(explicit - sin#4) die for you.

die for you

Even though we're going through it And it makes you feel alone, Just know that I would die for you, Baby I would die for you, The distance and the time between us, It'll never change my mind, 'cause baby, I would die for you, Baby I would die for you.

Sami n'a jamais vu un téléphone comme ça avant. “ And where did you say you got it? ” Scar hausse les épaules, soupire lourdement en s'asseyant en face de lui de l'autre côté du plan de travail. Il n'a pas l'air d'avoir dormi depuis bien longtemps mais vu l'entrain avec lequel il se serre le café que Sami a fait un peu plus tôt dans la journée, il n'a pas non plus l'air prêt à aller se coucher non plus. Sami aimerait lui proposer de dormir sur son canapé mais il sait que Scar le prendrait mal, comme de la pitié quant au fait qu'il n'a pas vraiment de chez-lui. Trop fier. “ Street kids from Hawkins. Couldn't make it work for the life of them so I pretended it was a piece of junk but... ” Sami arque un sourcil, faisant tourner l'appareil entre ses doigts. “ But? ” Haussement d'épaules évasif. “ It seemed familiar, ” finit par dire l'autre membre des Sharks avant de disparaître dans le fond de sa tasse de café.

Sami fronce un peu les sourcils mais n'insiste pas, préférant regarder de plus près l'appareil. On dirait un téléphone en effet — l'écran, les deux boutons sur le côté — mais il serait bien en peine de comprendre comment l'allumer et encore moins comment il fonctionne... Le matériel est plutôt léger, Sami se demande si c'est pas simplement une tablette, et il finit par le déposer sur le côté pour boire un peu de son café, avant d'allumer l'ordinateur qui trône toujours dans un coin de l'atelier. C'est généralement Scar qui l'utilise — Sami ne sait pas lire et n'en a pas grande utilité — et il lui laisse son tabouret alors qu'après un grognement, le plus jeune des deux Sharks va connecter l'ordinateur au téléphone pour essayer de voir ce qu'il se passe à l'intérieur. En attendant, Sami finit son petit-déjeuner en buvant son café et continuant de travailler sur la dernière prothèse qu'on a déposé à la boutique, une articulation de genou qu'il doit assouplir et rendre plus légère pour son utilisateur. “ Hm. ” Sami tourne les yeux vers Scar qui a l'air perplexe. “ Oh. There it is. ” Sami s'empare en premier du téléphone dont l'écran vient de se réveiller. Il montre des filles à la plage, de dos. “ Nice asses, ” commente Scar et Sami grogne. “ Unlock it. — Yes sir. ” Quelques minutes plus tard, c'est fait et Sami explore immédiatement le téléphone du bout des doigts, ouvrant machinalement l'application des photos pour voir un peu à quoi ressemble son propriétaire. Il pourrait commencer à le démonter comme il le fait ordinairement mais quelque chose l'y pousse, et puis il aimerait bien comprendre pourquoi il n'a jamais vu ce modèle avant, il en a vu défiler des portables pourtant.

Sami a un long moment de bug quand la dernière photo enregistrée dans le camera roll est une photo de lui lui rendant un regard noir pétillant. Il y en a une autre de lui, torse nu. Et enfin des photos de... “ hey, isn't that the girl? ” Jaz. Jaz partout. Jaz et ses captures d'écran et ses amis et les photos qu'elle a gardé de lui et sa vie, à travers laquelle Sami défile sans comprendre, fasciné et choqué à la fois, surtout quand il voit les photos qu'il lui a lui-même envoyé (il a été embarrassé et ne l'a pas crue quand elle lui a dit qu'elle les gardait pour plus tard à chaque fois — il fait la même chose mais il pensait qu'elle exagérait). Le téléphone vibre, elle vient de recevoir un message. Un dénommé John. John... son assistant. Son agent. Hi Jaz, I'm downstairs can you come down? I hope you don't have too much of a hangover because the label wants to go through what happened yesterday with you. Et puis d'autres messages qui déferlent, comme si le premier venait d'ouvrir les vannes: Where are you? (Mom) Where did you go? (Lupe) You alright? (Alex) Yasmeen this is not a joke Noora is doing the show right now you need to get back here ASAP!!! (Mom) and so on and so on, Sami ne comprend pas. “ Where did you say you got it, Scar? ” demande-t-il et Scar doit entendre que sa voix est tendue, blanche, signal d'alarme comme un autre. “ Just those kids that hang about that kebab shop near Brekker Street. — Go find them and find out from them where they got that phone. — But Sami-- ” Le regard que lui jette Sami est suffisant pour le convaincre et un instant plus tard, Scar détale comme si sa vie en dépendait.

Sami n'ouvre pas les messages, il prend plutôt son propre téléphone et ouvre sa conversation avec Jaz. “ Hi Jaz where are you I need you to tell me where you are right now, ” dit-il rapidement d'une petite voix tendue, regardant le texte s'afficher en même temps qu'il dicte, il l'envoie sans même vérifier (à quoi bon) et un instant plus tard, l'autre téléphone buzze dans sa main. C'est le téléphone de Jaz. Dans sa main. Ici. À Neodam. Sur Néphède.

Il se sent malade.

Il n'a pas le temps de se mettre à paniquer que déjà Scar l'appelle et Sami décroche sans hésiter une seule seconde. “ Talk to me. — They got the phone from a bunch of older dudes, apparently they... found her and brought her to Madame. ” Le sang de Sami se gèle dans ses veines. “ Did they see her? The kids? ” Il entend Scar parler très vite loin du micro et puis de nouveau dans l'oreille de Sami: “ No. I'm sor-- ” Sami ne laisse pas Scar finir et raccroche, glissant les deux téléphones dans sa poche. Il sort du magasin sans hésiter une seule seconde, éteignant les lumières et le verrouillant derrière lui avant de presque sauter dans sa voiture qui l'attend sagement dans l'arrière-rue, cachée sous une bâche — protection maladroite, mais personne ne s'attaquerait à la voiture de l'un des Sharks, pas dans ce quartier en tout cas où ils règnent en maîtres. Le moteur ronronne et puis se met à tempêter quand Sami démarre au quart de tour, plongeant vers Uptown et ses maisons closes difficiles d'accès, un peu trop chères et trop parfumées, possédées par Madame. Compétition directe pour Heathen, quoique ne disposant pas de la même clientèle, elle reste certainement la personne la plus détestable au monde aux yeux de Sami: faussement maternelle et protectrice, c'est sans doute le pire requin qu'il ait jamais rencontré, bien pire qu'un Shark.

Ils l'auront emmenée au Boudoir, la plus grande maison et celle où Madame officie; Sami se gare dans un dérapage contrôlé devant l'entrée, sortant de la voiture à peine le moteur s'étant tu. Au moins ici, les voitures qui l'entourent ne sont pas si différentes de la sienne; le regard du garde du corps sur lui n'est que rapide, même si sa dégaine ne correspond pas trop au joli bolide qu'il vient de conduire jusqu'à la porte. Mais on l'a vu arriver et c'est le plus important. Il pousse le deuxième set de portes de la maison après s'être débarrassé de son arme auprès de la sécurité, et est tout de suite agressé par la puissante odeur de parfum qui flotte dans la pièce.

Il y a de lourds rideaux de velours à chaque fenêtre, des filles en petites tenues qui attendent, qui dansent et se prélassent sur des canapés au luxe décadent; Sami les voit sans les regarder, ignore leurs mouvements de salutations et leurs petits mots de bienvenue. Il se fait vite accoster par une fille avec une tablette, certainement déjà en train de checker les disponibilités des différentes filles dans les différentes chambres. “ Hey handsome, what will it be today? ” demande-t-elle avec familiarité et un petit sourire charmant alors que Sami ne l'a jamais vue de toute sa vie. Elle s'approche, le regarde de bas en haut, se mordille la lèvre. Il reste impassible à son charme. “ I need to see Madame. — Oh no, I'm sorry handsome, she's in a meeting right now... ” Sami se force à sourire, desserrant le poing dans lequel il a froissé son masque en l'enlevant en entrant dans le bâtiment. Il lui montre le dessin de gueule de requin brodé sur le devant et les traits de la fille se froncent aussitôt. “ I think she'll want to see me, doll. ”

On l'emmène à l'étage, Sami a du mal à marcher lentement, à ne pas lui hurler d'aller plus vite. Ils arrivent dans un petit bureau capitonné, il y a juste un lit, une table et une seule chaise sur laquelle trône Madame, qui ne semble pas ravie d'avoir été interrompue dans ce qu'elle était en train de faire. Elle arque les sourcils en le voyant. “ Well well well if it isn't little sharkie. ” Sami n'aime pas trop Madame et il pense qu'elle lui rend bien le sentiment: après tous, les seuls moments où ils se sont jamais vus, c'est quand Sami vient réparer sa jambe bionique sous l'oeil attentif de Gustav qui aime bien parler affaire, et qui est un véritable requin dans le domaine. Elle n'aime pas trop prouver qu'elle est faible, Madame, et pourtant Sami l'a vue à son plus vulnérable. Il a du mal à lui faire comprendre qu'il s'en fiche d'elle. “ What brings your pack over here? You're lonely, where's broody boy? ” C'est la première fois qu'ils se voient en tête à tête effectivement et Sami sent le sang lui monter à la tête à l'idée qu'elle puisse tenter quoique ce soit comme son sourire calculateur semble l'indiquer. Il n'a pas non plus le coeur de lui dire que les requins ne se déplacent pas en meute. “ I heard you had a new girl and I wanted to check her out. ”

La surprise de Madame est telle que ses sourcils manquent de disparaître à la lisière de la racine de ses cheveux. “ Pardon? ” Il n'a jamais été intéressé par les prostituées, ce que Madame a bien essayé de changer chez lui, en vain. “ I think you heard me, ” dit-il simplement. “ I want to have her first. Before any of your street rats get their dicks in her first. ” Il fait la moue, plus dégoûté par ses propos que par cette perspective. “ Where did you hear such a thing? ” demande-t-elle d'un ton méfiant. “ Streets talk. ” Il claque des doigts, agacé. “ I'll pay you good money. ” Madame secoue la tête. “ No. I can't. Haven't inspected her yet. ” Sami sent son échine s'hérisser à cette perspective. “ You'll have to come back later, sharkie. — I'll pay, ” dit-il de nouveau. “ Let me see her. What harm could it do to you? ” Les ongles pointus de Madame frappent en staccato son bureau en bois. “ Five. — Three. — Four. — Alright. ” Elle arque un sourcil et finit par sourire. Elle semble hésiter et finalement se lève (avec un grognement qui fait sourire Sami) en s'approchant d'un pan de mur à l'air innocent; Sami comprend quand elle prend la clef autour de son cou que c'est une porte cachée, qui doit mener à une chambre non accessible aux clients et réservée aux filles... quoi, qui n'ont pas encore passé l'inspection, peut-être.

Sami espère qu'il a tort, qu'il vient de dépenser quatre mille cryptostellars pour rien. Mais non. Elle est là.

Juste là.

Jaz.

Et lui aussi est là.

Et les yeux de Jaz s'arrondissent et ceux de Sami se plissent alors que son visage se ferme, douloureusement conscient du regard de Madame qui chercher la moindre émotion sur ses traits. “ So this is who's all the fuss is about? ” s'entend-t-il dire, presque méprisant en s'approchant un peu. Il aimerait pouvoir radoucir ses traits mais il ne peut pas faillir alors qu'il s'approche jusqu'à être à un souffle de Jaz. Jaz Jaz Jaz Jaz Jaz. “ You're hers already, doll? ” demande-t-il à Jaz mais déjà Madame répond pour elle: “ yes, she signed. ” Sami pince des lèvres avant de faire volte-face pour regarder la matronne. “ I'll buy her off you. ” La surprise, une nouvelle fois, sur le visage de Madame; puis la suspicion. “ You certainly can't. — Can't I? ” demande Sami d'une voix détachée. “ I'll buy her off you, ” répète-t-il doucement comme si elle était stupide et n'avait pas compris la première fois. Madame semble complètement prise de court. “ You can't. We're talking-- — I'll buy her for seventy. ” Sami jette un regard méprisant à Jaz. “ You'd be a fool not to accept, she's barely worth half that. ” Madame semble enfin reprendre ses esprits. “ She's worth at least ninety and we both know that. ” Sami se met à rire. “ You're overestimating your business, Madame. No. Seventy-five, and that's five to have your mouth shut. — Eighty. And that's really as far as I can-- — Eighty then. ” Sami tend la main. Madame plisse des yeux. “ What are you up to, sharkie? ” Sami efface toute émotion de son visage — son visage si tendre et ouvert dans les rêves, si facile à lire pour Jaz. Son visage qui a si peu de mal à cacher la tumulte de ses sentiments à Néphède. Il déteste ce rift, cette différence qu'il haï de tout son corps, de tout son coeur. “ Nothing that concerns you. I want her for myself. — If you bring trouble to my door-- — Madame, ” l'interrompt-il, “ you are trouble incarnate. ” Cela n'est pas un compliment mais elle semble le prendre comme tel, acceptant de prendre sa main avant de retourner dans son bureau chercher encre et contrat.

Sami ne bouge pas et ne jette pas le moindre regard à Jaz. Il ne doute pas une seule seconde qu'il y a des caméras et il aurait trop peur de s'effondrer. Madame revient vite et se met à écrire à toute vitesse sous le regard de Sami qui fait mine de lire quand elle lui tend le contrat. Il s'attarde sur chaque ligne, laisse ses yeux aller de gauche à droite, alors qu'il sent sa nuque brûler en sentant le regard de Jaz s'y planter. Elle sait. Pas Madame qui ne cille pas quand il repose le papier sur la table de nuit. “ All good? — All good, ” fait-il avant de signer un papier duquel il ne comprend pas un seul mot. Il le plie nettement et le glisse dans la poche intérieure de sa veste. Madame attrape une tablette et la lui tend.

Sami inspire profondément et relève la manche de sa veste pour lui présenter son poignet. Plus précisément, le petit bracelet noir qui lui serre pour faire ses transactions bancaires de stellars dématérialisés dans la vie de tous les jours. Sa banque va le détester. Il ignore même si il a quatre-vingt mille cryptostellars sur son compte. La machine buzze de contentement après un instant interminable et Madame regarde l'écran de la tablette avec avidité, avant de lui tendre le contrat original de Jaz que Sami parcoure rapidement du regard, s'arrêtant seulement sur le chiffre, seul élément qu'il peut lire — 30,000. Pas surprenant, il a payé bien plus que la moitié du contrat original de Jaz et de sa valeur aux yeux de Madame. Il ne tique pas, plie le contrat, le range lui aussi. “ Are you not going to inspect your goods? ” Sami lance un regard vide à Madame. “ We Sharks don't care about appearances as much as you do here. Our girls just dance. ” Il lance un regard en coin à Jaz. “ And if the packaging around the hole is nice, then it's just a plus, ” rajoute-t-il, utilisant la cruderie que Madame semble apprécie — elle rit et semble se détendre avant que Sami attrape le bras de Jaz pour la tirer de là sous les deux applaudissements de la matrone qui vient de faire l'affaire de sa vie. “ Have a good night, sharkie! ” Sami ne répond pas, tire Jaz dehors sous le regard éberlué des autres filles.

Il ouvre la porte de la voiture d'un clic de ses clefs et pousse Jaz vers l'intérieur, fait claquer la porte papillon avant de contourner le bolide pour s'asseoir au volant. Moment de silence. Son coeur bat si fort entre ses côtes que sa poitrine s'agite, littéralement, rebondit sous son pull. Il pose ses mains sur le volant, le contact est familier et rassurant et il se force à respirer longuement, une fois, deux fois, avant de relever la tête et de plonger le regard dans celui de la fille assise sur son siège passager.

Elle a les yeux verts et des tâches de rousseur et elle n'a pas l'air d'avoir fermé l'oeil de la nuit et elle porte des vêtements trop fins sous un manteau trop léger et il y a une maquillage sous sa bouche et ses cheveux sont décoiffés et il y a même du sang au coin de ses lèvres et elle tremble et elle lui ressemble et ça ne peut pas être elle et ça ne peut être qu'elle et Sami ne sait pas ce qu'il devrait ressentir en cet instant, entre frustration et impuissance et rage. “ Jaz? ” demande-t-il d'une toute petite voix hésitante, sur le point de craquer.

die for you

Even though we're going through it And it makes you feel alone, Just know that I would die for you, Baby I would die for you, The distance and the time between us, It'll never change my mind, 'cause baby, I would die for you, Baby I would die for you.

On dirait un cauchemar, Jaz aimerait que ce soit un cauchemar, elle a essayé de se pincer pourtant, de se forcer à ses réveiller, elle n’a réussi qu’à laisser des marques rouges sur la peau de ses bras pâles, laissés découvert par sa jolie robe d'anniversaire. Elle aimerait que ce soit un cauchemar, mais Jaz sait aussi que des cauchemars elle n'en fait pas, pas de ceux qu'on voit dans les films ou que les gens racontent parfois le lendemain. Ce n'est pas tant le fait qu'il y a une odeur dans l'air, et quelque chose répandant dans ses poumons comme un poison qui a provoqué une violente quinte de toux après la première inspiration. C'est plus que, quand elle s'est avancée dans la grande rue qu’elle a fini par trouver, il y avait des gens. Habillés si bizarrement, visages incomparables à quoi que ce soit qu’elle ait jamais pu voir. Visages masqués surtout, et elle peut comprendre si tout le monde ressent la même douleur aigue dans sa poitrine rien qu'en respirant. Il y a des gens et dans ses rêves à elle, même dans les pires, même dans ceux où elle se noie, ou brûle vive ou tombe dans un champ de cactus, il n'y a pas de gens, il n'y a qu'elle et Sami.

Elle le cherche justement des yeux, peut-être que leur monde a changé un peu peut-être que c'est juste un rêve plus sophistiqué que les autres, elle ne se souvient pas de s'être endormie, mais ça arrive souvent, ce n'est pas le problème. Elle réajuste la petite veste en fausse fourrure blanche sur ses épaules, elle fait tâche dans la rue noire de monde, elle a l'impression qu'on peut la voir à des kilomètres dans ses vêtements un peu transparent et ses talons de quinze centimètres et son maquillage. Elle a l'air de venir d'une soirée, elle vient d'une soirée, la sienne, son anniversaire à Vega Dorada, à Sigan. Jaz ne sait pas où elle est, mais ce n'est pas Vega Dorada c'est certain. Pas assez de néons, pas assez de technologie partout, pas assez d'air, non plus, elle a l'impression d'étouffer. Sami n'est pas là et il y a des gens, des inconnus qui la dépassent et la bousculent, mais elle doit forcément rêver, ou halluciner, peut-être que l'unique gorgée de champagne qu'elle a accepté de boire était lacée d'autre chose. Elle doit rêver parce que le poids de son sac de designer contre son flanc est là un instant et pas le suivant, la lanière lacérée seule chose qu’elle retrouve quand elle va pour chercher son téléphone. Shit. Mais c'est un rêve, c’est forcément un rêve, même si elle sent comme s’ils étaient vrais les regards qui coulent sur elle quand elle se fraye un chemin à travers la foule, cherchant elle-ne-sait-trop-quoi, quelque chose qui pourra la faire sortir de ce cauchemar, de ce bad trip. Réflexe, elle vérifie son Timer, son Temps s'écoule toujours même quand elle est dans l'Autre Monde, celui dont elle et Sami sont les monarques, mais elle s'arrête brusquement sur le trottoir — et on bougonne en lui rentrant dedans (elle découvrira plus tard que son bracelet en or lui a été volé au passage) — quand elle le voit, une série de chiffre anodine, ni trop élevée ni trop faible, quelques années en fait, mais qui ne bougent pas. Les secondes restent bloquées sur un :14 qu'elle fixe du regard pendant près d'une minute (du moins elle pense que c'est une minute, étrange de ne plus savoir combien de temps exactement s'écoule d'un seul regard à son compteur).

Elle reprend sa marche incertaine juste pour se soustraire au regard qu'elle sent sans les voir cette fois — et ce sont les pires ceux-là, elle a l'impression d'être suivie. Elle est trop remarquable, voudrait se trouver un masque et d'autres vêtements et comprendre où elle est et pourquoi son Timer s'est arrêté, mais elle en a vu des autres bras nus et personne n'a de succession de chiffres comme ça sur son bras. Elle ne sait pas où elle est, mais elle n'est pas sur Sigan. Et on doit bien voir qu'elle est perdue, parce qu’elle est petit à petit délestée de ses (maigres) possessions une par une, bracelet à charms, collier en en or, même une de ses paires de boucles d’oreille disparaît quelque part dans le dédale de rues, sans qu’elle ne s’en rende compte avant que ça ne soit trop tard. C’est trop tard aussi quand elle se retrouve coincée dans une impasse, par une paire d’inconnus.

Étonnamment, elle repère son sac sous le bras de l'un d'eux. Détail inutile. Elle sait qu'ils ne sont pas là pour le lui rendre.

Quand on l’amène à Madame — c’est comme ça qu’on lui parle d’elle, pour le peu qu’on lui en dit de toute façon — Yasmeen ne ressemble plus à rien, elle imagine. Elle qu'on avait rendue si jolie pour son anniversaire, sa soirée (prétendument) n'est plus qu'une souillon : sa lèvre inférieure lui fait mal ses poings aussi qu'elle a essayé d'écraser contre ses agresseurs, ses vêtements ont été salis au moins autant par le fog épais qui recouvre l'endroit où elle se trouve, que par sa course effrénée pour échapper à ceux qui l’ont traînée ici. Madame n’a pas l’air trop gênée par son apparence ceci dit. “ Exotic. ” a-t-elle entendu avant qu’on la fasse entrer dans la pièce, dans ce bureau destiné à impressionner, elle imagine, même si elle ne comprend pas ce qu’il se passe, elle ne comprend pas ce qu’on lui veut, ce n’est pas faute de parler la même langue pourtant. Le pire dans ce cauchemar, c’est que ça n’en est pas un, elle a trop mal pour que ce soit un fragment de son imagination. Le pire c'est qu'elle sait qu'elle n'est pas en train de triper, une gorgée, même de la drogue la plus forte de Sigan n'a pas autant d'effet. Et puis, et son cœur bat si fort qu'il est prêt à sortir de sa poitrine quand elle y pense, elle sait où elle se trouve: elle n'a entendu parler de fog de brume qui fait mal aux poumons que de deux personnes : Sami et Alessandra. Elle est à Néodam. “ Sign here and here. Do it! Do it now, girl, before it’s too late… How are you going to survive if you don’t? I’ll provide for you, food and shelter, I’ll make sure you’re okay, only if you sign here. ” Elle cligne des yeux bêtement, regarde le morceau de papier qu'on lui tend sans le voir. Du papier, rien que cette idée est complètement folle, elle n'en a jamais vu ni tenu de sa vie, du papier du vrai et de l'encre et des fleurs sur le bureau de Madame — elle les a presque touchée du bout des doigts fascinée, l'aurait fait si elle n'avait été paralysée par la peur. Elle ne veut pas survivre ici Jaz, elle veut juste s'échapper, elle veut trouver Sami s'il est vraiment là, elle veut quitter cette ville, elle veut être en sécurité, elle veut retrouver sa maison avec sa famille qui la met de plus en plus mal à l’aise, elle veut retrouver son lit, elle veut- Quand elle relève les yeux du contrat, la plume trempée d’encre dégoulinant un peu entre ses doigts, elle croise le regard cruel de la matrone. Elle comprend ce qu’il y a écrit, mais elle ne comprend pas, elle ne comprend pas ce prix qu’on met sur sa tête, cette signature qu’on veut lui arracher, en échange…de quoi au juste ? Les peintures sur les murs ne laissent pas vraiment de place à l’imagination quant au genre d’établissement dans lequel elle se trouve. Un bordel. Elle n'a jamais vu ça que dans les films et encore, si peu. Ça relevait presque du domaine du fantastique pour elle, alors même qu'elle sait qu'il y en a à Casma comme à New Brasilia. C'est pas qu'une affaire de pauvre, ça n'empêche qu'elle est tombée bien bas. “ Can you speak, girl? Do you hear me? ” Elle sursaute presque. Quelque part Jaz sait que Madame lui montre son bon jour, et pourtant elle lui fait peur, toute la situation la terrifie. Elle ne s’est jamais sentie plus piégée et vulnérable de sa vie. Elle en étouffe presque physiquement même alors qu'on l'a heureusement arrachée au fog qui semblait la faire brûler de l'intérieur. Elle hoche doucement la tête, elle a peur d’avoir la voix qui tremble si elle ouvre la bouche. Elle se demande si elle peut signer le contrat et fuir quand même. C'est qu'un bout de papier, ça se déchire, et puis elle s'en fiche elle n'est pas d'ici. Madame a jeté un coup d'œil à son Timer, mais ses sourcils n'ont même pas tressauté, excellente actrice, ou bien elle n'est pas la première Siganaise recrachée à Néodam, Jaz n'en sait rien et elle s'en fiche.

Elle se demande si elle serait capable de retrouver la bonne ruelle, si le passage, whatever it is qui la fait venir ici, peut la ramener chez elle aussi. Elle pense que non, Alessandra lui a raconté comme elle-même a été transférée de Néphède à Sigan, comment elle a pas su retrouver son chemin, comment elle est coincée dans leur monde. Alessandra veut rentrer chez elle. Et Jaz… elle veut rentrer chez elle ? Si elle ne se trompe pas, elle est dans le même monde que Sami. Elle veut trouver Sami, elle ne sait pas comment trouver Sami. “ Are you deaf girl? — No.” Sa voix la surprend elle-même rauque et étirée, fatiguée, tremblante, faible. “ Thank you for your offer but no. I won’t sign this.” Madame a des yeux de serpents, comme deux fentes, figurativement, parce qu’ils sont plissé d’une colère froide et envoient des éclairs en direction de Jaz, littéralement aussi ; elle a dû subir une opération pour ça, elle se demande si c’est considéré esthétiquement plaisant ici. Et puis elle se met à rire, glaçant les sangs de Jaz qui tremble un peu plus. “ This isn’t an offer girl. ” Elle n’aime pas cette façon qu’elle a de l’appeler girl, qu’est-ce que ça pourrait bien lui coûter de lui demander son nom ? De l’utiliser ? Yasmeen n’est pas certaine qu’elle le lui donnerait ceci dit. Ce n'est pas une offre, lui dit-elle, mais et alors ? On ne peut pas acheter les gens comme ça, les voler dans la rue et les offrir à d'autres, on a pas le droit. “ There is no choice, what will you do if you don’t sign it? Starve on the street? Get assaulted? Raped? ” Go home, mais même pas, si on lui donnait le choix là tout de suite, c'est Sami qu'elle voudrait trouver, elle aimerait demander à Madame si c'est bien à Néodam qu'elles se trouvent, sauf qu'elle n'ose pas, elle n'ose rien faire. “ I don’t like it when people say no to me… ” Elle se penche un peu en avant, un petit sourire presque innocent sur ses lèvres gonflées. “ …and it is known the streets of Neodam are very dangerous at night, especially for a beauty like you. ” Le cœur de Jaz s'arrête de battre un instant.

Madame n’a pas besoin de changer d’intonation pour que la menace soit claire. Jaz n'a pas le choix, Jaz doit signer un contrat ou mourir ou pire et pourtant la première chose qui l'arrête c'est la confirmation de sa position géographique. Néodam. Néphède. Sami. En d'autres circonstances, un sourire idiot lui traversait les lèvres, mais là ses veines se glacent : elle est à Néodam et c'est réel et le Destin ne lui fait pas un cadeau pour son anniversaire, ce n'est pas son vœu le plus cher qui se réalise, c'est tout l'inverse. Elle est près de Sami, mais pas assez, elle ne peut pas lui parler, elle ne peut pas le contacter et quand bien même elle pourrait…elle est coincée ici. Et il ne peut rien y faire. Son regard passe du contrat à Madame dont le visage reste neutre, elle aurait presque l’air préoccupée par son bien-être, si ses deux fentes grises ne trahissait pas son manque de patience. 30.000 cryptostellars, c'est tout ce qu'elle voit tout ce qu'elle lit sur le papier à travers des yeux qui s'embuent. Des mots incompréhensibles, ça ne veut rien dire pour elle cette somme, elle ne sait pas ce que ça signifie. Les doigts de Jaz sont presque physiquement forcés à tracer les boucles de sa signature, cette même signature que sa mère lui a fait travailler, perfectionner, pour les demandes d’autographes qui devaient venir avec le succès. Elle se demande ce qu’elle en penserait si elle pouvait la voir, elle se demande si elle remuerait ciel et terre pour la trouver, la sortir d’ici, si elle pleurerait pour elle. Elle aimerait pouvoir être persuadée que oui.

Elle pourrait tout aussi bien être en prison. C’est ce qu’elle ressent, claustrophobe, dans la petite pièce où on l’a amenée, rest up little bird, long day tomorrow. Sauf que c’est pire que la prison, parce qu’elle ne va pas rester là, ou alors elle va rester là, mais elle ne sera pas seule, elle va avoir des nouveaux vêtements qui la couvriront moins encore que ceux qu'elle porte et des visiteurs, des inconnus qui voudront, pourront la toucher qu’elle le veuille ou non, de leurs doigts sales et rugueux. Elle n’ose même pas s’asseoir, encore moins s’allonger sur l’espèce de lit qu’on lui laisse, comme si elle craignait d’être teintée des traces de la précédente occupantes et de ses clients. Bordel, elle est dans un bordel, un vrai bordel avec des putes et une matrone sévère et elle en fait partie désormais comme un meuble à louer, un bout de viande qu'on va vendre et elle est coincée. Elle est malade, elle va rendre son dernier repas elle qui faisait pourtant des efforts, ces quelques dernières semaines, elle va faire un malaise, elle va étouffer dans cette pièce, ils l’ont fait signer, ils l’ont fait signer et elle appartient à Madame. Elle tremble de rage, de dégoût, de terreur, enfonce ses ongles dans ses paumes, presse ses paupières essayant encore désespérément de s’arracher à cette réalité terrifiante, voulant encore croire à un cauchemar juste différent des autres, mais les traces en demi-lune et la douleur sur ses paumes qui en saignent presque sont une preuve infaillible que tout est vrai. Elle finit recroquevillée au milieu de la pièce, tremblante, elle a peur de dormir pour une fois, peur surtout, de se réveiller au même endroit. Elle se réveille en sursaut de sa somnolence quand la porte s'ouvre, saute à ses pieds et se recule presque contre le mur suintant d’humidité, craintive, comme une bête en cage.

Sauf que c’est lui. Avec Madame, certes, mais peu importe, c’est lui.

Sami, son Sami avec ses beaux yeux noirs et son petit nez et ses cheveux frisés, Sami, son Sami qui a l'air choqué de la voir là, mais pas autant qu'elle pourrait le croire, comme s'il s'y attendait, comme s'il était venu pour elle. C'est impossible pourtant. Comment pourrait-il savoir ? Les yeux de Jaz s'agrandissent de surprise et s'emplissent de larmes quand elle voit son visage se fermer l'éclat de reconnaissance disparaître, laisser place au mépris: “ So this is who's all the fuss is about? ” Son cœur plonge dans sa poitrine ; elle pourrait s'écrouler ici et là de fatigue et de douleur. Sami ne la reconnaît pas ? Et si elle l’avait vraiment rêvé tout ce temps ? Et si il ne la connaissait pas, et si ce n’était qu’une coïncidence si cet homme ressemble tant à Sami. Mais il y a sa veste qui est encore dans son dressing et qu'elle porte quotidiennement. Il y a Lupe aussi qui l'a vu et même touché. Sami est réel, Sami vit à Néodam, c'est Sami en face d'elle.

Il s'approche d'elle et elle ne moufte pas, ne bouge pas, ne recule pas, son corps lui accordant d'ores et déjà sa confiance pleine et entière malgré la panique. “ You're hers already, doll? ” Les mots la heurtent au moins autant que le ton; hers, doll. “ yes, she signed. ” Sami pince des lèvres juste un peu, juste un instant avant de lui tourner brusquement le dos sans un regard de plus. “ I'll buy her off you. ” Il est venu pour la sauver. Les mots font mal, l'idée qu'on l'achète la rend malade, mais il est venu pour la sauver. Il lui sert des doll et une indifférence pour ne pas éveiller de suspicions (et faire monter le prix) avec des ghalbami et une embrassade larmoyante, elle doit y croire. Elle lui fait confiance, tout inconnu qu'il soit en un sens. Surprise, sur le visage de Madame, puis suspicion ; Jaz doit avoir raison. Elle veut avoir raison. “ You certainly can't. — Can't I? I'll buy her off you, ” L'idée semble novatrice vu la réaction de Madame qui semblerait presque confuse. “ You can't. We're talking-- — I'll buy her for seventy. ” Entendre parler d'elle à la troisième personne, une dispute quant à qui peut faire d'elle sa chose est terrible, mais du regard méprisant que lui jette soudain Sami, Jaz pourrait mourir. “ You'd be a fool not to accept, she's barely worth half that. ” Il ne le pense pas, elle sait qu'il ne le pense pas, il essaye juste de s'en sortir sans perdre trop d'argent, il essaye juste de la sauver, il est venu pour ça, elle le sait, elle doit le savoir, mais elle ne peut retenir les larmes qui s'échappent de ses yeux. “ She's worth at least ninety and we both know that. ” Sami rit, Jaz renifle. Elle se demande combien Darya donnerait pour elle. Elle sait déjà que Sharzad elle, s'en débarrasserait volontiers gratuitement. “ You're overestimating your business, Madame. No. Seventy-five, and that's five to have your mouth shut. — Eighty. And that's really as far as I can-- — Eighty then. ” L'affaire semble réglée, la négoce laisse Jaz indifférente, elle ne la comprend pas de toute façon, sait juste qu'on lui attribue une valeur monétaire au fond c'est la seule idée qui compte. Même des millénaires sur Sigan, ça serait dégradant, révoltant, c'est d'une vie humaine dont on parle, mais ça ne semble déranger personne. Sami tend la main, Madame ne l'attrape pas tout de suite. “ What are you up to, sharkie? — Nothing that concerns you. I want her for myself. — If you bring trouble to my door-- — Madame, you are trouble incarnate. ” Elle n'a aucune idée de ce qui vient de se jouer, sait juste que Madame attrape enfin la main de Sami et que, juste comme ça l'affaire est réglée.

Quand elle sort, Jaz esquisse un mouvement vers Sami, mais s'arrête dans son geste quand elle voit que lui ne bouge pas. Ne la regarde pas. A-t-elle mal interprété la situation ? Elle essuie ses joues maladroitement, elle ne sait même pas si les deux autres ont remarqué ses larmes, probablement pas, elle est secondaire dans le marché qui s'est joué quand bien même elle en est l'objet. Madame revient avant qu'elle ait eu le temps d'ouvrir la bouche et elle écrit rapidement les termes d'un nouveau contrat. Jaz met quelques secondes à se rendre compte du problème. Elle a envie de s’approcher, de dire à Salim de partir, de ne pas signer. Elle ne sait pas ce que ça vaut, mais elle imagine que c’est beaucoup, c’est forcément beaucoup, Madame a l’air très satisfaite après tout. Elle a envie de lui dire d'arrêter de partir, de ne pas se mêler à tout ça, de ne pas s'endetter peut-être pour elle, surtout, de ne pas signer quelque chose qu'elle sait qu'il ne comprend pas. Mais elle ne fait rien, ne bouge pas, ne parle pas ; Madame n'a pas l'air d'être au courant que son interlocuteur ne sait pas lire et elle a peur d'aggraver la situation en le faisant savoir. “ All good? — All good, ” il signe et le cœur de Jaz se fissure.

Elle ne comprend pas ce qu'il se passe après et ça lui est égal au fond, elle regarde sans voir la suit de l'interaction, essayant de calmer sa respiration, de faire taire la terreur qui l'envahi, les doutes et le reste. Elle a confiance en Sami, mais il est is froid. Si différent du Sami qu'elle connaît. “ Are you not going to inspect your goods? ”  Elle ne vaut pas mieux que du bétail en cet instant précis, du bétail dont on a évalué la valeur, du bétail qu'on inspecte, pour savoir si elle vaut le coup d’être faite prisonnière d’un contrat. “ We Sharks don't care about appearances as much as you do here. Our girls just dance. And if the packaging around the hole is nice, then it's just a plus. ” Les yeux de Yasmeen s'agrandissent devant ces mots, he's just saying that, I know he's just saying that essaye-t-elle de se convaincre, mais c'est si dur quand tout ce sur quoi elle se base c'est un vague éclat dans ses yeux quand il l'a vue au tout début, un pincement de lèvres qu'elle a peut-être imaginé. Finalement il lui attrape le bras sans douceur et la tire à sa suite jusqu'à la rue.

Il y a une voiture là et Jaz se rappelle du soir où il lui a parlé de ses voitures, une grande grise et une noire d'une bonne marque paraît-il, c'est sûrement celle qu'elle voit garée devant la maison close, qu'il déverrouille et vers laquelle il la pousse. Ce soir-là, ils avaient parlé de leur vie future, de leur vie ensemble, de leur maison, de leur plan. Ça semblait si atteignable à Jaz malgré le fait qu'ils étaient encore dans des mondes parallèles. Ça lui semble si impossible en cet instant précis alors qu'ils sont dans la même voiture et que Sami se tourne enfin pour la regarder et qu'elle tremble comme une feuille. Il cherche son regard, elle le sent mais elle l'évite, elle a trop peur d'y voir le même mépris qu'à l'intérieur, elle a trop peur d'y voir de la déception à l'idée qu'elle soit là. Peut-être que ce n'était que des mots leurs rêves, des vœux faciles à prononcer quand on sait qu'ils ne sont pas réalisables. Mais il est allé à Juno Beach cette nuit-là. Il voulait la voir.

“ Jaz? ” c’est presque inaudible et pourtant elle l’entend clairement, l’émeraude se dérobe toujours, mais elle sent son hésitation. Pas de mépris toutefois, pas de dégoût. Ça la soulage presque, comme si elle avait encore un peu peur que tout ça n’ait pas été qu’un spectacle pour le bénéfice de la rombière, mais bien la réalité. Elle a honte de son soulagement. Elle pince des lèvres, s’accroche un peu au siège comme pour s'empêcher de tomber en ruine aux pieds de Sami. Elle aimerait qu'il démarre la voiture et les éloigne de cet endroit maudit. Elle ne sait pas quoi répondre. Oui c’est elle. Jaz, la femme qu'il voit dans ses rêves, la femme qu'il voulait revoir à Juno Beach pour le nouvel an, la femme qui l'inonde de messages et de cœur tous les jours, la femme qui l'aime et la femme qu'il dit aimer, lui aussi. Jaz aimerait pouvoir dire qu'elle n'en doute pas du tout, en cet instant précis. “ Yeah.” elle a la voix rauque, elle se rend compte qu’elle n’a pas parlé depuis qu’elle l’a vu. Elle se rend compte qu’elle a envie de pleurer, de le toucher, aussi. De s'assurer qu'il est vraiment là, comme elle en rêve depuis si longtemps. “ Sami? ” Un murmure, elle aussi. Elle devrait lui tendre la main, la serrer dans la sienne, mieux jeter ses bras autour de son cou et le serrer dans ses bras comme le boyfriend qu’il est. Est censé être. Elle sait que tout ce qu'il a dit devant Madame c'était une mascarade, une obligation. Elle a peur quand même. “ I don’t like your world. ” fait-elle avec un sourire un peu faiblard, comme pour détendre l’atmosphère, le faire sourire, rester en un morceau. C’est vrai pourtant, Neodam pue et est masqué dans une brume grisâtre, et les gens…elle a l’impression qu’ils sont tous mauvais, ce doit être faux ceci dit, mais son expérience récente ne l’aide pas tellement à se faire meilleure opinion. “ T-thank you.” fait-elle enfin, le cœur lourd, serrant un peu les poings sur les genoux. Ça ne la frappe pas encore totalement qu’elle est saine et sauve. Grâce à lui. Elle a passé sans conteste la pire journée de sa vie et c’est beaucoup dire quand ces derniers mois, années mêmes, ont déjà été si durs pour elle, rendus meilleurs par les moments passés à ses côtés. You saved me, lui a-t-elle dit il y a bientôt un mois, et cette fois c'est indéniable. Elle tourne enfin les yeux vers lui et puis, sans prévenir, elle éclate en sanglots.  “ Oh Sami I'm so sorry. ” Il l'a déjà vu pleurer Sami, beaucoup trop de fois à son goût et c'était toujours des larmes de rêves, grosses gouttes qui ne voulaient pas sécher une fois au sol, qui se sont même quelques fois (rarement en sa présence toutefois) transformées en véritable océans. Cette fois c'est vrai, mais ça n'en est pas moins laid et lourd et douloureux pour elle de le faire sortir ce torrent qui l'agite de tremblements. “ I-Is it…is it a lot? ” Of money. Quatre-vingt, c’est la somme finalement payée. Quatre-vingt quoi, elle ne sait pas. Quatre-vingt mille, elle croit, non que ça l'aide beaucoup à comprendre la valeur de la chose. S'est-il ruiné pour elle ? Elle ne connaît pas grand chose de sa vie à Néodam, mais elle sait qu'il n'est pas riche, vraiment pas riche, plutôt pauvre même, au point de trouver la nourriture trop chère pour s'en payer parfois. Elle aimerait pouvoir l’aider à payer, s’il compte payer ; mais peut-être qu'il a déjà payé : il y a eu un espèce d'échange elle a vu, entre une tablette et une espèce de montre, elle se demande si c'est comme avec le temps, un transfert d'argent. Elle se demande si les deux paires de boucles d’oreilles qui lui restent valent quelque chose ici. Elle se demande s'il veut d'elle ici, elle est soudain secouée d'un sanglot plus fort que les précédents.  “ Y-you sh-shouldn't h-hav-ve s-s-sign-ned w-w-with-o-out r-r-reading i-it. ” Il ne sait même pas ce qu'il a accepté, si ça se trouve les termes étaient complètement abusifs, si ça se trouve Madame l'a complètement arnaqué.

Il espère qu'elle va dire non. Quatre-vingt mille cryptostellars, c'est beaucoup, c'est presque la quasi-totalité de ses économies, l'argent à peine dépensé qui produit plus d'argent sur son compte tous les ans — sa banque l'aime tant, M. Alucard ils l'appellent à chaque fois qu'il vient après leurs invitations mensuelles. Pourtant, il préférerait s'être trompé, les avoir dépensé pour rien, plutôt que la fille en face de lui lui dise... “ Yeah. ” La voix de Jaz est rauque, faiblarde. Sami ne la blâme pas, il pense que plus d'une fille vendue, donnée à Madame a dû ressentir la même chose; il ne peut même pas imaginer comment elle doit se sentir. “ Sami? ” Il ne l'a pas rêvée. C'est elle. Jaz. Jaz avec ses tâches de rousseur et ses yeux verts mais surtout Jaz avec leurs rêves et leurs promesses et leurs envies et leur amour. Jaz, sa Jaz. “ Yeah, ” murmure-t-il en réponse, tout son corps toujours tendu, agité d'une tension anxieuse. “ I don’t like your world. ” Bizarrement, il soupire et la tension quitte son corps, alors qu'il renifle quelque chose qui devrait ressembler à un rire. “ Yeah me neither. ” Il lui a toujours dit, pourtant, qu'il n'y avait rien de beau à là d'où il venait. Il lui a toujours dit qu'elle s'était trompée, que ce n'était pas un bel endroit qui l'avait produit, qu'il avait de bonnes raisons de vouloir s'enfuir et ne jamais revenir. Il pense que Jaz le croyait, mais ne pouvait pas imaginer (comment aurait-elle pu, après tout, depuis sa tour d'ivoire?) la triste et terrible réalité. Sami pense à toutes les filles qui n'ont pas de sauveurs, qui n'ont pas de soulmates qui viennent les tirer de là et racheter leurs contrats et il sent quelque chose se loger dans sa poitrine, une culpabilité terrible. Il sait, pourtant, que ces filles existent, il l'a toujours su. Mais l'idée de les sauver ne l'a jamais effleuré; alors que l'idée de ne pas aller voir quelqu'un qui aurait pu, impossiblement, être Jaz ne l'a pas du tout effleuré non plus.

Ses doigts se resserrent autour du volant, les jointures de ses poings ressortant blanches sous sa peau. “ T-thank you. ” Il s'est remis à regarder le volant et il tourne brusquement la tête vers elle. C'était évident pour lui, d'aller la chercher, d'aller la sauver — I'm your carpet-maker —, malgré les difficultés et le coût. Il pense qu'elle aurait fait la même chose. “ You're alright, ” lui dit-il simplement, d'une petite voix. C'est vrai que ce n'est pas rien mais ça restait évident pour lui. Elle le regarde enfin et Sami s'adoucit un peu, essaie de lui offrir un sourire un peu rassurant, enfin il espère; ça ne fonctionne pas, parce que Jaz s'effondre en larmes. “ Oh Sami I'm so sorry. ” Les poings de Sami se serrent un peu plus, il est mauvais avec les larmes des autres, avec Jaz ça a toujours été différent, dans le monde des rêves il y a du temps pour eux et il a de la patience. Là, ils n'ont pas le temps et Sami est stretched out thin et il ne sait pas quoi dire, la regarde sans comprendre, ses yeux glissant vers le pare-brise pour observer le ciel en s'attendant à voir déferler des gouttes d'eau comme ce serait le cas dans le dreamworld. Mais non, ici le firmament n'est pas en accord avec les émotions de Jaz. Sensation étrange. “ I-Is it…is it a lot? ” Oui. Les économies d'une vie. Il a tant fait pour avoir cet argent, il voulait en avoir cent mille pour quitter la ville, c'était amplement suffisant pour changer de vie. Au début c'était cinquante mille. Puis soixante-quinze. Puis quatre-vingt. Maintenant c'est cent et il est si près du but, tellement près du but et maintenant... maintenant il n'a plus rien, il doit lui rester quelques misères, quelques centaines, et encore. “ You're fine, ” répète-t-il. Pas seulement: t'inquiète, j'ai fait ça pour toi mais surtout: you're safe and that's all that matters. “ Y-you sh-shouldn't h-hav-ve s-s-sign-ned w-w-with-o-out r-r-reading i-it. ”

Le corps de Sami se tend de nouveau, ses jointures ressortant comme des cordes sous sa peau et il détourne le visage, se force à respirer. Il déteste, déteste ça, qu'elle sache, personne ne sait. Scar s'en doute (Scar sait) mais ça c'est parce qu'ils passent littéralement la plupart des jours ensemble. Jaz... il pensait que ça aurait pu passer, il pensait que le logiciel de diction était suffisamment performant pour cacher sa faiblesse, sa stupidité. Il s'est amèrement trompé. Il a été mortellement embarrassé quand elle s'est moquée de son spelling, il a dû poser le téléphone sur la table et marcher pendant cinq minutes avant de le laisser mourir de batterie, seulement là s'est-il senti un peu mieux et encore. Cette honte le suit partout où il va, où il ne sait pas ce que valent les choses et où il peut juste deviner; heureusement est-il flanqué de Scar qui trouve toujours un moyen convenable de lui donner les informations nécessaires sans trop l'embarrasser. Sami expire profondément et détache une main du volant. Sa paume lui fait mal, elle est un peu rouge, alors qu'il tend la main vers Jaz qui pleure toujours en essayant, plutôt vainement, de ravaler ses sanglots. Il hésite mais elle ne le repousse pas quand sa main se pose sur sa nuque, son pouce s'appuyant contre sa mâchoire, l'incitant à relever le menton et tourner le visage vers lui. Sa peau est si douce sous la sienne, un frisson l'agite à cette idée, qu'ils se touchent, se touchent véritablement pour la première fois. Sami a très peur et il est très triste et anxieux et il vient de perdre l'argent qu'il économisait tant, qu'il voulait tant pour construire son (leur) futur. Mais ce simple contact le rassure. Ils sont là. Ensemble. Soulmates. Tout va bien aller. “ You're fine, ” répète-t-il avec fermeté. “ It's all that matters, okay? ” Sa main se fait plus douce, sa paume embrasse brièvement sa joue et puis il se détache. “ We need to go. ” Il n'aime pas trop s'attarder dans le coin, surtout devant l'antre de Madame.

Il se penche en avant pour tirer la ceinture de sécurité autour du corps de Jaz — ils sont si proches, il pourrait tendre le cou pour l'embrasser mais il n'ose pas et elle cache la moitié de son visage baigné de larmes de toutes façons — avant de mettre la sienne et de démarrer au quart de tour; si la voiture bondit sur la route, elle ralentit très vite, malgré l'heure matinale et les rues désertes. Il sait que Jaz a eu un accident de voiture, il sait qu'elle n'aime pas ça, alors il est prudent et s'arrête à tous les feux oranges quand bien même d'ordinaire, il n'y accorderait même pas une seconde pensée. Elle pleure toujours et il lui ouvre la boîte à gants pour lui donner un paquet de mouchoirs (posé à côté d'un revolver — il referme vite la boîte à gants) sans la regarder, ses yeux sur la route. Ses doigts effleurent sa jambe nue avant de revenir sur le volant et il rougit malgré lui, il n'a véritablement pas fait exprès. Il est restless, la voiture est trop lente, il finit par attraper son téléphone et par appeler Scar à l'aveugle, réflexe musculaire. Il décroche rapidement et Sami le met sur haut-parleur. “ Sami, where are you and what's happ-- — I got her from Madame, I'm coming home. Are you at the shop? — Yeah, I'm waiting on the steps... — The code is 708224. ” Il ne lui a jamais donné le code avant. “ Take the couch, you're exhausted. Thanks Scar. — No problem Sami but... ” Silence, auquel il ne répond pas. “ Do you know what you're doing? ” Sami jette un regard en coin à Jaz. “ Yes, ” ment-il avec fermeté avant de raccrocher.

Le trajet n'est plus très long après ça, Sami se gare dans l'allée de derrière et saute presque hors de la voiture avant de la contourner pour aider Jaz à en sortir aussi. Il la recouvre machinalement de la bâche avant de lui faire signe de le suivre (il aimerait bien lui prendre la main à la place, mais n'ose pas) et il lui ouvre la porte de derrière de la boutique, trouvant bientôt Scar assis à la table avec une tasse de café dans la main. “ You should be sleeping. ” Mais Scar ne répond pas, il regarde Jaz sans rien dire. “ Close the shop and go to bed, Scar, ” fait Sami, presque protecteur et possessif, en se dressant entre eux comme une barrière. Finalement, la main de Jaz, il l'attrape et la tire à sa suite pour monter les marches jusqu'à son petit appartement, fermant la porte derrière eux.

Et puis elle est là. Au milieu de sa chambre, si près de son lit, à mille lieux de chez elle. Il y a du sang sur sa lèvre et sur son oreille, réalise-t-il, et elle a l'air fatiguée et Sami a l'impression qu'il va se briser en deux depuis qu'il lui a lâché la main pour ouvrir la porte d'entrée. “ Sit, ” lui ordonne-t-il en lui montrant le lit du doigt. Il se débarrasse brutalement de sa veste, il a tellement chaud, t-shirt et pull lui colle à la peau. Il disparaît dans la salle de bains et récupère de la gaze propre; puis il va dans la cuisine et récupère le fond d'une bouteille de vodka. Il a très honte de sa chambre, qui est en fait la moitié de son appartement: c'est plus un studio qu'autre chose, tout en longueur, il y a juste des bibliothèques sur les murs, un canapé qui fait face au lit, des ampoules qui s'allument par intermittence et un comptoir qui sépare le tout de la petite cuisine. C'est pathétique. Jaz s'est assise, il lui donne la bouteille et prend son visage entre ses mains avec toute la douceur du monde, ses pouces venant s'appuyer sur ses pommettes où les larmes ont coulé. Il la regarde avec des yeux écarquillés puis semble se rappeler de quelque chose et s'éclaircit la gorge, lui fait tourner le visage pour regarder son oreille. Sami se sent se détendre, s'adoucir à son contact, malgré lui. “ What happened? ”

You're alright, You're fine lui répète Sami et Jaz ne comprend pas, pas vraiment parce qu'elle ne se sent ni alright ni fine en cet instant précis, surtout quand elle se met à se pleurer, perdant totalement le contrôle de son corps tremblant. Sami a confirmé qu'il était bien Sami, chose impossible et évidente tout à la fois et elle sait qu'elle est en sécurité désormais, il n'a même pas besoin de le lui dire. C'est juste l'effet de sa présence. Elle lui fait confiance, il est son tisseur de tapis de façon encore plus évidente que jamais. Il l'a littéralement arrachée à sa prison cette fois, moins tour dorée que vraie cage, mais peu importe, Jaz ne savait pas avant ce jour qu'être sauvée, aussi, ça pouvait être douloureux. Elle ne sait pas le prix qu'il a payé pour la faire sortir, pour qu'elle finisse effondrée de larmes sur le siège passager de sa voiture, elle ne sait pas ce que ça lui coûte réellement, elle ne sait pas ce qu'il a signé et elle ne sait pas pourquoi il l'a fait. Ou plutôt, elle a peur de savoir pourquoi, de savoir que c'est parce qu'il se sentait obligé, parce qu'ils sont soulmates, parce qu'elle avait déjà décrété que Sami était son sauveur. Elle relève son regard tout flou vers lui qui ne la regarde plus, elle se demande si les larmes le gênent, l'embarrassent, s'il la trouve stupide. Il ne l'a jamais trouvée stupide dans le dreamworld, du moins elle ne croit pas, et la dernière fois qu'elle y a pleuré devant lui il l'avait prise sur ses genoux, serré tout conte lui. Jaz crève de grimper sur lui de nouveau, d'être prise dans ses bras, de se perdre dans son odeur, mais elle a l'impression que c'est impossible. Surtout, elle a peur qu'il ne veuille pas. Elle baisse la tête, s'étrangle sur ses sanglots, mais essaye de les faire taire, pour Sami.

Sa main la prend par surprise, ça doit être pour ça qu'une secousse différente des autres l'agite quand sa paume entre en contact avec la peau de sa nuque. Sauf que Jaz sait que ce n'est pas ça, ce n’est pas qu'un courant électrique qui la parcourt c'est aussi cette impression que quelque chose se met en place, comme si elle venait de trouver la pièce manquante d’un puzzle. Elle sait que ça lui fait cet effet-là parce que, comme à la plage, les contacts même légers avec lui sont importants, plus intenses qu'avec n'importe qui d'autre. Son pouce appuie un peu sur sa mâchoire, l'invite à relever le menton vers lui et elle s'exécute sans même y réfléchir. Ils sont soulmates. “ You're fine, ” Elle déglutit difficilement, toujours sans comprendre pourquoi c'est sa réponse à tout. “ It's all that matters, okay? ” Elle se mordille les lèvres ; elle n'est pas d'accord. Ce n'est pas tout ce qui compte, pas si, parce qu'il a payé sa sortie, Sami ne peut plus manger pendant quelques jours, pas s'il s'est fait avoir avec son contrat, pas s'il l'a obtenue elle à un prix impossible. Elle n'est pas d'accord et en même temps quand sa main épouse brièvement sa joue, presque douce, elle sait qu'il y a quand même une part d'elle qui va bien même dans un moment pareil. Ils sont soulmates et ils sont ensemble, au même endroit, de manière tangible, enfin. Et ce n'était rien de ce que Jaz avait imaginé, la situation est horrible, mais au moins c'est vrai. Sa main retombe et avec elle une partie des assurances de Jaz. “ We need to go. ” Il n'y a rien à dire alors elle ne dit rien, le regarde avec de grands yeux toujours trop humides quand il accroche lui même sa ceinture, les doigts de Jaz s'enfoncent machinalement dans le fauteuil sous elle, quand la voiture bondit, même si elle pleure trop pour vraiment voir le paysage qui défile à une vitesse décente (mais ridicule vu le bolide).

Brusquement un paquet de mouchoirs apparaît devant ses yeux et elle l'attrape en reniflant, elle se sent honteuse, elle sent faible et pire que tout elle se sent laide. Elle peut comprendre que Sami n'ait pas voulu l'embrasser ni même la prendre dans ses bras, dans le monde des rêves elle n'est peut-être pas maquillée mais ça veut dire aussi qu'elle n'a pas de traces de mascara sous les yeux, une tâche de rouge à lèvre sur le menton, elle n'a pas de sang sur le visage, ni, généralement en tous cas, des larmes qui lui rougissent les joues et gonflent les yeux. Les doigts de Sami effleurent sa jambe nue et elle relève aussitôt le regard vers lui presque (stupidement) pleine d'espoir avant que sa main retrouve le volant, ses yeux la route, le geste apparemment non-intentionnel. Ça fait presque redoubler ses larmes d'intensité alors qu'elle se détourne, cale son front contre la vitre de la portière qui tremble un peu mais pas beaucoup, Sami est un bon conducteur et elle sait qu'il conduit lentement pour elle (personne avec une voiture pareille ne conduirait à cette vitesse dans des rues vides sans raison). Elle sursaute quand une voix inconnue envahit l'habitacle avant de réaliser que Sami passe un coup de téléphone et a simplement mis l'appel en haut parleur:  “ Sami, where are you and what's happ-- — I got her from Madame, I'm coming home. Are you at the shop? — Yeah, I'm waiting on the steps... — The code is 708224. — Take the couch, you're exhausted. Thanks Scar. ” Scar, le fameux. Apparemment il a aidé Sami à la trouver et ça la rend curieuse ça, Jaz, de savoir comment (et pourquoi) il l'a sauvée même si l'important c'est sûrement juste qu'il l'ait fait.  “ No problem Sami but... ” Il y'a un silence, uniquement interrompu par les sanglots étouffés de Jaz. “ Do you know what you're doing? ” Elle sent le regard en coin que Sami lui jette alors même qu'elle a les yeux rivés sur ses genoux. “ Yes, ” Elle a peur que ce soit un mensonge.

Elle ravale sa panique et se contente de se moucher plusieurs fois et d'écraser ses larmes chaque fois qu'elles osent rouler un peu et ça finit par se calmer, elle a les yeux qui brûlent un peu, mais elle recommence à voir normalement. Finalement la voiture s'arrête, même si Jaz n'en saute pas immédiatement comme elle le fait si souvent après un trajet difficile (ils le sont tous), elle attend comme la permission de Sami qui vient sous la forme de l'ouverture de sa portière par ses soins à lui. Elle le rejoint à l'extérieur, n'a pas le temps de jeter un œil autour d'elle que déjà l'air infâme s'infiltre dans sa gorge puis ses poumons, ruine tout sur son passage, mais cette fois-ci la quinte de toux, elle la retient. Il jette une bâche sur sa voiture et lui fait simplement signe de le suivre ce qu'elle fait sans un mot, mais avec une timidité écrite partout sur elle. Il ouvre pour elle la porte de ce qui ressemble à une boutique, un atelier pas vraiment bien rangé et au milieu, assis à une table, une tasse à la main, ce qu'elle sait être Scar. Elle l'a vu en vidéo et pourtant ça lui semble dingue qu'il soit là vraiment là, qu'il existe, que tout ça soit vrai. “ You should be sleeping. ” À la manière que Scar a de la regarder avec intensité, elle croit qu'il pense la même chose qu'elle. Paraît qu'il la suit sur Instagram, elle n'a jamais trouvé son compte dans les quelques vingt-cinq millions de followers qu'elle a. “ Close the shop and go to bed, Scar, ” Sami, est soudain entre eux, Jaz entrouvre la bouche pour saluer Scar, depuis le temps et puis, Sami attrape sa main et Jaz oublie tout. Elle le suit à l'étage sans y penser, fascinée de leurs paumes l'une contre l'autre, de sa présence réelle, leur contact physique, la chaleur qui se répand le long de son bras, remonte jusqu'à sa poitrine. Elle n'a pas le temps d'entrelacer leurs doigts pourtant que déjà il la lâche, une fois arrivé à l'étage, derrière une autre porte.

Elle retient une petite exclamation comme si leur absence de contact brusquement lui causait une douleur physique et se détourne pour ne pas qu'il le voit sur ses traits, dans ses yeux. Elle observe plutôt la petit pièce dans laquelle ils se trouvent, même pas la taille de sa chambre à New Brasilia et pourtant ça fait office de chambre et salon et petite cuisine ouverte à la fois, et pourtant c'est parfait. “ Sit, ” il lui désigne le lit du doigt et elle entend l'ordre dans sa voix, s'exécute timidement alors que lui-même sort de la pièce, et revient vers elle armé d'un tissu blanc et de ce qui ressemble à une bouteille d'alcool. Son lit est confortable, même si elle n'a qu'une fesse dessus comme si elle avait peur qu'il lui demande de se lever d'un moment à l'autre, elle se demande si elle va dormir là. S'ils vont dormir ensemble. Elle se demande comment il se fait que la réponse ne soit pas une évidence quand elle sait tout ce qu'ils se sont dit et promis l'un à l'autre dans leurs rêves. Rien n'est jamais comme on se l'imagine et elle sait ça, elle a appris à ne jamais faire de vœu, mais elle ne peut s'empêcher d'être déçue et confuse de leur interaction jusque-là. Et puis il lui met la bouteille dans les mains et attrape son visage à elle, tout en douceur cette fois-ci, prenant plus son temps, ses pouces trouvent ses pommettes humides et elle plonge son regard dans le sien. Elle a presque oublié comme il est beau son regard comme il a pu être doux et tendre pour elle. Là, ses yeux sont écarquillés, emplis de quelque chose qu'elle ne comprend pas jusqu'à ce qu'il semble soudain songer à quelque chose, et que ses mains fassent tourner un peu son visage pour lui dévoiler son oreille. Jaz a un peu mal, on a du lui arracher improprement ses bijoux. “ What happened? ” Ils se touchent. Stupide de le remarquer maintenant, mais ils se touchent et ils sont seuls et ses mains sont douces et son visage aussi, beaucoup plus qu'à l'intérieur de la maison close. “ I don’t know. ” avoue-t-elle du bout des lèvres, elle ne sait pas comment expliquer ce qu’elle-même ne comprend pas. “ I was just…on the estate outside the venue, walking and all the sudden I wasn’t in Vega Dorada anymore, I was here. ” Elle fronce les sourcils, elle se demande s’il va la croire, s’il peut la croire, elle-même a du mal à se croire. Rien de ce qui arrive quand elle le voit ne peut véritablement être expliqué. Et ça n’en est pas moins vrai. “ It's just like the girl in New Brasilia…the one that came from here and doesn't know how to come back. ” Alessandra. Enfin, pas vraiment : Valentina plutôt, dans la situation inverse à la sienne. Bloquée à Sigan. Est-ce que ça veut dire que Jaz aussi est coincée ? “ I can’t believe you’re here… ”  Il y'a enfin autre chose dans sa voix que de la peur du choc ou de l'inquiétude. Il y a de la douceur. De la tendresse, une incrédulité émerveillée. Elle pose la bouteille qu'il lui a mis dans les mains sur le sol et, toujours penchée en avant, le prend dans ses bras. Ce n'est pas comme ça qu'elle voulait le retrouver, elle ne pensait pas pleurer autant et ressembler à ce à quoi elle ressemble actuellement, mais elle ne peut nier que l'avoir dans ses bras comme ça, en vrai, sans peur de se réveiller, c'est exactement le souhait qu'elle a formulé en soufflant ses vingt bougies. Jaz est dans la même position que Valentina mais elle ne se sent pas coincée. Pas vraiment, pas avec Sami réel contre elle. Ça semblait déjà réel et tangible dans les rêves bien sûr, c'était déjà incroyable, intense quand il la touchait, enivrant quand il l'embrassait… Elle aimerait l'embrasser, voir si la réalité peut dépasser le rêve déjà parfait.

Elle a l’esquisse d’un sourire sur les lèvres, complètement incrédule quand elle se détache, lève une main pour, du bout des doigts, redessiner sa mâchoire, les poils de sa barbe piquant comme dans son souvenir, mais plus réels. Elle effleure sa joue, sa pommette, son nez. L’étudie un peu comme, comme si elle le découvrait avec douceur et une curiosité sincère. Ce qui attire le plus son regard pourtant ce sont ses yeux, ces gouffres sans fond captivants et intenses, comme toujours, encore plus que toutes les autres fois quand ils n’étaient pas vraiment là. Mieux que sur la plage à moitié masqués par la nuit noire. Elle ne pensait pas que c’était possible. “ You’re just the same. ” souffle-t-elle finalement fascinée, laissant sa main retomber sur l'épaule de Sami, toute timide. Il est exactement pareil, except really here. Il est exactement pareil et c'est normal ce n'est pas comme s'il s'était refait un visage pour son bénéfice dans le monde des rêves, elle ignore même si c'est possible. Il n'a jamais masqué les cicatrices sur son torse non plus. Les yeux de Jaz tombent sur ce dernier masqué par ses vêtements quoiqu'il ait retiré sa veste en rentrant, elle peut imaginer la chaîne en dessous, la petite croix dorée et…son anneau? “ How did you find me? ” Il a fait ça pour elle, et elle a peur de se faire des idées sur la raison, elle sait qu’elle en aurait fait autant pour lui et sans hésiter une seule seconde s’il s’était perdu sur Sigan. Mais elle a peur, sans pouvoir rationnellement l'expliquer, que quelque chose ait changé que la voir en vrai et dans cet état change quelque chose entre eux. Elle a peur tout en ayant confiance en lui. Elle a trop peur pour poser la question, peur qu'il vexe aussi si elle a en fait raison sur le fait qu'il l'a aidée parce qu'il l'aime. Alors à la place elle lui demande, comment parce que ça aussi c'est un mystère.

Ils se touchent. Sami aime bien la texture de Jaz sous ses doigts et ses paumes, il aime bien le fait qu'elle soit là, qu'ils soient là, il déteste le fait qu'elle soit là pourtant... avec lui, à Neodam, sur Néphède. Ce n'est pas un rêve, c'est bel et bien la réalité et Sami devrait être heureux, il pense, que leurs espoirs et leurs rêves et leurs promesses se réalisent enfin. Mais il ne peut pas, il ne peut pas quand Jaz saigne et a l'air si fatiguée et qu'elle est là, dans son Enfer personnel, à Neodam. Ils auraient pu se retrouver à Juno Beach, à Sigan, n'importe où sauf ici... “ I don’t know. ” Il aimerait savoir, comment elle a réussi à venir ici, peut-être qu'ils pourraient retourner ensemble à Sigan, n'importe où vraiment. Parce qu'ils ne peuvent pas rester ici. Elle ne peut pas rester ici. Elle a l'air si fragile, Jaz, et Sami sait qu'elle est si fragile. Toutes ces larmes, toute cette sensibilité, tous ces problèmes qui n'auraient pas leur place à Néphède. Sami l'aime et rien n'y changera jamais, c'est pour ça qu'il veut la protéger, qu'il aurait aimé qu'elle n'ait jamais à voir ça, la pire face de l'humanité avec laquelle il vit. “ I was just…on the estate outside the venue, walking and all the sudden I wasn’t in New Brasilia anymore, I was here. ” Sami ne comprend pas comment c'est possible parce que ça ne l'est pas. Il n'y a pas... il n'a jamais entendu de New Brasilia ou de Sigan — c'est pas peine de ne pas avoir fait des recherches, pourtant — et il pense que les gens en parleraient si il existait un autre monde à portée, sur lequel on pouvait trébucher si facilement... “ It's just like the girl in New Brasilia…the one that came from here and doesn't know how to come back. ” Jaz lui en a parlé, la fameuse Valentina. Sami a essayé de faire quelques recherches sur elle ou sa famille, dans l'espoir de l'aider, en vain. Elle est coincée. Et Jaz aussi apparemment.

Sami sent une sueur froide dévaler le long de son dos. Il a l'impression d'avoir été plongé dans son pire cauchemar. “ I can’t believe you’re here… ” Dans son meilleur rêve. Jaz est là et sa voix est si douce et Sami cligne des yeux et il se détend et il se sent sourire très légèrement, presque malgré lui, presque timide aussi. Elle se penche en avant et pose la bouteille parterre et finalement, le prend dans ses bras, le prenant un peu de court au début avant qu'il ne referme les siens autour d'elle et la serre contre son torse. Sami sent une tremor l'agiter, violente, et il renifle un peu en enfouissant son nez dans les cheveux de Jaz. Elle est là et il déteste ça. Elle est là et il est tellement heureux. C'est tellement inapproprié. Il le serre contre lui avec force, ses doigts s'enfonçant un peu dans son dos, désespéré et un peu paniqué quand elle se détache même si il la laisse faire, difficilement, il aimerait rester dans ses bras pour toujours. C'est mieux encore que dans les rêves. Elle sent si bon, il le sent malgré le fog de Neodam qui l'a déjà tintée. Elle sent si bon et sa peau est si douce et il veut juste fondre dans ses bras.

Il reste un peu penché en avant quand ils se détachent, frissonne quand la main de Jaz se lève et que ses doigts viennent effleurer sa mâchoire, se glissent un peu dans sa barbe jusqu'à sa pommette qui se plisse un peu, son nez ensuite, elle effleure aussi ses lèvres qui n'ont qu'une envie: l'embrasser, partout, comme il en a rêvé pendant des mois. “ You’re just the same. ” Il a peur qu'elle soit déçue, pourtant, il a peur qu'elle mente. Sa main retombe sur son épaule, il est content qu'elle ne brise pas ce contact qui lui semble indispensable en cet instant précis. “ How did you find me? ” Sami s'assombrit un peu. Il l'a trouvée alors qu'ils étaient sensés se retrouver, tout aurait dû être différent, parfait même... Il se détache pour sortir les deux téléphones de sa poche. “ Scar brought me this and I had him track down the line until I found you. ” Il hésite et puis finalement se penche en avant pour s'asseoir à côté d'elle sur le lit, hésitant et timide. Leurs jambes se touchent un peu, pas trop. “ You're so beautiful. ” Il a du mal à la regarder, il se sent rougir un peu. “ So much more beautiful than in dreams... ” ...they would have ripped you apart. Sami serre les dents et lève la main timidement pour prendre celle de Jaz dans la sienne, observer leurs doigts s'entrelacer naturellement, reposant sur la jambe un peu nue de Jaz. “ I'm sorry for everything that I've said in the house, I didn't mean any word of it, she can't- she can't know. ” Il fronce les sourcils et relève enfin les yeux vers elle. “ We're going to get you home, Jaz, ” murmure-t-il, la voix hésitante, comme si il n'était pas trop sûr de le vouloir. Il ne l'est pas. “ Let me take care of your ear. ”

Il relâche sa main pour lui faire tourner le visage vers lui, pour qu'il puisse bien voir son oreille qu'il désinfecte doucement, satisfait de voir que ça n'a pas l'air trop grave. Il effleure sa joue du bout des doigts quand il a fini, sa main finit par se reposer sur son cou. Il l'attire un peu à lui, quelques millimètres, mais il est trop timide pour rompre la distance entre eux (entre leurs lèvres), il a peur que tout soit différent du dreamworld maintenant qu'ils sont réunis ici plutôt qu'ailleurs. “ You should rest... you did not dream last night, ” indique-t-il d'une petite voix, ses yeux tombant rapidement sur les lèvres de Jaz avant de se plonger de nouveau dans l'émeraude de son regard. Sa main retombe mollement avant qu'il ne se détache, embarrassé, rougissant de manière visible, avant de s'agiter dans l'espace pour aller lui récupérer des vêtements un peu plus appropriés, et une serviette. “ You should clean up too, you had a rough night... I'll change the bedsheets for you, I'll just-- ” Il s'interrompt, se mordille la lèvre anxieusement, les yeux rivés au sol. “ I'm so sorry Jaz. ”

Spoiler:

Jaz n'arrive pas à cerner si Sami est content qu'elle soit-là ou pas. Normalement elle ne se poserait même pas la question : vu la situation c'est évident qu'elle dérange, intruse imprévue dans sa petite vie et son petit appartement, elle lui a coûté cher en plus, elle l'a deviné à son absence de réponse quand elle lui a demandé ce que la somme payée représentait. Ça devrait être évident qu'elle dérange et pas juste parce que Jaz a l'impression de déranger où qu'elle aille. Mais c'est Sami. C'est son soulmate, l'homme dans ses rêves, leurs promesses, et elle ne devrait même pas douter qu'il est heureux de la voir comme elle elle l'est malgré les circonstances. Il lui a rendu son étreinte, mais son visage s'assombrit quand elle parle. Elle a du mal à le lire dans la réalité Sami alors qu'il est comme un livre ouvert pour elle dans les rêves. Elle n'aime pas ça. Quand il s'éloigne elle ne sait s'empêcher de paniquer. Elle déteste ça. Elle oublie tout un court un instant toutefois quand il sort deux appareils de sa poche dont…son téléphone. “ Scar brought me this and I had him track down the line until I found you. ” Jaz ne sait pas à quoi elle s'attendait ; à ce que Sami soit prévenu mentalement de sa présence à Néphède, ait senti sa détresse au loin, à ce que le pur hasard l'ait emmené au bon endroit au bon moment, elle ne sait pas à quoi elle s'attendait exactement, mais certainement pas à trouver son téléphone dans sa main. Étrangement, ça lui semble être un coup du Destin encore plus grand que tout le reste. Ils sont faits pour être ensemble, ils doivent l'être pour que Sami l'ait retrouvée, pour que le téléphone arrive jusqu'à lui alors qu'il ne l'a pas volé lui-même (ou Scar, ou même, apparemment quiconque qui soit lié à lui). Pour Jaz c'est évident mais Sami, lui, a un air hésitant sur le visage comme s'il n'était pas sûre d'elle, d'eux. Elle est un peu rassurée quand il vient s'asseoir près d'elle sur le lit et que leurs genoux se touchent trop pour que ce soit inconscient pas assez pour qu'elle ne doute pas un peu quand même. “ You're so beautiful. ” Son cœur rate un battement et puis, comme pour le rattraper, accélère la cadence. Il le lui a déjà dit, en rêve et puis par messages. Il le lui a déjà dit mais cette fois son visage doit être immonde gluant de larmes à peine sèches, tâché de maquillage, d'un peu de sang aussi. Ses vêtements, si jolis la veille sont sales eux aussi, le tissu délicat même un peu déchiré. Il rougit, elle se demande si c'est parce qu'il ment. Il ne la regarde même pas après tout, peut-être qu'elle le dégoûte. “ So much more beautiful than in dreams... ” Cette fois, elle sait qu'il ment. Ça ne peut pas être vrai, ça ne peut pas…mais timidement la main de Sami se lève vient trouver la sienne et leurs doigts s'entrelacent, trouvent leur marque avec tout le naturel du monde. Ce n'est pas vrai, mais il essaye de lui faire plaisir, de la rassurer, il sait après tout combien son monde (combien elle) est superficiel. Ça la rend triste, mais elle ne le montre pas, regarde simplement leurs doigts liés sur la peau nue de sa jambe preuve qu'il existe un eux même dans la réalité, même si ce n'est peut-être pas exactement comme dans les rêves même si Sami aime moins la vraie Jaz, même si sa présence à Neodam est une mauvaise surprise. “ I'm sorry for everything that I've said in the house, I didn't mean any word of it, she can't- she can't know. ” Know what? a-t-elle envie de demander, mais quand il relève les yeux vers elle, sourcils froncés elle se contente de hocher lentement la tête. Elle s'en doutait bien sûr, mais ça la rassure de l'entendre. “ We're going to get you home, Jaz, ” c'est un murmure et elle entend l'hésitation dans sa voix, mais les yeux de Jaz s'agrandissent brusquement, manquent de s'humidifier de nouveau. Son hésitation, elle la prend pour vouloir dire qu'il n'est pas sûr de réussir à la ramener chez elle — normal, la tâche est compliquée, paraît presque impossible. Pas un instant elle se dit que c'est parce qu'il n'est pas sûr de vouloir la voir rentrer. Il veut qu'elle rentre. Il veut la renvoyer et il lui dit ça comme si ce but-là était une évidence, comme s'ils n'avaient pas passés des semaines à se promettre de se trouver l'un l'autre et de rester ensemble. “ Let me take care of your ear. ” Quand ses doigts la lâchent la première larme s'échappe, mais déjà il lui fait tout tourner le visage pour avoir accès à son oreille. Elle déglutit difficilement essaye de retenir les larmes suivantes, la gorge serrée, les yeux fermés pendant qu'il lui désinfecte doucement l'oreille. Ses doigts effleurant sa joue quand il a terminé mais elle s'imagine que ce n'était pas délibéré, elle s'imagine que quelque chose a changé entre eux. Elle ouvre et lève des yeux à peu près secs vers lui quand sa main glisse jusqu'à son cou, l'attire presque imperceptiblement vers lui, assez pour la troubler, mais pas trop. Leurs visages ne se touchent pas, ne se toucheront peut-être jamais, Sami ne veut pas ça il veut qu'elle reparte, qu'elle rentre. Peut-être qu'il aime rêver, sûrement même, mais peut-être qu'il n'a pas la place dans sa vie pour elle. “ You should rest... you did not dream last night, ” Jaz ne pleure miraculeusement pas mais elle a sa tristesse écrite partout sur son visage, une moue qui déforme ses lèvres, une lueur de détresse dans les yeux. Elle ne répond même pas, se mord la joue quand il ne la touche même plus pour réprimer un couinement misérable. Il s'éloigne vite, trop, Jaz tremble de nouveau, elle a froid réalise-t-elle, même à l'intérieur, elle a tellement froid, mais ce n'est pas que ça qui cause les sursauts de son corps et elle le sait. “ You should clean up too, you had a rough night... I'll change the bedsheets for you, I'll just-- ” La mention du lit, des draps qu'il va changer pour elle, plus encore que du simple fait qu'il lui rappelle qu'elle est sale (il la trouve laide, c'est tout ce qu'elle comprend) est ce qui la fait craquer.

“ I'm so sorry Jaz. ” Elle se lève brusquement et pendant un instant songe sincèrement à s'enfuir en courant. Peut-être que ça vaudrait mieux. “ We- we're not-- I mean I t-thought…. ” Elle prend une inspiration, essuie les larmes sur ses joues et cherche son regard noir, elle y cherche un peu d'espoir, un peu du courage qu'il sait si bien lui donner et qui lui manque terriblement en cet instant précis. Entre le fait d'avoir changé de monde sans prévenir, de s'être perdue, de s'être fait arracher tout ce qu'elle avait de précieux sur elle, de s'être fait kidnapper, puis vendre à un bordel, le bout de nuit passée sur le sol d'une misérable cellule, de ne pas avoir dormi, d'avoir été vendue de nouveau, traitée comme du bétail, le pire pour elle c'est encore ça : que Sami ait semble-t-il oublié tout ce qu'il s'est passé entre eux. Ou n'a jamais pensé quoi que ce soit de ce qu'il lui a dit. “ Won't we sleep together? ” Dans le lit. Il compte la faire dormir seule sinon pourquoi changer les draps. Il la traite comme une invitée par comme son âme-sœur enfin trouvée. Elle comprend qu'ils ne se soient pas tombé dans les bras en se trouvant vu qu'ils étaient chez Madame et puis devant chez Madame et puis dans la voiture et puis devant Scar mais quand même. Quand même. Il veut la renvoyer chez elle, il ne veut pas d'elle. “ I don't I don't understand ” est-ce parce qu'elle n'est pas belle ? Est-ce parce que même sans avoir encore été utilisée elle a été techniquement prostituée pendant quelques heures ? “ I thought… ” pas plus tard que la veille, dans son message d'anniversaire il lui rappelait qu'il l'aimait tellement tellement a-t-il même dicté à son téléphone. Il lui a promis de se voir dans les rêves, de l'embrasser, de la faire enjoy him too much, même. Lui en veut-il de ne pas avoir rêvé ? “ You're not happy to see me. ” Elle déglutit difficilement, tout se résume à ça. Il n'est pas content. Jaz, elle, elle n'est certainement pas ravie d'être à Neodam et d'avoir vécu ce qu'elle a vécu, mais une part d'elle est heureuse pourtant, ou l'était du moins, parce qu'elle est enfin dans la même dimension que Sami. Ils sont enfin réunis et elle pensait que c'était le début du bonheur pour elle. Une façon pour le Destin de lui offrir ce qu'elle voulait même si c'était de manière détournée, un peu douloureuse aussi ; sinon ce serait bien trop beau. Mais Sami ne pense pas la même chose Sami, ne veut pas qu'elle reste avec lui. Sami veut la renvoyer chez elle, et toute seule (elle l'a bien entendu ça, par contre : we're going to get you home). “ I'll pay you back for the money I don't know what it's worth but it seems like a lot and I'll pay you back of course. I'm sorry you had to come to get me, I'm sorry… ” You don't think I'm worth it. Ce n'est pas étonnant bien évidemment, elle sait qu'elle ne vaut rien Jaz. La veille encore elle fêtait en grande pompe les vingt ans de son abandon par sa génitrice au profit de sa jumelle. Mais ça la rend plus triste que tout, la réalisation que Sami non plus ne pense pas qu'elle en vaut la peine. Parce que Sami, lui, il lui a donné l'impression parfois ce n'était pas exactement vrai, Sami a presque su la persuader qu'elle valait quelque chose, à ses yeux au moins. “ I'm sorry I'm imposing. ” Elle renifle, essuie de nouveau ses joues, un peu plus fermement cette fois. “ I'll…I'll sleep on the couch. ” Puisqu'il ne veut pas qu'ils dorment ensemble, alors ça lui semble logique qu'elle ne le dérange pas plus et occupe le canapé. Et elle va rentrer chez elle le plus vite possible alors pour ne pas l'embêter plus, mais aussi parce qu'elle ignore comment elle pourrait supporter d'être si près de lui sans être avec lui comme elle en rêve depuis ses longtemps comme elle le planifie (elle qui n'a jamais rien planifié pour elle-même) depuis un moment aussi.

Sami n'arrive pas à supporter le regard de Jaz. Il a tellement, tellement honte de cette vie pathétique qu'il lui montre enfin. Il pensait qu'il n'aurait jamais à lui révéler l'instabilité inclinant vers la misère que représente sa vie et Neodam en général, il pensait qu'il pourrait toujours la préserver des perversions de son existence. Il ne veut même pas lui dire dans quoi versent les Sharks, ce qu'ils font avec les filles perdues qui, comme elle, se retrouvent à signer des contrats impossibles à rembourser et à travailler pour des gens ignobles afin de faire plaisir à des hommes ignobles. Jaz se lève brutalement et Sami pense qu'elle va s'enfuir, cette possibilité réveillant rapidement en lui une panique et une inquiétude suprêmes. “ We- we're not-- I mean I t-thought…. ” Les yeux de Sami se relèvent enfin, écarquillés toujours, se confrontant à l'émeraude du regard de Jaz. Il se demande si il a l'air stupide — il doit avoir l'air stupide — alors qu'il est pendu à ses lèvres. Ils sont... soulmates, nefisi gwad'enya. Il croit. Il espère. Non. Il en est persuadé. Ses doigts le chatouillent encore là où il l'a touchée. “ Won't we sleep together? ”

Comme un poisson, Sami ouvre la bouche sans rien dire, et puis la referme. Vont-ils coucher ensemble? se demande-t-il en rougissant, en se rappelant de la promesse de Jaz de le ride for a full day; et puis après un temps de retard, il comprend ce qu'elle voulait dire et il rougit encore plus. “ I don't I don't understand. I thought… ” Sami est tellement embarrassé qu'il ne dit rien. Il devrait changer les draps de toutes façons, même si ils vont dormir côte à côte, et ranger et faire la poussière et cacher les caleçons qui traînent parterre dans un coin. Il a tellement honte, il aimerait avoir un bel appartement comme Laszlo et non pas le petit studio qui appartenait à Alucard quand il était encore vivant. Tout cet argent qu'il avait, il aurait dû le dépenser à acheter quelque chose de décent... non. Cet argent a sauvé Jaz et Sami ne peut pas imaginer une meilleure manière de le dépenser. “ You're not happy to see me. ” Non, non, non, elle ne comprend véritablement pas le problème. Parce qu'il y a un problème et un gros: ce n'est pas du tout ce que Sami avait imaginé, ce qu'il avait rêvé, ce qu'ils avaient rêvé tous les deux à vrai dire. C'était tellement parfait dans le dreamworld: leur petite maison avec leur lucarne et le bureau de Jaz et son garage et leur piano et et leurs histoires et leurs étoiles. À Neodam, il n'y a pas d'étoiles.

“ I'll pay you back for the money I don't know what it's worth but it seems like a lot and I'll pay you back of course. I'm sorry you had to come to get me, I'm sorry… ” Oui c'est beaucoup d'argent. Mais c'est littéralement le dernier des soucis de Sami en cet instant précis. “ I'm sorry I'm imposing. ” Sami a l'impression d'avoir été tourné en glace, en pierre, il n'arrive pas à bouger, tout son corps est fait de marbre millénaire. “ I'll…I'll sleep on the couch. ” Il cligne des yeux, jetant un coup d'oeil au canapé sur lequel traîne un t-shirt sale et une revue de voitures et un bol de porridge délaissé depuis deux jours. D'après Scar, même le canapé de l'atelier est plus confortable. Cette pensée semble le sortir de sa transe et l'instant suivant il est devant Jaz et l'enferme dans ses bras, un peu brusquement, et leurs corps rentrent l'un dans l'autre, mais peu importe. Il la serre fort, tellement fort, comme il aurait voulu qu'elle le serre quand elle a noué ses bras autour de lui. Il enfouit son nez dans ses cheveux et il inspire profondément et il ne dit rien, la serre contre lui comme si sa vie en dépendait. “ I'm not happy you're here, ” finit-il par dire contre la peau de son cou, se détachant pour la regarder, gardant ses bras autour d'elle mais se reculant pour qu'elle voit la sincérité dans ses yeux. “ But I'm so happy to see you. ” Il prend son visage entre ses mains, ses pouces caressant doucement ses pommettes, lentement. “ You're so beautiful, ” répète-t-il. Ses yeux sont si verts et ses joues sont recouvertes de tâches de rousseur. Il sait que sa mère voulait changer la couleur de ses yeux et retirer ces petites tâches sur ses joues, mais Sami la trouve adorable comme ça. “ I love you. ”

Il s'assombrit un peu en laissant retomber ses mains, qui se posent sur sa taille pour la pousser en arrière jusqu'à ce qu'elle accepte de s'asseoir de nouveau sur le lit. Il s'assied à côté d'elle de nouveau et prend sa main, noue leurs doigts avant de se laisser tomber en arrière, l'attirant avec lui pour qu'ils soient allongés l'un contre l'autre, épaule contre épaule et mains liées. Il tourne le visage pour regarder Jaz. “ I love you, ” chuchote-t-il, “ and I wish you had never seen Neodam and my flat and my life because it's gloomy and dark and violent and I hate it and some girls never get saved and I've never saved anyone before. But you, I love you, and I'd do anything for you, so you don't have to pay me back, I'd do it over and over again if I had to, Jaz. I love you and you're my soulmate and I would never, ever give you up. ” Il tend le cou, hésitant, mais son courage le quitte avant que ses lèvres aient touché les siennes. Sa bouche finit par trouver son épaule recouverte par le manteau en fourrure qui a un jours été blanche. “ You're not imposing, azizam. This is just not going as I imagined... ” Il soupire légèrement et puis sourit, maladroit et timide. “ We'll sleep together in clean sheets, ” rajoute-t-il en rougissant jusqu'au bout des oreilles.

Jaz a l'impression que son cœur est tordu dans tous les sens dans sa poitrine alors que Sami la regarde d'un air qu'elle ne sait pas déchiffrer. Il a l'air surpris par ce qu'elle lui dit, du moins c'est ce qu'elle croit comprendre et elle se demande si ce sont ses larmes, son incompréhension ou bien sa décision de dormir sur le canapé qui le font cligner des yeux ainsi, un peu perdu. Elle a à peine jeté un coup d'œil au canapé, mais elle sait qu'il est encombré, ça va le déranger ça aussi, de faire de la place pour elle. Elle ne fait que déranger Jaz et elle ne s'en est jamais autant voulu pour ça que devant Sami. Elle aurait aimé être moins encombrante pour lui, mais elle n'est qu'un poids. Elle a baissé les yeux attendant une réponse qui ne vient pas et n'a pas le temps de les relever que les bras de Sami sont déjà autour d'elle et il la serre, fort, fort, tellement fort qu'il pourrait l'étouffer dans son étreinte, mais elle est loin de s'en plaindre. Après un instant de surprise, elle enroule ses bras autour de lui en retour et se presse contre son torse avec le peu d'énergie qui lui reste après cette journée odieusement longue. Ils restent silencieux un moment et Jaz a un peu peur de mal comprendre ce câlin, alors elle essaye de ne pas y réfléchir de n'y attribuer aucun sens qui risquerait de causer une énième déception quand il se détachera. Elle profite juste de lui, de ses bras, de son odeur, de son corps qu'elle a senti tout contre elle dans ses rêves, mais jamais comme ça, jamais vraiment là, jamais si parfait contre le sien. Dans un moment pareil, c'est presque impossible, même pour elle, de ne pas être persuadée qu'ils sont faits l'un pour l'autre et qu'il doit ressentir la même chose. “ I'm not happy you're here, ” et juste comme ça, les lèvres contre son cou, il lui brise le cœur. Elle entend l'emphase, mais n'y prête pas assez attention pour comprendre ce qu'il veut dire. Sami est quelqu'un de gentil, ça elle le sait, elle en est certaine, alors il la rejette en douceur, gentiment, après un câlin. Déjà il se détache et elle renifle bruyamment essayant désespérément de conserver des yeux à peu près secs. Ses bras sont encore autour d'elle mais, elle imagine, plus pour très longtemps. “ But I'm so happy to see you. ” Elle fronce les sourcils et ouvre grand les yeux tout à la fois, les relevant un peu vers lui pour chercher son regard noir, hésitation et confusion peintes partout sur son visage fatigué. Les mains de Sami l'encadrent doucement, les pouces caressent ses pommettes humides alors qu'elle essaye de faire sens de tout ça. Elle a toujours été si stupide, elle le sait. “ You're so beautiful, ” elle fronce le nez et le reste de son visage suit rapidement. Elle sait que ce n'est pas vrai quand bien même il a l'air sincère, elle sait… “ I love you. ” Il lui vole tout son souffle de ces trois petits mots qu'elle a crevé d'entendre en vrai et pas juste dans un rêve et pas juste à travers son portable. Elle le regarde comme s'il était la chose la plus extraordinaire au monde. Il l'aime encore. Il l'aime même en vrai. Il l'aime même dans cet état. Il l'aime même si elle dérange, même si elle n'était pas prévue, même si elle l'a (peut-être) ruiné. Il l'aime. Un sourire ébahi étire doucement ses lèvres, mais n'a pas vraiment le temps d'éclore qu'il disparaît déjà, quand le visage de Sami s'assombrit et qu'il laisse retomber ses mains. Il ne se sépare pas tout à fait d'elle toutefois, les pose sur sa taille et la pousse vers le lit jusqu'à la faire asseoir. Cette fois-ci, il ne l'abandonne pas, la rejoint vite et lui attrape la main, doigts liés en la tirant en arrière pour qu'ils se retrouvent à moitié allongés, épaule contre épaule. Elle préfèrerait être dans ses bras, nicher son visage dans son cou ou poser sa joue sur son torse et se blottir contre lui comme elle a pu le faire dans le dreamworld, mais même cette position lui agite plus la poitrine que tout ce qu'ils ont pu faire d'autre parce que cette fois c'est vrai et — contrairement à Juno Beach — cette fois elle le sait, tout comme elle sait qu'il l'aime. “ I love you, ” chuchote-t-il en tournant le visage vers elle et cette fois-ci elle n'ose pas sourire même si ses yeux pétillent de joie. “ and I wish you had never seen Neodam and my flat and my life because it's gloomy and dark and violent and I hate it and some girls never get saved and I've never saved anyone before. But you, I love you, and I'd do anything for you, so you don't have to pay me back, I'd do it over and over again if I had to, Jaz. I love you and you're my soulmate and I would never, ever give you up. ” Elle cligne des yeux toujours un peu confuse, entrouvrant déjà la bouche pour lui dire qu'il n'a pas à avoir honte de quoi que ce soit, pas avec elle, surtout pas, mais elle le voit tendre le cou et ça l'arrête complètement quand l'émeraude tombe brièvement sur les lèvres pleines et bien dessinées de Sami et qu'elle croit un instant qu'il va toucher les siennes. Mais non, il change de trajectoire — si sa bouche a jamais été son but — et vient plutôt embrasser son épaule par-dessus son manteau de fausse fourrure (pas d'animaux, pas de vraie fourrure à Sigan). Le contact n'est pas direct, mais elle frissonne quand même, rien qu'à imaginer ce que ça pourrait être de se faire embrasser sur sa peau nue par Sami, pour de vrai, d'avoir le droit de profiter, d'aimer ça, même un peu trop, même vocalement, sans crainte de se faire réveiller. D'un aventure horrible est né quelque chose de merveilleux, elle et son soulmate sont enfin réunis, même si ce n'est pas parfait, même s'il semble un peu déçu, même si, elle commence à le comprendre, il aurait préféré qu'ils se retrouvent ailleurs que dans son monde.

“ You're not imposing, azizam. This is just not going as I imagined... ” Elle aussi, bien sûr, elle n'a jamais imaginé qu'ils puissent se rejoindre comme ça, elle aurait préféré pouvoir le prévoir un peu, prévenir quelques personnes sur Sigan peut-être et puis qu'il l'attende à l'autre bout du portail. Mais à ses yeux ça importe peu au fond, l'important étant qu'ils soient ensemble, peu importe où. Ce n'est que le début, ils n'ont qu'à s'échapper de Néodam, main dans la main pour fuir le fog et les gangs et la vie que Sami déteste. Ils peuvent aller n'importe où. Ils peuvent tout faire, ils sont enfin réunis. Le sourire timide de Sami trouve lentement écho sur les lèvres de Jaz qui s'autorise à se détendre un peu, en voyant qu'il ne la déteste pas. Elle pense toujours qu'elle dérange — c'est pour elle un fait objectif — mais il ne lui en veut pas et elle croit comprendre que, ce qu'ils se sont promis, il le veut encore. “ We'll sleep together in clean sheets, ” il rougit violemment et ça fait grandir un peu le sourire de Jaz quoiqu'elle-même ait aussi les joues un peu roses. Elle approche doucement son visage du sien, tout aussi timide et hésitante que lui, cherchant le moindre doute, le moindre refus dans l'obsidienne de son regard. Finalement avant de rompre totalement la distance, elle lève sa main libre et vient de nouveau effleurer son visage forçant de deux doigts légers ses paupières à se fermer. “ This isn’t what I expected either… I could never…I mean I could never have imagined that. ” admet-elle en chuchotant elle aussi, quand bien même ils sont seuls. Quand il ne la regarde plus, elle ose enfin poser ses lèvres sur son visage en retenant un peu son souffle quand elles trouvent une paupière close puis l'autre avec une douceur infinie. “ But I’m with you and that’s what I wanted. ” Et c'est ce qui compte, grâce à lui, son calvaire n'a pas trop duré, grâce à lui, elle est seine et sauve et elle se sent surtout en sécurité à ses côtés. Il l'a sauvée pour la énième fois. “ I love you. ” murmure-t-elle tout contre sa tempe ses lèvres glissant doucement le long de sa joue profitant de chaque centimètre de peau, encore fascinée de sa présence réelle et tangible. Dans les rêves ça semblait vrai, ça semblait fou, c'était comme s'il était-là, c'était déjà mieux qu'avec les autres. C'est difficile de croire que quoi que ce soit puisse surpasser ce qu'ils ont connu, c'était difficile pour elle d'imaginer qu'il pouvait un jour être plus réel encore sous son toucher, mais c'est le cas, il est là et aussi timide et maladroite qu'elle soit, ça semble naturel de le vénérer comme elle le fait. “ And I meant and I mean everything I told you in dreams and in texts and calls. I love you so much. ” Tout. Toutes les promesses, tous les rêves partagés, tous les vœux formulés en dépit de la crainte des malédictions. Tout. Elle veut être avec lui, pour toujours et quand bien même elle a passé de loin la pire soirée de sa vie, vécu des choses qu'elle n'aurait jamais pu imaginer, elle pense que si elle avait su, dans quoi elle se jetait quand elle a fait ce pas de trop dans le parc de Little Versailles, elle l'aurait fait quand même. Juste pour pouvoir au final le retrouver lui. C'était ce qu'elle voulait ; c'est la seule chose qu'elle a jamais voulu pour elle-même. “ I’ll take a shower so I won’t dirty up your clean sheets ok? ” Ils vont dormir ensemble, l'idée toute simple lui paraît incroyable, lui arrache un autre sourire alors que ses lèvres s'arrêtent au coin des siennes. “ Thank you again Sami. You saved me, this morning but also every night for five years, you saved me. You’re my carpet-maker. ” Ce soir, c'est peut-être la première fois qu'il la sauve de manière littérale, mais elle n'avait pas besoin de ça pour penser lui devoir la vie. Ça fait cinq ans qu'il est sa bouée de sauvetage et qu'elle lui doit tous ses sourires. Son souffle tremble entre ses lèvres ouvertes en échouant contre celles de Sami elle a peur qu'il la repousse et en même temps quelque chose en elle est convaincu que c'est impossible. Elle a les yeux fermés et les sourcils un peu froncés d'intensité quand elle presse finalement un baiser sur sa bouche, tout son amour au bord des lèvres.

Jaz approche doucement son visage du sien et Sami ne bouge pas, tout son corps se tend d'un mélange d'anticipation et d'impatience. Il pense qu'elle va l'embrasse, il veut qu'elle l'embrasse, mais elle n'en fait rien; tend le cou puis s'immobilise, lève une main et vient effleurer son visage du bout des doigts, avec tellement de douceur que Sami se détend un peu, s'empêchant d'être trop déçu qu'elle ne l'embrasse pas. Ses lèvres le picotent rien qu'à cette idée. Le bout de ses doigts glissent sur ses pommettes puis sur ses yeux et Sami ferme les paupières, un léger sourire incompréhensif se hissant sur ses lèvres. “ This isn’t what I expected either… I could never…I mean I could never have imagined that. ” Une moue tord la bouche de Sami. Il aurait aimé que ce soit parfait, qu'ils se retrouvent à Juno Beach et s'enlacent à l'arrière de sa voiture et qu'il la voit dans sa veste et qu'elle voit le collier autour de son cou. Il aurait aimé que tout soit parfait et c'est tout le contraire mais au moins... au moins il l'a trouvée et il l'a sauvée et elle est en vie et elle est là, juste là, allongée dans son lit. Elle bouge un peu et Sami sent son poids sur le matelas bouger, elle se rapproche devine-t-il quand son souffle effleure sa peau et il retient sa respiration quand ses lèvres se déposent sur son corps, sur ses yeux, une paupière puis l'autre. “ But I’m with you and that’s what I wanted. ” Il se demande si c'est ce qu'elle a secrètement demandé devant son gâteau d'anniversaire, si elle a rêvé de ça comme cadeau de ses vingt ans. Il a envie de la prendre de nouveau dans ses bras, se perdre contre elle, dans son odeur et son parfum et sa chaleur et sa présence. Il a eu tellement peur et il a encore tellement peur et il sait que les bras de Jaz pourraient le débarrasser de ce sentiment.

Il sourit légèrement en sentant les lèvres de Jaz s'attarder sur son visage. Elle sent quelque chose de fort, un parfum délicat qui n'a jamais gracié son nez avant ça: peut-être celui qui a été nommé après elle, avec le jasmin et les fragrances qu'elle a elle-même choisies. “ I love you. ” Sami frissonne et ne dit rien, rouvre un oeil en sentant la bouche tendre de Jaz glisser sur sa tempe jusqu'à sa pommette jusqu'à sa joue, avant de vite le refermer pour profiter de sa présence et de sa proximité, une main timide venant se poser sur sa taille, accessible parce que leurs corps se font presque face maintenant. I love you. Il l'aime lui aussi, tellement. Il n'a jamais aimé comme ça quelqu'un avant et il se trouve bien stupide d'avoir pu penser que quiconque avant Jaz ait jamais pu être son soulmate. “ And I meant and I mean everything I told you in dreams and in texts and calls. I love you so much. ” C'était vrai, les rêves et les messages et les appels. Dire que chaque élément de communication partagé avec Jaz le rendait heureux est une véritable sous-estimation: il souriait à chaque fois, sauvegardait chaque photo et à chaque fois que leurs regards se croisaient à travers la petite caméra de leurs téléphones, il se disait... c'est ma vie et c'est ainsi que ça se passe et je suis aimé même à travers les mondes.

Sami sent son coeur exploser dans sa poitrine et il ne peut cette fois pas réprimer le grand sourire presque rêveur qui plisse désormais ses lèvres. Il a tellement chaud, mais d'une manière agréable et réconfortante. “ I’ll take a shower so I won’t dirty up your clean sheets ok? ” Ses lèvres dévalent toujours sa peau jusqu'à sa bouche et Sami retient une nouvelle fois sa respiration. Sa peau le pique partout où elle l'a embrassé. “ Thank you again Sami. You saved me, this morning but also every night for five years, you saved me. You’re my carpet-maker. ” Le souffle difficile de Jaz s'échoue sur ses lèvres et Sami entr'ouvre presque machinalement la bouche et puis enfin elle l'embrasse et lui vole son souffle et il doit rapidement se séparer d'elle pour pouvoir reprendre sa respiration. Toutefois, il ne lui laisse pas le temps de complètement se détacher, sa main se levant pour aller se poser sur son cou, son pouce sur sa gorge et son pouls pour l'empêcher de s'éloigner. “ Sorry, ” murmure-t-il difficilement, ses poumons en feu. Il rouvre les yeux pour voir que Jaz en a fait de même; il lui adresse un regard désolé. “ You literally take my breath away, ” fait-il avec une petite moue, avant de l'attirer à lui pour l'embrasser de nouveau quand il a un peu moins mal, ses lèvres cherchant les siennes avec avidité et impatience, découvrant à son grand plaisir que c'est encore mieux que dans ses rêves et dans leurs rêves aussi, que c'est intense et parfait et qu'elle lui rend toute sa passion, les doigts de Jaz s'enfonçant dans sa nuque alors que Sami lui roule à moitié dessus sans lâcher sa bouche. “ You were always my princess, ” murmure-t-il en laissant sa bouche se presser contre sa joue, sa mâchoire, son cou, son pouls qui bat si fort sous sa peau. Elle sent si bon. Elle a toujours été sa princesse, il a commencé à la surnommer comme ça pour l'agacer mas ça a fini par rester jusqu'à récemment. Il se demande si ça l'agaçait véritablement.

En lui roulant dessus, il a glissé une jambe entre les siennes et il rougit un peu en s'éloignant. Pas trop, ceci dit, juste assez pour la regarder dans les yeux, embarrassé mais heureux, un petit sourire sur les lèvres. “ I like your outfit. ” C'est très transparent et la fourrure lui donne un peu envie d'éternuer et elle est très nue et ça a l'air très onéreux même si c'est un peu endommagé. Le sourire de Sami se plisse en coin sur sa bouche, creuse une fossette sur sa joue, indicatrice qu'une blague d'un goût certain est à venir: “ but I'd like you better in your birthday suit. ” Scar lui a appris l'expression alors qu'ils étaient en train d'écrire une chanson pour leur mixtape, et Sami la trouve hilarante, surtout que Jaz porte sans aucune doute la tenue qu'elle a vraisemblablement sélectionnée pour son anniversaire. Il se penche pour l'embrasser doucement, rapidement, mais finit par s'abandonner contre ses lèvres, grognant de satisfaction quand elle répond à son baiser et le presse contre elle. C'est juste parfait et il l'aime et ils se sont trouvés et Sami pourrait passer des heures à l'embrasser, ses mains trouvant naturellement la direction de ses hanches, nues, qu'il effleure avec douceur... puis il goûte du sang sur sa langue et il s'écarte en fronçant les sourcils. “ You're still bleeding, ” fait-il, blême, en voyant que sa langue est toujours abîmée et que le pansement qu'il a mis sur son oreille en suffit pas, qu'il y a un peu de sang sur les draps gris. Il se détache à regret, prend sa main dans la sienne pour l'aider à en faire autant. “ Take a shower, there's must be some hot water left, I'm going to run down to the shop to buy some food and clothes and some actual good band-aids, ok? ” propose-t-il doucement, en l'attirant à lui, venant effleurer sa joue des lèvres. “ You won't notice I'm gone. I love you, ” rajoute-t-il avec un petit sourire à la fois ravi et timide.

Le baiser éclot à peine sur leurs lèvres que Sami se détache déjà et Jaz sent son cœur se fendre dans sa poitrine. Il ne le lui a pas rendu et il s'arrache à sa bouche, ça n'a pas de sens quand il l'a laissée lui embrasser tout son visage en souriant, ni quand il lui a dit qu'il l'aimait mais… Elle n'est sûre de rien Yasmeen, jamais. Elle a l'impression qu'elle va se briser en deux et qu'elle doit s'échapper à son regard tout de suite pour ne pas qu'il le sache, mais il l'empêche de s'éloigner d'une main dans sa nuque, pouce contre son cou et son pouls qui bat beaucoup trop vite. “ Sorry, ” elle déglutit difficilement l'observant lui et son visage ouvert mais illisible quand même, les yeux qui s'ouvrent tout juste sur elle. “ You literally take my breath away, ” elle fronce les sourcils devant sa petite moue, mais le reste de son corps se détend enfin quand elle comprend ce qu'il veut dire. Il ne s'est pas détaché parce qu'il ne veut pas l'embrasser, c'est rendu d'autant plus clair qu'il revient lui-même chercher ses lèvres avec impatience et avidité, avalant ses doutes au passage. Elle a du mal à croire qu'elle puisse véritablement lui faire tant d'effet, mais ils sont soulmates après tout et lui-même est bien en train de lui voler son âme et son cœur et tout ce qu'elle a à donner de ses lèvres entrouvertes contre les siennes. Elle se presse contre lui, enfonce sans y penser ses doigts dans sa nuque, lui rend toute sa passion et son envie, grognant doucement de plaisir quand il roule sur elle et glisse une jambe entre les siennes, leurs lèvres toujours collées. “ You were always my princess, ” elle sourit tendrement incapable de le contredire quand il vient vénérer la peau de son visage déposant des baisers sur sa joue avant de trouver le chemin de son cou. Il doit sentir, en pressant ses lèvres sur son pouls, comme son cœur bat fort et vite pour lui. Avant, au tout début, elle avait l'impression que princesse c'était dénigrant dans sa bouche, aujourd'hui c'est tout l'inverse, c'est leur conte préféré à tous les deux, c'est leur rêve, leur secret, leur inside joke. Il est son tisseur de tapis, elle est sa princesse, c'est bien la plus belle chose qu'il puisse jamais lui dire. Elle fait la moue quand il s'éloigne un peu et rougit, elle ne comprend pas pourquoi mais le laisse faire, plonge volontiers ses yeux verts dans les siens. Il a un joli sourire sur les lèvres, il a l'air heureux, elle espère qu'il l'est. “ I like your outfit. ” Quelque chose à mi-chemin entre le sourire et la moue tord les lèvres de Jaz. Elle était jolie sa tenue à la base, maintenant elle est en ruine. Et puis, même quand elle était en son meilleur état elle la mettait un peu mal à l'aise, tellement révélatrice, transparente au point qu'elle a du coller des étoiles dorées sur ses seins pour se réserver un peu de pudeur. Les photographes à la fête s'en sont régalés. Les gens dans la rue à Néphède aussi.

Elle a détesté ça. Mais Sami, elle aimerait bien lui plaire, elle aimerait bien qu'il la trouve jolie, même en vrai. Elle aimerait qu'il la trouve désirable, qu'il la désire tout simplement et elle croit avoir senti que c'était le cas quand ils se sont passionnément embrassés, serrés l'un contre l'autre. Sami une petit fossette sur le visage qui fait définitivement pencher la balance sur les lèvres de Jaz vers le sourire tant elle le trouve adorable.  “ but I'd like you better in your birthday suit. ” La blague lui fait froncer le nez mais elle rit doucement masquant difficilement son délice et sa joie à l'idée qu'effectivement il puisse être impatient de la découvrir, autant qu'elle elle l'est. Leurs rêves étaient merveilleux mais l'ont laissée frustrée pendant un mois quand ils ne pouvaient jamais se toucher sans risquer que leur désir ne finisse par les réveiller. Ils sont enfin ensemble maintenant, ça ne risque plus d'arriver. Elle espère que son corps qui a repris quelque formes depuis le nouvel an, pas beaucoup, mais un peu, elle en tous cas elle le remarque, lui plaira tel qu'il est. Elle espère qu'il l'embrassera avec la même passion, la même révérence aussi que dans les songes. Elle espère qu'il ne s'en lassera pas. Elle en tous cas ne peut pas se lasser des baisers qu'il lui offre, quand il retrouve ses lèvres avec une douceur qui ne peut pas durer, pas quand Jaz a l'impression d'avoir été affamée pendant des années et qu'on la nourrit enfin. Elle approfondit le baiser sans même y penser, s'accroche à lui presque désespérément incapable de ne serait-ce que songer à s'en défaire. De lui, de ses lèvres, de leurs langues qui jouent ensemble et de ses mains qui effleurent ses hanches nues et la font lourdement frissonner. “ You're still bleeding, ” Elle fait la moue quand il s'arrache à leur baiser, un peu plus en l'entendant. Elle s'en fiche complètement de ses blessures, pour elle c'est secondaire, tout ce qui n'est pas lui est secondaire. Il n'a pas l'air de penser la même chose toutefois, attrapant sa main de manière douce mais aussi définitive puisqu'il se détache complètement. “ Take a shower, there's must be some hot water left, I'm going to run down to the shop to buy some food and clothes and some actual good band-aids, ok? ” la moue s'approfondit, la panique s'insère dans son regard. Elle ne se détend même pas quand il lui embrasse la joue.  “ You won't notice I'm gone. I love you, ” la déclaration d'amour la rassure un peu, de même que le sourire qui semble aussi ravi que timide, comme si, comme elle, il n'en revenait pas de son propre bonheur. Mais elle a toujours les traits tirés, les yeux qui disent non. Elle ne veut pas qu'il parte et qu'il la laisse seule. C'est seulement pour acheter deux-trois bricoles et revenir et ils sont dans son appartement et elle sait bien qu'il va revenir, mais elle a peur quand même. C'est irrationnel mais elle n'y peut rien. Elle est dans un monde inconnu et qui n'a aucun sens pour elle et lui, plus que jamais, il est son ancre et sa bouée et elle ne peut pas supporter d'en être séparée, pas tout de suite. Une supplication est écrite sur son visage, mais elle n'ose pas la formuler, l'embêter plus qu'elle ne le fait déjà, ce serait idiot qu'il doive l'attendre pour aller faire les courses, mais… “ Be quick…please… ” murmure-t-elle en cédant malgré son cœur qui bat trop vite et chaque fibre de son corps qui se révulse à l'idée qu'il s'en aille. “ I love you. ” Elle déglutit difficilement, mais le laisse s'en aller en l'embrassant une dernière fois alors qu'il lui met une serviette dans les mains. “ Don't spend too much on me, please. ” prévient-elle seulement. Il en a déjà suffisamment fait.

L'eau est à peine chaude en réalité, mais elle ne s'en plaint pas, le savon est plus dur que ce à quoi elle est habituée et il sent moins bon mais elle s'en moque, tout ce à quoi elle pense c'est Sami, l'oreille tendue pour l'entendre revenir, comptant les secondes passées sous l'eau et loin de lui. Il va revenir bien sûr c'est stupide d'avoir peur ou de se sentir seule : elle a toujours été seule. Elle tousse un peu et ça lui fait mal à la poitrine, mais elle n'en fait pas grand cas non plus, seulement contente que Sami ne soit pas là pour l'entendre. Quand l'eau à ses pieds est enfin à peu près propre et que celle qui lui coule dessus devient trop froide pour elle, elle s'extirpe de la douche et attrape la serviette sur la porte, s'y enroule, n'osant poser le regard sur le miroir et s'observer qu'une fois qu'elle est complètement couverte. Même alors, elle n'étudie que son visage, essuyant le mascara qui n'est pas totalement parti sur ses joues, écartant ses cheveux pour avoir accès à ses oreilles qui ne saignent plus vraiment. Elles ne sont pas trop amochées, et encore en un morceau mais elle sait que sa mère verra la différence, détestera ça. Elle se demande ce à quoi pense sa mère en cet instant précis, si elle s'imagine qu'elle a quitté la réception exprès, si elle la cherche. Si elle a peur. Et si oui, pour elle ou pour son compte en banque ? Jaz retourne dans la pièce principale, Sami n'est pas encore revenu et elle se sent un peu comme une intruse ici, elle a encore tellement peur de déranger même s'il l'a assurée du contraire. Sur le lit elle récupère le téléphone qu'il a laissé derrière lui, le sien, et appuie sur le bouton de déverrouillage par curiosité. Elle doit bien avoir reçu quelques messages. Sauf qu'au lieu de lui demander de presser son pouce et son empreinte digitale sur l'écran, l'appareil ne réagit pas du tout. Dead. Évidemment, elle n'a pas son chargeur. Elle soupire et le jette un peu plus loin sur les oreillers en se relevant pour explorer l'appartement. Sami aura peut-être un chargeur à lui prêter pour qu'elle puisse contacter sa famille, leur dire…elle ne sait pas vraiment quoi. Elle pense qu'on ne la croirait pas si elle leur expliquait où elle est. Elle y pensera quand son téléphone se sera rallumé, en attendant elle s'émerveille plutôt de la quantité de livres qui prend un peu la poussière partout dans la pièce alors qu'elle sait pourtant que Sami ne sait pas lire. Peut-être que c'est simplement l'anglais qu'il ne peut pas déchiffrer, elle a vu sur internet que l'amharique utilisait un autre type d'alphabet que la langue universelle, comme le farsi, mais en étudiant la reliure de quelques volumes elle voit bien qu'ils sont en anglais. Elle ne touche pas à grand chose d'autre, explore en gardant ses doigts pour elle pour ne rien abîmer ne rien déranger. C'est un peu en bazar mais sûrement est-ce un mess organisé contrairement à celui qui règne le plus souvent dans sa chambre à elle, à Sigan. Elle se demande si un jour elle verra cette chambre-ci comme la sienne, comme la leur. Elle se permet quand même de lui piquer un pull quand elle frissonne de froid et puis un pantalon de jogging qu'elle retient littéralement de ses doigts pour ne pas qu'il lui glisse jusqu'aux chevilles. Elle est tellement fatiguée, mais elle a l'impression de savoir d'avance que même en s'allongeant elle ne trouvera pas le sommeil, pas avant que son âme-sœur soit de nouveau avec elle. Elle n'a pas le temps de se rassoir sur le lit de toute façon que Sami est déjà rentré et elle lui saute pratiquement dans les bras sans égard pour les sacs qu'il tient, incapable de se retenir, mais lui offrant une moue à la fois désolée et embarrassée quand elle se détache tout aussi rapidement. “ I love you. ” répète-t-elle en rougissant un peu plus ; elle est tellement needy. “ I uh…I stole some clothes I was a little cold. ” fait-elle sa moue désolée s'approfondissant un peu.