beyond the moon (noora)

beyond the mooni've been down the darkest alleys saw the dark side of the moon to get to you
November, 29th. Elle avait besoin de changer d’air. Juste d’aller ailleurs un instant, d’avoir un moment de répit loin de la ville et de sa grisaille étouffante. Besoin d’oublier, de s’oublier. De ne plus être la fille de Moreno, la fille bizarre au cœur artificiel. Elle veut juste être Nana. Son briquet dans la main dans un geste compulsif, rassurant même, elle fait tourner la molette, de petites flammes s’échappant de l’engin. Et si elle le faisait tomber ? Et si tout prenait feu ? Elle se le demande chaque fois qu’elle vient ici Nana, se demande ce qu’une toute petite lueur créerait dans cette vaste étendue, la seule encore vivante, qui lutte contre la pollution envahissante de la capitale. Tout brûler pour tout reconstruire. Ce serait facile, qu’elle se dit Nana, en regardant le feu danser sous ses grands yeux avant de le capturer dans le creux de sa paume. Ce serait trop facile.

Alors elle continue d’avancer sur ce chemin sinueux et boueux, sans vraiment faire attention où reposent ses pieds. Ses bottes s’enlisent par endroit, ça glisse mais elle avance Nana sans se retourner. Le vent fait craquer les branches, fait chanter les arbres entre lesquels il se balade, s’engouffrant dans ses longs cheveux châtains. C’est calme mais dans la tête de Nana, c’est la tempête. Ça se bouscule. Elle pense à son père et tout ce qu’il détruit depuis la disparation de Maman. Elle pense à Rosa et son sourire qui se fane un peu plus chaque jour et se demande ce qui la rend si triste. Mais quand elle pose la question, elle se contente de rire et de lui assurer que tout va bien. Rien ne va. Et elle pense à Julio, espère qu’un jour il trouvera du réconfort autre part que dans le fond de son verre, autrement qu’en avalant la première saleté qu’on lui propose. Sa famille est brisée et Nana, elle peut rien faire. Ça s’écroule de tous les côtés et Nana, elle a pas assez de bras pour tout retenir de s’effondrer. Dans ces moments-là, elle en vient à maudire sa mère, à lui en vouloir d’être partie, d’être morte. Mais c’est débile qu’elle se dit, Maman elle y est pour rien. Mais si elle était encore là, peut-être qu’elle aurait pu tous les sauver.

Elle refait sa vie avec des si et des peut-être, en pensant qu’ailleurs, ils sont tous les cinq. Ils sont tous heureux. Et c’est en rêvant à cette chimère que le reste de sa vie dégringole. Littéralement. Un pas de trop, un seul pas. Ça se passe si vite que son cerveau cesse de fonctionner. Seule la douleur lui indique qu’elle est encore en vie. Elle dévale la pente, essaie de freiner sa course de ses pieds mais ça va trop vite. Et y’a une sensation bizarre qui lui tord le bide, l’étouffe quelques secondes, quelques minutes avant de lui rendre son souffle. Puis tout s’arrête. Elle a mal partout Nana, son corps hurle de mettre fin à ce supplice. « ¡ Mierda ! » qu’elle grogne en se remettant difficilement sur ses pieds, ses jambes tremblant encore sous le choc. Elle est sale, ses vêtements recouverts de boue. Et elle entend déjà les moqueries de son frère, lui dire que Bambi s’est cassé la gueule alors qu’elle filera se débarrasser de toute cette crasse dans la salle de bain. Mais en relevant la tête, Valentina se demande si elle retrouvera le chemin jusqu’à chez elle. Tout a changé, elle reconnait plus rien. Elle était pas dans la forêt y’a deux secondes ? Passant ses mains terreuses sur son visage, elle tente de se réveiller, se comprendre ce qui lui arrive, comment elle est arrivée sur ce toit. Et bizarrement, le paysage lui semble familier, lui rappelle celui que sa mère lui peignait dans ses contes avant de s’endormir quand elle était gamine. Alors Nana, elle se dit qu’elle doit rêver. Oui c’est ça, elle rêve Nana. Elle rêve d’un endroit futuriste, éclatant, baigné dans la lueur des néons, hypnotisant. Et bientôt, elle va se réveiller dans son lit, dans sa chambre. Mais ça lui semble aussi trop réel pour être le fruit de son imagination débordante. Elle a lu quelque part que dans les rêves, on avait jamais le bon nombre de doigts. Alors minutieusement, elle les compte. « 1, 2, 3, 4, 5 … 6, 7, 8, 9 …10 ». Mais non Nana, elle a tout ses doigts. Mais ça veut rien dire hein ? Elle a dû se frapper la tête un peu trop fort dans sa chute, là voilà l’explication. Parce qu’elle trouve rien d’autre de logique Nana, elle ne peut être que dans un rêve.

Alors elle observe les alentours, cherche une porte de sortie pour s’enfuir de là, revenir à la réalité. Elle finit par apercevoir une fenêtre ouverte et sans se poser d’autres questions – parce que de toute façon, elle y comprend vraiment rien –  décide de passer par là. Elle atterrit dans une chambre mais elle s’attarde pas sur la déco Nana, veut juste s’assurer qu’il y a personne. Parce que même si elle est perdue dans son propre cauchemar, le monde de l’imaginaire est imprévisible. Une fois assurée que personne ne se trouve dans la pièce, elle passe ses jambes de l’autre côté du rebord et avance sur la pointe des pieds comme une voleuse. Son cœur bat à tout rompre, si vite, si fort qu’elle a l’impression qu’il pourrait exploser sous ses côtes. A cette pensée, un rire s’échappe de ses lèvres.

Un bruit étouffé dans le couloir l’arrête dans son exploration, la tient en haleine et elle écoute. Elle est pas toute seule Nana et elle s’imagine déjà le pire. Mais certainement pas une fille, probablement de son âge, en train de brandir une arme de fortune au-dessus de sa tête. Elle en tombe à la renverse, émet un cri aussi puissant que celui de la fille chez qui elle vient visiblement de s’introduire. Dans un geste désespéré, elle se protège de ses bras frêles en attendant le coup qui lui fendra le crâne en deux. Mais peut-être qu’elle se réveillera suite à ça. Ou s’endormira pour la vie. Mais le coup fatal qu’elle attendait ne vient pas. Et elle espère, prie même pour qu’elle soit finalement de retour à la maison. Elle ouvre un œil, puis l’autre et tente un regard apeuré vers la porte où se tenait la fille armée il y a quelques secondes. Elle est toujours là, les bras ballants le long de son corps immense. Dans un autre contexte, Valentina aurait été jalouse de cette silhouette de déesse devant elle. La brune a les yeux rivés sur elle, sur son bras encore tendu devant son visage. Et Nana elle aimerait tellement que sa sœur soit là pour pouvoir se cacher derrière elle, détestant toujours autant qu’on la regarde avec insistance. En même temps, elle venait de pénétrer chez elle, comment voulait-elle qu’on la regarde ? Mais y'a un truc différent dans les prunelles de la jeune femme, un truc que Nana arrive pas à déchiffrer. « C-c’est pas ce que tu crois ! ».

beyond the moonin your eyes, there's a heavy truth
29NOV 2017. Neuf jours depuis la sortie du MV de In the dark — premier extrait de son nouvel EP ; plus que douze avant que la vidéo d'Into it ne soit à son tour livrée au public. Période trépidante, donc, comme l'exige chaque upcoming release. Elle est ballotée par un plan marketing qui se veut solide, Noora, voire implacable du fait de la concurrence rude et, plus particulièrement, de la promotion du dernier single de Jaz, prévu lui pour fin décembre.

Sharzad sur son dos, constamment. Sur les dents depuis l'apparition au compte-goute des teasers de la cousine-rivale ; déterminée à inonder la toile pour que prévale la musique de Noora. De Noora qui, coupable, relance pour la énième fois la vidéo de quelques secondes ayant offert à des millions de regards avides un aperçu de Dangerous woman. Allongée sur les genoux de Tarjei pour tenter d'échapper aux malaises inévitablement induits par son mal du transport, elle axe son téléphone vers le bas de façon à masquer l'écran au regard d'aigle de sa momager. Car dans l'habitacle de ce véhicule Jaz est persona non grata, seulement mentionnée dans les discours pleins de sel la blâmant de tous les mots de la terre. Yasmeen la nargue de sa beauté froide, mèches d'un noir de jais et joues pâles, un peu creuses, captant la lumière de la scène. C'est rapide : son visage entier, suivi d'un close up sur son regard, puis transition, titre, fin. Replay. Son visage, close up, transition, titre. Replay- et ainsi de suite. Noora relance encore et encore de la pointe de l'index, sans trop savoir pourquoi elle ne parvient pas à en arracher son attention. Curiosité morbide ? C'est toujours la même rengaine, lorsque Yasmeen est concernée : Noora, elle se sent bouffée de l'intérieur par un monstre à deux têtes. Allégorie d'envie floue et de jalousie et d'insécurités qui la bousculent avec la puissance d'une bourrasque. La main de Tarjei entre ses mèches brunes la rappelle à l'ordre. Le geste n'est pas spécialement tendre, pas spécialement dur ; juste un mode de communication silencieux, un stop it tacite. Elle obéit, docile. Fuit la vidéo, seulement pour retomber sur l'accueil de son compte Youtube et y découvrir une bande annonce du dernier film dont Tamina a décroché le premier rôle. Elle n'en a encore rien vu que l'effet, tout à fait similaire à celui que lui fait Yasmeen, se réveille et s'amplifie. Ah, sa sœur. Sa sœur si parfaite et si tout là où Noora se sent rien. Cette fois, c'est sur sa main que se pose celle de l'androïde, déterminer à arrêter la mini-torture qu'elle s'inflige. Mais Noora serre les lèvres, agacée, et résiste, persiste. Leurs doigts se chassent, bataillent, finissent par attirer l'attention de Sharzad qui va aussitôt pour s'emparer du téléphone, fruit d'une évidente discorde. Noora a tout juste le temps d'étirer le bras pour l'ôter de sa portée, écopant d'un froncement de sourcils de sa mère. Qu'est-ce que tu regardes ? Montre-moi. Mooom- Montre. C'est perso, j'écris à Mika, elle proteste d'un ton plaintif, bluffant pour être épargnée. Il n'y a pas de mal à admirer Tamina — son aînée est, après tout, le chef-d'œuvre de Sharzad, façonnée par leur mère au même titre que Noorjahaan. Non, ce qu'elle cherche à éviter, c'est le sourire fier qui ne tarderait pas à se manifester. Les comparaisons qui s'en suivraient, mordantes, et faites pour la casser ; pour la pousser à se dépasser alors qu'elle ne tient déjà qu'à peine debout. La réplique n'apaise pas vraiment Sharzad. Et alors ? Je ne vois pas ce que tu pourrais avoir à cacher. A moins que— Noorjahaan, tu sais ce que je pense des sexto. J'espère pour toi que votre échange n'a rien de compromettant, la moindre fuite— Je sais ! Elle se couvre le visage, rouge de honte et horrifiée par le débat que semble prête à lancer son envahissante génitrice devant les cinq autres occupants du van. On parle juste. Rien de mal, c'est juste— c'est mon mec, t'as pas besoin de tout savoir. Audace tempérée par son timbre boudeur, enfantin, pour faire passer la rebuffade pour un simple caprice. Sharzad serre les dents et elles soutiennent le regard l'une de l'autre quelques secondes avant que Noora ne se résigne à baisser les yeux. Cette petite victoire apaise sa mère, qui retourne à ses appels. J'espère pouvoir te faire confiance. Je ne me décarcasse pas pour ta carrière pour que tu ruines tous mes efforts au nom de ta vie amoureuse. D'ailleurs; quand est prévu le prochain film de Mikhaïl ? Ce garçon passe plus de temps à te déconcentrer qu'à tourner, n'a-t-il pas une carrière à gérer ? A ce stade, elle maugrée pour elle-même plus qu'elle ne parle réellement à Noora, qui ne se fatigue donc pas à lui faire savoir qu'il joue dans une série en ce moment. Trois radio te veulent d'ici les prochaines semaines, tu devras promouvoir l'EP durant leurs émissions. HOT 102.6 prévoit une interview puis In the dark, version acoustique. Tu auras ta guitare mais je leur donnerai une piste à faire tourner en fond pour que tu sois en playback, pour que ta voix ne gâche pas tout. Thanks, ha. Noora lève les yeux au ciel, se concentre sur son téléphone pour filtrer les commentaires de sa mère, visage quasiment dans l'écran.

to: babe       4:52 pm
t'as vu la bande-annonce de So be it ?
weird af, pas la meilleure performance de tami
Changement de programme, donc. On répétera la prestation dès ce week-end— Mais ? Tu veux dire samedi ? C'est mon premier jour de repos depuis des mois, j'ai déjà prévu— Veux-tu bien cesser de te plaindre ? Tu crois que le succès tombera du ciel, sans que tu n'y mette un peu du tien ? Samedi, briefing sur les questions prévues, répétition et enregistrement de la piste pour l'émission. A la place je t'ai libéré ton après-midi aujourd'hui. Super, elle lance mollement, mais le sarcasme tombe dans une oreille désintéressée.

from: babe       4:59 pm
je l'ai trouvée ultra cool ?? jalouse
to: babe        5:01 pm
j'vois pas c'que tu lui trouves
from: babe       5:07 pm
anyway
prête pour samedi bb ? virée à ellesméra ou on chill ?
la 2e option me tente à fond si tu m'invites dans ta chambre...
to: babe       5:09 pm
j'pourrai pas finalement... changement de plan, ma mère a prévu des trucs...
mais j'ai la fin d'aprèm de libre ajd
si tu peux ?
from: babe       5:10 pm
whaaaat
noora
to: babe       5:10 pm
 
from: babe       5:11
non srx, on s'est pas vus depuis 2 mois ??
to: babe   5:11 pm
je sais... je me rattraperai  
Tu devrais profiter de ton temps libre pour te reposer, tes cernes deviennent pénibles à couvrir. Tu me feras aussi le plaisir de t'en tenir scrupuleusement à ton régime, tu t'épaissis à vue d’œil. Ta cousine fait bien plus attention à sa ligne, visiblement. Elle est super maigre, genre, un peu plus et elle disparait. C'est pas méchamment dit — au contraire, le ton de Noora est incertain plutôt que réjoui, pas vraiment inquiet mais intrigué. Sauf que Sharzad s'esclaffe d'un rire aussi charmant à l'oreille qu'il est mauvais. Ce ne serait pas plus mal, si ça arrivait. Le van se gare à ce moment-là, épargnant à Noora de devoir continuer sur ce terrain miné. Elle s'extirpe de la voiture et s'empresse de filer dans sa chambre tandis que sa mère orchestre la petite équipe avec laquelle elle s'est déplacée pour organiser depuis la maison la distribution en ligne des prochaines chansons.

from: babe 5:32 pm
ok
to: babe 5:32 pm
et pour cet aprèm ? tu peux
from: babe 5:32 pm
no can do
pièce jointe
tournage
to: babe 5:32 pm
oh
miss you
on s'appelle ce soir ?
from: babe 5:38 pm
j'finis tard

Sigh. Elle fait la moue bien qu'il ne puisse pas la voir, se résigne à passer son temps libre à effectivement dormir. C'est aussi alléchant que barbant, mais toute plainte déserte ses pensées lorsqu'un bruit à l'intérieur de sa chambre la met sur ses gardes. Il ne devrait y avoir personne — à moins que le personnel ménager n'ait pas eu le temps de partir avant leur retour ? Noora pousse le battant de bois, un peu brusquement pour surprendre quiconque traine dans ses quartiers... seulement pour se retrouver face à face avec une parfaite inconnue. Ses lèvres s'entrouvrent sous le choc et elle tâtonne au hasard en quête de quelque chose, n'importe quoi, pour le brandir en guise d'attaque ou de défense, elle ne sait pas trop. Who the hell are you ? C-c’est pas ce que tu crois ! Ah ouais ? T'es pas entrée dans ma chambre sans autorisation, alors ? Elle ironise, cœur battant suffisamment fort pour lui assourdir les tempes. Tu es une fan c'est ça ? Ecoute ça pourrait être flatteur mais— ma chambre, sérieusement ? Tu peux pas juste— Elle s'interrompt, regard attiré par l'avant-bras qu'a levé l'inconnue devant son visage. Peau vierge et intouchée à l'endroit où se situent tous les compteurs de ce monde. Qu'est-ce que tu... pause. Elle approche pour lui attraper le poignet du bout des doigts, tirant pour lui faire déplier le bras d'un geste pressant mais non agressif. Tu es quoi ? elle reprend, incertaine de savoir que faire de cette anomalie. L'autre ne semble rien comprendre à ses dires, alors elle explicité : Pourquoi tu n'as pas de compteur ? Personne ne peut vivre sans compteur... Interrogation lacée de perplexité, elle sursaute lorsque retentit la voix inquiète de sa mère dans le couloir. Un problème chérie ? Tarjei, bouge voyons, rends-toi utile ! Elle ne s'était même pas rendue compte qu'elle avait crié ; trop tard à présent : les autres sont déjà alertés, et c'est Tarjei qui apparaît sur le pas de la porte, prêt à faire disparaître de son périmètre ce qui devrait vraisemblablement être une fan obsessionnelle. Mais Noora, elle, est trop perturbée par l'affaire du compteur pour voir quoi que ce soit d'autre à présent.