dark hood (nikita)

“Mes parents sont riches. Très riches. Je suis fils unique, et j’ai toujours été leur fils prodige. Bon en tout ce que j’entreprenais de faire, d’essayer. Fils prodige, pas vraiment fils aimé. Ou probablement que si. Mais les preuves d’amour, ça a jamais été leur truc. Être un héritier parfait, c’est ce qu’ils attendaient de moi. C’est avec cette idée qu’ils m’ont élevé.” Une pause. Un regard sur le côté, il l’a rejoint, il s’est allongé aussi, le terrien. Et il le regarde, l’air intéressé. “Je suis devenu un enfant gâté. Le genre d’enfant insupportable qui demandait tout et à qui on donnait tout. J’étais intenable. Et je voulais rien de tout ça moi. Je voulais voir s’ils pouvaient vraiment tout me donner, s’ils iraient jusqu’à là pour me garder sous leur joug. Alors j’ai abusé, j’ai insisté. Je me suis retrouvé avec une quantité de choses inutiles incroyable. Et ils semblaient heureux de voir que leur enfant était une sangsue, que leur enfant voulait toujours plus. Alors que je voulais juste qu’ils se rendent compte que c’était n’importe quoi, tout ça.” Pause bien méritée. Il reprend une respiration, petit con. “Moi, j’me sentais comme un oiseau enfermé dans une cage dorée. Une cage magnifique. Beaucoup de personnes se seraient probablement contentés de rester dans la cage, de profiter du bonheur matériel. Pas moi. J’avais besoin d’air, de liberté. Ils ont toujours refusé de me la donner, ma liberté. Alors un jour, j’me suis cassé. Et je suis revenu que deux mois plus tard. Après ça, ils ont commencé à m’emmener dans les fêtes, les galas. J’avais 10 ans.”

“Alors pendant un gala, trois ans plus tard, je suis sorti, tout seul, du bâtiment. J’avais réussi à semer le garde du corps que mes parents m’avaient attribué. Et j’ai bousculé un gamin, de huit ans. Un tout petit garçon. Je sais pas trop ce qu’il faisait là, je suppose que j’ai jamais su, jamais voulu savoir non plus. Mais il était dans le même rang social que moi, il était trop bien habillé pour être juste une personne pauvre. Ou même normale, en fait.” Il sourit au souvenir. Aquila. “Aquila, il s’appelait. Et alors que j’étais censé être protégé, selon mes parents, je me suis mis à le protéger, moi. Esprit de contradiction avec eux, peut-être.” Ou juste l’envie d’un petit frère, oui. Sûrement. “On a continué à se fréquenter après ce soir là. On est resté ensemble… J’ai pas vraiment de souvenirs, depuis mes 13 ans, dans lesquels Aquila n’apparaisse pas, à un moment ou à un autre. Et moi qu’avait envie d’un frère, j’en ai trouvé un. Plus on grandissait, plus on faisait des conneries. Et toujours ensemble. Des trucs débiles, vraiment, jusqu’à des trucs plutot dangereux, souvent mon idée. Il était trop intelligent pour proposer des trucs comme ça. C’est un génie, ce gars. Et je voulais devenir comme lui, à une époque.” Une pause, une réflexion. Un léger rire. “C’est vite passé.”

“Je devais avoir, quoi, dix-sept ans ? Aquila m’a parlé de lui, de sa naissance. J’vais pas tout déballer, mais pour faire simple, il vit avec son père, a jamais connu sa mère. Et a été conçu à une intersection entre deux mondes. Au début, quand il m’a raconté ça. Enfin j’ai pensé que mon ami, mon fréro, le p’tit génie était dingue. Et puis, j’me suis renseigné. Et j’ai cherché, cherché, cherché. Et j’ai trouvé une intersection. Puis une autre, et une autre. J’ai littéralement parcouru mon monde de bout à bout. J’ai prétendu à mes parents que je voulais connaître le monde avant de devenir un vieux con bloqué derrière un bureau d’la taille d’un salon normal.” Il ramène ses jambes vers lui, se lève, fait les cent pas. “C’est grâce à lui que j’suis là aujourd’hui, que j’en sais autant sur les autres mondes, les intersections. C’est dingue cette histoire. C’est genre, c’est un hybride d’entre-monde, c’est pas complètement ouf ?” Il s’arrête pas de marcher, fait des tours, des petits cercles répétés. “C’est fascinant. Et ça m’a fasciné tout d’suite. C’est arrivé dans ma vie, et ça a tout mis d’côté. J’me suis concentré là dessus pendant plusieurs années. Sérieusement, j’me concentre encore dessus. J’fais toujours des découvertes au jour d’aujourd’hui. Et j’adore ça. J’adore ce sentiment. Et Aquila, c’est grâce à lui, tout ça.” Sourire doux sur le visage, il se rassoit. Aquila. Frèro. T’es où ? “Un jour, je saurais tout. Des intersections. Si c’est possible, de tout savoir, alors je serais celui qui connaitra tout. Et je pourrais retrouver sa mère. Je pense. Ouais. Ce serait bien. Y’a. Tellement, tellement, de possibilités.”

“J’ai rencontré une fille grâce à lui. Beaucoup plus jeune que moi, presque 20 ans. Et je l’ai prise sous mon aile. Pour des trucs, pas très clean, que j’faisais. Que j’fais. C’est à ça que se résume ma vie.” Le sourcil levé du correspondant, le sourire joueur de Nikita. “Je t’en parlerais, juste. Plus tard. J’termine avec ça. Donc ouais, cette fille. Et genre, en fait, Aquila, il se la jouait papa poule avec elle. Et c’était mignon, mais ça donnait envie de gerber parfois. Mais je me suis retrouvé en elle. Ses ambitions étaient plus nobles que les miennes. Je voulais juste m’amuser, elle voulait une vie bonne pour tous. Bref. Elle a disparu, y’a cinq ans. Et Aquila, qui kiffait pas trop que je l’amène aux endroits dangereux de Sigan. Il m’a tout mis sur l’dos, il a tout d’suite pensé que j’étais responsable.” Il s’arrête quelques secondes. Connard. Lâcheur. Traitre. Tss. “Évidemment, j’y étais pour rien. Elle a juste, disparu. J’pense qu’elle est dans un autre monde. J’suis sûr que c’est possible ce genre de trucs.” Il rigole, désabusé. “J’veux dire, évidemment que c’est possible. J’te parle, là, maintenant. Dans une intersections entre nos deux mondes, j’peux te toucher et tout. Évidemment que c’est possible. Quel monde par contre. Bref. Notre amitié, elle s’est terminée à ce moment là.”

“Y’a cinq mois, Aquila a disparu à son tour.” Il rigole plus du tout, Nikita. Visage fermé, il exprime aucune émotion reconnaissable. “Un jour il était là, on s’envoyait des joutes verbales par texto. Et le lendemain plus rien, plus d’nouvelles. J’ai été voir son père, sa sœur. J’me disais, peut-être, il était juste parti en vacance, et avait oublié son portable. Ou peut-être qu’il voulait juste définitivement couper les ponts.” Perdu dans ses pensées, il balance ses jambes dans l’vide, les fait cogner contre le métal du wagon. “Quand j’suis arrivé chez elle, j’me suis retrouvé avec une Sibel en larmes dans les bras et un père complètement déprimé. Et j’ai compris qu’il était pas, pas en vacance. Ni juste en train d’faire la gueule comme un gamin.” “Comment tu sais qu’il est pas mort ?” Il tourne la tête vers le lobsterrien. Tact : approximativement 0. “J’le sais. C’est tout. Il lui est arrivé la même chose qu’à la gosse, y’a cinq ans. On a passé vingt ans, quasi sept jours sur sept, vingt-quatre heures sur vingt-quatre ensemble. Je le sentirais, s’il était plus de ce mon... mort. Évidemment, il est plus d’ce monde. Juste dans un autre. J’le sais, j’le sens. Sa sœur m’en a parlé aussi. Elle est comme moi, elle continue de lui envoyer des messages. Et moi j’y crois. Un jour, il reviendra. J’lui pardonnerais pas hein. Mais avec un peu de chance, il aura retrouvé sa chouchou dans le monde où il est. Et il viendra me demander pardon.” Il rigole. Ouais. Ce serait bien. Une belle fin. Une jolie résolution. P'tit con.

“Cette gosse, elle voulait la justice pour tous. Elle voulait que tous puissent vivre aussi longtemps les uns que les autres. Et moi. Moi je voulais m’amuser, ressentir l’impression de toujours pouvoir mourir, à tout moment à cause d’un facteur pas pris en compte, un accident. Dans ma prison dorée, c’est pas possible. Alors j’ai commencé le wristle.” Il s’arrête. Laisse le mot faire son chemin jusqu’à l’esprit de l’autre. “C’est un jeu de rue. Un genre de bras de fer dont la mise est ta vie. Tu poses ta main sur l’avant bras de la personne, face à toi.” Il lui prend le bras, laisse celui avec l’horloge pour qu’il le voit. Lui montre, comment on fait. Laisse son bras, au lobsterrien, au dessus du sien. “Et l’autre, pareil. Et t’aggripes. Celui qu’a le bras du dessus prend le temps de celui qu’a le bras du dessous. Le but, c’est de voler. Le temps des autres.” Jeu cruel. Sourire cruel sur le visage amical d’un Nikita addict. “Je gagne. Tout le temps. J’ai des règles. Savoir perdre, ne pas tricher, être prêt à mourir. Laisser une minute, pour un dernier verre.” Il a son bras au dessus, finalement. Sourit. “T’es mort.” Il lâche le bras de son nouvel ami et expire. C’est pas vrai, pas assez réel. Il a besoin de réel, de vrai. De risquer quelque chose. “C’est qui qu’a inventé cette folie ?” Il hausse les épaules, Nikita. “Personne sait. Personne a jamais su. C’est un jeu de rue. Mais au fil du temps, y’a certaines personnes qui sont devenus particulièrement connues dans l'domaine. Des défis à relever. J’en fais parti. Ma règle, de la minute, les gens l’ont intégré pour les défi officiels. Parce qu'après tout...”  Il se retourne, regarde l’horizon, frappe fort sur le métal. “On est pas des monstres, non plus.” Rire. L’autre, il le regarde, les yeux inquiets. Il a peur, le lobsterrien.

“Je l’ai redonné. A des gens. Dans les quartiers pauvres. Tu sais… Les gens, que je vaincs, au wristle. Y’a deux catégories. Ceux qui sont juste là pour la même raison que moi, qu’ont rien fait, qui sont d’honnêtes citoyens avec l’envie de plus. Eux, je leur laisse pas une minute. Je leur rend leur temps. Mais y’a les autres. Les riches, très riches, trop riches. Ceux qui ont rien à faire sur Sigan, ceux qui ont fait des trucs… Des trucs franchement pas cools. Et souvent, les victimes, c’est ceux des bas quartiers. Alors eux, je leur laisse une minutes. Moins si c’est vraiment des connards. Et leur temps, j’le donne en bas, à ceux qu’ils ont blessés de base. C’est pas de la méchanceté, t’sais. C’est de la justice.” Biaisé. Le lobsterrien, il a les yeux triste. Pauvre gosse de trente-huit ans, resté dans sa rébellion d’adolescent. “J’ai rencontré mon ex-femme là bas. Dans les quartiers pauvres. Je lui ai donné cent ans pour la courtiser. Et un an plus tard, on a eu notre garçon. Je sais ce que tu penses, j’le vois. Mais. Mais c’est comme ça que je vis. C’est la seule façon pour moi, d’me sentir juste avec moi-même. Personne semble l’être, juste, quand ça concerne le temps. J’ai le loisir de l’être, j’ai du temps illimité avec les parents que j’ai, j’suis un héritier putain. C’est un devoir, de punir les ordures, de sauver les victimes.” Le lobsterrien, il a les yeux triste. Pauvre gosse.

“Mon père sera mort d’ici là. Et mon fils sera ce qu’il veut. J’essaye de les préparer au futur. Surtout mon fils. Je veux qu’il ait une belle vie. Je veux qu’il puisse faire ce qu’il veut, sans avoir l’impression d’avoir à rendre des comptes. Je veux savoir où il va, quand et s’il va rentrer, mais. Mais pas au point de le fliquer, pas mon fils. Mon fils, il est indépendant. Il sait se gérer tout seul. Il m’a presque battu un jour. Il sera bon. Il saura faire sa vie lui-même.” Lâche une expiration, sourit. Il est fier de son fils. “Je suis beaucoup plus protecteur avec ma fille, beaucoup plus. Trop probablement. C’est différent. Elle est plus jeune, plus douce, plus fragile.” Le lobsterrien s’allonge à côté. “Et ?” “Et elle commence à avoir des garçons, qui lui tournent autour. A sortir le soir, pas prévenir quand elle revient pas. Sa mère lui manque je crois, enfin j’en sais rien, j’suis pas dans sa tête. C’est débile en plus, j’crois qu’elle l’aime pas, sa mère. Je sais pas ce que c’est. J’arrive pas à faire confiance aux gens qui l’entourent. J’ai tendance à leur faire passer plein tests. Je veux. J’ai besoin de savoir qu’ils sont assez biens pour elle.” S’assoit de nouveau. “Ma fille, c’est une princesse. Et personne que je n'estime pas digne d’être un prince n’a le droit de s’approcher d’elle.” Pendant un instant, le lobsterrien se demande, si son ami est sérieux. Mais ce qu’il voit dans ce regard lui annonce qu’il l’est. Pauvres gosses.

“J’suis tombé amoureux. Le truc. Enfin j’avais jamais ressenti ça. Ma femme, je l’aimais, je pensais l’aimer, je ressentais quelque chose pour elle, de bien réel. Quand je l’ai rencontré, j’ai eu l’impression que tout c’que j’avais vécu avant était un mensonge. J’ai eu l’impression, et putain c’est cliché, de ressentir l’amour pour la première fois, vraiment.” Et d’y penser, ça l’prend au tripes. Il a besoin de l’voir. Maintenant. “Au début, c’était juste des regards. Ça aurait jamais du aller plus loin que ça. Jamais, ça. Jamais. C’était des regards, des regards qu’étaient censés rester juste entre moi et mon corps désireux. Mais, bien sûr, ça a pas été l’cas.” Il a fait l'con. “Ma femme m’a jeté dans ses bras, presque. Elle m’a vu, l’a vu. Elle m’a dit qu’elle m’avait jamais vu regarder quelqu’un comme ça, que c’était évident. Que c’était réciproque. Que je devais y aller. Que j’allais finir bouffer de l’intérieur si j’le faisais pas.” Il regarde ses mains, joue avec. Comme un gosse chopé en train de faire une bêtise. “Bah elle est cool votre ex-femme.” Ils rigolent. Oui. Elle est cool. “T’as l’air d’en parler comme si c’était une catastrophe, si t’avais l’aval de ta femme, j’veux dire, il était où l’problème ?” Et il ricane, Nikita, fort. C’est amer. Putain, qu’est-ce qu’il peut être con quand il veut, Nikita. “C’était un garçon. Avant que tu réagisses, que tu dises quoique ce soit, garçon. Pas homme. Il avait, quoi, dix-sept ans ? J’en avais trente-trois. Il était ami avec mon fils. Et c’est comme ça que je l’ai rencontré. Ma fille était complètement sous son charme, c’était ridicule. Ils me parlaient tellement de lui. Machin ci, Machin ça, Machin a fait ça, t’aurais du l’voir, Machin a fait ce truc de dingue, et ohlala papa si tu pouvais le voir… Je me suis mis à le détester, avant même de l’apercevoir. Et un jour, je l'ai aperçu, je l'ai vu. Et c’était fini. Tout. Ma femme, ma famille, ma sanité d’esprit, qu’était, avouons-le, déjà pas franchement présente.” Il rigole, Nikita. Jamais, jamais il entendra ça, jamais il lui avouera ça. Il peut aller s’frotter. “Et puis. J'avais pas l'droit d'leur faire ça, ni à elle, ni à eux.”

“Et moi qui croyait que mon histoire, j’allais la terminer là.” Il ouvre sa chemise et se tourne vers le lobsterrien, lui montre la rose. “Soulmark. Ma soulmate est une chanteuse, dans mon monde, une meuf connue depuis un peu plus d’un an. Ma fille voulait aller la voir en concert. Les voir. Et, je l’ai accompagné, parce que vu la tête des filles, je faisais confiance à personne pour prendre soin de ma fille à ma place. Et au moment où elle est entrée sur scène, j’ai. Je me suis jamais senti aussi mal de toute ma vie. J’avais envie de vomir, de m’évanouir, de me frapper la tête sur un mur. Et de gratter, gratter, gratter, la marque.” Un rire désabusé. Un regard inquiet d’un ami. “Et je ressens ce besoin, d’la protéger. J’ai beau dire le contraire, me dire que c’est elle, qu’est pas douée, qu’elle nous fait mal à tous les deux sans l’faire exprès. Y’a un truc, tu sais, qui click pas. Comme si c’était pas ça. Et puis, elle doit avoir autant mal que moi, si ce n’est plus. Elle aurait du apprendre à faire gaffe depuis le temps. Y’a un truc qui cloche, je sais pas quoi, mais. Mais je dois l’découvrir, et tout faire pour ça s’arrange. Tant qu’elle ira pas bien, j’irais pas bien.” Il referme sa chemise, caresse une dernière sa marque, comme si ça allait soulager quoique ce soit. Qui que ce soit. “T’sais, j’suis paumé. J’suis complètement, complètement, paumé.”