(cahen) it's something about jealousy

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Finalement, ils se bousculent. Ils s’excusent rapidement, sourient avant même de se voir, les yeux dans les yeux, et finalement. La rencontre des deux bleus. Les sourires s’étirent, les joues rougissent, les rythmes cardiaques augmentent. C’est un coup de foudre immédiat.
La femme baisse les yeux. Cet homme, ce serait beau s'il pouvait rester à ses côtés, partager sa vie, la soutenir dans sa maladie et ses soucis.
L'homme rigole. Cette femme, ça fait cinq ans qu'il la regarde avec le regard amoureux d'un artiste face à sa muse. Cinq ans qu'il la dessine. Cinq ans qu'il l'aime.

Le fils est pas le seul à crier. La mère crie aussi. Elle crie au meurtre. Elle blâme celui qui respire pour celui qu’a jamais respiré. “Il l’a tué dans mon ventre” qu’elle crie. Le père doit la retenir pour qu’elle le frappe pas, le bébé vivant. Qui crie toujours plus fort. “Caïn ! Comme Caïn a tué Abel !” Le fils vivant est appelé Caïn, le jumeau mort Abel.
Le père, il est triste. Sa femme tient bien trop à ce livre qui date d’avant le vaisseau, de la Terre d’avant. Elle devrait pas utiliser les récits qui y sont contés comme justification pour sa folie incurable.

Une famille heureuse, voilà ce qu’ils sont devenus avec la naissance de ce nouveau bambin. La mère laisse l’éducation du fils au père depuis deux ans. C’est trop dur, pour elle, de le regarder. Mais l’arrivée d’un nouveau bébé va tout changer. “On va l’appeler Seth ! C’est le petit frère d’Abel, Seth.”
Le père sourit, tristement, de nouveau, et s’approche du berceau relégué au fond de la salle. Un jour, ça lui passera, à sa femme, il le sait. Mais deux ans, c’est pas suffisant pour elle. Elle fera son deuil plus facilement avec un autre enfant. Oui. Un jour, tout ira mieux.

Caïn va montrer son dessin tout heureux à son père. Qui, bien sûr, se moque. Gentiment, rien de jamais méchant dans les moqueries du père. Mais, y’a de quoi. Le dessin est loupé, et ils ressemblent tous à des poireaux. Il va le montrer à sa mère, qui force un sourire. Elle a commencé à l’accepter après la naissance de Seth, Caïn. “Awan.” Elle a lu quelque part qu’elle avait un rapport avec Abel, mais elle sait plus où, ni quoi.
Le bébé pleure, le père se moque, la mère force un sourire, le frère boude. Caïn aime sa famille, même si elle est disjonctée. Il aime pas le bébé, par contre. Il est moche.

Personne a pleuré, ce jour là. Le père, l’artiste, envoyé sur la planète pour constater les changements, les mettre en peinture, en photo ou à l’écrit. La mère a dit “C’est une bonne chose, vous devez être fiers.” Caïn, il a ajouté des larmes sur le tableau. Les larmes qu’il a pas pu laisser couler.
Et quand il a disparu des radars du vaisseau, quand on leur a dit “il est mort”. Ils avaient le droit de pleurer, ce jour là. Mais il a pas pu Caïn. Parce que c’était à lui, maintenant, de prendre soin de tout l’monde. Et il se devait d’être fort, pour eux.

Il prend sa part de médicament dans la main du type au regard meurtrier. Il repart chez lui, et alors qu’il se retourne, il bouscule, quelqu’un. Elle, elle sourit, et elle continue à sourire en le voyant. Elle sourit peut-être même plus. “Salut, blondie.” Il rougit, il sourit. Petit garçon de vingt ans tombe amoureux pour la première fois.
Elle s’appelle Kaëlys. C’est la petite sœur du chef du clan dont elle fait partie. Elle est belle, magnifique.
Ils tombent amoureux, c'est rapide. C'est fort. C'est beau.

Il la dessine souvent, depuis qu’il l’a rencontré, Mélia. Il a lu son prénom, sur ses lèvres. Il les a observés tellement souvent, tellement longtemps. Il la dessine, sous tous les angles, de toutes les façons qu’il trouve. En couleur, en noir et blanc, au fusain, à l’encre. Sur du bois, sur des papiers, sur des toiles qu’il lui restait de là-haut.
Elle le fascine, Mélia. Elle plus que les autres. Elle plus que Jordan, l’excitée. Mélia, elle a ce calme bien à elle qui l’apaise, Cahen.
Cahen a trouvé sa muse.

Cahen, il a menti. Il aime pas faire mal aux gens, les blesser. Quand Jordan a avoué ses sentiments devant tout l’monde, il se voyait pas la rembarrer. Jordan, il l’aime bien, elle est cool. Mais sa muse, Mélia, c’est elle, qu’importe.
Il a menti, du coup, a dit que c’était la distance, que c’était parce qu’il était pris, qu’elle aurait eu une chance, sinon. Mensonge. Et quand Mélia est parti, il a été la convaincre de revenir. Parce que le cluster, sans Mélia, il est pas au complet. Parce lui, Cahen, sans Mélia, il se sent pas complet.

Elle a juste disparu, comme ça. Elle marchait, devant eux, elle allait chercher de la drogue pour l’échanger. Et quelques secondes plus tard, elle était plus sur la route. Et Cahen crie, de douleur. Il se tient la cheville, ça brûle. Sa mère est transpirante, en pleine crise de manque, donc elle a rien vu encore, rien compris.
Seth se précipite vers lui, essaye de l’aider. Mais rien à faire.
Finalement, plus de douleur. Il soulève sa main, et ses yeux s’écarquillent. C’est quoi, ce tatouage bizarre qui bouge ?

Avec le départ d’Awan, ils peuvent plus survivre comme avant. Ils ont pas de clan, sont juste en commerce tout le temps avec celui de Kaëlys. Les Huxley, les trois gamins qui ramènent la drogue. Y’en a plus que deux, et ils peuvent pas ratisser autant qu’à l’époque.
Alors Cahen a trouvé un nouveau moyen d’être utile au clan. Ils échangent plus que pour de la drogue, pour son corps. Il déteste ça, Cahen. Mais c’est pas important.
Pour sa famille, il peut bien vendre son âme au diable.

Il pleure pendant plusieurs jours. Semble pas pouvoir s’arrêter. Sa mère a beau lui crier dessus, lui dire de se bouger, lui dire d’aller travailler. Lui crier qu’il fait rien, alors qu’elle, elle l’a mise au monde, et que lui, il pleure une “pétasse” plutôt que d’aider sa mère.
Il craque, finalement, se retourne vers elle, lui donne une claque. “Je t’ai sauvé toi, quand j’aurais pu la sauver elle, celle que j’ai promis d’aimer toute ma vie. Alors, vraiment, vraiment, pour une fois dans ta vie de folle. Ta gueule !” Il crie la fin. C’est la première fois qu’il crie sur sa mère. Il culpabilise.
Ça fait tellement de bien.

L’arbre s’effondre, finalement, et Cahen sourit, de derrière sa feuille blanche. Il devrait être peiné, cet homme est probablement mort. Cet homme, le frère de Kaëlys, le meurtrier de Kaëlys. Son client le plus régulier, à Cahen. Cette enflure de bas niveau. Qu’il aille rejoindre le diable, à coup sûr qu’ils s’entendront bien tous les deux.
Cahen sent un souffle d’air derrière lui, se retourne. Il se lève, s’approche de l’endroit d’où il a senti le souffle. Se sent tomber.
Puis plus rien.