nuit incomplète qui s'éclate en plusieurs parcelles - il les compte au même titre qu'il compte les secondes, les heures, sentant les cernes se creuser sous ses yeux rougis par la fatigue. la pensée elle, elle continue. la pensée, elle, elle tabasse l'intérieur du crâne comme un boxeur en pleine furie ravageuse - et tout se tourne vers un futur incertain, vers un présent branlant au sourire carnassier. frisson désagréable qui vient jouer du violon sur sa colonne vertébrale, il se redresse, jambes qui touchent le sol, sur le rebord de son pieu à admirer les lumières dépassées de la cité qui s'offre en travers de la fenêtre. il est trois heures, il est trois heures et mikkel sent ses nerfs se relâcher, comme une envie de frapper jusqu'à ce que s'extirpent les mauvaises ondes qui de leurs griffes, l'arrachent à un sommeil potentiellement réparateur - mauvaise blague. et il papillonne, papillonne des paupières pour obliger ses yeux à se tirer dans le noir le plus total, cherchant dans ces ténèbres improvisées un moyen de disparaître.
et soudain. soudain se dessinent d'autres formes, s'immiscent d'autres bruits qui empêchent le silence de s'installer. sourire à l'appui, c'est une silhouette qui s'affirme à travers les écrans bleutés - mikkel s'attarde à peine sur la décoration autour sur les grésillements désagréables, sur les pas qui se mêlent. il n'a d'yeux que pour les cheveux longs qui partent dans un sens, dans un autre - un véritable sauvage qu'il est steve. et du plus loin qu'il se souvienne, il a jamais eu autre chose qu'une crinière sur son crâne. seule sa barbe se modifiait, seule sa barbe marquait un changement potentiel dans le temps, seule elle était un repère qui, sur ce visage figé, lui donnait l'attrait de plus en plus adulte - vieillissant. inspiration profonde, ses pas le mènent jusqu'au bureau, ses coudes se posent à côté de lui, regardant avec attention les différentes lignes codées dont il ne comprend rien - seulement que c'est un langage ô combien complexe qui demande des années d'apprentissage, comprenant une détermination et sans doute un génie. - j'te voyais pas aussi p'tit. ricane le chiard de l'autre espace éloigné, ricane l'adolescent du monde aux verdures. pincement de lèvre inférieure, doigts qui se mettent à pianoter sur la surface plane, la tête se penche sur le côté, les lèvres s'ouvrent pour bailler sans discrétion aucune. - t'fais quoi ? il est cool steve - il a toujours l'air de savoir ce qu'il fait, de savoir où il va, de savoir où est sa place. il l'envie - peut-être. il l'admire - sans aucun doute.
standing still & Il a cette vieille habitude qui ne partira jamais. Déjà sur le lobster il se faisait un peu taper sur les doigts. La fumée était interdite, il y avait des pièces spéciales, dans des bars spéciaux, pour fumer en toute impunité. Tout était très strict, très règlementé. Ils vivent à l'air libre, maintenant c'est presque trop simple, ça n'a plus ce goût d'interdit. Ca a juste un goût de paradis. Il regarde en l'air, tire un long moment sur sa cigarette, et vient souffler vers les étoiles. Il fait nuit noire, au campement tout est éteint, tout le monde dort profondément. Il y a dans l'air une électricité plate, douce. Il a toujours été plus un animal nocturne qu'autre chose. Après la tempête, tout devient calme. Il préfère le calme, il préfère la paix. Toujours. Il n'a pas envie de dormir, de fait, c'est le moment parfait pour aller coder, avancer sur les maquettes de vaisseaux. Il se redresse, pour pénètre à l'intérieur de la maison en ruine, qui lui sert de foyer, à lui et à trois autres shadowrunners. lls dorment tous, ils sont plus du jour ces mecs là. Il y a une porte ouverte, avec un ronflement qui en émerge. Il passe, la ferme doucement, puis gravit les deux étages. Au dernier, c'est son antre, sous les combles. Il y a une grande verrière, quand il pleut, le bruit est insupportable, mais grâce à des amis techniciens, ils sont parvenus à l'isoler correctement, contre les grandes chaleurs. Ce ne sert pas beaucoup en ce moment, il fait trop froid sur terre pour s'en préoccuper. Il finit sa clope, l'écrase dans une canette qui lui sert de cendrier, puis il en tire une autre, qu'il embrase lentement, en même temps que ses pc. Il a trois écrans, positionnés le long d'un mur. Pas de chaise, on réfléchit mieux quand on est debout. La lumière de la lumière arrive de son dos, il allume une lampe à ampoule d'un côté, une lampe à lave de l'autre. Il récupère son bandana sur le côté, puis le serre autour de sa tête. Il craque ses doigts, tandis que l'interface s'ouvre. Il tire une longue taffe, souffle, et se met lentement à coder. Il cherche, il trouve, il code, fait défiler les lignes.
Dans son dos, quelque chose d'étrange se produit. Une émotion, un bout du coeur qui se transforme. Il ferme les yeux, ne se retourne pas vraiment. Il préfère contempler son écran, s'arrêter soudainement dans son élan. Il entend la voix dans son dos. C'est la première fois qu'il la perçoit, jusqu'ici ce n'étaient que des regards, que des flash étranges. Il sourit, puis lui jette enfin un regard. " Tu fais un mètre vingt tu peux parler." Mikkel a l'air si jeune. Si jeune et en même temps en dehors de l'emprise du temps, un peu comme un petit adulte. Il vient pianoter sur l'écran, qui comporte tous les codes. L'écran ne réagit pas, aucune onde à la surface. C'est dans sa tête tout ça, il devient peut-être fou. Il lui jette un regard amusé. " Je code. Tu sais ce que c'est ?" Il ferme les yeux, un long moment, dans son corps, ll y a une séparation. Il est à l'autre bout de l'univers avec Mikkel. Assis sur son lit, pourtant toujours conscient des écrans devant ses yeux. Autour de lui, tout est noir, il essayait certainement de dormir, il est sur le rebord de son lit. Il demande : " T'as quel âge ?"
mikkel qui découvre, la tête dans le cirage et l'esprit bien dans le présent - mikkel qui sous ses cils ne laisse passer aucun détail, qui ne saurait rester totalement statique en regardant l'autre faire, il préfère de loin se prendre pour un aventurier, de ceux qui un jour sont remerciés dans les musées. idéaux enfantins qui ne conviennent plus à son âge, il se permet cependant s'y songer - quelques secondes c'est pardonnable. la lèvre inférieure se pince, il craque légèrement ses épaules en tenant de comprendre comment s'organise les diverses machines, à quoi elles sont liées - et à quoi elles peuvent servir. steve l'imperturbable reste perché sur son calme sans trop accorder d'importance à la bêtise de l'autre, y rebondir à peine en rendant ce qu'il lui doit. vrai qu'à comparer, même en se mettant à la pointe des pieds, il lui arriverait tout juste aux yeux - quelques années plus tard sans doute pourra-t-il se vanter de voir l'horizon bien plus haut. il racle le fond de sa gorge, repose son attention sur les lignes mêlant chiffres et lettres. - ouais j'sais. mais j'sais pas en faire personnellement. c'est pas comme s'il savait faire grand-chose mikkel. c'est pas comme s'il était capable du meilleur - à tirer plus vers le pire. à être sans doute en tête lorsqu'il s'agit de se barrer en courant, se vautrer dans les ruelles, plutôt de que fanfaronner, la médaille du mérite qui pend à son cou, pour avoir eu la meilleure note du bahut. quinze ans, steve. t'as la mémoire courte. ricanement léger, bras qui se croisent sur son torse alors que sa bouche s'étire en une expression de fatigue - qui pourtant ne viendra pas avant plusieurs heures. les cils papillonnent, la tête se penche sur le côté, soudain curieuse de la mine de l'autre - comme s'il ne le voyait jamais assez, comme si une éternité s'était déroulée depuis la dernière entrevue. steve ça date. steve c'est loin derrière. steve c'est y'a longtemps. steve c'est tellement vieux qu'il pourrait le revendre à prix d'or à un antiquaire - un rire s'échappe de sa gorge à cette pensée, l'idée de marchander cette tête dure, parfois fermée, mais au sourire chaleureux comme un rayon de soleil en plein été.
- comment ça s'fait qu'tu sois encore debout toi ? t'as pas un couvre-feu ? à ton âge c'est pas sérieux. petit coup de coude pour souligner la boutade d'un mauvais goût - ses prunelles qui brillent encore d'une flamme de légèreté, d'insouciance propre à ces univers croisés. à se sentir mieux - comme délaissé, relâché par ces bêtes souffrances du quotidien, abandonné par les murmures d'une culpabilité d'être. lui qu'était pas voulu - lui qui n'a de valeur que dans ces échanges anodins.
standing still & Sa chambre est belle, pas vraiment comme il l'imaginait. Les quelques fois où il a communiqué avec Mikkel, il avait l'air d'être un gosse sans repères, sans but, et perdu. A plusieurs reprises, Steve a senti sa détresse, dans une empathie certaine et difficilement explicable, ils le savent tous. D'où ça vient ... Cet intense sentiment de connaitre profondément quelqu'un qu'on n'a jamais rencontré. De savoir tout et rien sur Mikkel, de savoir s'il va mal, s'il va bien, s'il est heureux et triste, malheureux et violent. Enfin violent. Il ne sait pas vraiment. Il a juste la sensation que Mikkel a envie se battre, ou plutôt de se révolter. Pour une raison qu'il ignore, il est incapable de fouiller vraiment dans ses souvenirs. Il peut désormais le voir, ce qui est déjà pas mal. Il peut aussi observer l'endroit où il vient. Une chambre plongée dans le noir. Il se lève, laissant Mikkel assis sur le lit. Il se rapproche du bureau, regarde, observe. Il serait bien incapable de bouger quoique ce soit, alors c'est une vision innocente, il n'a aucun impact, aucun effet sur cette vie qui n'est pas la sienne. C'est un autre monde. Il regarde des bibelots, posés en vrac, au milieu du joyeux bordel de feuille, de stylos, de livres, d'appareils mécaniques (il croit reconnaître un appareil photo, il peut se tromper dans la pénombre). Il sourit en voyant une espèce de cocote en fils de fer, et bouchon de bière. Il personnage au visage tout gondolé. Il trouve ça jolie, il voudrait la même chose chez lui. " C'est toi qui fait ça ?" Il regarde ses écrans à lui. Ils brillent dans le noir, d'une lumière bleue, à côté de Mikkel. Il voit les reflets sur son corps, son visage tout jeune, tout innocent (pas si innocent). Comme s'il savait encore rien du monde. Mais c'est tout à fait faux, il a la sensation que Mikkel, il en a trop vu pour son âge. Quel âge déjà ? "Quinte ans. T'as la mémoire courte." " Non. J'ai la meilleure mémoire sur Terre, de l'univers même." Il sourit en disant ça. C'est pas forcément faux. S'il ne se souvient pas de l'âge de Mikkel c'est qu'il ne l'a jamais su, c'est tout. Il prend sa main, sans vraiment savoir comment, et il la pose sur l'écran, pour lui montrer une ligne. " C'est pas dur. C'est comme une maison, tu construits des lignes pour les murs, tu fais une enveloppe générale. Ensuite tu bidouilles à l'intérieur, comme si tu redécorais." Il montre avec sa propre main une autre ligne, sur le deuxième écran. Il fait froid, ils ont un peu de buée qui sortent de leur bouche. Le climat est déréglé. " Il suffit de connaitre à quoi chaque terme à l'intérieur de la ligne correspond, ensuite tu les agences, et tu pries pour ne pas oublier de guillemet, ou de parenthèse, parce que ça casse le code." A sa question suivante, il sourit, en le regardant, assis sur le lit. Il a pris en main le bibelot, il l'observe attentivement. Il lui trouve des formes de shadowrunner violent. Il dit : " Sur Terre y'a pas de couvre-feu, y'a pas de gouvernement, c'est l'anarchie mon p'tit." Il lui lance le bibelot en fer. " Toi en revanche tu fais souvent de l'insomnie." Ce n'est pas une question, il le sait, il le sent dans son regard, et dans son corps épuisé.
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