gravel to tempo (koda)

PM 08:41
MAY 17 2013
“Te moque pas, okay ? Ça ne fait pas longtemps que je m’y suis mise. J’ne suis pas très douée.” la gamine a en guise d’interlocuteur une poupée hello kitty, placée sur son lit et qui semble avoir un oeil de traviole vu sous cet angle. face à la caméra et avec un long soupir, elle place sa main sur les cordes et entame les premières notes. qui sont vraiment horribles pour les oreilles. sauf les siennes puisqu’elle continue de tirer des notes maladroites de Hotel Arcadia (un classique du groupe Hawks), tout en sourire et bonne volonté, maltraitant sans le vouloir l’âme déjà fatiguée de sa poupée. c’est une guitare acoustique qu’elle a trouvée dans les vieilles affaires de Kassian et qu’elle a réquisitionnée, jouant vraiment mal mais y mettant beaucoup de volonté.

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“Tu es ravissante aujourd’hui- regard assassin en direction de sa mère pour avoir l’audace d’ajouter aujourd’hui, celle-ci se rattrape : pas juste aujourd’hui, sweetheart.” Hairflip pour marquer son contentement mais léger sourire sur ses lèvres teintées de rouge. “Je sais. Mais venant de toi ça compte pas vraiment, tu es ma mère, pour toi tous tes enfants sont les plus beaux et les meilleurs.” Involontairement, sa dernière ligne cause un voile sur les yeux de sa mère qui les détourne pour se focaliser sur la vaisselle. Ses enfants, oui, moins un. “Anyway, j’dois aller voir Koda.” Cette fois-ci, c’est Daxia qui la regarde de travers, en attendant qu’elle se corrige. Avec un roulement des yeux digne d’une adolescente rebelle, elle se reprend : “Fine, madame Fujino.”

Elle n’entend plus les dernières phrases que Daxia vocifère (de toute façon, ce sont les habituelles fais attention sur la route!!, n’écrase personne!, sois gentille avec les autres artistes, respecte les gens ou même achète des oeufs en rentrant qu’elle connaît par coeur et se permet d’ignorer, hashtag adolescente rebelle). Son sac en main et l’étui de la guitare sur son dos, elle traverse l’allée de la maison et passe bien cinq minutes à essayer d’ouvrir la portière de son pickup décrépit. Parce qu’évidemment, ses ongles sont faits et si elle s’en casse un, là tout de suite, elle risque de vouloir cramer la voiture pour un tel affront. À croire que les divinités sont avec elle puisqu’elle parvient, sans se casser un ongle (détail super important), à ouvrir la portière et s’installer sur son siège.

Le trajet jusqu’au studio, elle ne le connaît pas très bien, étant donné que c’est seulement la deuxième fois qu’elle s’y rend ; heureusement que son portable est là pour l’aider à se diriger dans les ruelles altéanes. La radio en marche, elle tourne quelques boutons pour mettre celle qui diffuse les vieux sons altéans des années 70 et 80 (spoiler alert : c’est la seule radio qu’elle capte dans sa vieille bagnole, avec une autre sur la mode). Les dernières mélodies de Wind of Change se terminent et une autre chanson débute ; une drôle de nostalgie l’enveloppe quand elle reconnaît les notes de Hotel Arcadia. C’est la seule chanson que son frère lui avait jouée, avant sa disparition et qu’elle avait apprise par coeur une fois la guitare trouvée dans les vieux cartons. Nostalgie anthracite suspendue à ses traits, ses lèvres se mouvant pour chanter en rythme avec le chanteur. (si seulement elle pouvait s’arrêter dans une ruelle et sortir la petite saccoche et l’aiguille et la skam - mais elle s’est fait la promesse : jamais avant d’aller voir Koda).

Le pickup garé près de la résidence de Koda et Bambi, Thalia s’empare de la guitare et de son sac, se regarde une dernière fois dans le miroir et adopte une nouvelle expression pour chasser les traces de nostalgie. Et surtout pour vérifier si son makeup est parfait (après tout, elle pourrait très bien rencontrer l’amour de sa vie là-bas, who knows ; de toute façon, Thalia, c’est la gamine qui va se préparer pour aller jeter la poubelle comme si elle allait chercher un trophée). Et finalement, une fois qu’elle juge qu’elle n’a pas trop d’imperfections, elle s’avance jusqu’à la demeure des Fujino avec un léger retard de dix minutes et appuie sur la sonnette.

Koda regarde sa femme, de loin. Et elle sourit. Elle, elle est de l’autre côté de la vitre. Là où Koda, elle devrait être. Elle chante dans ce micro, celui dans lequel Koda devrait chanter. Assise sur cette chaise, celle sur laquelle s'asseyait Koda.
Avant.
C’est pas vraiment qu’elle est amère, ni jalouse. Elle regrette juste cette époque, qu’elle pensait parfaite. Cette époque où elle chantait tranquillement, Bambi l’écoutait et l’applaudissait. Les animaux allaient se cacher sous les meubles. Choses ingrates. Sauf qu’à cette époque, quand Koda allait se coucher, Bambi, non. Quand Koda fermait les yeux, Bambi ouvrait ses lèvres, et s’ennivrait d’alcool pas cher. Quand Koda rouvrait les yeux, c’était pas à l’appel du soleil mais à celui de Bambi, bourrée, qui la priait de venir la chercher, la voix enrouée et le rire incontrôlable.
Quand Koda y repense, elle se dit que finalement, c’est mieux, maintenant. Elle a perdu sa voix, son rêve, sa passion, mais a retrouvé sa raison de vivre, son rythme normal, ses nuits entières et son amour, sa femme.
Finalement, peut-être.

Elle sourit quand Bambi s’arrête enfin de chanter et Koda sourit. Elle a une belle voix. Koda, elle avait une plus belle voix, un plus beau timbre. Elle chantait mieux aussi, avait plus de pratique. Plus de technique. Mais Bambi, c’est différent. C’est brutal, c’est rauque. C’est violent. C’est cassé, brisé, un peu. Koda, elle a envie de sourire. Parce que c’est magnifique. Et de pleurer. Parce que ça lui rappelle qu’elles le sont, toutes les deux, brisées.
Mais finalement, elle sourit. Parce que malgré ça, elles sont toutes les deux. Deux éléments paumés, qui, comme par magie, s’assemblent comme une parfait jeu de puzzle.
Parce que c’est l’destin, qui l’a décidé.
Faut que tu chantes plus doucement. Ta voix fait grésiller le micro. Et. Essaye de chanter plus juste aussi. Dans tes médiums, c’est cool, tu te sens bien, mais. Mais tes aigües. Je suis désolée trésor. Ils sont absolument affreux.
Et elle rigole. Elle rigole parce que le temps que Bambi assimile tout ce que Koda vient de lui mimer, elle a redescendu les mains depuis longtemps quand elle finit par comprendre la dernière phrase. Et que sa tête est inoubliable.

Oh c’est facile de te moquer hein, madame je sais tout faire.

Savais. Elle a envie de la reprendre. Mais elle le fait pas. Parce qu’elle est pas amère. Et qu’il faut qu’elle arrive à s’en convaincre, de ça. Alors juste, elle rigole. Et c’est pas un grand éclat de rires. Elle peut plus vraiment en avoir. Ou si elle le peut, elle peut pas les exprimer. Alors c’est juste deux lèvres écartées, des dents éclatantes, un petit espace entre les deux rangées et un mouvement de tête. C’est silencieux.
C’est tout ce que le rire ne devrait pas être.
Et ça donne envie à tout l’monde de pleurer. De prendre en pitié. Pas de sourire. Jamais.

Quand la sonnette retentit, les animaux, qui avaient été de sages spectateurs jusqu’ici se dispersent. Et les sourcils de Bambi se soulèvent. Interrogation, peur, inquiétude.
Ta protégée.
Et Koda a pas besoin d’en dire plus pour que Bambi sorte du booth rapidement et aille ouvrir la porte en vitesse.

Thalia, je t’avais oublié désolée, entre vite.

Et Koda sourit, derrière, dépitée. La jeune Thalia, elle commence à la connaître. Et dire qu’elle a été oublié est pas forcément une bonne façon de commencer une journée. Elle prend le premier papier qu’elle trouve, un crayon, et griffonne un gros “PAS MOI” dessus, qu’elle lève au dessus de sa tête, un visage complètement neutre sur le visage.
Elle entend un petit “lèche-botte” à sa gauche mais n’y paye pas attention. Thalia, c’est la protégée à Bambi, peut-être, mais c’est Koda qui l’aide à perfectionner sa musique. Et elle oublie jamais les heures auxquelles elle peut se permettre de retoucher un piano sans se sentir trop.
Amère.

Elle fait un signe de la main à la jeune fille pour l’inviter à la suivre dans la salle de musique et s’installe directement derrière l’énorme piano à queue qui s’y trouve. Elle a un carnet d’une centaine de pages à côté d’elle, et un stylo. Elle aura au moins besoin de ça pour la session d’aujourd’hui.