(#1) yoshua + gray areas

Le problème, c’est que le bonheur de Joshua, c’est pas vraiment compatible avec le fait qu’ils soient ensemble. Parce que quand bien même Yohan aimerait se donner à mille pour cent, à l’infini, au seul qui ait déjà partagé sa vie, il ne pourrait pas. C’est la raison pour laquelle ils se sont séparés, la raison principale qui les a empêchés jusqu’à maintenant de se retrouver. Yohan aimerait que l’apparition de sa soulmark, quand il avait dix-sept ans, n’ait rien changé. Sa soulmate aurait pu être n’importe qui sur Altea, elle aurait pu être n’importe qui sur Sigan, sur Néphède, sur Terre. Non. Il a fallu que son âme soeur soit précisément la personne avec qui il avait grandi. Encore aujourd’hui, il a du mal à croire que le destin se soit autant foutu de lui. Des tas de gens passent leur vie à chercher leur âme soeur, certains ne la trouvent jamais… Et il fallait que ce soit Eliott. Yohan sait très bien que si c’était tombé sur un inconnu, si ça avait été qui que ce soit d’autre, il ne se serait même pas posé de questions : ça n’aurait même pas ébranlé une seule seconde sa relation avec Joshua. Pas une seule seconde.
Mais il a fallu que ce soit Eliott. Et le problème, c’est qu’il tient à lui. Beaucoup trop. Il sait que ce n’est pas simplement parce qu’il est son meilleur ami d’enfance. C’était pas juste, de rester avec Joshua alors qu’il était conscient de ça. Ils ont essayé, pendant longtemps, mais Yohan pouvait pas s’empêcher de paniquer et d’accourir dés qu’il arrivait un truc à son âme soeur. Parce que c’est comme ça. Qu’il le veuille ou non, il a une place que personne d’autre ne peut prendre.
Tout comme Joshua a une place que personne d’autre ne peut prendre. Même si Eliott n’avait pas rompu leur lien, même s’il s’était passé quelque chose entre eux, Yohan sait très bien aussi qu’il aurait été incapable d’aimer Eliott complètement - de tout son être, aussi. Y’a une part de lui qui appartient à Joshua, et qui lui appartiendra toujours. Mais comment pouvait-il oser espérer rendre Joshua heureux, alors qu’il était désormais comme tiré en arrière par cette autre présence, même si celle-ci ne voulait pas de lui ? C’est bien égoïste, de garder Joshua auprès de lui alors qu’il ne pourra jamais l’aimer comme il mérite d’être aimé. C’est bien prétentieux, de revendiquer que c’est possible, que ça marche. Bien prétentieux de croire qu’on peut défier les choix du destin.

Et pourtant, cinq ans après que tout ait été bouleversé, ils sont encore là.
Ils sont encore là, front contre front, à tester les décisions du ciel, à avoir envie, une énième fois, de faire un doigt d’honneur au destin. Joshua continue de lui prouver qu’il veut pas que tout s’écroule. Il ne cherche même plus à se préserver. Il aurait dû être celui à fuir, celui à dire adieu, quand Yohan lui a expliqué, pour Eliott. Mais non. C’est Yohan qui essaie d’être la voix de la raison encore ce soir, alors que c’est Joshua qui aurait dû le laisser de côté.
Si ça c’est pas une preuve d’amour, Yohan il sait pas ce que c’est.

Joshua l’empêche de réfléchir plus et de continuer à parler, en posant ses lèvres au coin des siennes. Yohan devrait pas être surpris : depuis qu’ils sont séparés, c’est un geste qui s’est répété plus d’une fois, qui a pris une signification moins amoureuse, plus affectueuse. Et pourtant, y’a un frisson qui lui parcourt l’échine quand il fait ça. L’atmosphère n’est pas la même que ces autres fois, ce que Joshua a mis dans ce baiser est bien différent, et Yohan ferme les yeux. Il sait que c’est pas bien, mais cet énième signe qu’il compte toujours comme ça lui donne envie de pleurer de joie.
Alors laisse moi être heureux comme je le veux, tu veux bien ? Yohan sourit, au coin des lèvres de Josh. Techniquement, il aurait dû être conscient de ça depuis le début : Joshua est un grand garçon, il fait bien ce qu’il veut. Et si ce qu’il veut, c’est qu’ils soient de nouveau ensemble, et s’il le veut malgré tout ce qui s’est passé, tout ce qui semble les séparer… Yohan devrait pas tout gâcher avec ses peurs. Mais Joshua le connaît, depuis le temps. Il sait à quel point Yohan est un anxieux, pour tout. Il se pose toujours beaucoup trop de questions, il parle toujours beaucoup trop, surtout quand il touche le bonheur du doigt. « Je serais pas heureux avec “mieux”. Ni avec ce soulmate que je connaitrais probablement jamais. T’as toujours été le seul à pouvoir me rendre heureux. » Il aimerait lui dire que c’est faux, qu’il a juste pas rencontré la bonne personne. Mais au fond, personne a su le rendre heureux comme Joshua non plus. « Me repousse pas. » La clope disparaît par la fenêtre, et Yohan accueille leur nouvelle étreinte avec un sourire… soulagé. Il pince les lèvres, contre l’épaule de Joshua, passe une main dans ses cheveux. « D’accord. » Ce n’est pas comme s’il avait besoin d’être trop convaincu, de toute manière. Au fond, il attendait que ça. C’est pas bien, mais il attendait que ça.
Ils restent accrochés l’un à l’autre encore quelques longues secondes. Yohan enfonce le bout de ses doigts dans les épaules de Joshua, il a presque envie qu’ils fusionnent, comme avant. Il n’y a plus vraiment de marche arrière, maintenant. Il sait ce qui va se passer, il sait qu’ils ont pris une décision sur laquelle ni l’un, ni l’autre ne va revenir. Et l’effet de l’alcool, qui retombera demain matin, ne changera rien. Joshua ne dit jamais des choses à la légère, même alcoolisé. Et Yohan n’a bu qu’un verre, alors autant dire qu’il est plus sobre que sobre. Il finit par reculer un peu, au bout d’un moment, et, avec un sourire, effleure les lèvres de Joshua avec les siennes. « Donc… » Il est déjà amusé par ce qu’il va dire. L’atmosphère de la pièce est bien plus légère que tout à l’heure. « Est-ce que ça veut dire que tu veux sortir avec moi ? » Cette question pourrie, elle fait écho à quelque chose qu’ils se sont dits, des années auparavant, quand ils étaient encore jeunes, innocents, et qu’ils savaient même pas ce que amour voulait dire. « Encore ? » Il feint une voix surprise. « Tu connais les clauses du contrat, pourtant… Je parle à tort et à travers, je bouge beaucoup trop la nuit, je mets trop d’emojis dans mes sms, et je suis carrément cheesy. » Il regarde Joshua avec des yeux qui pétillent de malice. « Réfléchis bien avant de re-signer… »

Joshua en est certain, ils peuvent le faire. Ils peuvent en tout cas essayer très fort de le faire. Ils peuvent réussir à déjouer le destin, à lui faire fuck et à vivre leur vie comme ils l’entendent depuis leur rencontre : ensemble. Joshua est prêt à essayer jusqu’à ce que ça marche. Ou à essayer jusqu’à ce qu’ils aient plus la force. La seule question, c’est de savoir si Yohan aussi, est prêt à ça. C’est Yohan qu’a pris la décision pour eux la dernière fois. Joshua qui, sans vraiment le vouloir, l’alcool le veut à sa place, se rapproche de lui, tout le temps.
Et même si tout ça n’était que fantaisie, Joshua aime se rattraper au dicton qui dit “jamais deux sans trois”. Ils ont le droit de réessayer. Joshua a besoin, de retrouver Yohan, de le reprendre dans ses bras, de l’embrasser comme il le faisait. Il a besoin de tout ça. Vraiment, pour sa santé mentale.
Rien que lors des opérations. Déjà, il doit se concentrer, et bien, sur le patient. Ensuite, se concentrer pour être certain qu’aucune personne de ce cluster de malheur de gens formidables mais un petit peu pied dans le plat viennent s’asumer à le faire twerker en plein milieu de la salle d’opération. Et puis il pense à Yohan. Tout le temps. C’est devenu insupportable, ce manque.
Alors Joshua a vraiment envie de crier au destin, à l’entité quelconque cosmique des liens de malheur qu’ils ont le droit à une troisième chance. Et à une quatrième, cinquième, dixième, vingtième s’ils ont besoin. Il espère qu’ils s’arrêteront à trois. Et qu’ils n’auront à vivre que deux ruptures. Ce serait beau, de pouvoir se dire que l’amour a triomphé de tout, même des liens cosmiques, pas vrai ? Ce serait une belle revanche de l’humain contre, contre ce qu’il y a de plus haut qu’eux. Et qui
leur
gâche
la
vie.
Joshua connaît des personnes qui sont pas en couple avec leur soulmates, ça existe, alors pourquoi pas eux ? Pourquoi eux, on les obligerait ?

Joshua est malheureusement pas si naïf que ça.
Pourquoi Yohan aime deux personnes à la fois ?

Il le repoussera pas, c’est ce qu’il dit, Yohan. Et Joshua boit les paroles comme de l’eau fraîche que boirait un homme assoiffé. Ca lui fait tellement de bien. Il en avait cruellement besoin. De cette acceptation, de gagner au moins ça. Au moins le fait que Yohan arrête de penser qu’il sait plus ce dont Joshua a besoin que lui-même. Et qu’il accepte le fait évident qu’en ce moment précis, la seule personne capable de le rendre heureux, c’est Yohan. Pas une monsieur, ni une madame parfait(e).
L’étreinte qu’était une étreinte que Joshua voulait pleine de sentiments devient une bouée pour les deux. Yohan s’accroche à lui, comme s’il allait disparaître d’un moment à l’autre. Et c’est vraiment pas Joshua que ça dérange. Il a toujours aimé être sa bouée, à Yohan. Il a toujours aimé être celui sur qui il pouvait s’appuyer.
C’est comme avant, déjà. Alors qu’ils ont même pas vraiment recommencé. Et Joshua aime ça à un point qu’il pourrait pas vraiment expliquer. Peut-être qu’est pas vraiment explicable.
Les lèvres de Yohan qui frôlent les siennes s’approchent d’une torture, très douce. Et Joshua voudrait pouvoir les attraper, et juste rester là, à l’embrasser. Il le fait pas. Parce que les paroles de Yohan le sortent de ses pensées. Et qu’il rigole, franchement. L’intérêt de lui demander s’il veut sortir avec lui est franchement anecdotique dans une situation pareil. Mais ça ressemble bien à Yohan, et c’est pour ça que Joshua rit. Parce que Yohan est de retour. Le vrai, Yohan, au sommet de son humour pourri et de sa mièvrerie assumée. Et Joshua adore ça.
Il continue.
Parle de signer.
Et justement, Joshua a un moyen bien à lui de signer les contrats.
Ceux qu’il fait avec Yohan.

Il attend pas une seconde, lui coupe même peut-être la parole, il sait pas. Il signe. Les lèvres qui englobent les siennes. Il a toujours eu une bouche plus large que celle de Yohan. Il a toujours adoré cette sensation. Et la sensation, qu’il ressent, à ce moment précis.
Félicité.
Il s’écarte finalement, lui prend la main, le ramène à l’intérieur. Parce que, parce qu’il déteste ça, Joshua, mais suffirait qu’un journaliste passe par ici pour que les Jenkins tombent en ruine. Alors il préfère rester discret, et puis. A l’intérieur, il fait bon. C’est chez lui, il s’y sent bien, c’est chez eux.
Il le tire sur le canapé, s’assoit, l’embrasse de nouveau. Et il a cette impression étrange qu’il peut pas vraiment s’arrêter de l’embrasser. L’impression qu’il a besoin de rattraper le temps qu’ils ont passé séparés en quelques secondes.
Il s’arrête finalement, choppe une sucette, la met entre ses lèvres, et sourit.
Parce qu’il aime bien observer Yohan se dépatouiller avec des situations qu’il comprend pas, ou sais pas comment gérer. A l’unique condition que Joshua est sûr qu’il peut débloquer les choses, après. Et pour débloquer les choses, il retirera la sucette de sa bouche, et l’embrassera. Encore.

Il plaisante, mais au fond, ce n’est pas tout à fait faux, de dire que Joshua s’engage vraiment dans un sacré contrat en décidant de refaire de leur relation ce qu’elle était avant. Certes, il y a tous les défauts et habitudes que Yohan vient de lister, mais il y a aussi tout le reste. Principalement accepter le spectre d’Eliott sur leur couple, et l’état de santé changeant et parfois inquiétant du sportif. Joshua est déjà habitué à ça, Yohan l’a appelé de nombreuses fois quand il avait l’impression qu’il allait mourir, en pleine nuit. Joshua l’a déjà veillé plusieurs fois quand il n’était vraiment, vraiment pas bien - ici et là. Yohan, autant que possible, essaie de ne pas l’impliquer dans tout ça. Mais il ne connaît qu’un médecin compétent à ce point… Et surtout, il ne se montrerait pas dans cet état de faiblesse et vulnérabilité extrême à n’importe qui. Joshua connaît tout de lui, il l’a vu dans les meilleurs et les pires moments de sa vie - il n’a pas peur de lui montrer tout ça, il sait que ça ne changera à leur affection, à leur relation si spéciale. Y’a peu de gens qu’il a envie de voir, dans ces moments-là. Il accepte Isaiah et Aedhan, bien sûr, parce qu’ils sont ses meilleurs amis et que le fait qu’ils soient ses colocataires laisse peu de mystère sur son état au quotidien… Mais c’est pas pareil. Y’a une intimité avec Joshua qui fait que Yohan se sent toujours rassuré, toujours mieux quand le médecin est dans la pièce. Parfois, il a presque l’impression qu’il est sa bouée de sauvetage, et qu’il ne peut pas vraiment aller mieux tant qu’il n’est pas là. Très souvent, il s’est retenu d’appeler - de peur que Joshua en ait marre, de peur que Joshua pense qu’il essayait de le ramener auprès de lui pour de mauvaises raisons.
Joshua, il a vu tout ça, il a vu ces moments compliqués, dans lesquels Yohan avait honte de lui-même et avait juste l’air d’un gamin perdu. Et pourtant, il veut quand même de lui. Il veut quand même signer le contrat. Encore une fois, Yohan a l’impression qu’il rêve. Comment Joshua peut-il l’aimer autant que ça ?
comment joshua peut-il l’aimer comme ça alors qu’eliott se fout complètement de lui?
Yohan ne le mérite pas. Il ne le méritera jamais.

Joshua ne répond même pas, il scelle le contrat sans attendre une seconde de plus. Leurs lèvres se retrouvent, familières, avides. Yohan se sent tellement bien qu’il a l’impression qu’il va s’évanouir, là tout de suite. Les émotions ont rosi ses joues, et il en conclut que son corps tout entier a dû gagner quelques degrés au contact des lèvres de Josh. Leur baiser n’a pas besoin de répétition, de réflexion. Tout est si normal, si naturel, si habituel entre eux… Ils se connaissent par coeur, sur tous les plans, et Joshua sait exactement comment le rendre faible.
Yohan grogne presque quand le Rhee lâche ses lèvres, mais il en profite pour prendre une grande inspiration heureuse dans l’air doux de la nuit altéanne. Joshua l’entraîne à l’intérieur, et le sportif ne se fait pas prier. Il le suit bien volontiers - complètement fasciné par la silhouette de son amoureux. Il a le droit de le détailler, maintenant. Il a le droit de le fixer, de laisser ses yeux glisser sur sa nuque, sur son dos, alors il ne s’en empêche pas une seconde.
Ils sont de nouveaux ensemble.
Ensemble.
C’est tellement irréel, tellement beau, Yohan a envie de sauter de joie. Mais au lieu de ça, il se retrouve embarqué sur le canapé, et de nouveau joyeusement emprisonné dans un baiser. Bordel, que ça fait du bien. Il pourrait rester là pendant des heures.
Mais de nouveau, Joshua rompt leur baiser - créant une nouvelle frustration énorme dans la poitrine du maître de l’air. Insupportable. Il l’observe mettre une sucette dans sa bouche, remplaçant ses lèvres pas la friandise sans la moindre honte. Yohan hausse les sourcils. Vraiment ? Joshua l’observe sans rien dire, mais il y a une lueur un peu amusée dans ses yeux sombres. Yohan lève les yeux au ciel, mais finit par poser un regard bienveillant et affectueux sur le médecin. Il détaille son visage, « J’peux rester dormir ? » demande-t-il finalement avec un sourire aux lèvres - bien qu’il connaisse déjà la réponse à cette question. Il a déjà les yeux brillants à l’idée de passer une nuit avec Josh, de se réveiller blotti contre lui le lendemain… C’en est presque trop, on dirait que son coeur va exploser. Il observe toujours Joshua, qui continue avec sa sucette. « Oh et puis merde. » Yohan se redresse, s’assoit sur les jambes de son boyfriend et lui retire le bâton de la bouche. Il se penche pour l’embrasser de nouveau, le bras tendu pour éloigner le plus possible la sucette d’eux. « Hors de question que je te laisse faire ça alors que tu pourrais m’embrasser à la place. » dit-il entre ses lèvres, en reprenant sa respiration. « On a perdu assez de temps comme ça, tu crois pas ? » Il l’embrasse encore, encore, encore, enroule ses bras autour de son cou, fait encore glisser ses doigts dans ses cheveux. « Tu m’as manqué. » Il rompt leur baiser et laisse son nez glisser contre la joue de Joshua. « Vraiment, vraiment manqué. »
Voilà. C’est ça, le bonheur. Yohan en est sûr.
La pression des matchs, les douleurs quotidiennes, Eliott, les mots de sa belle-mère, le manque de son frère et de sa soeur, sa peur de disparaître, d’être oublié… Plus rien n’existe dans leur bulle. Il se fait la promesse de ne plus jamais ruiner ça. Plus jamais. Il peuvent y arriver - ce qu’il ressent là tout de suite le prouve. Ils peuvent être heureux. Continuer leurs carrières, vivre ensemble, un jour, peut-être. Ils peuvent vieillir ensemble.
Yohan se recule un peu et rencontre les yeux de Josh. Il sent une drôle d’émotion qui lui serre la gorge. « Merci. » le mot sort tout seul. Il ferme les yeux et plonge sa tête dans le cou du médecin. Merci d’être là malgré tout. Merci de me donner l’impression que j’ai ma place quelque part. Merci de ne pas me laisser gâcher tout à cause de mes peurs. Merci d’être le pilier de ma vie depuis toutes ces années. Merci d’être toi. Merci de remettre nos vies sur le droit chemin (c’est à dire sur le même chemin). C’est un peu sa manière à lui - détournée et émue - de dire je t’aime.

Il se délecte de la réaction de Yohan face à son désintérêt apparent. Irréel. Pourtant. Si il y a bien quelque chose qui l’intéresse, c’est Yohan, assis à ses côtés. Avec lui, de nouveau. Comme c’est censé l’être, comme ça a toujours été censé l’être. Mais jouer avec lui, comme il le faisait avant, c’est une petite preuve de plus du fait que c’est vrai. Qu’il a rien rêvé, que eux deux, c’est reparti. Pour de bon, et, Joshua l’espère, pour toujours. Et que la constellation qu’il a dans le dos aille se faire voir. Qu’Eliott aille se faire voir. Eliott a loupé sa chance, de toute façon. Il avait Yohan, il aurait pu l’avoir quand il voulait. Et ça tue Joshua de le savoir. Mais il a pas pris sa chance. Maintenant, c’est son tour. Yohan est revenu là où il est censé être, là où il a toujours été censé être. Et Joshua compte bien l’y garder le plus longtemps possible, à ses côtés.
Le goût de la sucette est fade, comparé au souvenir du goût des lèvres de Yohan sur les siennes. Elles ont toujours eues une saveur bien particulière. Joshua la connaît par coeur. Parce qu’après tant d’années, ça peut pas être autrement. C’est comme s’il avait mangé du chocolat pendant plusieurs années et qu’on lui demandait un jour d’arrêter, et de dire s’il se souvenait du goût. Oui. Parce que le goût du chocolat, c’est pas un truc qui s’oublie. Et la sensation d’embrasser l’homme qu’on aime, c’est pas un truc qui s’oublie non plus.
Joshua pose la tête sur le dossier du canapé, regarde le plafond, machouillant la sucette qu’il a en bouche. Mieux vaut ça que toutes les cigarettes du monde. Il le sait, Yohan le sait, Jesse le sait (si on considère son cadeau), tout le monde le sait. Il fermerait bien les yeux s’il avait pas peur de les rouvrir, et que Yohan soit plus là. Soit loin.
Alors il garde les yeux ouverts, et les sens aux aguets, et il attend. Il profite du moment. Il respire l’air qui l’entoure. Un air qu’il sent partagé, il sait qu’il est pas seul. Il a pas besoin de voir Yohan pour connaître sa présence à ses côtés, et c’est fabuleux, comme ressenti. Il profite. Sent l’air qui arrive de la fenêtre, qu’il a pas pris le temps de fermer, se poser sur ses bras, lui foutre le frisson. Et la chaleur de Yohan, à côté de lui, pour contrebalancer ça.
Il profite du moment présent. Parce que Joshua est optimiste, se dit que Yohan et lui, c’est pour la vie. Mais prudent, il va profiter de tous les moments, secondes par secondes, juste au cas où, parce qu’après tout, on sait jamais.

Rester dormir ? Qu’il demande, Yohan. Joshua, ça le fait sourire. Un peu sournoisement, peut-être. Et s’il avait pas une sucette dans la bouche, et toujours cette envie de l’embêter un peu, il lui répondrait probablement que, rester, oui. Que dormir… C’était encore à voir. Mais il se tait. Il dit rien, continue de machouiller ce qu’il reste de friandise, et le début du bâtonnet. Il sourit, juste, à la pensée de cette nuit que Yohan va passer ici. A dormir, ou autre activité nocturnes possibles et imaginables.
Et enfin, après quelques secondes que Joshua commençait à trouver vraiment longue, Yohan réagit. Et Joshua sourit à travers ses attaques. C’est comme avant, c’est mieux qu’avant. C’est juste eux deux. Et c’est juste ce que c’est censé être, eux deux. Parce que c’est ça, la meilleure combinaison, parce qu’ils méritent d’être heureux, ensemble. Sans liens cosmiques, sans marques, sans aucun Eliott pour les déranger. Juste eux deux, dans leur petite bulle loin du monde s’il le faut, vraiment.
Il parle du temps perdu, Yohan. Et Joshua l’entend, le comprend, ne peut vraiment qu’être d’accord avec lui. Ils ont perdu trop de temps. Le monde extérieur, le cosmos leur a fait perdre trop de temps. Ils ont bien besoin de, disons, toute une vie, pour rattraper le temps qu’on leur a fait perdre.
Yohan a raison, autant commencer maintenant. En parlant de manque, et de regrets. Joshua répond aux baisers. Un peu parce qu’il en a jamais assez. Un peu pour que Yohan arrête de parler. Il lui a manqué, lui aussi. Mais de l’entendre, ça lui rappelle qu’il y a eu cette époque, beaucoup trop proche d’eux, pas assez lointaine, où ils étaient pas ensemble.
Et où ils vivaient, comme ça, comme si ça leur convenait.
Joshua, ne pas pouvoir appartenir à Yohan, ne pas avoir Yohan pour lui, y’a pas un moment où il a trouvé ça convenant.

Reste dormir, reste la nuit avec moi. Avi rentrera pas. Ou je bloquerais la porte.
Il l’embrasse de nouveau, lui mordille la lèvre au passage.
Ma chambre est ta chambre, Yohan. Comme ça l’a toujours été. Comme ça le sera toujours à partir de maintenant.

Parce que c’est comme ça, que ça doit se passer.
C’est ça, leur destin.