cons list (evan)

Les personnes d’Altéa la fascinent toujours autant, Parker. Ils sont pas si différents de Sigan, et pourtant, tant. Pas d’androïdes ici, mais beaucoup, vraiment beaucoup, de plantes. Et penser à Sigan, ça lui met une pointe dans l’coeur. Elle a tellement envie de rentrer. De retrouver ses parents, et ses amis. De retrouver sa maison, et les androïdes a qui elle souriait dans la rue, alors que les autres semblaient les ignorer. Elle a envie de retrouver ce rythme auquel elle est tant habituée et qu’elle a du mal à oublier. Elle a envie de trouver une de ses failles, par lesquelles elle est arrivée, et rentrer chez elle. A la maison.
Et d’un autre côté…
D’un autre côté, y’a les Boyle ici. Y’a les Boyle et cet homme mystère. Même si, en y réfléchissant bien, peut-être qu’il devrait faire partie des “pour le retour à la maison” plutôt que pour les “contre”. Mais les Boyle, rien qu’eux. Et Yohan, et tous les amis qu’elle s’est faite pendant les années passées ici. Elle a passé les années les plus importantes de sa vie sociale à Altéa, pas à Sigan. Et les Boyle. Les Boyle. Elle a beau réfléchir à ce jour, où elle pourra repartir chez elle. Elle a beau retrouver le sourire en imaginant les visages heureux et soulagés de ses parents. Rire en imaginant les réactions de ses amis en leur racontant son étrange aventure. Elle peut pas empêcher la tristesse de s’emparer de tous les traits de son visage quand elle pense à la boule au ventre qu’elle aura en devant quittant Jamie, les oncles, tantes. Et Jo. Elle s’imagine pas, quitter Jo. C’est inconcevable. Elle, Parker, qu’a jamais eu de soeur, de sa vie, elle peut pas imaginer quitter la seule qu’elle ait jamais eu.
Alors oui, rentrer à Sigan est une priorité. Bien entendu. Mais Parker se dit finalement, que c’est une priorité qu’elle retarde. Le plus possible. Quitte à ce que certaines autres lui passent devant. Elle se rend à l’évidence. Elle veut partir. Mais pas tout d’suite. Elle veut encore donner du temps, aux gens d’Altéa, pour qu’ils prennent sa décision à sa place. Pour qu’ils la convainquent de rester. Et elle sait, elle sait, Parker, qu’une des personnes sur la liste des contres, c’est Evan. C’est ce mec, le premier. La première personne qu’elle a croisé en débarquant ici, y’a cinq ans. Et elle aurait pu difficilement pu trouver mieux pour une bonne première impression. Il l’a aidé, ces jours là. Elle se souvient d’ce malentendu qui la fait rire aujourd’hui, qui l’avait fait prendre ses jambes à son cou à l’époque. Et elle se souvient de cette nourriture Altéenne, qu’il lui avait apporté. Qu’il avait été le premier à lui procurer.
Et de leur discussions, rapides, quand il venait la voir, elle, la fille paumée qui venait pas du même monde que lui. Celle qui s’était perdue et qui savait pas quel chemin prendre. Celle qui lui faisait peut-être un peu pitié, qui sait.
Et puis, elle a rencontré les Boyle. Et les échanges ont diminués. Mais jamais assez pour qu’ils deviennent inexistants. Jamais assez pour qu’ils se voient pas au moins une fois par semaine.
Elle regarde les étoiles du planétarium, les yeux émerveillés. C’est pas à Sigan qu’elle verrait ça. Rapidement, elle note “étoiles” dans la rangée des contre. Et elle relève la tête quand elle entend du bruit. Evan est changeant en ce moment. Et elle a eu cinq ans pour le voir, changer. Ca la dérange pas, elle aime bien Evan, même changeant. Ca l’inquiète. Parce qu’être changeant, c’est entrainé par quelque chose. Et il se passera quoi si ce quelque chose le blesse, l’embête ? Le dérange ?
Elle lui en a pas parlé, et elle lui en parlera pas. Elle en parle jamais, des problèmes des autres. Elle attend qu’ils en parlent, et là, elle en fait une affaire personnelle. Salut Evan. Elles sont belles, les étoiles. Est-ce qu’elles ont toutes un nom ?
Parker relève les yeux vers le plafond étoilé et laisse échapper un souffle mélancolique. Peut-être que si l’homme mystère était pas marié, elle lui aurait demandé d’aller regarder les étoiles avec elle. Et de toutes les nommer. Pour qu’ils partagent ça, au moins, le nom des étoiles.

Petit, tu es venu souvent au planétarium. C’est sans doute ce qui a mis en toi l’envie de briller, de devenir comme ces étoiles que tes parents t’ont montré. Tu as toujours voulu laisser ta trace comme elles le font dans le ciel. C’est sans doute idiot, ça te fait plus de mal qu’autre chose, mais c’est aussi ton rêve ou le déclencher de celui-ci. Tu veux donc partager cette beauté avec quelqu’un. Pas n’importe qui même, Jesse. Elle est un peu spéciale cette fille. Différente des autres - c’est une évidence - mais surtout, spéciale à tes yeux. Ça n’a pas si bien commencé entre vous, elle a du te trouver bizarre à lui proposer ton lit - sans même que ce soit une proposition lubrique. Mais les choses ont changé, rapidement même. Des discussions, des visites s’espaçant de plus en plus, mais jamais trop loin l’une de l’autre. Bref, c’est le hasard qui a forcé votre rencontre, mais la suite est venue de vous.
Aujourd’hui elle t’est chère. C’est pour ça que t’es là avec elle. Tu veux lui changer les idées. Parce que malgré ton absence d’esprit des derniers temps - ou des dernières années soyons franc - t’as remarqué que quelque chose la dérangeait ou plutôt l’inquiétait. T’es pas le plus doué pour comprendre les autres ou voir ce qu’ils ressentent, mais tu restes plutôt un bon ami. Divertir une amie pour qu’elle en oublie ses tracas c’est la moindre des choses. Puis, ça te permet aussi d’écarter les tiens. Ils sont tout de suite moins importants quand tu peux te concentrer sur quelqu’un d’autre.

Mais là, ce n’est même pas tant sur Jesse que ton attention se porte. C’est plutôt la brillance des étoiles qui attire ton regard. T’y peux rien au fond. Tu en oublies même de regarder devant toi et tu trébuches. Tu ne sais pas sur quoi, mais alors que tu te sens tomber tu ne peux t’empêcher de t’exclamer : « Je suis trop jeune pour mourir ! » T’es qu’un idiot en fait. Parce que tu ne meurs pas de cette terrible chute de quelques centimètres, non, tu te rattrapes assez rapidement sur le mur le plus proche. Tu soupires de soulagement. Tu sens que ton coeur n’est plus ce qu’il était. Trop tendu pour subir la moindre petite anxiété. Tu essaies d’ignorer les violents battements qui peinent à se calmer.

La voix de Jesse aide. Tu relèves la tête avec un sourire. « Hey. » Et tu laisses ton regard remonter aux étoiles. C’est vrai qu’elles sont belles. En revanche, tu ne pourrais pas vraiment lui dire les noms qu’on leur a affublé. Tu sais qu’elles en ont, surtout les plus brillantes, mais tu ne t’es jamais soucié de les apprendre au fond. Ça ne t’aurait pas beaucoup aidé pour ce que tu voulais faire. Bref, ça n’a pas d’importance, ça ne t’empêchera pas de lui répondre. « J’imagine ouais. » Il ne faut pas croire que tu répondrais forcément de manière intelligente. Tu poursuis sans attendre : « Mais ça se renomme, attends… » Ton regard passe à nouveau de la rousse au ciel étoilé. Tu cherches la plus brillante des étoiles que tu pointes : « Celle là ce sera toi. » On pourrait presque te trouver mignon, c’est une belle intention après tout. Après, il est certain que tu ne peux pas vraiment changer le nom d’une étoile sur les cartes du ciel. Peut-être quand les Misfits trôneront au sommet de la ligue. Si seulement tu fais encore partie de l’équipe rendu là. Cette pensée manque de te faire perdre ton sourire, mais tu te reprends, juste à temps. Tes yeux parlent surement pour toi, trahissent le malaise qui te prend, mais tu fais comme si de rien n’était. Tu te permets une plaisanterie : « Remarque ça devrait peut-être être moi. » Oui toi, l’étoile, ce rêve que tu caresses depuis toujours mais qui se trouve encore plus loin maintenant. Oups, tu retournes dans le négatif. Autant faire un effort. « Ou pas, ça te va mieux en fait. » Le tout dit avec un sourire amusé. Tu fais de ton mieux pour te concentrer sur elle, pour chasser les nuages qui ternissent sa vie. Même si au fond, tu n’as aucune idée de ce qui peut la déranger au fond.

Elle attend  Evan. Elle l’attend et regarde le ciel artificiel. Tout artificiel qu’il soit, Parker aime s’imaginer qu’il est réel. Que les étoiles ressemblent vraiment à ça, et qu’un jour, en vrai, elle pourra les voir. Même si elle sait, que maintenant, elle pourra fermer les yeux, allongée sur l’herbe, dehors, et imaginer. Juste imaginer l’image qu’elle a enregistré en étant ici. Et que sur ses paupières fermées se dessineront tous les moindres détails qu’elle aura pu retenir. Et qu’avec l’imagination qu’elle a, elle pourra penser que c’est vrai. Que c’est ce qu’elle voit. C’est toujours bien, d’imaginer des choses. Surtout celles qui sont iréelles, celles qui sont inatteignables. C’est toujours bien, de garder espoir, au moins dans l’esprit, que les choses peuvent se passer comme on veut qu’elles se passent, et pas comme elles se passent vraiment. Certains diront, les pessimistes, que c’est se bander les yeux, refuser de voir le monde comme il est. Et Parker répondra toujours la même chose.
Et alors ?
Qu’elle se bande les yeux les si elle veut. Ca fait de mal à personne, d’imaginer le monde, un autre monde, que celui qui existe. Meilleur, plus beau, plus joyeux, plus heureux. Plus pur. C’est rien de mal. C’est pas comme si elle imposait sa façon de voir les choses aux autres, au contraire de ce qu’eux, essayent de faire. Non.

Non.
Elle veut juste être heureuse, et vivre dans un monde qui la rendra heureuse. Et pour le moment, Altéa, la rend pas, heureuse.
Elle veut juste trouver une solution, pour changer ça. Et si la solution, c’est son imagination débordante. Alors son imagination débordante ce sera.

Elle voit Evan tomber, ou presque, pas trop loin d’elle. Et elle se retient de sourire. Parce que c’est pas beau de se moquer. Mais que c’est pas mal tentant. Et puis, c’est naturel, de rire. A des situations qui sortent de l’ordinaire.

Il parle, Evan, des étoiles. Assez gentil avec toi pour répondre à tes questions qui sortent de nul part. Même dans un planétorium, personne penserait à répondre à un fille, de plus de 10 ans tout du moins, qui demanderait le nom des étoiles. Parce que c’est pas un savoir que les gens ont forcément envie d’acquérir. Pas un savoir qu’ils se sentent le besoin d’acquérir. Mais Parker, si. Parker elle a envie de connaître le ciel, de la nuit étoilé, pour pouvoir le retenir, le reproduire dans son esprit. Et l’imaginer à la place d’un ciel nuageux, qu’il soit à Altéa ou à Sigan. Chez elle ou, pas.

Elle sourit quand elle l’entend désigner une étoile et lui dire que ce serait probablement elle Et ça la ferait rougir, dans une situation normale. Mais la situation a rien de normale, alors elle sourit juste. Et elle le regarde lui, plutôt que les étoiles. Parce que même si elle veut se créer son monde parfait, Parker, qu’elle veut se cacher les yeux face aux atrocités du monde. Elle peut pas, se cacher les yeux. Face au mal-être de ses amis. Et Evan, il se sent mal. Il se sent mal et c’est pas récent. Pas vraiment.

Incapable de dire quand ça a commencé, capable de dire que c’est loin d’être terminé. Elle veut pas lui en parler, pas le forcer. Elle veut qu’il lui en parler, elle veut pouvoir l’aider, mais parce qu’il lui a demandé. Sans l’y forcer. Elle voudrait que tout ses amis arrivent, comme elle, à se cacher les yeux, face au monde, à sa réalité, et revenir en enfance, ou au moins à ce moment de la vie où ils ont été. Comment on dit. Heureux.
Ce moment de la vie que les moments tristes écrasent comme s’ils n’y avaient plus de place pour tout l’monde. Parce que quand on demande à quelqu’un, s’il va bien. Et qu’on lui demande, les moments heureux, de son existence. Il répond que même les moments les plus heureux, peuvent pas rivaliser avec ce moment, de tristesse, de brisement. Parker est pas d’accord. Parker pense que la joie et le bonheur gagnera un jour.
Le jour où les humains décideront de se souvenir de ses moments et de s’y raccrocher pour voler au dessus des moments plus tristes, juste pour les survoler. Leur dire adieux.

Ouais. Ca me va bien. L’étoile la plus brillante de la galaxie. Celle qui guide les autres, hors du néant et du sombre du ciel.

Jamais, elle lui demandera.
Toujours, elle lui tendra des bouts de bras auxquels se rattraper s’il veut se confier.

Parler des étoiles ça te vient naturellement. C’est assez simple en fait vu tout le temps que tu as passé à les observer. Tu le ferais encore, mais les regarder trop longtemps ça te rend triste. Parce que tu réalises que tu ne brilleras jamais autant qu’elles. C’est déprimant comme pensée, mais tu te forces et tu la chasses. Parce que ça ne t’apporte rien d’y penser plus que ça, puis bon, ce n’est pas le but de la soirée non plus. Tu veux remonter le moral de Jesse, lui changer les idées, pas ternir tes pensées avec la même pensée déprimante qui te revient toujours. D’ailleurs, la rousse te fait sourire en te répondant que ça lui va bien. Ses mots te parlent, ton coeur te dit que c’est une invitation à déverser ton lot de souffrances. Sauf que tu ne dis rien. T’es là pour elle cette fois et pas l’inverse. De toute façon t’as bien trop honte pour en parler, pour même siffler un mot à qui que ce soit. Alors tu forces ton sourire un peu plus et tu la regardes avec un peu de douceur. « C’est vrai que c’est tout toi ça. » Un rayon de soleil dans ta vie, voilà ce qu’elle est depuis le jour où sa route a croisé la tienne. Tu te permets quand même d’ajouter : « Du moment que tu ne laisses pas la noirceur te rattraper. » Parce que tu veux qu’elle reste saine et sauve, tu veux qu’elle soit bien.

Tu continues donc d’avancer un peu, cette fois en faisant attention et en regardant devant toi. Tu ne tiens pas spécialement à tomber de nouveau. Après un bref moment de silence, tu te dis que tu pourrais partager un peu plus de ton savoir sur les étoiles. Ce n’est pas grand chose, malgré ton intérêt pour les astres célestes tu n’as jamais été doué pour retenir quoi que ce soit. T’aimes apprendre, beaucoup même, mais tu oublies facilement. Enfin, ça tu l’as retenu, rien qu’un peu. « On peut aussi faire des lignes entre les étoiles. Ça fait des constellations. » Ça fait pas grand chose en fait, il faut une si bonne imagination pour parvenir à voir quoi que soit dans les traits qui peuvent être dessinés dans le ciel. Cette imagination, tu l’avais petit, maintenant beaucoup moins. « C’est un peu comme regarder les nuages. Faut pas mal d’imagination. » Tu ne crois pas que ça la dérangerait, elle a l’air plutôt douée pour ce genre de chose en fait.
À nouveau tu relèves la tête vers le ciel étoilé, toi ça ne te vient pas aussi facilement que tu le voudrais. Tu ne vois rien de spécial, même face aux lignes d’étoiles qui te sont familières. Tant pis, tu optes donc pour ta voie préférée : celle de la facilité. « Il doit y avoir une carte aussi. » Tu dis la chose avec un sourire. C’est ce que tu fais de mieux prendre les raccourcis. Alors tu ne te gênes pas, avançant un peu plus dans le planétarium à la recherche de la carte que tu viens d’évoquer. Les différents panneaux ne t’aident pas vu qu’il faut que tu les examines un à un. Il te faut donc un moment, un long moment pendant lequel tu restes silencieux. Puis « Ah. Trouvé. » Pas peu fier, tu lui adresses un beau sourire (forcé) et lui fais signe de s’approcher. « On va pas se mentir, c’est tiré par les cheveux, mais je trouvais ça très cool quand j’étais jeune. » Pas que tu sois si vieux, mais tu as l’impression d’avoir pris des rides au fil des années. Peut-être que tu deviens graduellement une vieille âme ? Ça te parait une drôle d’idée, t’as jamais été bien mature après tout.

Tu passes distraitement ta main sur ta tête. Il serait peut-être temps de couper tes cheveux en fait. Enfin, ce n’est pas important, ton attention repasse donc de cette remarque inutile à Jesse. Tu espères que tes efforts portent leur fruit. Peut-être qu’en fait tu aurais du amener Noot avec toi. T’es plutôt sur que ce n’est pas permis, mais comment résister à son adorable bouille ? C’est une belle occasion manquée ça, mais bon, ta personnalité devrait pouvoir rattraper, non ? « Alors t’en dis quoi ? » Tu veux savoir ce qu’elle pense des constellations, des étoiles, du planétarium. De tout en fait, sauf de toi.  

Fail. Parker comprend pas que les gens acceptent pas l’aide qu’on leur propose. Si quelqu’un accepte d’aider quelqu’un d’autre, pourquoi. Quel est le but pour cette personne de rester dans sa tristesse et sa mélancolie, alors qu’à côté, juste à côté, quelqu’un est là pour les aider. Non, Parker comprend pas.
Evan, il est de ces personnes qui sourient pour cacher leurs émotions, sentiments négatifs. Mais les sourires, dans son cas à lui, révèlent beaucoup plus qu’il ne le voudrait probablement.
Parker, elle a passé sa vie, que ce soit sur Sigan ou sur Altéa, à regarder les gens sourire. A observer, décortiquer, apprendre à comprendre la moindre différence entre un sourire sincère et tous les autres. Les sourires moqueurs, les hypocrites. Ceux qui sont forcés, comme celui d’Evan, ou les tristes, mélancoliques, comme ceux qui essayent de sourire à la vie, même embourbés dans des problèmes qu’ils pensent impossible à résoudre. Y’a les sourires jaunes, et les sourires cyniques. Et y’a les sourires prédateurs. Et Parker, elle arrive à les déceler, à les comprendre. Alors, certes, chez certains, chez qui sourire est juste pas naturel, c’est plus compliqué, de comprendre ce qu’ils pensent.
Et il fallait que ce soit son cas, à lui, l’homme.
Mais pas Evan. Evan, elle le connait depuis plus longtemps. Et Evan, il est beaucoup trop expressifs pour son bien. Ses yeux, ses mimiques, son expressives. Tout chez lui, crie à la compréhension chez les autres.
Ou peut-être juste chez Parker, en fait.

Elle écoute d’une oreille attentive tout ce qu’il lui dit, mais ne répond pas. Après tout, elle aimerait bien qu’à force de parler, il lui parle enfin de son problème, de ce qui le tracasse. Alors elle espère, elle se dit que si elle répond pas, le laisse parler, peut-être. Ca l’empêche pas, Parker, de réagir, de penser, de répondre dans sa tête. Et elle se rend compte que, même, même si, elle avait voulu répondre. Elle aurait rien eu à dire. Et c’est rare, chez Parker, de rien avoir à répondre. Peut-être oui, aurait-elle joué celle qui prend la grosse tête à sa confirmation. Et puis, peut-être, qu’elle l’aurait rassuré, en lui disant que c’est jamais le cas, qu’elle se laisse jamais rattraper.
Sauf que Parker aime pas mentir.
Et que ces dernières semaines, depuis qu’elle l’a rencontré, elle se sent rattraper par une vie qu’est pas la sienne. Une culpabilité qu’ils partagent sans qu’elle le sache. Quelque chose de mauvais pour elle, pour sa santé, physique et mentale. Hier soir, encore. Elle a pas pu s’empêcher, de gratter, de frotter. Même après une demi-heure d’eau froide, sa tâche de naissance brûlait. Comme si, un, chalumeau, était allumé et brûlait, brûlait, brûlait.

Et comme Parker aime pas qu’on s’inquiète pour elle, pas pour ça, pas à cause de lui, elle aurait probablement rien répondu. Parce qu’elle aurait préféré ne rien répondre, plutôt que d’avoir à mentir.

Et Evan se remet à parler, de constellations, cette fois ci. Parker a déjà entendu le mot quelque part, mais elle a beau chercher où, elle se souvient pas. Peut-être en regardant une conversation sms entre Jo et quelqu’un d’autre oui, c’est possible. Ou peut-être autre part. Pourquoi Jo irait parler de constellations ?
Elle sourit, Parker, malgré le changement de sujet honteusement évident d’Evan. Parce que l’imagination, ça c’est son truc, à Parker. Parce qu’elle est persuadée d’avoir vu une casserole tout à l’heure, dans les étoiles, mais qu’elle avait trouvé ça débile. Et que maintenant, elle se dit que finalement, ça l’est peut-être pas tant que ça.

Quand il lui reparle, elle s’approche de lui, et il lui montre un panneau, une carte. Des traits sont tirés entre les étoiles, mais elle décide, en quelques millisecondes, d’arrêter de regarder le panneau.

J’en dis que c’est de la triche.

Et Parker s’assoit sur un des sièges à proximité et lève la tête, observe.

J’vois une casserole, mais je l’avais déjà vu tout à l’heure. Sauf que j’savais pas que ça existait les constellations, alors j’pensais que j’avais vraiment trop d’imagination. La dernière fois j’ai vu une rose dans les nuages. C’était beau. Une belle rose blanche de petites gouttelettes en suspension. Et là, on dirait y’a un truc, un cheval ou. Ou un mammifère en tout cas, avec une tête. Une giraffe ? Ouais non, la tête de la girafe elle redescend pas comme ça. Un je sais pas.

Et elle constate que l’imagination, elle l’a. Mais que si c’est répertorié, c’est que c’est de la science. Et Parker, elle a jamais été fan de la science. Ca coupe l’herbe sous le pied aux rêveurs. Et ça, c’est jamais cool.

Ignorer la proposition d’aide ce n’est pas si simple, parce que tu en aurais bien besoin. Tu le sais, c’est assez évident, mais tu le refuses. Parce que ce serait admettre que tu as merdé et tu ne veux pas. Tu ne veux pas décevoir personne, que ce soit ton équipe ou Jesse. Tu te doutes qu’elle, elle comprendrait, que sa douceur pourrait faire office d’un baume sur ton coeur. Sauf que non, tu ne peux t’y résoudre. Alors tu fais semblant, autant que possible. Tu forces sourire après sourire sur ton visage dans l’espoir un jour tu te convainques toi-même que tout va bien.
À défaut que ça fonctionne cette fois - ou même jamais - passer la conversation vers les constellations te parait évident. C’est rattaché aux étoiles, ça pourrait intéresser Jesse et puis c’est si loin de toi. Tu te dis qu’il n’y aura aucun lien avec ta situation et ça t’arrange bien. Parce que tu te sens mal de mentir à la longue. Tu sais que c’est nécessaire vu la gravité de tes actions, mais t’aimes pas ça pour autant. Les constellations sont donc là pour te sauver la mise et t’en parles avec plaisir. Tu déblatères tout ce que tu sais sur la question - c’est-à-dire très peu de choses - dans l’espoir que Jesse apprécie, que ça lui change les idées.

Puis, tu la vois sourire et tu te dis que ça quand même fonctionner, même si c’est juste un peu. Tu lui montres le panneau lorsqu’elle approche et attend sa réaction. Ce n’est pas vraiment le panneau qui importe en fait, mais c’est ce qu’elle va dire. T’es surpris par ce qu’elle te répond et pas totalement dans le bon sens. Tu sens ton coeur sauter un bon lorsqu’elle évoque la triche. Bien sur, elle ne parle pas de toi, pas pour ce qui te vient en tête en tout cas, mais sur le coup tu paniques. Tu n’y peux rien, après tout, c’est bien le coeur de tes problèmes, le fait que tu as commencé à tricher dans ton sport. Tu ne veux rien dire sur le sujet, mais ton visage te trahit. Une rapide grimace s’y faufile malgré tes efforts. Tu la chasses aussi vite qu’elle est apparue et tu essaies de reprendre une pleine constance. « C’est pas de la triche. » C’est de la science, voilà ce que tu aurais pu lui dire. N’importe quoi aurait été une meilleure réponse que ce sur quoi tu pars. « T’façon je triche jamais. » C’est un mensonge monstrueux. C’est aussi trop extrême pour que ça semble moindrement crédible.

Heureusement, tu peux te rattraper sur autre chose, sur ce qu’elle dit par la suite au sujet de ce qu’elle voit dans le ciel. Tu ne vois pas forcément tout ce qu’elle évoque ou plutôt tu sais pertinemment que tu arrives à le voir parce que tu as posé les yeux sur la carte. Tu passes d’ailleurs ton regard entre Jesse, le ciel et la carte que tu consultes encore. Ce n’est pas que tu manques d’imagination - même s’il y a un peu de ça - c’est plutôt que tu es curieux de voir si elle a raison. Après un court moment de silence pendant lequel tu essaies de te reprendre pleinement, tu viens te laisser tomber à ses côtés. Le siège n’est pas si confortable, pas assez à ton goût, mais tu ne le soulignes pas. Non, tu réfléchis plutôt à ce que tu pourrais bien voir dans le ciel. « Tu pourrais surement te faire ta propre carte en fait. » Elle a plus d’imagination que toi après tout. Puis comme ça, elle ne pourra pas dire que c’est de la triche, parce qu’elle en sera la source. Tu te dis que ce n’est pas une mauvaise idée en fait. Ça aurait presque pu être un projet même. « Moi je pourrais pas, j’arrive pas à imaginer les lignes dans le ciel. » Petit tu pouvais, mais ça c’est une autre histoire. Tu ne dis pas ça pour te plaindre de toute façon, juste pour lui montrer qu’elle est spéciale. Puis, il faut dire que tu t’en fiches un peu de ça. T’as perdu plus important avec le temps. « Alors qu’est-ce que tu vois d’autres ? » Curieux, tu veux profiter de son imagination pour te changer les idées. Ce n’est pas le but premier de la visite, mais ça pourra toujours vous faire du bien à tous les deux.  

Si, c’est de la triche. Bien sûr, que c’est de la triche. Si le but du jeu est de voir des traits entre les étoiles, alors c’est de la triche que de nous les indiquer sur papier. Pourquoi est-ce qu’on pourrait pas avoir chacun nos constellations personnelles après tout ? C’est pas comme si ça allait bouger la place des étoiles. C’est pas essentiels, les constellations.
Elle tourne la tête vers Evan rapidement quand il parle enfin de lui. Il rebondit sur la triche, et Parker hausse les épaules dans un geste étonnée. Elle voudrait qu’il développe. Peut-être, que s’il développe, elle réussira à comprendre ce qu’il a. Pourquoi il va pas bien. Et elle a envie, besoin, de comprendre. Elle est son amie, et elle sait qu’elle peut écouter ce qu’il aurait à lui dire, qu’elle pourrait comprendre. Elle est presque sûre même qu’elle pourrait l’aider. Ou au moins, elle est persuadée qu’elle essayerait.

Il finit par s’asseoir à côté d’elle, et elle se retient de poser sa tête sur son épaule. Le dossier est pas vraiment super confortable, et elle sait, que son épaule l’est plus. Mais non. Déjà parce qu’il y aurait un risque énorme qu’elle s’y endorme. Elle a pas réussi à faire de nuits complètes depuis la première rencontre avec l’homme, au magasin de bonbon. Et elle est HS. Et ensuite, ça serait vite compliqué pour elle se regarder le ciel étoilé dans la position dans laquelle serait sa tête.
Il se met à parler, et Parker l’écoute. Oui. Sûrement, qu’elle pourrait. Et tout l’monde pourrait, devrait. C’est nul d’imposer des trucs à la culture populaires. Surtout quand c’est pas juste de la science. C’est arbitraire, de choisir les noms. Quels droits avaient ces personnes, de donner un nom de leur choix, aux constellations ? Pourquoi pas quelqu’un d’autre ? Si ça s’trouve, quelqu’un d’autre aurait appelé la constellation de la “grande ours”, c’est ça qu’elle a vu écrit rapidement sur la carte. Peut-être qu’il l’aurait appelé “La casserole” ou “Le meuble”. Ca ressemble autant à un ours qu’à un meuble. Alors. Pourquoi ?

Elle hausse les épaules une nouvelle fois. C’est triste, qu’il puisse pas. Imaginer les lignes. Peut-être qu’il connait trop la carte, qu’il arrive pas à s’en détacher. Ils se permettent de choisir les noms et empêchent les gens de laisser courir leur imagination. Ça craint.
Puis il lui demande, ce qu’elle voit d’autre. Alors elle plisse les yeux, regarde. Essaye de détacher certains groupes d’étoiles et de les recoller entre eux. Elle sourit quand elle remarque plusieurs choses. Dans l’ensemble, pas dans les étoiles compartimentées. C’est nul, de compartimenter les choses. Des armes, des chouettes, des brillantes.

Elle se retourne vers lui et sourit. Voilà, ce qu’elle voit. Sauf qu’en le regardant, ce qu’elle voit, c’est un ami à elle qui va mal. Un ami à elle qu’elle parviendra pas à aider tant qu’il lui aura pas dit ce qu’il a, ce qu’il se passe, chez lui. Elle baisse les yeux. Comment briser le silence qui l’entoure ? Un moment de silence, et elle pince ses lèvres entre elles, comme pour les coller. Oups. Peut-être qu’elle devrait juste, arrêter de penser. Ca lui éviterait des problèmes dans ce genre.
Alors elle décide de changer de sujet. Et de partir sur autre chose, mais pas trop. Et comme si c’était une excuse, comme si ça allait lui donner une raison pour réfléchir à voix haute, elle lance : Je vis dans un autre monde. Tu sais ?
Et elle se rend compte que c’est pas qu’une excuse, qu’un prétexte. Que c’est l’impression qu’elle a, Parker. Qu’elle a toujours eu. Il y a leur monde, à eux, Evan, l’homme, Yohan, les Boyle. Et le sien, à elle.
Et elle se met à parler, les mots sortent de ses lèvres sans qu’elle puisse les retenir. Sur des questionnements, des idées. Sur des choses qu’elle trouve étonnantes, surprenantes. Sur des choses qui leur a été imposé, finalement, sans qu’ils sachent comment, ni pourquoi. Pourquoi des oranges oranges, des marrons marrons, des violettes violettes ? Pourquoi des chaperons rouges, des rires jaunes et des marées noires ? Pourquoi les grands font grises mines, sont rouges de colère ou verts de peur ? Et finalement, elle ferme le récipient à bêtise qui lui sert de bouche, et continue de fixer son ami. Je suis bizarre, pas vrai ? Elle a envie d’le faire parler de lui, et, c’est tordu mais. Peut-être que si elle dit des trucs bizarres, et que ça, des trucs bizarres, alors il voudra changer de sujet. Et s’il change sujet, alors il choisira peut-être ses problèmes comme discussion.
Elle aime pas le voir mal. Et si ça signifie qu’elle doive utiliser ses questions sans réponses sur les expressions colorées pour le faire parler, alors elle a aucune raison d’hésiter.
Il va changer de sujet, obligé ! Elle a déjà testé. Ca met les gens tellement mal à l’aise qu’ils lui parlent de tout, sauf de ça.
Et tout, sauf ça, ça la rapprochera toujours plus de son problème à lui. Plus que les étoiles, en tout cas.

T’es un peu idiot de passer de ce qu’elle dit au sujet de la carte des constellations à toi. Le pire, c’est qu’elle n’a rien dit qui se rapproche vraiment de ta situation. T’as seulement réagir au quart de tour de peur qu’elle devine quelque chose, parce que t’es un peu idiot. Au moins, elle ne relève pas la chose et tu lui es reconnaissant, beaucoup plus qu’elle peut s’imaginer. Tu ne sais même pas ce que tu aurais pu faire si elle avait décidé d’insister, te poser une question sur ce que tu as voulu dire. Il faut que tu fasses attention. À force de te laisser bouffer par tes angoisses, tu les laisses toujours t’envahir un peu plus. C’est peut-être bien le signe qu’il faut que tu vides ton sac un peu, mais tu n’oses toujours pas. Peut-être que tu ne le feras que lorsqu’il sera trop tard en fait.

Fort heureusement, en plus d’illuminer ta vie, les étoiles t’offrent un échappatoire dans la discussion. T’as aucun mal à admettre que tu n’y vois rien de spécial, mais surtout tu peux lui demander ce qu’elle voit. Surement que si elle se met à imaginer, elle aura moins de soucis en tête et surtout pas les tiens. Tu essaies donc de mettre un écran de fumée en ce que tu peux bien ressentir et ce dont vous parlez. Tu la lances sur ce qu’elle peut bien remarquer dans le ciel, certain que ce sera plus intéressant que ce qui peut bien te tracasser. Tu ne te trompes pas  et un sourire - celui-là plus franc - se dessine sur tes lèvres. « Des armes, vraiment ? » Ça t’étonne venant d’elle. Peut-être que ça ne cadre pas avec l’image que tu as pu te faire de Jesse au fond. Non pas que ça te dérange, au contraire, pour ça tu sais bien t’adapter.
Mais ton sourire se perd quand même un peu alors que ton regard trouve les étoiles à nouveau. Tu ne sais pas trop ce qui y voit qui te rend si triste. Tu ne t’y attardes pas trop longtemps, tu n’en as pas le temps que la voix de Jesse se fait entendre à nouveau. Ton regard quitte le ciel pour se tourner vers elle, les sourcils un peu froncé. Tu ne sais pas trop si elle attend une réponse, ce qu’elle veut même savoir en posant cette question. Avant même que tu n’aies l’occasion de tenter quoi que ce soit, elle change le sujet… pour quelque chose qui n’est pas beaucoup plus simple à tes yeux. Tu hésites un moment avant de répondre. « T’es dans le mien aussi. » Peut-être pas comme elle le voudrait, après tout, tu ne peux pas vraiment comprendre ce qu’elle peut bien ressentir dans ce monde. T’essaie juste de lui offrir ton amitié en guise de réconfort. Ce n’est peut-être pas beaucoup, mais c’est bien tout ce que tu as.

Puis, elle te surprend à nouveau. Cette fois c’est avec des questions sans lien avec votre conversation ou même de sens à tes yeux. Tu restes silencieux, la dévisageant légèrement alors que l’enchainement d’expressions colorées. Et tout ce que tu trouves à répondre au début c’est un « Euh » digne de tous les talents d’éloquence de tous les mondes réunis. Parce que tu ne sais pas trop quoi lui répondre. Tu veux pas paraitre méchant en changeant le sujet, mais d’un autre côté est-ce que t’as vraiment quelque chose à répondre à cet enchainement de questionnements ? La réponse est évidente, elle est négative.
Alors il te faut autre chose. Et tu te diriges vers quelque chose d’évident, de familier. Tu reviens vers les étoiles, encore et toujours, mais cette fois c’est un peu différent. « Quand j’étais petit, je rêvais de devenir une étoile. » Oui bon ça on s’en fiche un peu. C’était il y a si longtemps. « J’en suis tellement loin maintenant. » Plus qu’avant même. Et ça c’est un petit aveu. C’est un pas dans la bonne direction. Parce que c’est ce que tu ressens au plus profond de toi. C’est donc te dévoiler plus que ce dont tu avais l’intention à la base. « Enfin, ça m’apprendra. » À rêver, à espérer mieux, à vouloir briller. Tout ce qu’elle veut, ça s’appliquerait. Parce que t’es qu’un idiot au fond.  

Parfois. Souvent plus que rarement, elle est à côté de la plaque, Parker. Ou dans les nuages. Ou, et bien, les deux. Parfois, pendant de courts moments, elle part loin dans ses réflexions, ou réfléchit à voix haute. Pense que ses paroles ont un sens, pense qu’elles ont leur place dans la discussion. Et plus deux fois qu’une, c’est pas l’cas. Pourtant, Parker regrette jamais rien. Rares sont les mots qu’elle a un jour prononcé et qu’elle voudrait retiré. Elle est entière, Parker. Et quand elle dit quelque chose, c’est qu’elle sait qu’à un moment donné, elle l’a pensé.  Elle est pas de celles qui disent quelque chose, puis se rendent compte de ce qu’elles ont dit, puis se confondent en excuse, non. Même si elle dit quelque chose qu’elle considère “méchant”, c’est qu’à un moment où à un autre, même sous l’coup de la colère, elle l’a pensé. Aucune raison de s’excuser ou de servir les phrases bateaux à la : c’est pas c’que je voulais dire.
Si. A un moment donné, c’est ce qu’elle a voulu dire. Et dire l’inverse, c’est mentir.
Et Parker ment pas, jamais.

Elle hoche la tête. Oui, des armes. C’est facile de voir des armes partout, un peu partout. C’est triste, mais les armes font parties de la vie des humains. Elles sont là depuis tellement longtemps. Et elles sont la base de tout ce que les hommes peuvent faire. Ils peuvent pas manger, sans armes. Ils ont obligés de les tuer, ces animaux. Ou de les trancher, ces blés. Et avec des armes. Même si c’est pas le nom exact, c’est exactement l’idée. Oui. Elle comprend que ça choque, Parker, qu’une fille comme elle parle d’armes. Parce que Parker étant ce qu’elle est, elle est évidemment pacifiste. Evidemment qu’elle ferait pas d’mal à une mouche. Evidemment qu’elle préfèrerait qu’on lui fasse du mal plutôt que se défendre en utilisant la violence. Alors des armes ? Dans le ciel ? Bien sûr, ça étonne. Ca détonne.

Elle se tourne vers Evan. Cet ami fermé qu’elle essaye de faire parler sur ses problèmes. Parce qu’il en a, des problèmes. Elle aussi, oui, d’accord. Oui, elle, elle a cet homme, ce père de famille, mari, de qui elle rêve la nuit. Cet homme dont la seule pensée lui donne envie de plonger son corps dans de l’eau glacée pour en calmer la brûlure constante de cette foutue tache de naissance. Parce que, c’en est une, pas vrai ? C’est obligé. Ca peut pas, vraiment pas, être autre chose.
Alors oui, Parker aussi, elle a son problème. Mais qu’un. Et ça la rend pas si différente que d’habitude après tout. Elle reste Parker, la fille heureuse, gentille et simple. Sa vie est juste un peu moins simple depuis qu’il a débarqué à l’intérieur. C’est tout.
Mais Evan, Evan lui. Lui c’est différent. Il va mal. Il a changé. Avant, il allait bien, ou mieux, au moins. Et Jesse est une bonne amie, elle doit comprendre pourquoi. C’est son devoir de comprendre pourquoi. De l’aider. Sauf qu’à la place, elle parle d’elle. De son monde de rêves, de questions sans réponses. Elle parle pas du monde littéralement, pas d’Altéa et de Sigan non. Mais finalement, sa phrase fonctionnerait aussi, si elle voulait parler de ça. Et Evant étant le premier Altéen qu’elle ait rencontré, elle prendrait tout son sens. Mais ça l’est pas, son sens, ça. Dans le sien. C’est beau.

Et il lui parle de son enfance. Il lui raconte qu’il voulait être une étoile. Et il s’ouvre, un peu. Peut-être que c’était pas voulu. Et ça l’était probablement pas. Mais qu’il l’ait voulu ou non, il a parlé. Il voulait être une étoile, il en est loin. La prochaine étape, c’est l’pourquoi. Après tout, c’est bien de vouloir être une étoile, y’a rien de mal à ça. Vraiment rien. Parker, elle se considère comme une étoile. Parce qu’il y a tellement d’étoiles, dans l’ciel. On pourrait imaginer que c’est le reflet de chacun d’entre nous, si on l’voulait. Alors Parker, ce serait peut-être celle là, celle qui brille tout l’temps. Pas forcément très fort, mais qu’est proche d’autres étoiles, qui brillent moins qu’elle. Comme si elle voulait les aider à briller plus. Et peut-être qu’Evan, c’est un de ses étoiles, qui brillent moins.
Et elle se dit que cet homme, c’est probablement l’étoile polaire. Celle qui brille le plus, celle qui attire tous les regards et les empêche de se détacher d’elle.

Elle pose sa main sur le dos de celle d’Evan, qu’est pas trop loin d’elle et l’attrape, pour la lever vers le ciel.
Tu vois cette étoile ? Celle qui brille mais est entourée par celles qui brillent moins ? J’y ait pensé, j’pense que c’est moi. Et autour, c’est les gens que j’aime, mais qui brillent moins, qui aiment moins la vie, qui se font moins remarquer. Et je pense que l’une d’elle c’est toi. Et je pense que quand je suis arrivée à Altéa, et que t’es la première personne que j’ai vu, c’était l’inverse. Je pense que j’étais cette petite étoile, tu la vois ? Celle qui brille le moins ? Et toi, t’étais celle qui brille le plus. Et grâce à toi, j’ai brillé un peu plus tous les jours.
Et elle sourit. Parce que oui, c’est ça, qu’elle ressent. C’est comme ça qu’elle le voit. Les étoiles se guident entre elle, se dépannent leur brillances si besoin. Les étoiles sont belles, comme les Hommes. Et ce serait beau si tout l’monde s’en rendait compte.

Au final, peut-être qu’en voulant changer les idées de Jesse, en voulant l’aider à oublier tout ce qui peut la troubler, tu t’aides toi même. Sa seule présence t’est bénéfique, c’est une évidence. Bien sur, tu te laisses bien trop prendre dans tes propres angoisses et tes propres problèmes. C’est ton véritable souci ces derniers temps alors que tu essaies de cacher à tout le monde l’addiction qui te ronge de l’intérieur. Ce n’est pas sans raison que tu dévies le sujet à chaque occasion que tu parles des étoiles plutôt que de parler de toi. Tu en parlerais des heures si ça pouvait t’assurer que personne ne découvre ton secret.

Sauf que ça ne fonctionne pas vraiment. Tu ne saurais dire si c’est parce que ton interlocutrice est Jesse ou si c’est plutôt parce que ton mal te ronge à ce point. Peu importe la raison, tu t’échappes et lui avoues une partie de ce qui t’accable. Tu ne le dis pas clairement, surement que ce que tu dis ne feras pas de sens pour elle, mais ça reste très près de la réalité. Être une étoile, briller, c’est bien tout ce que tu as voulu de la vie. T’as complètement raté ton coup, tu le sais bien maintenant, mais ça ne t’a pas aidé pour autant. Peut-être que c’est pour ça que tu sombres autant. Tu espères pendant un bref instant que Jesse ne soulèvera pas ce que tu viens de dire.
Et elle ne le fait pas, du moins pas complètement. Elle part sur autre chose et ça te soulage. Pas seulement parce qu’elle ne te confronte pas sur ce que tu as dit, mais surtout parce que ses paroles sont comme un baume pour ton coeur. C’est sans doute exactement ce que tu as besoin d’entendre. Certes ça te rappelle qu’avant tu brillais plus, que t’as perdu de ta brillance en chemin, mais ce n’est même pas ce qui t’importe le plus. Non parce qu’elle te dit surtout que tu l’as aidé à briller et c’est ce qui compte. Tu lui souris. « Je t’ai vraiment aidé à briller ? » C’est idiot qu’avec tout ça tu t’entêtes encore à parler d’étoiles, mais c’est plus simple comme ça. Peut-être que si tu faisais les choses différemment tu serais davantage porter à vider ton sac. Ce n’est pas ce que tu fais, non, à la place tu te perds un peu dans les étoiles. Tu les observes comme si t’essayais de te convaincre que ce n’est pas si merveilleux que d’être dans le ciel. C’est un exercice vain, ce sera toujours ton rêve malgré tout le mal que ça peut te faire.

Après un moment de silence, celui pendant lequel ton regard s’est perdu dans le ciel, tu baisses les yeux vers Jesse avec un mince sourire. « Et puis maintenant les rôles sont inversés. » Et c’est pas plus mal. Qu’elle soit la plus brillante ne te dérange pas le moins du monde. Tu te dis qu’elle le mérite bien - mieux que toi d’ailleurs. Non c’est le fait d’avoir perdu ton éclat qui te gêne. Tu as peur de l’avoir perdu à tout jamais. Enfin, tu tais cette impression à nouveau et serre plutôt la main de ton amie dans la sienne. « Du moment que je ne t’empêche pas de briller encore plus. » La dernière chose que tu voudrais - ou l’une des dernières en tout cas - ce serait bien de la trainer vers les tréfonds avec toi. C’est donc une invitation que tu lui fais, une façon de lui dire que tu veux être là pour la soutenir plus qu’autre chose. C’est ce qui explique votre présence cette fois là aussi. Parce que tu veux l’aider encore maintenant. Peut-être que ce sera là un bon moment pour lui demander ce qui la tracasse. Tu fais la remarque mentalement et t’hésites pendant un bref moment. Tu te refuses finalement à le faire. Tu ne veux pas lui demander directement, pas tout de suite. À la place tu finis par lâcher : « J’imagine que je retrouverai ma place un jour. » Et tu ne parles pas uniquement dans le ciel. Tu parles dans la vie en général, dans le grand arrangement des choses. Ta place dans le monde à vrai dire. En as-tu seulement une ?