(#1) lizhan + do stars explode?

On ne peut pas dire qu’il ait menti, au fond. Il a besoin d’être chouchouté. Avec la fin de l’année, tout le monde a des choses à faire, et Yohan a l’impression qu’il ne voit plus beaucoup ses proches. Il aimerait avoir une famille vers laquelle se tourner, mais sa seule famille, elle est là : au centre d’entraînement des Misfits. Les autres membres de l’équipe ne peuvent cependant pas passer tout leur temps avec lui, et il en va de même pour ses colocataires et meilleurs amis. C’est dans ces moments-là que Yohan regrette de ne pas avoir quelqu’un dans sa vie. Quand il était en couple avec Joshua, il n’avait jamais le sentiment de manquer de quoi que ce soit. Il avait quelqu’un pour lui caresser les cheveux devant la télé, quelqu’un à serrer dans ses bras jusqu’au petit matin… Il ne se rendait pas compte d’à quel point c’était important pour lui, jusqu’à ce qu’ils décident de mettre un terme à leur longue relation et qu’il se retrouve tout seul avec ses pensées dans sa chambre trop vide de présence humaine.
Comme il l’avait prédit, Liz n’est pas dupe. C’est son air sérieux qu’elle arbore en s’asseyant sur le rebord du lit. « Tu n'échapperas quand même pas aux vérifications de routine. Tu peux t'asseoir. » Il s’exécute, silencieux, et la laisse faire sans broncher. « Je préfère que tu trouves une autre excuse, la prochaine fois. Malaise ou pas, je serai venue. » Oh, ça, il n’en doute pas une seule seconde. Le truc, c’est que sans le malaise, c’est lui qui ne serait pas venu. Depuis que tout ça a commencé, il s’est juré de ne pas en parler. Il a fait tous ses examens dans son coin, sans demander à qui que ce soit de l’accompagner. Pas même Isaiah, qui est pourtant au courant de tout. Yohan avait le sentiment que c’était quelque chose qu’il ne devait pas ébruiter, son état de santé. Aucune maladie ne ressort du diagnostic des médecins, ce qui laisse peu d’explications : il a supposé que s’il parlait, les gens finiraient par comprendre que ça avait à voir avec la marque qui le lie à son âme soeur. Alors bien sûr, les risques pour que les gens fassent le lien entre lui et Eliott sont quasi inexistants (il est très rare de connaître son âme soeur, et encore moins d’avoir grandi avec elle), mais Yohan préfère prévenir que guérir. C’est plus simple comme ça. Le problème, c’est que de plus en plus de gens commencent à lui faire remarquer qu’il n’a pas l’air en forme, et que c’est n’est qu’une question de semaines maintenant pour que les choses empirent. Yohan savait que Liz finirait par s’en rendre compte à un moment ou un autre (elle n’est pas le médecin de l’équipe pour rien) mais il ne pensait vraiment pas qu’un malaise l’exposerait comme ça.
Alors qu’elle l’examine, il tergiverse. Une part de lui veut tout garder secret : ce serait garantir qu’on ne le mette pas sur la touche avant un moment, être sûr que les choses ne vont pas changer… Mais il sait aussi que c’est peut-être la meilleure manière de se brûler les ailes. Il y a déjà réfléchi un peu, à parler de la situation à Liz. Yohan sait pertinemment qu’elle est peut-être la mieux placée pour l’aider : elle pourrait lui dire comment minimiser les symptômes, le guider pour trouver des moyens de gérer tout ça... Mais il autant envie de lui faire confiance que peur de se tromper. Et si elle allait tout dire à Zach, poussant le coach à lui demander de quitter l’équipe ? Franchement, s’il savait qu’il pouvait aller mieux, Yohan accepterait peut-être de prendre quelques semaines de repos. Peut-être. Mais il s’est résigné : il n’ira jamais mieux. Briser une soulmark, c’est irréparable, il s’est renseigné longuement sur la question.
« RAS » Bien sûr. Yohan est loin d’être surpris. Liz lui envoie un regard suspicieux. « Je veux quand même que tu fasses une prise de sang demain matin. Et...Ton corps, ce soir, me dit que ça va. Tout à l'heure il disait le contraire. Ça arrive que les malaises ne s'expliquent pas, que physiquement il n'y ait rien pour comprendre. Ton corps dit une chose, mais si ta tête en dit une autre, tu peux m'en parler. » Il prend le jus d’orange qu’elle lui tend en évitant son regard, et le boit le plus doucement possible. Il laisse quelques longues secondes passer, incertain de la meilleure chose à faire.
Finalement, il pince les lèvres et attrape son sac à dos, qu’Alex a posé près de son lit pendant qu’il dormait. Il en sort une pochette qu’il tend à la brune, l’air un peu désolé. « Ça sert à rien que je fasse une prise de sang demain. » déclare-t-il en invitant Liz à ouvrir et à parcourir la vingtaine de rapports que renferment la pochette en plastique. « J’en ai fait une il y a deux jours. Et y’a deux semaines. Et des tas avant ça. J’ai aussi fait d’autres examens. Plein d’autres. J’appelle les infirmières par leurs prénoms, à ce stade. » Il esquisse un petit sourire gêné, et n’ose toujours pas regarder Liz dans les yeux. « Je sais, tu dois être furieuse. J’aurais dû t’en parler, ça fait presque un an que ça dure maintenant. J’ai voulu t’en parler, je te jure. Plein de fois. C’est juste que… On m’a rien diagnostiqué, alors je me suis dit que ça en valait pas la peine. » Yohan hausse légèrement les sourcils. « Tous mes examens sont normaux, comme tu peux le voir. Médicalement parlant, je suis en pleine santé, si on met de côté la fatigue extrême. Et même des nuits de 12h n’arrivent pas à régler ça, crois-moi, j’ai essayé. Ils m’ont même fait passer plusieurs nuits à l’hôpital pour essayer de comprendre pourquoi mes batteries ne se rechargeaient pas. » Il n’a pas envie que les mots passent ses lèvres. Il n’a pas envie d’expliquer ce qui s’est vraiment passé. Yohan ne sait même pas encore jusqu'où il va aller dans sa confession. « J’aurais dû te dire, mais… J’avais peur. Je suis désolé. » Il aimerait avoir gardé son sourire, mais quand il arrive enfin à lever les yeux vers Liz, il a surtout un air inquiet sur le visage.

Il grimace légèrement en la regardant enfin. Franchement, la vérité, c’est qu’il a honte. Il a honte de parler de tout ça à voix haute. Ce n’est pas pour rien qu’il a tout gardé pour lui pendant si longtemps. Yohan espérait vraiment que ce jour n’arriverait jamais. « Tu veux dire que ça fait un an qu'il y a quelque chose qui cloche, que tu ne vas pas bien, et que je n'ai rien remarqué ? » Il entrouvre la bouche, un peu surpris. Il ne s’attendait pas vraiment à ce qu’elle dise quelque chose comme ça. Qu’elle se mette en colère ? Oui. Qu’elle le réprimande fermement ? Oui. Mais il comprend tout de suite qu’au lieu de ça, Liz est en train de se dire qu’elle est passée à côté de choses importantes, et ce n’était pas DU TOUT ce qu’il voulait entraîner en lui confiant enfin ce qu’il a traversé. Il voit plein d’émotions passer sur le visage du médecin, et s’en veut presque d’avoir parlé. Il s’apprête à lui dire qu’il ne faut pas qu’elle se blâme une seule seconde quand déjà, elle s’excuse à voix haute, et lui confie qu’elle regrette de ne pas l’avoir bombardé de questions plus tôt. Yohan secoue la tête de droite à gauche : il ne faut pas qu’elle dise ça, ce n’est pas sa faute. C’est sa faute à lui. Il sait comment faire pour détourner l’attention des gens. Il utilise avec grand plaisir son coéquipier et ami Oskar pour faire le plus de blagues possibles, parce que ça lui fait du bien certes, mais aussi parce que ça laisse facilement oublier que sa forme laisse à désirer. Il sait comment cacher des trucs, Yohan, ça fait des années qu’il s’exerce dans sa vie personnelle. Alors si elle n’a rien remarqué ou pas jugé bon de creuser, c’est uniquement sa faute à lui : il refuse qu’elle se culpabilise. « Mais j'aurais aimé que tu viennes m'en parler, c'est sûr. De quoi est-ce que tu avais peur au juste ? Que je te dise incapable de continuer, que je te force à prendre du repos ? » Il acquiesce. Pas difficile de comprendre les raisons, maintenant qu’il lui a tout dit. Yohan, c’est sa vie, l’équipe. Son échappatoire, sa réponse au quotidien un peu terne qu’il trouve quand il se lève le matin. L’équipe c’est ce qui le libère, c’est ce qui lui fait oublier Eliott. « Je ne suis pas seulement le médecin de l'équipe, tu sais, je ne suis pas toujours là pour donner un diagnostique et basta, je suis là aussi pour écouter et conseiller. Aider, si je le peux. » Le pire, c’est qu’il en est conscient. Liz est sérieuse dans son travail, mais elle est aussi une véritable maman pour l’équipe. Elle est toujours à l’écoute, sait toujours prodiguer les bons conseils ou les encouragements dont ils ont besoin. Il a juste eu peur que… Eh bien que l’aspect professionnel prenne le dessus sur l’aspect plus personnel. Après tout, c’est aussi le job de Liz de dire à Zach quand les joueurs ne sont pas en état, ou quand quelque chose ne va pas.
« Il n'y a vraiment aucune piste ? Ton corps ne peut pas agir comme ça sans raison, s'il a sonné l'alarme aujourd'hui c'est forcément qu'il y a quelque chose. » Bien sûr, qu’il y a une raison. Yohan pince les lèvres, et il triture le bas de son t-shirt, anxieux. Il n’a jamais eu à expliquer à voix haute, jusqu’à aujourd’hui. Il n’a jamais rien dit aux médecins, parce qu’il n’était pas sûrs qu’ils soient en mesure de comprendre, ou d’accepter. Seules deux personnes sont au courant de la situation, en plus de son cluster - qui n’a pas eu le choix de l’apprendre : ils ont ressenti la douleur le jour où Eliott a fait retirer sa soulmark. « Comment est-ce que j'ai pu louper ça ? Est-ce que quelqu'un est au courant, au moins ? Tu ne subis pas tous ces examens tout seul, j'espère ? » Il sent qu’elle est en colère contre elle-même, alors il finit par poser la main sur son avant bras, dans un geste qui veut dire c’est pas grave, t’inquiètes pas. Il retire sa main et en profite aussi pour lui retirer la pochette des mains. Il a envie de les brûler, toutes ces feuilles qui ne donnent aucune réponse pour qu’il aille mieux. « Mes deux colocataires savent. L’un deux m’accompagne, parfois. Et puis mon ex sait, aussi. Il est médecin, donc ça aide. La plupart de mes examens, je les ai passés avec lui - je sais pas ce que j’aurais fait sans lui, pour être totalement honnête. » Il n’aurait probablement pas passé autant d’examens, peut-être. Avoir Joshua pour l’aider à comprendre ce qui se passait et pour le rassurer, ça a été vital pour qu’il garde sa santé mentale, dans les premiers temps. « T’inquiètes pas pour moi, je suis bien entouré. » lui assure-t-il avant de prendre une grande inspiration. « Je sais pas trop… » Il baisse les yeux sur son poignet, où la marque de son âme soeur est cachée sous un bracelet. « Oh et puis merde. » Il prend son courage à deux mains, plante ses yeux dans ceux de Liz, et explique : « Mon âme-soeur s’est fait retirer sa marque. » déballe-t-il dans une voix qui se brise un peu sur la fin. C’est la première fois qu’il le dit comme ça, à voix haute. Il a l’impression que y’a plein de trucs lourds qui lui tombent sur les épaules, et en même temps… Ça lui fait du bien de le dire. « Ça fait un an maintenant. Il s’est fait retirer son tatouage de manière clandestine. » explique-t-il doucement, en prenant son temps. « Autant te dire que je comprends mieux maintenant pourquoi c’est puni par la loi, de faire ça. » Il essaie de garder un ton léger, mais difficile de garder son sang-froid en parlant de quelque chose qui est si important et douloureux pour lui. « J’ai lu plein de trucs sur les soulmates, depuis. Parfois, quand l’un brise le lien, l’autre ne ressent pas grand chose, ou alors c’est temporaire. D’autres y gagnent des douleurs chroniques, des dépressions. D’autres… Bref, pour d’autres c’est encore plus grave. Mais j’imagine que tu sais tout ça, déjà. » Les âmes soeurs, c’est un sujet étudié en classe, à l’adolescence. Il y a même tout un court dédié aux risques des altérations des marques. « Du coup… Ben y’a aucune solution. Du moins pas à ma connaissance. Si j’en crois mes recherches… Ça va juste continuer comme ça. Va juste falloir que j’apprenne à vivre comme ça. Ça diminue un peu mes capacités mais… j’suis pas à l’article de la mort. Faudra juste que je m’adapte, ça viendra, avec le temps. » Il n’y croit pas trop. Depuis un an, son état n’a fait qu’empirer, et il a peur que ça continue sur cette pente. Si ça continue sur cette pente… Il ne sait pas trop ce qu’il va devenir, et ça l’angoisse profondément.