(#2) kali + don't go away anymore

juin 2018 - Eliott fixe l’écran de son téléphone. Il voit trouble parce qu’il est en train de pleurer. De grosses larmes coulent le long de ses joues et il doit plaquer une main sur sa bouche pour ne pas laisser éclater toute l’angoisse qu’il a ressentie pendant des semaines. Les mots de Kassian effleurent son esprit. Il a mis du temps à comprendre que c’était son meilleur ami qui lui envoyait des messages. Ça venait d’un autre numéro. Des semaines qu’il s’acharne à laisser des messages sur l’ancien numéro. Des semaines que la raison lui dit d’abandonner les recherches alors que son cœur lutte et nie l’évidence. On lui a déjà tellement pris, il refuse que son meilleur ami fasse partie de ces gens qui sont partis sans qu’il ait pu dire au revoir. C’est trop cruel et insoutenable pour lui. Alors il a cherché, il a envoyé des messages à toutes les connaissances qu’ils avaient en commun et il a même pris son courage à deux mains pour aller voir sa bande qui vit dans le même couloir que lui. Il a bien emmerdé Reyn avec ses questions, mais n’empêche qu’il est venu l’aider à retaper l’appartement avec lui c’est qu’il devait s’inquiéter quand même un petit peu aussi malgré tout ce qu’il pouvait dire non ? Eliott est à genoux sur le sol, tenant la table de la cuisine de sa main libre, l’autre tient le téléphone et est plaquée contre sa bouche. Il voudrait arrêter de pleurer, mais il n’y arrive pas. C’est impossible. Ces nouvelles tant attendues arrivent enfin et il relâche toute l’inquiétude qu’il avait accumulée avec les semaines. Godefroy vient voir son maître et chouine un peu en lui donnant un coup de tête. Eliott lâche la table et vient enrouler ses bras autour du chien. L’animal dépose sa tête sur l’épaule du jeune homme et ne bouge plus, laissant les larmes d’Eliott mouiller son pelage rêche. Lui aussi a cherché Kassian avec son flair. Il a accompagné Eliott partout en ville pour essayer de le trouver et il n’a jamais lâché l’espoir aussi de le retrouver. Alors il ne comprend pas trop lorsque son maître lui dit que son autre petit maître va rentrer. Pourquoi est-ce qu’il pleure ? C’est censé être une bonne nouvelle non ? Il jappe un peu et Eliott resserre son étreinte autour de lui.

Ils restent un long moment comme ça. Eliott finit par se calmer et s’écarte de Godefroy. La langue de l’animal pend de sa bouche et il commence à remuer sa queue en voyant un sourire sur les lèvres du jeune homme. Eliott essuie ses larmes d’un revers de la manche et se redresse. Il fait un tour de l’appartement des yeux et décide de se mettre au ménage parce qu’il faut que tout soit nickel pour le retour de Kassian. Il passe plusieurs heures à tout nettoyer. Il ne sait pas quand est-ce que Kassian a prévu de rentrer, mais il s’en moque. Il a tellement de choses à lui dire que ça lui a permis de remettre ses idées en place. Il finit par attraper son téléphone et envoie un simple quand ? pour Kassian. Il guette sa réponse pendant tout le reste de la soirée, les yeux figés sur l’écran de son téléphone. Il est couché dans son lit, la couette remontée au-dessus de sa tête et Godefroy appuyé contre le matelas qui fixe son maître. Eliott finit par s’endormir sur les coups de trois heures du matin, ne voyant pas que Kassian lui avait répondu quelques minutes plus tard. Un simple bientôt qui accompagnera les journées d’Eliott en attendant son véritable retour. Le jeune homme s’est soudain un peu plus animé. Ses rendez-vous chez Rose ne sont plus un calvaire et il est moins sur les nerfs avec elle. Il finit par lui avouer que c’est le retour d’une personne très importante pour lui qui lui fait cet effet. Il la voit simplement noter des détails sur sa tablette avant de reprendre la séance.

Les jours passent sans entacher le moral d’Eliott pour autant. Kassian va revenir. Il le sait.

Un soir, lorsqu’il pousse la porte, il entend Godefroy faire le fou avant d’entendre la voix de Kass lui dire d’arrêter. Son cœur se stoppe dans sa poitrine, il se dépêche de se débarrasser de ses affaires avant de se ruer en direction du salon pour voir Kassian à moitié parterre et un Godefroy beaucoup trop heureux en train de l’écraser à moitié. L’émotion est beaucoup trop forte pour lui. Eliott se met à pleurer sans s’arrêter. Il a peur de bouger parce qu’il a peur que ce soit une illusion et qu’au final Kass n’est pas vraiment là. Son meilleur ami semble s’apercevoir de sa présence et il écarte doucement le chien. « T’es là ? » Lâche finalement Eliott avec une voix remplie de sanglots incontrôlables. « T’es vraiment là ? »

juin 2018 Le retour est tendu. Contact rétabli par intermittence avec son cluster en premier lieu— avec Reyn surtout, le soir où il a pris le risque de s'introduire à la galerie en dépit de la menace Heathen pesant sur sa nuque, puis avec Aecha, Mads.
La bagnole volée au terme de l'effraction a été démontée, transformée, revendue en pièces détachées et le pactole engrangé, divisé entre les participants.

Il a assuré avoir assez pour gérer ses ennuis, peu enclin à rafler les gains pour lui-même alors qu'ils ont tous constamment en dèche, mais sa part a été tout juste assez pour rembourser Moon pour les soins. Et il a beau affirmé qu'il gère, Kassian, le pétrin va bien au-delà de ça. À commencer par le fait d'avoir un appart à payer sans revenus légaux ni même une entrée d'argent stable au noir. Ce ne sera jamais aussi angoissant que l'année de 16 ans, et le fait de se retrouver brutalement livré à la rue et à ses menaces ; mais c'est compliqué. Compliqué parce qu'il s'est engagé pour un autre — pour Eliott — et qu'il n'est pas question qu'ils se retrouvent à squatter le canapé d'un tiers ; il n'est même pas envisageable qu'ils soient séparés, pas maintenant. Pas question non plus qu'Eli se retrouve à nouveau à crécher dehors.  

Les dernières économies ont fondu dans les loyers des mois précédents, expédiés par enveloppes dépourvues d'informations, et il revient les poche trouées, Kass, privé de parachute de sureté et même de son matos — détruit par les bons soins de Heathen en guise de remerciement pour tant d'années de bons et loyaux services ; répercussions d'une pseudo trahison qui n'a jamais eu lieu.

Ça l'tracasse, et rien ne l'apaise tout à fait, mais il y a quelque chose de rassérénant au fait de rentrer à la maison. L'accueil se promet glacial ou houleux — il n'a pas laissé des liens intacts en disparaissant. C'est pas comme d'habitude : les poings n'y ont rien arrangé, pas plus que la came, encore moins la distance, et il ne sait pas si c'est tout bonnement réparable. Suppose que commencer par tâter le terrain en tapant à la porte de Mads pourrait être un bon début : c'est l'plus détaché du lot, le plus enclin à assumer sa propre tendance à foutre la merde consciemment ou non et, de fait, le plus à même de laisser couler plutôt que de blâmer à vie les tendances destructrices de Kass. Demain— il le f'ra demain. C'est aussi le plus à même de lui filer des plans douteux sur la durée pour garder la tête hors de l'eau et ça, c'est pas négligeable non plus.

Mais pas tout de suite. Tout de suite, Kass a surtout la fatigue ancrée jusqu'à l'os et l'envie de conneries toutes simples comme— comme un sourire. Un vrai bain. Une nuit entière, sans tours de garde à la fenêtre pour s'assurer que la planque est safe. Besoin de refaire les bandages de son bras aussi, pour éviter que la blessure ne s'infecte à nouveau. Un zeste de banalité pour apaiser ses nerfs à vif et la paranoïa qui lui brûle la rétine et le fait sursauter au moindre bruit, main sur le flingue qu'il s'est procuré après— après tout ça.
Toujours aucune trace de vie de Nawei depuis le vol de la voiture. Il n'y avait pas d'indices de lutte dans la chambre miteuse du septième motel où ils se terraient, rien d'autre qu'un "Rentre. C'est confirmé pour les Wonderlanders. J'ai des trucs à faire disparaître. J'te recontacte." Et depuis, plus rien. Il ne restait juste— plus rien. Rien que les stigmates de son allégeance toute neuve à un autre gang, et le goût de bile sur ses lèvres.
Là, tout de suite, Kass a juste besoin de se prouver qu'il appartient encore à quelque chose— à quelqu'un.

Le cylindre de papier au coin de sa bouche consommé jusqu'à la trame, il écrase la cigarette au sol et fait un dernier tour de l'immeuble, au cas où, avant d'y entrer. L'ascenseur est down, comme toujours, coincé à un hypothétique 20ème étage selon l'indication de l'écran, bien qu'il n'y ait rien au-delà du 16e. Pas de grande surprise ; il y flanque un coup de pied, plus par habitude que par agacement, et grimpe les marches sans se plaindre.
À la lisière de ses pensées, l'échos de souvenirs ; de la première fois où il a trainé Eliott ici. De leur course dans la cage d'escaliers crasseuse, de leur arrivée lessivés sur le palier. Il espère— il espère vraiment que son ami n'a pas déserté les lieux. Tout laisse à croire que non, mais l'appréhension fait encore tumulte au creux de sa cage thoracique lorsqu'il pousse la porte.

Il y a un instant de panique.
Panique quand une masse se précipite vers lui et le fait basculer en arrière pour le clouer au sol, et Kassian a le réflexe de se débattre avant d'être stoppé dans son élan par un gros coup de langue— puis un autre, et un autre encore. Godefroy, qui fait la fête, célèbre son retour en le noyant consciencieusement de bave et de jappements sur-excités. Ok ok buddy— c'est bon, oui j'suis content aussi d'te voir, laisse-moi respirer tu veux bien ? Il parvient à s'extirper de dessous lui pour s'asseoir et, rictus mi-crevé mi-heureux lui éclairant les traits, il lui gratte l'échine, éclate de rire en le voyant se tordre de satisfaction et se mettre à bondir dans tous les sens. Putain tu t'es bien remplumé, il siffle, prunelles pétillant de bonheur, ne peut pas se retenir de gagatiser. Mais c'est un beau toutou ? C'est l'plus beaux des toutous ? Il cajole en lui frottant l'arrière des oreilles.
Et puis.

Il le perçoit du coin de l'œil avant de croiser son regard. Eli est vraiment là, à l'entrée de la pièce de vie, il est vraiment là et Kass a l'cœur dans la gorge parce qu'il est— il est (ils sont) à la maison.
T’es là ? T’es vraiment là ? Et ça tambourine contre sa cage thoracique, tellement intense qu'il peine à assumer — mais ça l'engloutit comme une vague, ça l'submerge. Ça fait quelque chose d'être de nouveau là après qu'il n'aient été que trop brièvement réunis, à croire que la vie se joue d'eux, se fout d'eux, les ballottent en eaux troubles jusqu'à ce qu'ils parviennent à retrouver le rivage.
C'est Eliott, son rivage. Depuis ses— depuis ses sept piges et ses premiers bleus.
J'suis vraiment là, il assure sur le même ton, comme si le moindre tumulte menaçait d'effriter les retrouvailles, de les muer en mirage. Promet : Et j'repars pas. Il se relève, lentement, réduit la distance qu'il les sépare, se jure que c'est la dernière fois. Y'a un sourire torve qui lui étire une commissure quand il lui tend l'avant-bras, incitant un check qu'ils ont élaboré ado et n'ont pas refait depuis quelque chose comme… trois ? Quatre ans ? C'est un peu maladroit et fébrile et ils s'gourent et s'reprennent plus d'une fois, rires étouffés tissant la toile de fond, jusqu'à réussir à enchaîner les bons gestes ; et alors, Kass tire sur leurs mains liées pour l'attirer contre lui, front contre front, et—
il se sent vivant.
Sa main libre trouve le chemin de la nuque d'Eli, dont les larmes lui perforent les poumons. Il les efface de son pouce, mais d'autres suivent, et il se jure encore de ne plus en être la cause, jamais. Merci d'être resté. Ils restent un moment juste là, agrippés l'un à l'autre comme deux gosses naufragés, avant que Kassian ne se décide à rouvrir les yeux ; à affronter les conséquences de la tempête, et les débris de vie qui s'étalent devant eux, à trier, reconstruire. Faut que, faut qu'on parle de tout ça. J'préfère pas te laisser dans l'flou, pas cette fois. 'kay ?

juin 2018 - Eliott s’est tellement fait des films sur la disparition de Kassian. Il a été enlevé. Il a fait une mauvaise chute. Il s’est perdu et il n’arrive plus à retrouver le chemin de la maison. Toutes les idées se sont mêlées dans son crâne toujours en écartant la plus fatale de toutes parce que pour lui il était impassable que Kassian soit mort quelque part. Tout seul.
J'suis vraiment là Entendre de nouveau sa voix le plonge dans une émotion encore plus profonde. Il sourit et il pleure en même temps. Il ne sait pas ce que donne sa figure en cet instant, mais il s’en fiche. Son meilleur ami est devant lui, en un seul morceau (visiblement) et c’est tout ce qui compte. Il avait tellement eu l’impression de dépérir en son absence. Et j'repars pas. Eliott hoche la tête et tente d’ouvrir la bouche pour dire quelque chose, mais aucun son n’en sort. L’émotion l’étreint beaucoup trop fort et il ne sait pas comment faire pour s’en débarrasser. L’inquiétude qui pesait sur ses épaules depuis des semaines vient tout juste de s’en aller et enfin, toutes les émotions contenues depuis tout ce temps décident de venir rendre visite à Eliott. Kassian arrive à s’écarter de Godefroy qui remue la queue dans son coin et s’approche de son ami. Kass lui tend un avant-bras avec un léger sourire. Eliott essaye de nouveau de parler, mais encore une fois c’est impossible alors il tend lui aussi son bras pour faire ce check dont ils ont le secret et qu’ils ont mis au placard comme leur amitié. Avant. C’est étrange, un peu chaotique au début avant de redevenir aussi fluide qu’avant. Ça fait tambouriner le cœur d’Eliott un peu trop vite. Il se rend compte que ça lui avait terriblement manqué toutes ces attentions avec Kassian. Il ne pense pas qu’à maintenance, mais à avant, quand ils ont coupé les ponts et quand il voulait que le Stilinski ne soit qu’un vague souvenir. Comment est-ce qu’il a pu le tenir loin de lui aussi longtemps ?
Là, maintenant, il a l’impression d’être complet de nouveau. Leurs mains finissent enlacées et Kassian le tire à lui. Ils finissent front contre front et Eliott ferme les yeux. Il se sent rassuré et en sécurité. Il n’est plus aussi faible depuis qu’il est sorti de l’hôpital, mais il a toujours senti le manque de Kassian. Surtout depuis qu’ils s’étaient retrouvés et qu’ils vivaient ensemble. Sa disparition l’avait déstabilisé plus qu’il ne voulait le croire. Ces retrouvailles en sont la preuve. Merci d'être resté. Eliott resserre sa prise sur son meilleur ami. « J’me tire plus. Je te l’ai promis. » Parce que les promesses sont importantes pour Eliott. Il n’aime pas les rompre. Il n’aime pas l’image que son ancien lui a laissé aux autres alors il tente de réparer les dégâts qu’il a faits (avec presque tout le monde. Aedhan et sa mère restent un sujet sensible pour lui). Faut que, faut qu'on parle de tout ça. J'préfère pas te laisser dans l'flou, pas cette fois. 'kay ? Eliott sent le souffle de Kassian sur son visage et il ouvre les yeux à son tour, louchant pour capter le regard de son meilleur ami. Il hoche la tête et sent toujours le nœud dans sa gorge, mais il sent qu’il peut parler sans éclater en sanglots une nouvelle fois. « Qu’est-ce qui t’es arrivé ? » Fait-il d’une voix un peu cassée. C’est la question qu’il lâche. Il ne veut plus avoir de secret pour lui non plus. Il va falloir qu’il lui parle de l’overdose et de ce mois à l’hôpital et de la psy qu’il voit et qui est censée arranger les choses. Et lui il faut qu’il sache où Kassian était parti et qu’est-ce qu’il s’était passé pour qu’il s’éloigne comme ça sans un mot. « Est-ce que… est-ce que ça va aller maintenant ? » Ce qui signifie tu ne vas plus partir comme ça. De toute façon, il comptait bien lui dire que la prochaine fois, il le suivrait. Il pourrait suivre Kassian jusqu’au bout du monde maintenant.

« Tu veux manger quelque chose ? » Cette question sort de nulle part, mais il la pose quand même parce qu’il se souvient que c’est ce que Kassian a fait quand il l’a ramené chez lui avec Godefroy. Il lui a donné à manger pour montrer que le calvaire était terminé et il voulait faire la même chose en cet instant. Même si ça n’avait aucun sens.