plus qu’autre chose. Quand il fait le bilan, il a l’impression que Joshua a toujours été là. La seule chose qu’il n’ait pas traversé avec lui, c’est la mort de sa mère et le remariage de son père dans la foulée. Mais le reste… Pour tout le reste, il était là. Le passage du processus, la découverte de son potentiel warden, la portée aux nues puis le désamour du père Park. Joshua était là quand Yohan a dû partir de chez lui, brisé et désespéré. Joshua était là pour l’aider à s’installer chez Aedhan et Isaiah, après que ceux-ci aient accepté de lui filer la dernière chambre de l’appart. Il était là quand la soulmark est apparue et a bouleversé tous leurs plans et leurs espoirs. Joshua était là, avec lui, quand il a décidé de renoncer au nom de son père pour prendre le nom de sa mère. Il lui tenait la main quand June, sa petite soeur, lui a dit que toutes les photos de lui avaient disparu à la maison - comme s’il n’avait jamais existé. Joshua était là pour les mois que Yohan a passés à bosser dans une salle de danse pourrie avant d’être recruté par les Misfits. Il était là pour le premier match - et la plupart des autres aussi, quand ses horaires le lui permettaient. Il était là pour les premiers podiums, il a souri en voyant les premiers fans que Yohan a gagné. Il était là quelques heures après qu’Eliott ait brisé sa soulmark et que Yohan a bien cru qu’il allait mourir - oui, il était là malgré tout. Yohan aurait aimé qu’il reste loin, ce jour-là, mais Joshua était là.
Joshua a toujours tellement été là que Yohan, il a du mal à imaginer sa vie sans lui.
Qu’est-ce que c’est, une vie sans Josh, hein ?
Il le sait pas. Et il a pas envie de le savoir. C’est égoïste, probablement. Mais ils sont tous les deux égoïstes, dans cette histoire, au final, à pas savoir se laisser vraiment partir.

La main qui se glisse dans ses cheveux est à la fois familière et inattendue. Yohan sent qu’il se tend un peu - un petit frisson lui parcourt l’échine. Il aimerait dire que c’est juste parce que l’eau est froide. Ce serait probablement plus simple si c’était juste à cause de la température de l’eau. Bien sûr, Josh intervient sur sa petite blessure - il peut pas s’en empêcher, hein ? Ça fait un peu sourire le sportif, qui laisse bien sûr ses yeux noirs glisser sur le visage de son ex. Il aime bien cet air concentré. Joshua a le même quand il lit quelque chose, quand on lui parle d’un sujet qui l’intéresse. Yohan a toujours trouvé ça étrangement charmant. « Merci. » Le mot est plus murmuré qu’autre chose. « T’étais pas obligé, tu sais. » Bien sûr qu’il sait. Yohan finit par baisser les yeux sur leurs mains jointes, étant donné que Joshua ne semble pas prêt à le regarder. Il sait pourquoi il hésite - il ressent cette électricité autant que lui, sans le moindre doute.
Après quelques longues secondes, Yohan pince les lèvres et délie leurs mains. Il ne faut pas qu’il laisse les moments de Silence, les moments électriques, s’étirer. C’est un peu trop dangereux. Il ne se fait pas confiance à lui-même. Plus leurs corps se frôlent, plus leurs regards s’étirent, et plus c’est difficile de réfréner cette envie de franchir la ligne. Cette ligne qu’il ne doit pas franchir. Il serre une dernière fois la main de Joshua avant de faire un pas en arrière et de reprendre le rangement de la cuisine. Pendant quelques minutes, il reste silencieux, essayant de se concentrer sur autre chose que sur le fait qu’ils sont enfin tous seuls. Ce n’est pas arrivé depuis un moment. Il y a toujours quelqu’un avec eux : Avi, Isaiah, Julia, Gali… Peut-être que c’était un moyen de se protéger, d’avoir systématiquement une troisième personne dans l’équation.

« J’imagine qu’Avi ne va pas rentrer ? » finit-il par dire alors qu’ils commencent enfin à y voir plus clair dans l’appartement. Après tout ce temps, Yohan n’est pas dupe. Tss. Ça le fait soupirer. « Je vais t’aider à finir de ranger, avant d’y aller. Non, d’ailleurs, je vais tout ranger, et toi tu vas t’asseoir. C’est toujours ta soirée d’anniversaire, t’es pas censé travailler. » Il travaille d’ailleurs déjà trop le reste du temps. Avi aurait quand même pu rester pour aider, cet idiot ! Un vrai ami indigne. Yohan trouve une sucette qui traîne sous l’un des coussins du canapé. « Tu peux aller te coucher, si tu veux. » Il lui tend le bâtonnet, un sourire aux lèvres, et rencontre ses yeux. « T’as passé une bonne soirée, au moins ? » Il repense aux couteaux. « Le cadeau pourri d’Avi mis à part, bien sûr. » Yohan espère que Joshua gardera un aussi bon souvenir de cet anniversaire que les autres années. Il espère qu’il se souviendra de la veste fabuleuse de Gali. Qu’il se souviendra des bonbons que Jesse a ramené, couvrant les visages de tous les invités d’une joie enfantine. Il espère qu’il se souviendra du karaoké dans lequel Avi et l’un de ses collègues se sont lancés, en plein milieu de la soirée. C’était une bonne soirée. Égoïstement, Yohan espère aussi qu’il se souviendra qu’il était là.

Joshua, il est connu pour être assez courageux. Il irait pas jusqu’à prendre une balle à la place de quelqu’un, mais essayer de sauver quelqu’un en s’assurant que personne se prenne de balle du tout, ouais, c’est son genre. Il est pas du genre à regarder la scène se dérouler sans broncher. Ou, s’il le fait, c’est que c’est trop dangereux pour lui d’intervenir. Et que de toute façon, il pourra toujours essayer de soigner la personne après. Il a jamais été lâche. Se protéger soi avant de protéger les autres, c’est pas lâche, c’est juste, raisonnable. Mieux vaut un mort que deux, dont un dans l’exercice stupide d’un acte héroïque loupé.
C’est pas le sujet.
Le sujet, c’est le courage de Joshua qu’a tendance à se faire la malle quand Yohan est trop près.
Le sujet, c’est le fait que Joshua a tendance à regarder les gens dans les yeux quand il leur parle, essaye d’y déceler le moindre malentendu, la moindre maladresse, le moindre message subliminale qu’ils pourraient essayer de lui faire passer. Et qu’avec Yohan, il veut surtout pas déceler tout ça. Surtout pas de messages subliminaux incontrôlés.
Pas qu’il pense automatiquement qu’il y en aurait. Mais rien qu’avoir la crainte qu’il pourrait y en avoir. Surtout sans vraiment que Yohan s’en rende compte, de ce qu’il pense, transmet
Joshua le regarde pas dans les yeux.
Joshua joue au lâche.
Il contrôle ses mains, qui entourent la sienne, pour pas qu’elles tremblent. Il sait comment faire, pour empêcher ses mains de trembler. La réussite ou défaite de son job tient principalement du fait que ses mains tremblent ou pas. Et pourtant, c’est compliqué, il se rend compte, de les contrôler. Plus que d’habitudes. Plus que dans un bloc, alors qu’il a besoin de plonger ses mains dans une plaies ensanglantées.
La main de Yohan est plus dangereuse, qu’une plaie ensanglanté. Et puis, beaucoup plus emplie de souvenirs. Les souvenirs, chez Joshua, c’est mauvais, souvent. Ça lui envoie des sensations, des émotions, dans le cas de Yohan. Et parce qu’il a pris un ou deux verres de trop, et que de le toucher c'est un déclencheur à être un peu ailleurs, ça lui envoie aussi des envies, des pulsions.
Il le remercie finalement. Il a une belle voix Yohan, a toujours eu une très belle voix. Et ça n’a rien à voir avec le fait qu’ils aient été ensemble pendant plusieurs années, non. C’est une voix qu’on aime écouter. Que Joshua aime entendre. Alors il sourit, ses mains encore refermées sur la sienne, qui doit probablement être guérie, maintenant.
Pourquoi il lâche pas ? Mystère. Faudrait pas lui demander, il serait incapable de répondre. Ou répondrait quelque chose s’approchant de : j’avais aucune raison de lâcher précipitamment. Sans penser derrière à : t’avais aucune raison de pas lâcher.

Il hausse les épaules, ensuite. Pas obligé, qu’il a dit. Joshua aimerait lui dire, que si, il l’était. Que s’il l’avait pas soigné avec son pouvoir, il aurait très probablement été cherché du désinfectant et un pansement, parce que, que ce soit Yohan ou pas, c’est son job, à Joshua, de soigner les gens. Et laisser quelqu’un qui vient de se couper avec la main sous l’eau, c’est pas quelque chose qu’il ferait. Que ce soit Yohan ou un inconnu, face à lui. Le fait qu’il ait utilisé son pouvoir. C’est Yohan. Et c’est le fait qu’il pouvait. Parce que c’était Yohan. Et qu’aller chercher un pansement à l’autre bout de l’appart alors qu’il pouvait utiliser son pouvoir, c’était ridicule, et une perte de temps.
Et que cette eau était très froide.
Mais il dit rien, Joshua. Il a cette étrange impression que s’il devient trop pratique, ou s’il dit quelque chose pour comparer Yohan au reste du monde, lui dire que c’était pas parce que c’était lui, mais parce que c’était une déformation professionnelle, il allait ruiner le moment. Et il veut pas ruiner le moment. Quoique ce moment soit, une chose est sûre, c’est que c’est agréable. Vraiment agréable.
Il sent une dernière pression sur ses mains, et plus rien. Yohan s’est reculé, Yohan a retiré ses mains.
Ça aurait arrangé Joshua de se dire qu’en le faisant, il a brisé cette bulle étrange qui s’est formé dès que Joshua a touché ses cheveux, mais, c’est pas le cas. Joshua, en tout cas, le sens pas comme ça.
Il a plus l’impression que plus Yohan s’éloigne, plus la bulle s’agrandit pour le garder à l’intérieur.
Il aime pas cette sensation.
Cette sensation lui fait peur.

Puis sa voix, il parle d’Avi. Et Joshua lève, enfin, les yeux vers lui. ll les avait gardé sur le comptoir, là où étaient leur mains liés plus tôt.
Paumé, Joshua.
Il sourit. Non. Avi va pas rentrer. Et Avi l’a même peut-être fait exprès. L’a sûrement, fait exprès. Joshua, ça l’énerve. Il l’énerve, quand il prend des initiatives foireuses comme ça. Ça arrive, en ce moment, de plus en plus souvent. La dernière fois, il était allé bouder dans sa chambre. Laissant Joshua et Yohan jouer tous les deux dans le salon.
Mais la dernière fois, c’était Gali qui s’était retrouvé face à Yohan, et Joshua face à un homme à qui sauver la vie.
Avi avait échoué. Avi a peut-être réessayé.
Il écoute Yohan, rigole doucement, secoue la tête, négativement. Pas question qu’il le laisse tout ranger. Yohan le connaît pourtant, pourquoi est-ce qu’il lui propose des trucs comme ça ? Si Avi l’avait proposé (même si c’est une situation potentiellement impossible), il l’aurait laissé faire. Mais Avi a des heures de ménages à rattraper sur leur corvées. Pas Yohan. Et Yohan habite pas là.
Et Yohan a vraiment pas à faire ça pour lui.

Se coucher, ça semble une bonne idée. Il a bu un peu trop, fumer un peu trop, mangé un peu trop. Il a pas encore ouvert les sucettes de Jesse, et il en est heureux, personne sait, à part sa famille et Yohan, de ceux qu’étaient présents. Et, Jesse, évidemment. Il a plus envie de vomir que d’aller se coucher, d’ailleurs, mais il le dira pas. C’est pas classe.
Il choppe le bâtonnet aux mains de Yohan, fait tout son possible pour pas frôler ses doigts, échoue, un peu. Enlève le papier, et met la sucette dans sa bouche. S’affale sur le canapé, enfin. Yohan est pas trop loin, il le regarde. Et il croise ses yeux. Et il aime pas ça, parce qu’il sait que ce qu’il pense est évident. Il sait que Yohan le connait assez pour voir que, ce serait quand même vachement cool, s’il pouvait venir s’échouer à côté de lui sur le canapé, et qu’ils s’endorment juste comme ça, dans les bras l’un de l’autre. Ce serait un beau cadeau d’anniversaire.
Il veut pas que Yohan voit ça. Alors il baisse les yeux, joue avec la sucette, la fait passer d’un côté à l’autre de sa bouche, la tourne dans tous les sens.

Hm. Ch’était Cchool.

Sourit, enlève la sucette de sa bouche.

J’étais content que tu sois là.

Qu’il dit finalement.
Il a bu quelques verres de trop, Joshua, pour dire les choses aussi facilement. Il s’allonge sur le canapé, ses jambes balancent au bout, surélevés par l’accoudoir, puis laissés tombé dans le vide, les yeux fermés, la bouche fermée sur une sucette au goût de pomme.
Il est décontracté, il joue pas un rôle. Il est pas le classe Joshua, ni le trop silencieux. Il est le Joshua qu'une seule personne connaît vraiment. Le Joshua qu'il ose être juste avec lui.

Yohan s’attend à ce que Joshua lui dise qu’il est hors de question qu’il range l’appart alors que ce n’est même pas chez lui - mais même pas. C’est ce qui lui confirme définitivement que Joshua est préoccupé. Il le voyait déjà sur son visage avant - dans le petit froncement entre ses sourcils, dans ses silences… Mais là, au moins, c’est clair. Le médecin attrape la sucette et s’affale sur le canapé, Yohan a bien envie de lui poser des questions, de démêler cet air sérieux, mais il a une petite idée de ce qui se passe dans la tête de son ex - parce qu’il se passe la même chose dans la sienne - alors se dit qu’il vaut mieux qu’il se taise. Il ne veut pas prétendre être sûr de ce que Joshua est en train de penser… Mais ils se connaissent trop pour qu’il soit complètement naïf. Et puis ça fait déjà des semaines que ça dure, ce… truc. C’est juste que jusqu’à maintenant, ils ne se sont pas encore  retrouvés seuls tous les deux au milieu de la nuit, un peu alcoolisés, et conscients de la bulle dans laquelle ils se complaisent depuis quelques temps. Leurs regards se croisent, Yohan sourit un peu mais essaie de ne pas en faire un sourire… qui veut dire des choses. Mais c’est pas facile. L’espace libre à côté de Josh sur le canapé l’appelle. Ce serait tellement facile d’aller s’asseoir, de recréer la proximité, de se blottir contre son flanc et juste… d’être bien. Mais il faut pas.
« Hm. Ch’était Cchool. » Yohan reprend un peu à ranger, tournant le dos à Joshua - parce que c’est plus simple. Mais il sent les yeux du Rhee sur son dos. « J’étais content que tu sois là. » La phrase est lâchée si naturellement que ça le stoppe un peu dans son élan. L’alcool aide, probablement. Mais quand même. Il aime bien quand Joshua balance des trucs comme ça, et qu’il sent que ça vient du coeur. Au final, ça le fait plus sourire que ça le gêne. « Moi aussi, j’étais content d’être là. » Il le dit doucement, et puis reprend le rangement. Pendant un moment, ils restent silencieux, tous les deux. Joshua regarde le plafond, sa sucette dans la bouche et ses pieds dans le vide. Yohan continue à faire des allers-retours pour débarrasser l’appartement du gros des signes de la fête. En quelques minutes, les assiettes sont toutes dans l’évier, les verres également, les trucs qui traînaient par terre trouvent leur chemin jusqu’à la poubelle - aidés par les manipulations de l’air d’un Yohan fatigué et un peu flemmard.
Quand l’endroit ressemble un peu plus à ce qu’il était avant que tout le monde débarque, Yohan s’étire. Techniquement, il devrait partir là, maintenant. Dire à Joshua qu’il était content de venir, que c’était une super soirée, qu’ils se verront probablement au match dans deux semaines, et qu’il peut l’appeler s’il a besoin de quelque chose. « T’endors pas avec ta sucette dans la bouche. » fait-il en revenant dans le salon. Ça a toujours été sa hantise, avec ces fichus bâtonnets. C’est peut-être une peur débile, mais l’idée qu’il puisse s’étouffer l’a toujours hanté. Yohan jette un coup d’oeil à l’heure. Il est bientôt trois heures trente du matin. Il n’y a plus de transports, il va être obligé de rentrer en marchant. Pas que ça le dérange : il a une sainte horreur des transports en commun - mais c’est une bonne marche, jusqu’à Oriel. Il va lui falloir ses écouteurs. Et probablement un café s’il veut rester éveillé tout du long.
Il devrait partir. Mais ses jambes le portent jusqu’au canapé sans que sa raison puisse y faire quoi que ce soit. Il se demande pourquoi il est en train de faire ça en se rapprochant de Joshua, mais son corps ne s’arrête pas pour autant.
Il a choisi la facilité.
Ou la débilité, même, peut-être.
Yohan s’assoit sur le canapé, soulève la tête de Joshua pour la poser sur ses jambes - comme au bon vieux temps. C’est loin d’être raisonnable, mais promis, dans dix minutes, il s’en va, avec un café dans la main, et il rentre dormir chez lui, dans sa nouvelle chambre avec les murs fraîchement repeints. « Et voilà, une année de plus. » dit-il en posant sa tête contre le dossier du canapé. Sa main trouve les cheveux de Joshua - un peu malgré lui. Les habitudes reviennent beaucoup trop facilement. Tout est beaucoup trop normal et familier. Beaucoup trop. Yohan pince les lèvres et finit par baisser la tête pour regarder son vieil amoureux. « Je devrais arrêter de venir à tes anniversaires, quand même. » Il le dit autant pour Joshua que pour lui-même, osant enfin réfléchir tout haut. « Aedhan a pas arrêté de me répéter que c’était pas sain - il m’a gonflé. » Il esquisse un petit sourire. « Pas que ce qui sort de sa bouche m’intéresse, mais on sait tous les deux qu’il a un peu raison. » Il pince un peu les lèvres. « Faudrait pas que je fasse fuir ceux qui s’intéressent à toi... » Ça l’amuse de penser à ça - Joshua en a plein, des gens qui s’intéressent à lui. Yohan l’a vu plus d’une fois de ses propres yeux. Les patients, les collègues, les journalistes. Comment ne pas développer un crush pour lui, en même temps ? Il a pas réussi à l’éviter lui-même, alors il ne peut pas vraiment blâmer les autres. Ils ont déjà eu cette conversation auparavant, bien sûr. Souvent à propos de leurs not-anymore-anniversaries. Yohan lâche un soupir un peu triste. « On.. On devrait peut-être essayer de se voir moins, non ? » Il l’a dit du bout des lèvres - parce que même si ce serait la meilleure chose à faire, ça ne le réjouit pas particulièrement. Au contraire, ça fait peser un poids sur la poitrine, d’y penser. « J’ai l’impression que plus on se voit, plus ça complique les choses. » Le ton est un peu triste, et Yohan continue de jouer avec une mèche de cheveux qu’il fixe, évitant le regard de Josh.

Joshua regrette déjà d’avoir bu pendant la soirée. Se retrouver seul avec Yohan était pas prévu dans l’after, et il a pas fait attention. S’il avait su, s’il avait imaginé que Yohan resterait avec lui pour ranger - dans l’cas présent, rangerait à sa place -, il aurait pas bu. Pas même une seule goutte. Il aurait peut-être un chouilla moins profité du moment, mais il serait pas là, à dire des catchphrases toutes droites sorties d’un film romantique à l’eau de rose.
Il sent le sourire de Yohan plus qu’il ne le voit. Après tout, la seule chose que voit Joshua pour l’moment, c’est le plafond, et la tige de sa sucette. Mais la bulle se réchauffe, cette bulle dans laquelle ils se sont enfermés quand Joshua a initié le premier contact une fois qu’ils ont été seuls. Et ce réchauffement, il peut être provoqué que par un sourire. Puisque Joshua ne sourit pas, ça peut venir que de Yohan. C’est probablement pas le sourire en lui-même, d’ailleurs. Ca doit être juste que l’émotion changeant, l’ambiance l’accompagne. Mais quand Yohan est content, il sourit.
Alors il doit être en train de sourire. Et ça fait sourire Joshua.
Yohan a toujours eu un sourire qu’a tendance à contaminer les gens aux alentours.
Il s’en veut, Joshua, de laisser faire Yohan, de le laisser ranger sans rien faire. Mais il aurait jamais du s’affaler sur ce canapé. Il a plus aucune envie de se relever maintenant. Même si, encore une fois, s’il avait pas bu ce soir, il aurait pris sa flemme à deux mains, se serait levé et aurait aidé Yohan. Même, possiblement, l’aurait obligé à s’asseoir alors qu’il finissait de ranger. Ca aurait été bien. Mieux. Normal.
Joshua sent, plus que ne voit, encore, la pièce se débarrasser. Il sent certains courants d’airs, provoqués par le pouvoir de Yohan, et ils lui donnent des frissons qui laissent une chair de poule apparente. Il faut à peine quelques minutes à Yohan pour que la pièce ressemble de nouveau à quelque chose. Il a toujours été le plus doué des deux pour le rangement. Faut dire que Joshua a toujours eu des gens payés pour ranger à sa place. Moins depuis qu’il est dans l’appart avec Avi. Mais quand même.
C’est avec ces courants d’air, la seule présence de Yohan, que Joshua ferme les yeux. Il s’endort pas vraiment, mais il est dans cet entre-deux qui laisse conscient de la réalité, tout en embarquant l’esprit ailleurs. Qui laisse l’esprit déferler vers des interdits, ou vers des idées qu’on a normalement pas. Dans cet ailleurs, y’a Yohan. Et y’a Joshua. Et y’a qu’eux. Y’a plus de soulmark, ni sur l’un, ni sur l’autre. Et Joshua est heureux. Tellement heureux.
La voix de Yohan l’ancre à la réalité. Et il pourrait vraiment lui en vouloir, si la vision d’un Yohan inquiet le faisait pas étirer ses lèvres en un sourire doux et amusé. Il enlève le bâtonnet d’entre ses lèvres, le rond de sucre a quasiment disparu. Il la garde à la main quelques secondes, regarde Yohan, et la remet pour la terminer.

Il s’attend à tout. A ce que Yohan parte sans rien dire, à ce que Yohan parte en souriant, parte en lui disant au revoir. Parte, en tout cas. Il s’attend qu’à moitié à ce qu’il vienne le rejoindre sur le canapé. Et il y réfléchit, finalement, y’a rien d’étonnant. Il aurait fait la même chose, si les rôles avaient été inversés.
Sa tête sur les genoux de Yohan, c’est ce doux sentiment de normalité, d’évidence. C’est sa place, c’est ça, évidemment, que c’est ça. Ses mains dans ses cheveux, c’est leur place. Et Joshua ferme les yeux, profite du moment, insécure du temps qu’il va durer. S’il pouvait durer éternellement, ce serait bien. Mais Joshua est bien placé pour savoir que le temps est précieux, que le temps file, vite, et qu’un instant comme ça, c’est exactement ça. Juste un instant.
Yohan se remet à parler finalement, et même si sa voix est toujours doux aux oreilles de Joshua, même s’il adore l’entendre parler, il aime pas ce qu’il entend, les mots, la signification de ce qu’il dit. Il est encore à moitié endormi, un peu alcoolisé. Et pas prêt pour entendre ce genre de sottises. Arrêter de venir ? Aux anniversaires ? Pourquoi ? Y’a aucune raison. Joshua fête son anniversaire pour être avec les gens qu’il aime. Si Yohan est pas là, à quoi ça rime, de les fêter ?
Aedhan, qui dit que c’est pas sain. Bien, oui, peut-être, ils jouent pas vraiment la prudence. Et même s’ils sont plus en couple, ils sont anormalement proche. Mais déjà, c’est pas leurs affaires, aux autres. Et ensuite, s’ils sont très bien comme ça, pourquoi, pourquoi laisser quelqu’un séparer leur amitié ?
Joshua en a marre, des gens qui viennent se mettre entre eux. Eliott, premièrement, Aedhan, ensuite, sa soulmate, qui qu’elle/qu’il soit, enfin. Qu’ils disparaissent tous, ce serait tellement mieux.
Ouais, il a raison. Peut-être qu’il a raison. Mais ça les a jamais dérangé, que leur relation soit étrange, jamais complètement terminée en l’étant pourtant dans leur esprit. Si les gens aiment appeler ça malsain, qu’ils le fassent.
La phrase suivante de Yohan lui fait ouvrir les yeux. Les autres ? Qui s’intéressent à lui ? Qui ça ?
Il réfléchit rapidement, essaye de retrouver des personnes qui s’intéressent à lui, comme ça. Il en a, même beaucoup. Si Yohan pense que c’est un bon argument. Il devrait connaître Joshua un peu mieux que ça depuis le temps.
Il veut répondre, mais Yohan se remet à parler avant qu’il le fasse, et il l’écoute. Et ce qu’il entend l’effraye. Il refuse de penser à une réalité où il verrait encore moins Yohan. Il a déjà l’impression de pas le voir assez.
A chaque fois qu’il le voit, il a comme la sensation que ça fait un éternité depuis la fois précédente. S’ils devaient se voir encore moins. Non. Non. C’est pas envisageable.

J’veux pas, qu’on se voit moins. J’ai déjà l’impression qu’on se voit pas assez. C’est quand la dernière fois qu’on s’est retrouvé que tous les deux comme ça ? Y’a trop longtemps, voilà quand. Même avec Avi, même avec les autres, on se voit pas assez. Et puis, en plus, tu fais fuir personne. Parce que, même si y’en a qu’essayent, depuis qu’ils savent que je suis célibataire. Y’en a aucun qui m’intéressent. Personne. Ils sont pas importants, ils sont pas assez bien.

Ils sont pas toi.

Il remet la fin de la sucette dans sa bouche, a refermé les yeux quelque part pendant sa réponse. A pas vraiment fait la différence sur ce qu’il pensait et ce qu’il disait.
Rouvre les yeux quand il la fait, la différence. Quand il comprend qu’il a vraiment, tout, dit.

Désolée, j’voulais pas l’dire comme ça.

Pas “j’voulais pas dire ça”. Juste que c’est pas comme ça, à moitié endormi, l’alcool dans le sang, qu’il voulait lui dire. Mais peut-être que sans être à moitié endormi, sans alcool, il lui aurait jamais dit, finalement.

Yohan ne veut pas que ça s’arrête - vraiment pas. Depuis quelques semaines, il a l’impression qu’il remonte la pente. Les douleurs physiques l’handicapent moins, et il a l’impression que son humeur est beaucoup plus constante, beaucoup plus… comme avant. Après l’overdose d’Eliott, pourtant, on aurait pu croire que les choses auraient empiré - mais non. Yohan a fait le choix de laisser son âme soeur derrière lui, de passer à autre chose, de retrouver les gens qui l’aidaient à aller bien. Il n’imaginait pas que Joshua reviendrait à ce point dans sa vie, quand il a pris cette décision. Il n’a pas choisi de se rapprocher de son ex une fois la distance prise avec Eliott, c’est juste arrivé. Mais pour l’instant, il ne regrette pas une seule seconde sa décision. Le retour de Joshua dans sa vie a clairement eu une incidence positive sur tout - son état physique comme psychologique. Au fil des jours, Yohan a remarqué qu’il se remettait à sourire pour un rien, qu’il revenait à leurs souvenirs avant d’aller dormir. Joshua a repris sa place, subtilement mais sans grande surprise. Même quand Yohan essaie d’oublier, il ne peut pas. Même après toutes ces années.
Dans son esprit, y’a ce truc qui lui dit que leur séparation n’était qu’une passade - une phase vouée à se terminer. Un moment particulier de leurs vies, pendant lequel ils avaient besoin de s’éloigner pour mieux comprendre qui ils étaient, et passer au-dessus des obstacles que le destin leur a mis entre les pattes. Mais sa raison finit toujours par lui dire qu’il se fait des idées.
S’ils se sont séparés, c’est pour une raison. Non?
« J’veux pas, qu’on se voit moins. » Son coeur a un raté en entendant ces mots si spontanés. Yohan baisse les yeux sur Joshua, qui ne le regarde pas. Comme s’il avait honte de ce qu’il était en train de dire. Est-ce que ce serait une mauvaise chose, de dire que la facilité avec laquelle Joshua a dit ça le rassure ? Ça le rassure sur ses propres sentiments. Que Josh veuille pas qu’ils arrêtent de voir, c’est comme si ça validait son envie à lui aussi que tout ça ne s’arrête pas. Ça devrait pas. Yohan devrait plutôt trouver ça problématique. « J’ai déjà l’impression qu’on se voit pas assez. C’est quand la dernière fois qu’on s’est retrouvé que tous les deux comme ça ? Y’a trop longtemps, voilà quand. » Trop longtemps, oui. Beaucoup trop longtemps. « Même avec Avi, même avec les autres, on se voit pas assez. Et puis, en plus, tu fais fuir personne. Parce que, même si y’en a qu’essaient, depuis qu’ils savent que je suis célibataire. Y’en a aucun qui m’intéresse. Personne. Ils sont pas importants, ils sont pas assez bien. »
Il sait pas quoi dire. Vraiment, là, il sait pas quoi dire.
« Ils sont pas toi. »
Sa main s’immobilise entre les mèches de cheveux de Joshua. Yohan se demande si le médecin peut entendre à quel point son coeur s’est affolé. Lui, en tous cas, il sent les battements de son coeur jusque dans ses tempes. Joshua rouvre les yeux, comme s’il se rendait compte soudain de ce qu’il vient de dire. « Désolé, j’voulais pas l’dire comme ça. » Leurs yeux se cherchent, quelques secondes. Yohan connaît bien la différence entre je voulais pas le dire comme ça et je voulais pas dire ça. Il a bien noté ce que Joshua a choisi de dire.
S’il avait le droit, Yohan l’embrasserait, là tout de suite.
Mais il peut pas. Il faut pas.
Pour chasser l’envie, il sourit et finit même par rire un peu. « Je peux savoir combien de verres tu as bu, Joshua Rhee ? » Il lève un peu les yeux au ciel, et reprend à caresser ses cheveux. Le vrai problème dans tout ça, c’est que les mots de Joshua font écho à ce qui se passe dans sa tête à lui - sauf que Yohan n’a bu qu’un seul verre, par souci de préservation de sa forme pour l’entraînement de mardi. Il n’a donc pas d’excuse. Et c’est aussi pour ça qu’il a pas le droit de l’embrasser. Est-ce qu’il l’aurait fait avec quelques verres de plus ? Il n’en doute pas une seconde. « J’ai pas envie qu’on se voie moins non plus. » Il hausse les épaules. « Mais bon. » Il passe une main sur son visage et regarde Joshua. « C’est pas facile, d’être ami avec toi. » Un nouveau rire passe ses lèvres, mais il a des accents tristes. Ce n’est pas franchement le moment d’avoir une discussion pareille. Ils viennent de passer une bonne soirée - ils devraient plutôt être en train de parler de leurs amis, des choses qui se sont passées quand tous les invités étaient là. Ils devraient juger la qualité du gâteau. Et puis ils sont fatigués, tous les deux. Yohan devrait être sur le chemin du retour.  « Je sais pas… » Il inspire un bon coup, comme s’il lui fallait du courage pour finir sa phrase. « Je sais pas si j’en suis capable, honnêtement. » Il n’aurait pas dû dire ça. Dire ça, ça sous-entend qu’il faut qu’ils fassent un choix maintenant : sortir complètement de la vie l’un de l’autre, ou… Yohan voulait pas donner l’impression à Joshua qu’il n’y a que deux options.
Mais au fond, est-ce qu’ils peuvent continuer à danser dans cet entre-deux encore longtemps ?
Cette conversation, ils auraient fini par l’avoir, mais Yohan regrette d’avoir abordé le sujet, il veut pas que ça gâche l’anniversaire parfait de ce soir. « Je suis désolé. J’arrête de parler de tout ça. C’est pas important ce soir. » Yohan prend la main de Joshua qui ne tient pas la sucette, et il dépose un baiser sur le dos de celle-ci. « Va te coucher. » Il le lâche, retire sa main des cheveux de son ex-amoureux, et commence à se relever.
C’est bien, il va aller chercher son manteau, il va rentrer chez lui - c’est plus raisonnable.

Joshua est à moitié endormi. Même si ce qu’il vient de dire lui a fait ouvrir les yeux, le reste de son corps semble être dans une phase de relaxation total. Il a le bas des jambes endolories, à se couper la circulation au niveau de l’accoudoir. Il a le bras fatigués, à tenir la sucette. Bref, il est crevé, un peu saoul, et dans une des plus confortables positions dans laquelle il puisse être, pour s’endormir.
Mais y’a ce truc qui le garde éveillé. Le regard de Yohan. Et la main, qui s’est arrêté. S’il avait continué cinq minutes de plus, il pouvait être sûr de se retrouver avec un Joshua endormi profondément sur ses genoux. Mais il s’est arrêté, et à la place, ils se sont regardés. Il aime bien ses yeux, à Yohan. C’est pas ce qu’il préfère, chez lui. Mais y’a rien qui appartient, ou vient de Yohan, que Joshua n’aime pas. Ca a toujours été comme ça.
Et il a aucune envie que ça change. Pas maintenant, pas là, pas aujourd’hui.
Il sait ce qu’ils ont dit, que c’était mieux pour eux, de rester amis, que c’était plus safe. Que de toute façon, l’amour de Yohan était dirigé vers quelqu’un d’autre (ça fait mal à entendre), et que Joshua aussi, a une soulmate, quelque part, que Yohan veut pas se mettre entre eux.
C’est des conneries ce soir.
Ce soir, tout ça, ça semble sorti d’un mauvais sitcom qui finit comme personne veut qu’il se finisse.
Il refuse de penser à Yohan dans les bras de quelqu’un d’autre, échoue lamentablement à regarder quiconque qui ne soit pas lui. C’est tout. Il aime Yohan, et il veut pas que ça change. Yohan l’aime, aussi, il croit. Et ça non plus, il refuse que ça change.
Yohan sourit, finalement, rit. Et Joshua étire doucement ses lèvres, écoute sa voix. Il aime le rire de Yohan. Contrairement à ses yeux, c’est une des choses qu’il préfère. Son rire. Le fait qu’il peut rire, comme ça, sans avoir honte, ni l’orgueil de pas le faire. Joshua a jamais eu cette capacité. Et il adore la voir chez Yohan.
Son sourire s’efface doucement, ceci dit, quand Yohan pose la question. Combien de verres ? Pourquoi ? Est-ce que ce qu’il dit lui semblait pas honnête ? Les paroles d’un homme saoul sont souvent les plus honnêtes. Perte d’inhibition et tout le tralala. Joshua hausse les épaules seulement. Parce que même s’il voulait répondre - ce qu’est pas le cas - il saurait pas. Il sait qu’il a dépassé la barre qui l'empêcherait de prendre la route. Et manifestement aussi celle qui, selon les règles sociales, devrait l’interdir de parler à son ex.
L’alcool fait des ravages quand on a pas oublié son ex, et qu’on a un moyen pour le lui dire.

Puis, ça dérape. Doucement.
Sa première réponse le fait sourire, le conforte dans son envie de recommencer à voir Yohan régulièrement. Si lui non plus n’arrive pas vraiment à oublier ce qu’ils ont vécu. Que lui non plus n’arrive pas à passer à autre chose. Que lui aussi à l’impression d’avoir l’impression de l’autre pour contenter un besoin, plus qu’une envie, alors y’a pas de soucis. Alors c’est bien. Alors c’est une bonne chose. Ils sont sur la même longueur d’onde.
Sa deuxième réponse, courte, le fait froncer les sourcils. Y’a pas de mais, qui tienne. Pourquoi mais ? D’où mais ?
Sa troisième réponse le fait baisser les yeux, se concentrer de nouveau sur sa sucette. Amis. C’est pas facile d’être ami avec lui. Joshua a toujours été un ami très facile. Si c’est pas facile parce que Yohan ressent encore des choses, comme Joshua, pourquoi il lui dit pas ? Pourquoi il est obligé de passer par du négatif ?
Ses quatrièmes et cinquièmes réponses le forcent à enlever le bâton désormais intact de sa bouche, et de le serrer dans sa main. Fort. Il lui demande pas d’être son ami. Ca lui aurait suffit, à Joshua. Mais il lui demande pas ça. Et, est-ce qu’il est vraiment en train de dire qu’il veut plus qu’ils se voient là ?
D’abord l’anniversaire, puis ça ?
Il a refusé qu’il arrête de venir aux anniversaires, il lui a dit. Il lui a dit qu’il lui manquait, qu’il voulait le voir plus, et Yohan, quoi ? Yohan lui dit que c’est compliqué qu’ils continuent à se voir.
Les phrase d’après arrivent comme un cheveux pourri sur un soupe vraiment dégueu. Et quand Yohan lui embrasse le dos de la main, Joshua ferme les yeux. Il aimerait tant profiter du moment. Profiter des lèvres de Yohan, sur lui, de nouveau. Mais il peut pas. Il y arrive pas.
“Va te coucher” qu’il dit finalement. Et c’est trop pour Joshua.
Il se lève, rapidement, pose le bâton de sucette sur la table, juste à côté du canapé. Ramasse rapidement le paquet de cigarettes et le briquet qui y sont posés.

Bien.

Il sait pas quoi dire d’autre, il peut rien dire d’autre. Il a la gorge serrée, il pourrait rien sortir de trop long. Et s’il voulait lui exprimer toute la douleur que Yohan vient de lui infliger, il finirait en larme. Et il veut pas. Pas devant lui.
Il traverse le salon, ouvre la fenêtre, et se pose sur le balcon. Allume la cigarette, et se met à tirer. Vite, comme un fou.
La fenêtre est face au canapé. De là où il est, Yohan le voit passer frénétiquement ses mains dans ses cheveux, la clope entre deux doigts. Il le voit aussi respirer longuement, vite. Il le voit baisser la tête, Joshua est dépité, Joshua est triste. Il voit pas la larme qui coule sur sa joue, mais il voit le coude qui se lève et le mouvement quand il l'essuie, en colère.
La première cigarette est bien trop rapidement terminée pour que ce soit bon pour sa respiration, ou sa santé. Et pourtant, il en rallume une, et se la remet aux lèvres. Il s’arrêtera quand il sera sûr que Yohan est parti. Ou quand il se mettra à tousser tellement fort, et continuellement, qu’il pensera qu’à régler sa toux. Plus à la tristesse, plus à Yohan.

C’est pas tellement pour lui-même qu’il fait ça. Quand bien même il se sent incapable de rester simplement ami avec Josh, il serait prêt à continuer de le voir - l’entre-deux dans lequel ils vivent n’est pas sain, mais la vie de Yohan est loin d’être saine quoi qu’il arrive. C’est pour lui, qu’il dit tout ça. Joshua, il a plein de choses qui l’attendent. Y’a plein de gens formidables, autour de lui. Il a une carrière brillante, et surtout, il a une soulmate quelque part. Quelqu’un qui lui est destiné, qui est bel et bien vivant, qui n’a pas altéré leur lien. Elle est belle, la marque dans son dos - c’est une constellation. Elle doit forcément être liée à quelqu’un de bien, parce que Joshua, il est parfait. C’est paradoxal, parce que quand bien même Yohan est malade à l’idée d’imaginer Josh avec quelqu’un d’autre, parfois, il aimerait qu’il cherche sa soulmate. Ça faciliterait probablement leur situation, s’il la trouvait. Yohan a pas envie d’être la raison pour laquelle Joshua passe à côté de ce qui pourrait être l’amour de sa vie. Et en même temps, il a envie que ce soit lui, l’amour de sa vie.
Malgré Eliott, c’est Joshua, l’amour de sa vie à lui. Ça va bientôt faire dix ans qu’il vit au quotidien avec des sentiments pour lui. Même quand ils se sont séparés, même dans les moments difficiles, y’a toujours eu de la place dans son coeur pour lui. Ça doit bien vouloir dire quelque chose, non ? Est-ce qu’il lui arrive, parfois, d’imaginer que tout n’est qu’une énorme erreur, et que c’est en fait Joshua qui lui est destiné ? Bien sûr. Il y pense tout le temps. Il a même prié de nombreuses fois pour que le destin se soit trompé - alors qu’il ne croit en aucun dieu.
Il comprend qu’il a fait une énorme connerie au moment où il voit le visage de Joshua se refermer complètement. « Bien. » C’est la panique dans sa tête et dans tout son corps quand Yohan le voit se relever, attraper ses clopes et filer à la fenêtre sans même lui jeter un regard. Non, non, non. C’est pas du tout ça qu’il voulait provoquer. Il voulait juste rendre les choses plus simples, faire en sorte que tout… ça soit plus sain pour eux deux. Il voulait juste… Merde.
Il se sent tellement mal qu’il en reste paralysé, les yeux fixés sur le dos de Josh. Il ne s’attendait pas à ce qu’il réagisse comme ça. Il s’attendait à ce qu’ils discutent un peu, qu’ils soient tous les deux plus raisonnables et matures. Peut-être qu’il croyait aussi - malgré ce que Joshua a dit un peu plus tôt - que Joshua était vraiment prêt à passer à autre chose, même si leurs sentiments sont encore présents. Yohan voulait que Joshua soit prêt à passer autre chose, parce que ça aurait tué dans l’oeuf son envie irrépressible de l’embrasser et de s’enfermer dans leur bulle.
Il a un nouveau coup au coeur quand il voit que Joshua lève le bras pour s’essuyer le visage. non. non. non. Yohan se lève au moment où il allume sa deuxième clope, et finit par se poster à côté de lui. Il a l’impression que le monde lui tombe sur la tête quand il voit l’expression sur le visage de son ex, et maintenant, lui aussi il envie de pleurer - à la simple idée qu’il l’ait mis dans cet état.
« Babe. » Le surnom est sorti tout seul. Il pose sa main dans la nuque de Joshua, et le force à tourner un peu la tête vers lui. Yohan hésite une demi-seconde, mais finit par embrasser la tracée que la larme a laissé sur sa joue, sans attendre de voir dans les yeux de Josh qu’il a le droit de le faire. « J’suis désolé. » Il l’attire contre lui - ses deux bras s’enroulent autour de sa taille - et il le serre fort, comme s’il allait s’échapper s’il se contentait d’une petite étreinte. « Je crois pas que tu aies bien saisi ce que j’essaie de te dire. » Il lâche un soupir contre sa joue, puis recule, et prend le visage de Josh entre ses mains. Cette fois, il va pas être lâche, hors de question. Il le regarde sans ciller, parce qu’il a compris. Il a compris qu’il faut qu’il marche sur cette ligne invisible qu’ils ont essayé de tracer. « Tu me manques. » Première vérité qu’il aurait dû confier dès le début. « Je pense à toi tout le temps. » Deuxième vérité. « J’ai envie d’être avec toi. » Il a envie de lui dire qu’il l’aime toujours, mais ça ferait peut-être beaucoup. « Tu crois quoi ? J’ai eu envie de t’embrasser toute. la. soirée. Tu le sais en plus. Bien sûr que tu le sais. Même maintenant, j’ai envie de t’embrasser. » Ses yeux se baissent sur les lèvres de Joshua, mais ils remontent de nouveau jusqu’à ses yeux, et Yohan essaie d’ignorer à quel point leur proximité crée ce truc dans sa poitrine. Il laisse ses mains glisser dans son cou, et son pouce effleure sa clavicule. « Mais je peux pas te demander d’être avec moi. » Il hausse les épaules. Ses yeux sont brillants, bien sûr. Il retient ses émotions le plus possible. « Ce serait égoïste. Après tout ce qui s’est passé… » Il ne prononce pas le nom d’Eliott, hors de question qu’il le prononce. « On en a déjà parlé. Tu mérites mieux que ça. J’veux pas que t’aies à vivre avec toutes ces merdes. » Yohan veut pas que Joshua ait à vivre avec l’ombre d’Eliott toujours quelque part dans leur relation, il veut qu’il puisse être heureux sans jamais se poser de question. Oh, et puis merde. Il va quand même le dire. « C’est parce que je t’aime que je te dis tout ça. Pas parce que je veux plus de toi. » Il esquisse un sourire doux. « Comme si je pouvais ne plus vouloir de toi. » Il lève les yeux au ciel. « Je veux juste que tu sois heureux. » Il pose son front contre celui de Joshua.
Et la cigarette se consume, témoin étrange de leur drôle de combat.

Il est pas bien, Joshua. Vraiment pas bien. Il a trop bu, il a trop cru. Il a les émotions qui s’baladent en liberté dans tout son corps, et qui blessent, blessent, blessent. Il a cet affreux sentiment d’être de trop dans la vie de quelqu’un. Surtout dans sa vie à lui. Il a jamais voulu être de trop dans la vie de Yohan. Et pourtant, depuis la soulmark, depuis Eliott, c’est l’impression qu’il a, tout l’temps, de s’imposer.
Et Yohan vient de le confirmer.
Ou, peut-être pas. Peut-être, très sûrement même, c’est pas ce qu’il voulait dire. Mais Joshua a trop bu, et il a l’esprit embrumé. Il réfléchit peu, agit beaucoup plus sur l’instinct que d’habitude. Et son instinct lui demande du tabac. Beaucoup de tabac. Assez pour enfumer ses glandes lacrymales au point où il aura plus la possibilité de pleurer autre chose que de la fumée. C’est une belle image. Une image qui représente bien ce qu’il ressent.
Il a jamais voulu être de trop. Il a juste toujours voulu être là, parce qu’il en ressentait le besoin. Parce que Yohan, il a toujours ressenti le besoin d’être à ses côtés, et ce depuis qu’il l’a rencontré. Il a vécu une partie importante de sa vie avec lui. Il est devenu docteur quand il était avec lui. Avi et lui ont pris l’appart, alors qu’il était avec lui. Ils ont été cherché Neige ensemble, au chenil. Neige.
Il sait qu’elle est dans la chambre, en train de dormir, probablement sur le lit. Il aurait bien besoin de sa truffe et de son beau pelage là, de suite. Juste pour pouvoir se cacher à l’intérieur. Neige, elle, elle sera toujours là.
Et pour elle, il sera jamais de trop.

Putain, c’est ridicule, qu’est-ce qu’il lui arrive ? Il est jamais comme ça, Joshua. Il est jamais dans l’excès, et surtout jamais dans la déprime. Jamais dans les pensées extrêmement négatives. Il est jamais à vouloir s’intoxiquer pour plus penser. Il est, pas. Comme ça. Yohan, le rend, comme ça.
Il le déteste pour ça.
Il l’aime tellement qu’il peut pas lui en vouloir.

Il relève la tête, sans la tourner, quand il sent une présence à côté de lui. Une présence, bullshit. Sa présence. Sa présence, il la reconnaîtrait entre toutes. Joshua s’est déjà fait la réflexion, souvent quand ils étaient ensemble, encore plus depuis que c’est plus le cas. Si il se retrouvait dans une salle avec pleins de personnes, toutes cagoulées, ou toutes avec le même masque, le même visage, il saurait le reconnaître. Il saurait comment et par quel chemin, et qui serait Yohan, dans toutes ses personnes là, semblant identiques. Il le saurait.
Le surnom lui fait serrer la mâchoire. Il a tellement pas l’droit de l’appeler comme ça. Pas là, pas cette nuit, pas après ce qu’il vient de lui déballer. Pas après lui avoir dit que ce serait bien qu’ils se voient plus du tout, ou qu’être ami avec lui, c’était impossible, non. Il a pas le droit. Qu’importe que le surnom le satisfasse d’une façon que seul sa voix avec ce surnom là le peut. Qu’importe si son coeur se calme, si ses muscles se relâchent. Sa mâchoire, elle se sert. Parce que Joshua refuse ses propres réactions. Ils sont plus ensemble, après tout, plus même amis. Il devrait pas se sentir comme ça.
Forcé de tourner la tête pour regarder Yohan, Joshua le fait. Et Joshua a honte.
Il devrait pas avoir pleuré. Il devrait pas. Pas devant Yohan. Et surtout pas à cause de Yohan devant Yohan. S’il se sent pas particulièrement con, il se sent vraiment ridicule.
Mais ces lèvres, sur sa joue. Il ferme les yeux, Joshua. Parce qu’il peut bien se passer le pire ouragan dans son cerveau, que ce contact pourrait le calmer. Joshua le veut pas, mais Yohan le connaît. Il sait comment remettre les compteurs à zéro. Comme faire descendre la pression, même si elle monte que rarement.
Il le connaît. A un point qu’il aime beaucoup plus que de raison.

Et c’est une étreinte. Une étreinte qui fait démarrer le coeur de Joshua sur la fréquence Yohan. Une fréquence qu’il connaît par coeur. Cette fréquence calme, apaisante, habituelle. Cette fréquence qui ressemble à un agréable chez-soi.
Il est chez lui, Joshua, dans ses bras.
Et il le regarde. Et Joshua soutient son regard, mais vrille. Parce que ce visage est beau. Très beau. Et qu’il y a tellement de choses à voir qu’il s’autorisait plus à regarder. Tellement de choses. Yohan est magnifique. Ses traits, ses expressions, sa voix. Tout est beau. Tout est rassurant. Tout Yohan, il aimerait le garder avec lui, jusqu’à la fin si possible. Ou longtemps encore. Au moins encore un peu ?
Et enfin, Yohan parle. Et ses mots. Ses mots se figent dès qu’ils entrent dans le cerveau de Joshua. Ils se gravent sur un marbre glué au sol. Joshua a peur. Très peur. Il les a entendu ces mots. Il pourra plus jamais les oublier.
Et Joshua a envie de l’embrasser aussi. Rien que pour lui dire qu’il aurait pu, dû, le faire. Qu’il attend que ça, lui aussi. Que d’accord, c’est pas ce qu’était prévu. Qu’ok, ils ont déjà essayés, que ça a pas marché. Mais que là, sur ce balcon, à ce moment précis, Eliott peut bien aller s’faire voir les moines.

Mais Yohan étant Yohan, il continue de parler. Et parle encore trop. Parle de ce qu’il peut, ou non, lui demander. Il demande rien. Et puis, Joshua irait pas faire quelque chose qu’il veut pas faire, même si quelqu’un lui demande. Si cette personne est Yohan, peut-être. Mais d’être avec lui, c’est même pas une demande, c’est une autorisation.
Ils en ont pas réellement parlé, en plus de ça. Yohan a parlé, Joshua a accepté. Et oui, parce que c’était la meilleure des idées, sur le moment. Autant dire que vraiment, ça l’est plus aujourd’hui. Joshua mérite pas mieux que Yohan. Joshua regarde même pas. Cherche même pas. Parce que même si mieux existait, mieux serait pas Yohan. Mieux, il saura pas le détecter dès qu’il entre dans la salle. Mieux, il saurait pas l’aimer, comme ça.
Il parle de son amour, enfin. Bien sûr qu’il l’aime. C’est évident. Qu’ils s’aiment. Putain.
Liens cosmiques de merde.
Il parle de son bonheur, enfin. Son bonheur. Il veut qu’il soit heureux.
C’est à Joshua de lui faire comprendre les choses. C’est ça qu’il pense quand, le front collé au sien, il dépose ses lèvres juste au coin des siennes. C’est pas surprenant, ils font, ça, parfois. Juste le coin, pas les lèvres. Mais l’ambiance change tout au geste. C’est pas le geste d’un ex à son ex. C’est le geste d’un garçon amoureux, au garçon qu’il aime.

Alors laisse moi être heureux comme je le veux, tu veux bien ? Je serais pas heureux avec “mieux”. Ni avec ce soulmate que je connaitrais probablement jamais. T’as toujours été le seul à pouvoir me rendre heureux. Me repousse pas.

Il recolle leur front ensemble, et inspire, fortement. Balance la clope, quelque part, sur le crâne de personne, il espère. Et il encercle Yohan de ses bras, les pose dans son dos. Et c’est tellement rassurant, de se sentir complètement apaisé.