solemiah - the story of tonight

Il y a un nouveau et Solàna doit l'entraîner. Elle trouve ça ridicule. Elle a mieux à faire et Ross arrête pas de lui dire: qu'est-ce que tu vas faire quand t'auras recalé tout le monde? en la forçant à persévérer, garder les newbies, même ceux qui ne sont pas parfaits. Mais c'est plus fort qu'elle. Il en faut beaucoup pour l'impressionner. Il en faut trop pour l'impressionner; mais peu importe, ils sont juste tous nuls, ce n'est pas qu'elle est trop exigeante, pas du tout. Il y a un nouveau et Solàna doit l'entraîner, elle est déjà fatiguée. Elle a dit à Ross de dire au newbie de la rencontrer dans le camp d'entraînement; bien entendu ce dernier n'a de camp que le nom: derrière les deux maisons que le Defense Squad — enfin, l'embryon du Defense Squad occupe — se trouve le "camp". Ils n'ont pas de tatami comme Solàna aimerait (ce qui semble logique, mais l'énerve toujours autant), mais ils ont quelques poids, des armes (qui sont rangées dans l'une des deux maisons, les munitions dans une autre pièce au cas où), et des cibles. Ils doivent se contenter de ça.

En guise de tatami, du coup, ils ont rembourré un peu le sol pour qu'il soit possible de s'y tenir à pieds nus sans risquer de s'ouvrir le talon; heureusement, il y a un peu d'herbe pour amortir aussi. Solàna s'étire en humant doucement pour méditer, se concentrer. Les gens ont tendance à la sous-estimer parce qu'elle est plutôt fine et très mince; mais tout son corps est nerveux, ses muscles effilés et tendus en quasi-permanence. Il faut dire qu'elle ne mange pas beaucoup, Solàna, mais qu'elle fait attention aussi à donner à son corps tout ce dont il a besoin pour gagner en puissance. Elle répète quelques mouvements, détend les muscles de son dos et de ses épaules. C'est Ross qui l'a entraînée même si elle avait quelques bases — en plus du floatball, elle faisait du kickboxing, un second sport était quasiment encouragé pour le maintien de la bonne forme. Elle est en train de faire quelques pompes sur une main quand on l'interrompt: c'est Alexander, le vieux, le bras droit de Ross. Elle est son bras gauche, l'autre partie de l'équation. Alexander est le muscle, elle est le cerveau — même si elle sait qu'il préférerait ne pas l'entendre. Il est trop violent à son goût, trop impulsif aussi. Les gens l'aiment bien mais il ne voit pas le futur assez loin pour être utile.

“ Et voilà Solàna. ” Il mâche quelque chose en pointant Solàna du menton, qui se redresse lentement pour lui adresser un regard las, et un regard curieux au nouveau. Plutôt bonne forme, barbe taillée récemment, bel homme dans le genre. “ Sol, voilà Jeremiah. Il veut faire régner la justice sur le monde. ” Un idéaliste donc. Solàna se méfie des violents, des bons soldats et des idéalistes. Elle se méfie de tout le monde. “ Enchantée, ” fait-elle d'un ton qui indique le contraire. Elle le regarde, sa posture, son corps, ses bras. Mince et en bonne forme — comme la plupart des terriens, survie oblige —, mais il y a de profonds creux sous ses yeux qui parlent d'un autre vice. Alcool, putes ou cigarettes. Les hommes sont tous les mêmes. Elle va n'en faire qu'une bouchée, et c'est ce que semble penser Alexander quand après un dernier hochement de tête, il retourne à l'intérieur de la maison, les laissant seuls. “ Il va falloir que je te remette en forme en quelques semaines, que je t'apprenne à tirer, à obéir aux ordres et à en donner de manière efficace et succincte, et tout ça en deux ou trois semaines. Ton entraînement durera plus longtemps mais si dans deux ou trois semaines t'es toujours aussi merdique, on a aucun intérêt à te garder. On a besoin de gens, et on a besoin de gens maintenant. ” Toujours la même chose. En pratique, si elle ne voit aucun progrès en cinq jours, elle en parle à Ross qui, si il n'est pas convaincu lui-même, demande gentiment aux gens de rentrer chez eux. Ils n'ont pas besoin de chair à canon. Elle n'attend pas que Jeremiah approuve ou montre qu'il a entendu et compris; elle détend son cou en se détournant pour se reculer un peu. “ Retire tes bottes et ta veste, t'en auras pas besoin. Tu sais un peu te battre? T'étais pilote, non? ” Elle se souvient avoir vaguement entendu ça dans la bouche de Ross.

Depuis combien de temps était-il sobre déjà ? Jeremiah ne sait plus, mais il se dit qu’il aimerait bien un verre d’alcool en cet instant tant il est nerveux. Il a tellement envie de faire ses preuves à la Defense Squad. Il a fait un effort sur son apparence aujourd’hui et sur sa toilette. Il n’a pas envie de paraître minable vu qui il va rencontrer. On lui a dit qu’il allait devoir passer du temps avec Burr et paraît même que c’est pas un tendre. Il a posé des questions aux autres soldats déjà en poste et tous se sont accordés à dire qu’il n’y avait rien de pire que les entraînements de Burr. Il y a de la souffrance, de la sueur et beaucoup de cris. Jeremiah sait qu’un bon nombre d’aspirants ont abandonné parce que Burr est un véritable tyran. Faut dire que du coup ça a mis un sacré coup de pression à Jer. Il pensait naïvement que c’était facile de rentrer dans la Defense Squad. Quand il leur avait sorti son grand discours de défenseur de la planète, il pensait que c’était dans la poche, mais pas vraiment. Pas du tout même. A l’époque, il n’avait pas pris en compte les entraînements quotidiens. Et maintenant, il rencontrait Burr. C’est Alexander qui est venu le chercher pour l’amener jusqu’à son entraîneur. Ils ne disent rien en chemin, mais Jeremiah voit bien l’air moqueur de tous les autres et ça le titille un peu.

Quand il voit le vieil Alexander s’arrêter, il se dit que c’est bon, ils sont arrivés à destination. Il se met à ses côtés et baisse le regard. Une femme au crâne rasé est en train de faire des pompes à une main. Jeremiah est hypnotisé par le mouvement de son corps. Il ne comprend pas trop pourquoi le vieux l’a amené ici et se demande où est Burr, mais pourquoi pas. Autant qu’il apprenne à connaître les autres membres de la Defense Squad. “ Et voilà Solàna. ” Jeremiah lance un regard incrédule à la dénommée Solàna quand elle redresse la tête. Elle a un visage sévère, mais agréable à regarder. Jeremiah ne comprend toujours pas. Pour l’instant, il préfère ne rien dire de peur de poser une question stupide. “ Sol, voilà Jeremiah. Il veut faire régner la justice sur le monde. ” - “ Enchantée, ” Son cerveau met du temps à comprendre, laissant Solàna l’observer comme bon lui semble. Finalement l’addition se fait sous son crâne. Burr n’est pas un homme. Loin de là. Il retient un soupir et se note d’aller régler le compte aux petits rigolos qui lui ont fichu la trouille. “ Il va falloir que je te remette en forme en quelques semaines, que je t'apprenne à tirer, à obéir aux ordres et à en donner de manière efficace et succincte, et tout ça en deux ou trois semaines. Ton entraînement durera plus longtemps mais si dans deux ou trois semaines t'es toujours aussi merdique, on a aucun intérêt à te garder. On a besoin de gens, et on a besoin de gens maintenant. ” Sa voix est autoritaire et surprend Jeremiah. Il hoche simplement la tête en guise de réponse. “ Retire tes bottes et ta veste, t'en auras pas besoin. Tu sais un peu te battre? T'étais pilote, non? ” Jeremiah s’exécute et dépose veste et bottes dans un coin. A la question de savoir se battre, il a bien envie de répondre oui, mais en vérité, ce n’est pas vrai. Il sait se battre quand il a quelques verres dans le nez et encore ça doit être brouillon et sans aucune stratégie. « Je sais coller des raclées, mais on ne peut pas appeler ça savoir se battre je pense. » Fait-il en souriant. Sourire qu’il ravale instantanément en voyant qu’elle ne cille pas. « Ouais. Orion c’était mon vaisseau. J’ai fait plusieurs sorties avant qu’on atterrisse ici. Ça me manque de voler. » Il parle trop. Il parle toujours un peu trop quand il est nerveux. « Et vous ? » Vu son regard, il a l’impression que ce n’était pas à lui de poser des questions. « Pardon. Qu’est-ce que vous devez m’apprendre ? » Alishan lui impose de se taire avant de trop s’enfoncer. Jeremiah fait quelques pas pour rejoindre le tatami toujours aussi nerveux. Il sait qu’il veut rejoindre la Defense Squad parce qu’il ne lui reste que ça. Il doit se ressaisir. Il doit réussir à impressionner Burr coûte que coûte.

Ce qu'elle apprécie, c'est que Jeremiah ne fasse aucun commentaire sur le fait qu'elle ne soit pas un homme — c'est arrivé à plusieurs reprises et autant dire que les impertinents ont sèchement été renvoyés chez eux — et qu'il s'exécute aussitôt qu'elle a fini de lui donner un ordre. « Je sais coller des raclées, mais on ne peut pas appeler ça savoir se battre je pense. » Solàna se tourne vers lui pour lui adresser le regard le moins impressionné de tous les temps. Elle croit avoir entendu que Jeremiah était un déchet il n'y a pas si longtemps que ça, le genre à foutre la merde et à boire un peu trop. Inutile, donc, jusqu'à ce qu'il mette un pied sur son tatami. Qui n'est pas un putain de tatami. Mais bon. Il a l'air de comprendre le message: son sourire disparaît vite. « Ouais. Orion c’était mon vaisseau. J’ai fait plusieurs sorties avant qu’on atterrisse ici. Ça me manque de voler. » Ça semble être le sentiment de la plupart des pilotes qu'elle connaît. Elle peut comprendre. L'autre homme a l'air nerveux, Solàna ne le blâme pas. Elle jette un regard à Alexander qui lui adresse un signe de tête avant de les laisser seuls. « Et vous ? » Le regard de Solàna revient sur Jeremiah. Elle semble surprise — elle aime penser que parfois, sa réputation la précède. Parfois, pour ne pas dire: partout. Mais c'est une bonne surprise, elle imagine, que de ne pas être vue seulement comme l'ancienne joueuse de floatball mais comme quelqu'un de nouveau. Tout les Lobsterriens sont devenus Autres après la destruction d'une partie du vaisseau.

« Pardon. Qu’est-ce que vous devez m’apprendre ? — Je viens de le dire, ” rétorque-t-elle aussitôt d'un ton sec. “ Te battre, tirer, donner des ordres, suivre des ordres, être utile. ” Elle se radoucit un peu quand elle voit l'expression sur son visage. Il a l'air stressé et elle peut le comprendre. Il n'est pas quelqu'un de mauvais, ça au moins elle le voit tout de suite. Mais ça ne veut pas dire qu'il est quelqu'un d'utile et dont elle a besoin, ainsi se force-t-elle à ne pas sympathiser trop avec sa nervosité plus qu'apparente. “ J'étais joueuse de floatball, ” explique-t-elle. “ Mais tout ça n'a plus la moindre importance aujourd'hui. Aujourd'hui, ce qui importe, c'est le futur, pas le passé. Mets tes mains en avant. Non, pas en poings: comme ça. ” Elle s'approche de lui et détend ses mains. “ Autrement tu vas te briser les phalanges. Détends-toi un peu, recule une jambe, baisse ton centre de gravité. Comme ça. ” Elle approuve d'un mouvement de tête sa position. “ Voyons comment tu 'colles des raclées', ” le défie-t-elle en prenant une position similaire.

La tête de Jeremiah rebondit d'un bruit sonore sur le dur tapis à peine une minute plus tard. Solàna est un peu déçue, mais moins qu'elle le serait d'ordinaire. Il a du muscle et du poids et avant qu'elle n'ait eu le temps de l'aider, il s'est relevé et s'est remis en position. La détermination le mènera plus loin que le talent seul. Elle est surprise, mais satisfaite aussi. “ Bien. T'es pas aussi rouillé que ce qu'on m'a dit. Allez, encore. ” Il mord la poussière à chaque fois mais il se relève et ça, Solàna apprécie beaucoup. À un moment, il parvint même à lui foutre un coup de poing — plus puissant que ce à quoi elle s'attendait, suffisamment fort pour qu'elle doive s'asseoir quelques minutes, sa tête tourne et lui fait un peu mal. “ T'en fais pas pour moi, ” marmonne-t-elle, fierté mal placée et blessée. Ils sont assis l'un à côté de l'autre, transpirant à grosses gouttes après leur longue session. “ Dis-moi. Pourquoi tu veux rejoindre le Defense Squad? Pas besoin de me servir tes conneries de changer le monde. Dis-moi juste la vérité. ”

“ Je viens de le dire, ” Elle lui répond d’un ton sec. Elle n’est pas là pour rigoler et ça ébranle un peu les convictions de Jeremiah. Il ne pourra jamais être à la hauteur s’il vacille déjà devant Burr. Il essaie de faire bonne figure et de se tenir toujours aussi droit pour éviter de montrer ce court instant de faiblesse. Il le sait d’ores et déjà, elle ne lui fera aucun cadeau. “ Te battre, tirer, donner des ordres, suivre des ordres, être utile. ” Ali se moque de lui dans son crâne. C’est difficile de se concentrer quand son jumeau d’un autre univers rit bien de cette situation. Oh il ne va certainement pas s’arrêter et continuer de l’appeler le fidèle toutou de la Defense Squad après ça. “ J'étais joueuse de floatball. Mais tout ça n'a plus la moindre importance aujourd'hui. ” Il est surpris qu’elle réponde à sa question. Il n’est pas surpris par son ancienne fonction par contre. Elle a le corps taillé pour ce sport. C’est Kate qui serait jalouse. “ Aujourd'hui, ce qui importe, c'est le futur, pas le passé. Mets tes mains en avant. Non, pas en poings: comme ça. ” Burr pose ses mains sur les siennes et déplie ses doigts. Un énorme frisson parcourt son dos. Il sent comme des picotements sur sa peau. Il veut bien concevoir que ça fait longtemps qu’il n’a pas touché une femme, mais quand même. “ Autrement tu vas te briser les phalanges. Détends-toi un peu, recule une jambe, baisse ton centre de gravité. Comme ça. ” Il s’exécute et lui lance un regard interrogateur pour voir s’il fait bien. Elle approuve. “ Voyons comment tu 'colles des raclées', ” Il s’avance en avant pour la frapper comme il le ferait avec un gars qui l’a un peu trop cherché. Il n’a pas le temps de bouger que Burr esquive, se met sur le côté, attrape son poignet et le fait basculer au sol comme s’il ne pesait rien. La chute lui coupe le souffle et il la regarde d’en bas, un air choqué sur le visage. Ok. Il cligne plusieurs fois des yeux. Il ne s’était pas attendu à une telle rapidité.

Jeremiah bascule sur le côté et se redresse pour se remettre en position. D’accord. Il peut le faire. Il va le faire. Madison compte sur lui. “ Bien. T'es pas aussi rouillé que ce qu'on m'a dit. Allez, encore. ”

Ils sont sur ce tatami depuis un moment maintenant. Il a été mis à terre plus de fois qu’il n’a réussi à la toucher. Ça en devient presque frustrant pour lui. Elle lui donne l’impression d’être un chat insaisissable à force d’esquiver ses coups en sautant sur le côté. Il doit essayer de se montrer plus malin qu’elle. Il tente un coup et dévie sa trajectoire au dernier moment. Il est presque surpris lorsqu’il sent la joue de Burr sous ses phalanges. Elle bascule un peu avant de se rattraper. Elle lui fait un signe de s’arrêter et s’assoit au sol pour reprendre ses esprits. Jeremiah se met à culpabiliser un peu, il était allé un peu trop fort peut-être. « ]Vous voulez de l’eau peut-être ? » Demande-t-il d’un ton un peu inquiet. “ T'en fais pas pour moi, ” La respiration de Jeremiah est erratique. Il sent tout son corps qui est en train de hurler de douleur. Ne voyant pas Burr bouger, il se laisse tomber à côté d’elle. “ Dis-moi. Pourquoi tu veux rejoindre le Defense Squad? Pas besoin de me servir tes conneries de changer le monde. Dis-moi juste la vérité. ” Lui demande-t-elle brusquement. Jeremiah ne sait pas s’il doit être sincère ou non. Est-ce que ça ne lui coûterait pas sa place justement ? « C’est la seule manière que j’ai de me rendre utile. » Répond-il finalement. « On a… on m’a… » Il secoue la tête, laissant tomber quelques gouttes de transpiration sur le tatami. « Ma famille n’existe plus depuis qu’on a atterri ici. Ma fem-mon ex-femme s’est tirée peu après que des gars soient venus piller notre maison et t… ils ont pris le seul lien qui nous unissait elle et moi. » C’est toujours compliqué de parler de Madison sans sentir la plaie béante dans son cœur s’ouvrir un peu plus à chaque fois. « Je suis plus bon à rien en tant que pilote et j’suis un mauvais homme politique. Je sais juste bien obéir aux ordres. » Termine-t-il. Il laisse son regard se perdre un peu au loin avant de revenir dans l’instant présent. « Et vous ? C’était quoi vos raisons ? » Il ne sait pas si elle va lui répondre ou si elle va juste l’envoyer balader parce qu’il est trop curieux et que ce n’est pas à lui de poser les questions, mais il a envie de savoir.

Solàna n'arrive pas à croire que Jeremiah soit parvenu à la toucher. À lui faire mal. Sa tempe la lance et sa tête tourne et elle n'a qu'une envie: s'allonger, fermer les yeux et laisser l'épuisement et la douleur s'emparer d'elle. Mais elle est quelqu'un de bien trop fier pour se laisser faire, pour céder à cette tentation sournoise. Alors à la place elle se détend le cou, tourne la tête, discute à mi-voix d'un ton un peu pâteux, espérant que Jeremiah ne va pas remarquer son affliction. Elle a honte et n'aimerait pas que le newbie pense qu'elle est faible. Quelques instants après sa question, Jeremiah lui répond: « C’est la seule manière que j’ai de me rendre utile. » Elle hoche la tête lentement. Elle peut comprendre ce sentiment. On peut rapidement être désoeuvré sur Terre, et puis tout semble... inutile. Ce n'est pas durant leur génération qu'ils verront les Terriens retourner au confort technologique et naturel qu'ils avaient dans le Lobster. Ce sera dans une, deux, cinq, dix générations... elle ne sait pas. Mais ça ne veut pas dire qu'ils ne peuvent pas participer activement à bâtir les fondations de leur nouvelle nation, leur nouvelle civilisation. « On a… on m’a… » Elle n'en attend pas plus de sa part mais reste silencieuse et prudente, attendant la suite avec curiosité. Comme une vieille connexion de radio, en même temps, elle sent quelque chose changer dans son esprit... Aubrey est connectée, pourrait-elle presque dire à haute voix avec agacement. Sa jumelle cosmique dont le quotidien se résume à dormir, travailler un peu, et retourner se coucher montre aussitôt son appréciation pour le visage bien symétrique de Jeremiah et ses épaisses boucles brunes.

Solàna doit difficilement réfréner un roulement d'yeux agacé face au bel homme en question. Elle pense qu'il le prendrait mal. « Ma famille n’existe plus depuis qu’on a atterri ici. Ma fem-mon ex-femme s’est tirée peu après que des gars soient venus piller notre maison et t… ils ont pris le seul lien qui nous unissait elle et moi. » Elle se demande si il réfère à un enfant. Elle devrait peut-être faire une moue de compassion. À la place, Solàna se redresse et son visage, qui jusque là était ouvert, curieux, intéressé, se ferme. Elle connait cette douleur que trop bien. Miles et Isaac sont morts. Leurs corps n'ont jamais été retrouvés et ils sont morts. L'amour de sa vie et son fils de trois ans. « Je suis plus bon à rien en tant que pilote et j’suis un mauvais homme politique. Je sais juste bien obéir aux ordres. » Il n'a pas l'air stupide pourtant. Les gens qui obéissent aux ordres sans jamais en donner, ils en ont déjà pas mal. Ils n'ont pas besoin d'être très intelligents, mais capables et loyaux. Jeremiah semble avoir ces trois qualités. Il a l'air d'en avoir pas mal dans le crâne. Et le pantalon, fait remarquer Aubrey, comme d'habitude. Solàna reste de marbre. « Et vous ? C’était quoi vos raisons ? » Solàna n'apprécie pas la curiosité quand elle est indue, mais elle imagine qu'elle l'a cherché en posant ses questions en premier. “ À peu près la même chose. Il a fallu plusieurs années à Ross pour me trouver. J'étais... perdue, ” dit-elle lentement. Ce n'est pas tant la géographie de la Terre qui l'a confuse. Mais la solitude. Le chagrin. Le deuil. Elle pince des lèvres malgré elle. Quand Ross l'a trouvée, elle était autant femme qu'animal sauvage. “ J'ai perdu mon compagnon et mon fils dans le crash. J'ai passé les dernières années seule. Survivre sur Terre seul est impossible. Je veux construire une civilisation. Une structure. Un point de départ pour les générations à venir... ” Ross aurait pu parler à travers elle en cet instant précis. Au début, Solàna ne faisait que répéter la doctrine du Defense Squad sans réfléchir. Maintenant elle parle avec conviction et détermination. Elle y croit.

“ Ça vaut le coup, ” conclut-elle d'une voix ferme, mettant un terme à la conversation. Elle finit par se relever et tendre la main vers Jeremiah pour l'aider. Sa main est forte, sa paume rugueuse. Ce n'est pas désagréable. " Tu m'as bien eue, ” finit-elle par admettre, à contre-coeur. “ Maintenant j'aimerais que tu fasses ça. ” Elle n'a pas lâché la main de Jeremiah et, un peu vicieusement, elle tord son poignet puis son bras avant de le faire tomber d'un balaiement de la jambe au niveau de ses genoux. Il mord le tapis douloureusement et la fierté de Solàna se sent un petit peu mieux. À la place de le laisser tomber et de le laisser tranquille comme avant, Solàna se penche et pose un genou au milieu de son dos, une main posée sur sa nuque le forçant à garder son visage contre le tatami. “ Prends une pose quand tu me mets parterre. Si tu me mets parterre. Foutre un coup de poing c'est bien, mettre quelqu'un à terre et l'immobiliser, c'est mieux. Frappe le tapis pour être libéré. ” Quand c'est fait, elle se détache et l'aide à se relever de nouveau, se sentant un peu coupable. “ Allez on continue. ”

Ils y vont un peu moins fort, au lieu de se donner des coups de poing, se claquent le corps avec force: les coups sont suffisamment forts pour faire mal, mais pas assez  pour handicaper. Les joutes se font plus longues, Jeremiah mord moins la poussière. Il sait se défendre, mais il fatigue — et elle aussi à vrai dire, difficile de naviguer autour de quelqu'un qui pèse environ trente kilos de plus en terme de muscles. Il parvient à la frapper à plusieurs reprises, mais pas à la foutre parterre jusqu'à la toute fin. Même si il l'écrase de tout son poids, son genou s'enfonce dans son ventre et son avant-bras dans sa gorge, Solàna ne peut pas s'empêcher de sourire. Un grand, vrai sourire, qui montre quelques dents bien blanches. “ J'ai l'impression qu'on va pouvoir faire quelque chose de toi, Jeremiah, ” dit-elle avec un sourire évident, frappant le tatami et sautant sur ses pieds dès qu'il l'a libérée. “ Je promets pas qu'on puisse faire quoique ce soit pour ta tête de con, mais pour le reste y'a du potentiel. Tu veux toujours faire partie du Squad? ”

“ À peu près la même chose. Il a fallu plusieurs années à Ross pour me trouver. J'étais... perdue, ” Jeremiah a l’impression qu’ils sont tous dans ce cas. Sur le Lobster, chacun avait un rôle à jouer. C’était clair et précis. Depuis qu’ils sont sur Terre, ils sont tous un peu perdus et ça a fait naître des instincts primaires absolument atroces aux yeux de Jeremiah. Jamais il n’y avait eu une telle violence sur le Lobster. “ J'ai perdu mon compagnon et mon fils dans le crash. J'ai passé les dernières années seule. Survivre sur Terre seul est impossible. Je veux construire une civilisation. Une structure. Un point de départ pour les générations à venir... ” Jeremiah cache un sourire triste en l’entendant. Ils ont perdu tous les deux des êtres chers, mais là où Burr a su être forte, lui s’est effondré. C’est donc ça la force féminine que Rachel essayait de lui faire comprendre. Il tourna sa tête dans la direction de Solàna. Il ne la voyait que de profil, mais il pouvait voir la détermination qui l’habitait. Ça rayonne autour d’elle. Ça l’inspire. Ça l’incite à y croire. “ Ça vaut le coup, ” Elle se redresse, tend la main à Jeremiah. Il s’en saisit et sent ce même courant électrique lui parcourir le bras, le corps. The hell ? Il n’est plus un adolescent, il ne comprend pas cette réaction. " Tu m'as bien eue, ” Jeremiah redresse la tête et esquisse un mince sourire. « Vous n’êtes pas facile à atteindre. » Il ne sait pas pourquoi il a dit ça, mais c’est trop tard. “ Maintenant j'aimerais que tu fasses ça. ” Burr a toujours sa main dans la sienne et avant qu’il ne puisse ouvrir la bouche pour dire quoi que ce soit, il est au sol. Il pousse un grognement de douleur et de surprise en même temps. Il ne s’y attendait absolument pas. Quelque chose lui disait que c’était une petite vengeance pour Solàna. Il sent le genou de la femme dans son dos, mais c’est le contact de sa peau contre la sienne qui lui tire une grimace douloureuse. Ça brûle maintenant. “ Prends une pose quand tu me mets parterre. Si tu me mets parterre. Foutre un coup de poing c'est bien, mettre quelqu'un à terre et l'immobiliser, c'est mieux. Frappe le tapis pour être libéré. ” C’est ce qu’il fait. Burr se dégage de lui et Jeremiah prend quelques secondes pour souffler. Cette brûlure est anormale. Il pose un poing sur le sol et se redresse un peu à bout de souffle. “ Allez on continue. ” C’est probablement l’effort qui lui fait ressentir ça. Il n’a plus autant bougé depuis des lustres. Oui, ça doit être ça.

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Jeremiah est essoufflé, mais il est à présent au-dessus de Solàna. Il la bloque entièrement. Elle sourit. Il a gagné. Et lui aussi ça lui arrache un sourire. Un vrai. Ils sont si proches. Et sa peau est encore contre la sienne. Et la brûlure est là elle aussi. “ J'ai l'impression qu'on va pouvoir faire quelque chose de toi, Jeremiah, ” Il la relâche et Burr se remet sur ses pieds avec toujours autant d’énergie alors que lui est totalement épuisé. “ Je promets pas qu'on puisse faire quoique ce soit pour ta tête de con, mais pour le reste y'a du potentiel. Tu veux toujours faire partie du Squad? ” Il penche la tête sur le côté. « Ma tête de con ? » Il prend un air faussement offensé. « Juste pour pouvoir rétablir la vérité sur ma tête de con, fait-il en y mettant des guillemets imaginaires avec ses doigts, évidemment que je veux toujours faire partie du squad. » Il est un peu plus détendu, malgré la douleur qui parcourt son corps en entier et malgré la sueur qui goutte sur le tatami. Il se redresse difficilement et se met le dos bien droit. « Si j’ai fait mes preuves, comptez-moi parmi vos membres. » Il hésite, mais tend la main pour espérer serrer la sienne en guise d’accord. « Quelle est la prochaine étape ? » Demande-t-il précipitamment. Est-ce qu’il sera encore sous ses ordres ? Est-ce qu’ils vont s’entraîner souvent ensemble ? Est-ce qu’elle, aussi, a ressenti les brûlures ou c’est un effet de son imagination ?

Elle a toujours ce petit sourire sur les lèvres, Solàna, en regardant Jeremiah. Il y a des gens, il faut des semaines pour qu'elle leur sourisse ainsi. Qu'elle soit moyennement persuadée qu'il y a quelque chose à faire avec eux. Là... Elle sait. Il est volontaire, il doit perdre quelques kilos de gras et les troquer pour des kilos de muscles, et évidemment apprendre à mieux se battre... mais il y a des bonnes bases et du potentiel et Solàna peut l'imaginer avec la veste du Squad et l'imaginer se battre à ses côtés. Et rien que ça, c'est beaucoup de sa part de l'intransigeante tyran Burr... « Ma tête de con ? » Il la fait sourire un peu plus, en plus, donc c'est toujours bon pour ça (le fait qu'il soit bel homme aide aussi) (Aubrey en trépigne de bonheur dans un coin reculé de sa tête) (Solàna l'ignore). « Juste pour pouvoir rétablir la vérité sur ma tête de con, évidemment que je veux toujours faire partie du squad. » Solàna pense qu'elle a dû l'impressionner, mais au moins il ne se sent pas dégoûté. De nombreux hommes viennent et se font mettre une raclée par elle, leur fierté ne s'en remet jamais et ils ne reviennent pas... « Si j’ai fait mes preuves, comptez-moi parmi vos membres. » Le côté solennel de la phrase lui plait, aussi. Il reste quelqu'un de sérieux. « Quelle est la prochaine étape ? » Elle prend la main que Jeremiah lui tend et la serre fermement, acceptant la force qu'il y met lui aussi avec appréciation. “ T'y es pas encore, Jeremiah. Il faut mériter le badge, ” dit-elle très sérieusement même si ce n'est réellement qu'un petit badge de tissu qu'ils cousent sur le revers de leurs vieilles vestes de pilote du Lobster. Un courant électrique parcourt son bras et elle lâche abruptement la main de l'autre homme. “ La prochaine étape, c'est que je te remets en forme jusqu'à ce que tu pleures chaque nuit de la torture que je t'inflige chaque jour. Et après on fera tout ce que je t'ai dit. On va se concentrer sur le combat à mains nues d'abord, et après on verra si t'as deux bons yeux avec un flingue dans la main. ” Elle sourit encore une fois, surtout en voyant l'expression sur le visage de Jeremiah. “ Sois pas déçu, ton moment arrivera bien assez tôt. ” Elle apprécie son enthousiasme.

Ce soir-là, après s'être entraînée seule et avoir acheté quelques ingrédients pour bouffer, elle rentre dans la maison qu'elle partage avec deux autres membre du Squad — Stephen et John —, fait rapidement à manger et va se laver en attendant que l'eau soit en train de bouillir. L'eau n'étant pas aussi accessible qu'avant, elle préfère ne pas se doucher tous les jours pour ne pas en gâcher — ainsi c'est toujours un réel plaisir de laisser l'eau chaude couler sur sa peau nue, en profiter au moins un peu... c'est sous l'eau qu'elle découvre la marque. Elle ne comprend pas très bien ce que c'est, au début elle pense que c'est de la crasse ou une vieille cicatrice... mais elle ne s'en va. Elle ressemble à un tatouage, à vrai dire, derrière son épaule, presque impossible à voir à moins qu'elle se torde le cou pour l'observer. Juste une marque, cinq centimètres de longueur, pas grand chose d'autre. Une marque comme une autre. Peut-être qu'elle ne l'avait juste jamais remarquée avant ça. Elle n'y repense pas.

Les jours suivants, elle voit Jeremiah pour des sessions un peu plus longues. Ils font des pompes ensemble et d'autres exercices, ils se battent aussi, tous les jours il s'améliore. Elle décide d'arrêter d'être trop gentille avec lui et ça devient plus sérieux, plus violent aussi, mais au moins tous les jours est différent et elle peut voir clairement qu'il fait des progrès. Après s'être entraînés, quand ils s'étirent, ils parlent aussi un peu en échangeant une bouteille d'eau. Il est con. Il est drôle. Solàna l'aime bien. (les marques s'accumulent dans son dos. Elle ne les remarque pas, à défaut de posséder un miroir. Mais c'est vrai qu'elle a toujours chaud quand Jeremiah est dans les parages. Aubrey lui dit que ce n'est que ses besoins féminins qui se réveillent donc elle n'y repense pas deux fois).

Un jour quand il vient la voir dans le jardin derrière le QG du Squad, il n'y a pas de tatami mais une table à laquelle elle est assise. Elle a différents morceaux de métal devant elle. “ Bonjour Jeremiah, t'as une sale tête aujourd'hui, ” l'accueille-t-elle comme presque tous les matins, avant de lui faire signe de s'asseoir en face d'elle. “ Aujourd'hui, pas d'entraînement physique. Je sais que t'as été pilote alors j'imagine que tu sais tirer au blaster? Ou quelque chose comme ça. ” Elle n'a une connaissance distante et méprisante des pilotes, à cause du fait que sa mère est morte à cause de ça. “ Ici, on utilise des armes différentes. Avant que je te laisse tirer, je vais t'apprendre de quoi elles sont faites... ” Elle désigne et nomme les différentes parties avant de les monter, lui montrant clairement comment faire, l'arme. “ Prends, ” dit-elle en la lui mettant dans la main. Elle pose ses mains sur son avant-bras et son coude (sa peau est chaude. Elle déteste le remarquer) pour mieux positionner ses doigts sur le revolver. “ Ça c'est la sécurité. Non, ne mets pas ton doigt sur la gâchette. Si tu mets ton doigt sur la gâchette, il faut que tu sois sûr que tu vas tirer. Sinon ça n'a aucun intérêt. Voilà comme ça. ” Elle hoche la tête sérieusement. Puis elle lui prend l'arme des mains et remets les parties devant lui. “ Essaie de l'assembler toi-même. ” Elle le regarde essayer maladroitement en essayant de réprimer un sourire. “ Quoi de nouveau chez toi? ” demande-t-elle gentiment, pour qu'il se détende mais aussi parce qu'elle est curieuse — elle aime bien leurs conversations et parler avec lui, de manière générale.

Burr lui parle de badge, de mérite. Il essaye de ne pas trop le montrer, mais ça le fait flancher. Est-ce qu’il le mérite ce badge ? Il jette un rapide coup d’œil à ses mains. Ses mains ont déjà tué quelqu’un. D’accord il était bourré et il n’avait pas senti sa force, mais il avait ôté la vie sans se poser plus de questions que ça. Alors est-ce qu’il mérite ce badge si jamais il persévère ?
Ils se quittent là. Ils échangent un sourire ou deux avant de récupérer leurs affaires. Jeremiah repasse devant le vieil Alexander qui lui fait un signe de tête. « T’as survécu, Lynch ? » Qu’il lui demande avec un sourire carnassier. Le brun s’arrête et se désigne de la main. « J’en suis la preuve vivante, Sir. » Il l’entend rire. Un rire de vieux bourru. « C’est parfait. Tu fais partie des rares qui ont survécu de leur tête à tête avec Burr. Elle est redoutable, pas vrai ? » Redoutable, c’est le mot. Elle est sévère et difficile, mais tellement efficace. Et surtout, il se demande comment elle fait pour être aussi forte vu sa morphologie. Il ne sous-estimerait jamais plus des petites tailles. Il devrait le savoir pourtant, Ameera est petite et toute fine et pourtant ça ne l’empêcherait pas de mettre à terre Dagan par exemple. Peu importe ce que Dagan peut dire.

Il rentre chez lui et prend une douche rapide histoire d’enlever la sueur et la crasse accumulée. Il n’a pas le plaisir d’avoir de l’eau chaude alors il se contente de frissonner en sentant l’eau froide rouler sur son corps. Il passe ses doigts dans son dos et sent comme une cicatrice sous ses doigts. Il fronce légèrement les sourcils et se regarde dans le bout de miroir brisé qu’il a récupéré un jour. Il se contorsionne pour apercevoir le début d’une plaie qui ne saigne pas. Allons bon, est-ce qu’il s’est éraflé en se battant contre Burr ? Pourtant il n’a pas senti ce genre de douleur. Il soupire et se remet droit mettant ça dans un coin de sa tête et sur le coup de on est sur Terre, pourquoi je m’étonne ? Il se sèche rapidement et enfile son pyjama de fortune (un simple tee-shirt et un short). Jeremiah finit par s’écrouler sur lit et s’endormit presque aussitôt. Cette nuit, ses rêves ont été peuplés par des visages du passé. Maddie. Rachel. Et quelqu’un d’autre. Quelqu’un de flou.

Jeremiah retrouve Burr très souvent. Ils s’entraînent, discutent, se battent et se taquinent assez régulièrement. Ça fait longtemps qu’il n’a pas autant souri en présence d’un autre être humain. Il ressent toujours les courants électriques et les brûlures lorsque ses doigts s’égarent sur la peau de Solàna, mais il n’y pense pas. Il met toujours ça sur le coup de l’entraînement. Al lui dit que c’est probablement autre chose, après tout ça fait longtemps qu’il n’a plus été avec une femme. Jeremiah l’insulte et Al rit.

Et puis. Et puis ça a commencé à se dégrader. Lorsqu’il a enfin eu ce badge et qu’il a dénoncé Kate parce qu’il la soupçonnait de faire partie des Shadowrunners et qu’il avait besoin de réponses. Il a essayé de rien montrer à Solàna. Les hommes dans le squad s’en moquent bien des états d’âme. Mais Solàna est une femme et une femme remarque ce genre de choses. Jeremiah n’a pas spécialement envie d’en parler alors il fait semblant que tout va bien. Ses sourires atteignent rarement ses yeux maintenant. C’est juste fugace. Lorsqu’il arrive ce jour-là, il s’attend à passer un moment à se faire mettre à terre, mais à la place il y a juste une table à laquelle Solàna est assise. Il fronce un peu les sourcils en avisant les morceaux éparpillés devant elle. “ Bonjour Jeremiah, t'as une sale tête aujourd'hui, ” Il s’installe face à elle. « Bonjour à toi aussi. » Fait-il, un sourire en coin. “ Aujourd'hui, pas d'entraînement physique. Je sais que t'as été pilote alors j'imagine que tu sais tirer au blaster? Ou quelque chose comme ça. Ici, on utilise des armes différentes. Avant que je te laisse tirer, je vais t'apprendre de quoi elles sont faites... ” Il l’écoute cérémonieusement, hoche la tête par moment et lui demande de répéter certains mots pour bien les imprimer. Il est plus sérieux et studieux aujourd’hui. “ Prends, ” Il referme ses doigts autour de l’arme et elle vient poser ses mains sur lui pour bien le positionner. Il réprime un frisson. “ Ça c'est la sécurité. ” Son doigt glisse au niveau de la gâchette et elle l’arrête aussitôt. “ Non, ne mets pas ton doigt sur la gâchette. Si tu mets ton doigt sur la gâchette, il faut que tu sois sûr que tu vas tirer. Sinon ça n'a aucun intérêt. Voilà comme ça. ” Elle ne voit pas l’ombre dans ses yeux lorsqu’elle lui reprend l’arme. Il reste un moment interdit. Il n’a pas ouvert la bouche et sa mâchoire se crispe. Il faut qu’il se détende. “ Essaie de l'assembler toi-même. ” Il hoche la tête et esquisse un sourire pour essayer de brouiller les pistes. « Ça devrait aller. » Il se trompe plusieurs fois. Recommence à chaque fois. Ses gestes sont maladroits et il a du mal à être minutieux avec ses gros doigts. “ Quoi de nouveau chez toi? ” La voix de Solàna lui fait redresser la tête, il perd un morceau et le récupère maladroitement. « Désolé. » Fait-il en souriant nerveusement. « Pas grand-chose. J’ai pu revoir ma sœur. » C’est un peu cynique comme remarque parce qu’il a balancé sa sœur après tout et qu’elle a été arrêtée. « Même si c’était pas dans les meilleures circonstances, j’ai pu me rendre compte qu’elle va bien et ça me rassure. Au moins pour ça. Et toi ? » Termine-t-il en coinçant sa langue entre ses lèvres, ses yeux fixés sur l’arme qui refuse de se monter toute seule correctement. Pourquoi est-ce qu’il n’y arrive pas ? Il a bien observé Solàna le faire encore et encore. Il finit par pousser un râle de mécontentement en voyant que ça ne s’enclenchait pas bien. Il jette un regard désespéré à Solàna. « Remontre-moi s’il te plaît ? » Fait-il en repoussant les morceaux dans sa direction.

Jeremiah s’attarde sur les doigts de sa supérieure. Elle fait ça avec délicatesse et habileté. Ça le fascine. Il entend le ricanement de son jumeau dans son crâne qui lui fait une remarque graveleuse sur ce que ses doigts pourraient faire. Jeremiah l’insulte encore une fois et lui demande si ce n’est pas plutôt lui qui est en manque. Il s’aperçoit alors que Solàna le regard avec un air interrogateur sur le visage. Merde. Il a rien écouté. « J’étais perdu dans mes pensées, désolé. Tu peux répéter ? » Il sent qu’il accumule depuis qu’il est arrivé ici. Il desserre à peine la mâchoire, sourit à peine, écoute, mais n’est pas assez attentif. Il sait que ce sont des choses qui doivent agacer Solàna, mais il ne sait pas enfouir ses sentiments. Il est contrarié par cette histoire avec Kate. Il est contrarié que rien n’avance sur son enquête pour connaître le meurtrier de sa fille. Il est contrarié de probablement contrarier Solàna.

Ils commencent à bien se connaître et Solàna se rend rapidement compte que Jeremiah n'est pas concentré. Avec n'importe qui d'autre, ça l'emmerderait profondément et elle n'hésiterait à le dire et à envoyer l'autre chier: si t'as pas envie de bosser, j'suis sûre que y'a un iguane radioactif qui aimerait faire de toi son déjeuner, dégage. Mais pas Jeremiah. Déjà, elle a envie d'y aller mollo avec lui. Bon, son supérieur lui a quand même dit d'être dure, avec lui, justement à cause de sa soeur. Solàna a hoché la tête, mais elle n'estime pas ça nécessaire. Elle comprend. Elle ne ressent pas pour ses frères et soeurs adoptifs — les enfants de l'homme qui est devenu l'époux de son père — la moitié de ce Jeremiah semble ressentir pour la femme qui est derrière les barreaux du Defense Squad. Alors elle ne juge pas. Elle l'observe essayer d'assembler le revolver maladroitement et faire tomber une pièce. Elle n'a pas le temps de lui dire de se calmer et de recommencer mais déjà il se précipite: « Désolé. » Elle secoue la tête: pas grave. « Pas grand-chose. J’ai pu revoir ma sœur. » Elle fait la moue malgré elle. Elle a fait partie de l'escouade partie arrêter Anders. Elle se demande si Jeremiah sait. « Même si c’était pas dans les meilleures circonstances, j’ai pu me rendre compte qu’elle va bien et ça me rassure. Au moins pour ça. Et toi ? »

Solàna (et elle déteste cette pensée) le trouve adorable avec sa langue coincée entre ses dents et ses lèvres. Aubrey ricane. “ Rien de spécial. La routine, ” dit-elle après une pause pensive. Les patrouilles et les exercices et les entraînements. Il grogne de frustration en n'arrivant pas à monter l'arme. Solàna a du mal à cacher son sourire. « Remontre-moi s’il te plaît ? » Elle saisit l'arme avec aise, la démonte et puis la remonte lentement sous ses yeux, faisant bien attention à lui montrer ce qu'elle fait, en expliquant, à chaque fois. Jeremiah ne semble pas s'y attarder trop là non plus ceci dit. « J’étais perdu dans mes pensées, désolé. Tu peux répéter ? » Ça, pour le coup, l'agace un peu mais elle se force à rationaliser. Jeremiah a été parfait jusque là. Obéissant, il apprend vite, il est capable et il fait une bonne recrue. Elle peut bien lui laisser passer quelque chose pour une fois. “ Déstresse, Jeremiah. ”  Elle semble réfléchir et finit par reposer l'arme, un peu brutalement, entre eux deux. “ Je crois que tu as besoin de te vider la tête. Suis-moi. Allez, ” insiste-t-elle quand elle s'est levée et qu'il ne l'a pas encore imitée. “ Est-ce qu'il faut que je vienne te tirer par le cul Jeremiah? ” demande-t-elle sèchement quand il met trois plombes à la suivre (Solàna est du genre impatiente). Sans lui expliquer, elle le mène à l'étage, dans sa chambre.

Aubrey se met à rire. Fort. Solàna roule des yeux (quoiqu'un peu embarrassée, elle espère que Jeremiah ne se fait pas des idées, et elle ne peut pas s'empêcher de rougir à cette pensée...) en ouvrant les rideaux qu'elle a laissé fermés ce matin. Il n'y a pas grand chose dans cette pièce. Un lit, une photo sur le mur nu: elle, son copain, Jeremiah. Elle détourne rapidement les yeux pour montrer le tapis qui se trouve sur le sol. Elle a cousu des morceaux différents de draps, de tissus blancs, de chemises, pour former le tapis sur lequel elle médite la plupart du temps: il est coloré à certains endroits, il y a une vieille femme qui fait de la teinture par nouage pas loin et Solàna est parvenue à la convaincre de lui appendre en échangeant contre de la nourriture. Ça fait plutôt joli, elle pense. Quand elle s'assied le matin dessus, elle fait face à la fenêtre et le soleil l'aide à se réveiller. “ Retire tes chaussures et assieds toi avec moi. ” Elle s'assied en ace de lui et sourit en le regardant, l'aidant à nouer ses jambes un peu plus serrées. “ Tiens-toi droit... voilà. Ferme les yeux. Écoute ton coeur, comment il bat. ” Il n'a pas l'air convaincu alors Solàna se penche vers lui, alors qu'il a les yeux fermés, pour poser deux doigts sur son cou. Elle trouve rapidement son pouls et commence à tapoter sa peau en rythme. “ Voilà... concentre-toi sur ça, et sur ta respiration. Lentement. Comme ça. Expire plus que tu as inspiré, calme-toi, éclaircis ton esprit... ” Au final, elle lui fait une pinchenette sur le front. “ Et oublie ta soeur, ” dit-elle un peu plus rudement. “ Elle a choisi sa voie. ”

Jeremiah s’attendait à voir de la déception dans le regard de Solàna et un peu de colère aussi. Il s’attendait à ce qu’elle lui hurle dessus qu’il n’est pas assez attentif et que ça en mission c’est égal à la mort. Aussi il est légèrement surpris quand elle ne fait rien de tout ça. “ Déstresse, Jeremiah. Je crois que tu as besoin de te vider la tête. Suis-moi. Allez, ” Jeremiah fronce légèrement les sourcils. Il la suit du regard, mais ne comprend pas ce qu’elle veut faire. Il se lève et commence à avancer. “ Est-ce qu'il faut que je vienne te tirer par le cul Jeremiah? ” Il lève les deux mains en guise d’apaisement. « Non je suis là. » Il la rejoint rapidement et il entend vaguement son jumeau ricaner dans son crâne. Dire que c’est à cause de lui s’il se retrouve dans cette situation, il le déteste quand il fait ça. Elle le conduit ailleurs, à l’étage là où se trouvent les chambres. Vu de quoi ils parlaient jusqu’à présent avec Ali, son cerveau ne met pas longtemps avant de commencer à se faire des films. Elle l’amène dans sa chambre. Soit c’est pour le tuer soit c’est pour autre chose. Le dos de Jeremiah se tend.

Pendant que Solàna ouvre les rideaux, Jeremiah découvre le jardin secret de Burr. Ils n’ont pas le luxe d’avoir le choix niveau décoration d’intérieur, mais c’est personnel voire intime cet endroit. Il est presque gêné de se retrouver là alors il insulte Ali encore plus parce qu’il a l’impression de forcer un peu les choses en étant ici. “ Retire tes chaussures et assieds toi avec moi. ” Solàna s’installe pendant qu’il se débarrasse de ses vieilles chaussures. Il la rejoint sur le tapis. Il s’assoit comme elle lui montre, grimace un peu en sentant la douleur se réveiller. “ Tiens-toi droit... voilà. Ferme les yeux. Écoute ton coeur, comment il bat. ” Jeremiah penche la tête sur le côté en fronçant les sourcils. Qu’est-ce qu’elle lui faisait faire ? Il a l’air d’hésiter, mais elle l’encourage du regard. Il ferme les yeux et se dandine sur place pour tenir droit. Il manque de sursauter lorsqu’il sent deux doigts sur son cou. Le contact lui procure des frissons et cette même brûlure dans tout le corps. “ Voilà... concentre-toi sur ça, et sur ta respiration. Lentement. Comme ça. Expire plus que tu as inspiré, calme-toi, éclaircis ton esprit... ” Il s’exécute. Inspire. Expire. Il fait ça à plusieurs reprises jusqu’à ce qu’elle lui donne une pichenette sur le front. Jeremiah ouvre les yeux, surpris par le geste. “ Et oublie ta soeur, ” Il tombe sur le regard chocolat de Solàna et se rembrunit à sa remarque. “ Elle a choisi sa voie. ”

Il secoue la tête. « C’est pas aussi simple. » Il la voit hausser un sourcil, le visage toujours fermé. « Elle est tout ce qui me reste d’un semblant de famille. J’aime pas savoir qu’elle a fait le mauvais choix justement. Mes parents m’en voudraient de pas essayer de la sauver. » Il est toujours assis, le dos bien droit, Solàna plutôt proche de lui. « Je sais ce que tu vas me dire : elle a pas envie d’être sauver on dirait… mais je dois faire mon devoir de grand frère même si c’est peine perdue. » Il fronce les sourcils. « J’me sens minable de l’avoir vendu comme ça. » Il sait pertinemment qu’il ne devrait pas ressentir autant de culpabilité. Il sait très bien que sur Terre c’est marche ou crève et que s’ils veulent reconstruire un semblant d’humanité il allait devoir faire ce genre de choses souvent. Ça n’empêche pas sa culpabilité à faire sa route jusqu’à son cœur, mais il sait qu’il va devoir faire avec. La colère dans le regard de Kate va le hanter pendant un long moment. « J’aimerai qu’elle comprenne que les Shadowrunners sont loin d’être la solution à tout. Bien au contraire. » Il essaie une nouvelle fois de s’apaiser en passant par la respiration. Il relâche son dos quelques secondes plus tard. « Tu ferais quoi à ma place ? Si t’avais un proche dans cette situation, tu ferais quoi ? » Se risque-t-il à demander. Il ne sait pas vraiment comment elle va réagir à cette question un peu trop intrusive, mais il a besoin de savoir s’il est seul dans ce cas de figure ou si elle aussi, elle essaierait de sauver un proche. Ils ont appris à se connaître avec les entraînements, mais chacun reste discret sur sa vie privée. Comme si ce n’était pas une priorité.